La Bible du Coeur de Jésus

Edouard Glotin

Presses de la Renaissance


Notes et Annexes

Introduction

Annexes
Haurietis Aquas
Le Coeur de Jésus et le Shabbat juif
Benoît XVI : Lettre au R.P. Kolvenbach (50° anniv. d'HA)
Benoît XVI : Message de Carême 2007

Commentaires
des illustrations

Fig. 1 à 11
Fig. 12 à 19
Fig. 20 à 29
Fig. 30 à 39
Fig. 40 à 49
Fig. 50 à 59
Fig. 60 à 69
Fig. 70 à 83

Notes
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
• Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12

Liste des sigles
Notes du chapitre 8

2. @ La crise de la conscience européenne.
Cf. Paul HAZARD, La crise de la conscience européenne (1680-1715), Paris, Fayard, 1961.
1675 est l’année de la Grande Apparition, mais aussi l’époque où Spinoza met la dernière main à son Ethique. L’histoire des résistances structurelles à la progression du culte du Cœur de Jésus est aussi celle de la montée du rationalisme philosophique dans la conscience européenne.

11. @ Le miracle posthume de Claude La Colombière.
Sur la guérison, cf. E. GLOTIN, « Claude La Colombière. Le sens d’une canonisation », NRT, 1992, 816, note 2. C’est la foi du directeur californien de l’Apostolat de la Prière qui devait obtenir la guérison miraculeuse, qui était l’indispensable « feu vert » à la terminaison de la procédure de canonisation.

18. @ Première vague d’écrits sur le Cœur de Jésus et réactions prudentes de la Compagnie.
L’Anatome Cordis Christi Domini lancea perfossi, libris duobus comprehensa du Père Antoine-Marie BONUCCI († 1729) parut à Rome en 1703. Traduction : Connaissance du Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ percé de la lance, par Mgr Luquet, Paris, H. Vrayet de surcy, 1863.
Sur les réactions, cf. E. LETIERCE, Etudes sur le Sacré-Cœur, Paris, 1890-1891, T.2, 94. Notons en particulier l’expression imprudente dans le titre de l’opuscule de Galliffet : « divinement révélé ». L’ouvrage de Croiset fut, quant à lui, mis à l’Index ce qui ne l’empêcha d’ailleurs pas de connaître de multiples rééditions, généralement anonymes, au cours du siècle suivant.

19. @ L’adhésion de la province jésuite d’Espagne au Cœur de Jésus.
[*** Prochainement en ligne ***]

21. @ Pierre de Clorivière.
« Reçu dans la Compagnie de Jésus quelques jours avant qu’elle ne soit supprimée par Clément XIV (1773), le malouin Pierre de Clorivière (1735-1820) – dernier héritier après Caussade des grands jésuites thérésiens du 18° (cf. P. de CLORIVIERE, Prière et oraison, Paris, DDB, 1960) – avait pratiqué la lecture assidue de la Retraite de S. Caude La Colombière (+ Croiset, Gallifet). Incardiné au diocèse de Saint-Malo jusqu’en 1814 où il restaurera la Compagnie de Jésus en France, Clorivière conçoit, au début de la Révolution, le projet d’une vie religieuse clandestine sans maisons communes ni costume : Société du Cœur de Jésus pour les hommes (martyrium de Montmartre, 2 février 1791), Société du Cœur de Marie (dites : Filles de Marie). Disparue après la mort du fondateur, la société masculine fut restaurée par le confesseur de Huysmans, le ‘curé des chiffonniers’, Daniel Fontaine (Montmartre, 29 octobre 1918), et a connu dès lors un essor remarquable en France et dans le monde. Erigée le 2 février 1952 en Institut séculier, elle constitue aujourd’hui sous le nom de GEM (Groupes Evangile et Mission), une association de vie évangélique qui permet à un prêtre de se rattacher à une spiritualité – ici jésuite – tout en restant incardiné à son diocèse. Extérieurement, rien ne distingue les membres d’un GEM (qui ne forment pas de communautés d’habitat) : au sein d’un ministère confié par l’évêque, ils vivent les 3 vœux de religion, la dépendance spirituelle d’un supérieur, l’heure d’oraison quotidienne, la retraite annuelle de 8 jours selon les Exercices de S. Ignace (et une fois au cours de la vie, le retraite de 30 jours) et la spiritualité du Cœur de Jésus dans l’esprit de Clorivière (= conformité aux ‘sentiments les plus intimes de l’Homme-Dieu’ selon Phil 2, 5). Cf. Fr. MORLOT, Fondations nouvelles Pierre de Clorivière, Paris, DDB, 1985.

22. @ Textes de Marguertie Marie sur la mission des jésuites.
[*** Prochainement en ligne ***]

25. @ Texte du P. Arrupe.
[*** Prochainement en ligne ***]

31. @ Voltaire, les encyclopédistes et le Cœur de Jésus.
Parfaitement conscient de l’antimysticisme régnant, Languet, cherchant à ne pas heurter, avait eu beau opérer une relative sélection parmi les données de l’Autobiographie, le regroupement en chapitres qu’il opérait avait été plutôt néfaste et les « visions de Marie Alacoque » (Voltaire) étaient devenues très vite l’objet des railleries de la cour, puis des « esprits éclairés » (Saint-Simon, d’Alembert, D’Agens, Voltaire…). Ceux-ci avaient affecté de soupçonner le désintéressement (dédicace à la « dévote Reine », désir du cardinalat… Cf. Saint-Simon) et même la véracité du biographe (« Les vers français que Jésus-Christ a faits pour cette sainte, mais qui feraient penser que notre divin Sauveur est un bien mauvais poète, si on ne savait d’ailleurs que Languet, archevêque de sens, a été le Pellegrin qui a fait ces vers de J.C. », Voltaire, 1846).

33. @ Les jansénistes contre le Cœur de Jésus.
« En effet, de même que jadis Dieu voulut faire briller aux regards de la race humaine sortant de l’arche de Noé, comme le signe d’un pacte d’amitié, ‘l’arc resplendissant dans les nuages’ (Gn 2, 14), de même, en cette époque si troublée où se répandait l’hérésie de Jansenius, perfide entre toutes, et destructrice de l’amour et de la piété dus à Dieu, qu’elle présentait moins comme un père digne d’amour que comme un juge inexorable et implacable, Jésus vint, dans sa bonté infinie, nous montrer son Cœur Sacré comme un signe de paix et de charité offert aux regards des peuples et comme un gage de victoire assurée dans les combats ». (Pie XI, MR 1284)
Documentation sur la querelle cordicole : L. COGNET, « Les jansénistes et le Sacré-Cœur », Etudes Carmélitaines, 1950, 234-253 ; A. BOULEAU, La dévotion au Sacré-Cœur au 18° siècle, Rome, Studia dehoniana, 1991, 45-68 ; J. ZORE, in Il culto del Cuore di Cristo (collectif, 1956).
La thèse de l’opposition foncière jansénisme-Cœur de Jésus est tardive dans les documents romains (MR, 1928). Dans les années 1900, on s’était finalement avisé que les deux courants divergeaient sur la question de la communion fréquente (décrets de Pie X, 1910). Mais à l’origine, le célèbre mouvement issu de l’Augustinus (C. Jansen, 1640) n’avait pas eu conscience que le message de Paray menaçât ses propres thèses (pas d’opposition à Croiset) : le symbole du cœur lui était familier comme à toute l’Ecole française et les textes port-royalistes contiennent un beau florilège sur le Cœur de Jésus (Cf. Cognet, art. cité). Tout change au cours du 18° siècle, mais pour des raisons extrinsèques.
Du fait que Mgr LANGUET, auteur de la première biographie de Marguerite-Marie (1729), s’était fait, contre Quesnel († 1719) et les « appelants », le chef de file des « acceptants » de la bulle Unigenitus (1713), les jansénistes firent chorus contre la « ridicule sentimentalité » de la sœur Alacoque, comme en témoigne, à partir de 1750, leur feuille semi-clandestine Les nouvelles ecclésiastiques (1728-1803). Leur opposition redoubla après 1765 où leur antiromanisme interpréta la bulle d’approbation du culte du Cœur de Jésus comme une victoire leurs ennemis jésuites qu’ils cherchèrent à minimiser (l’adverbe symbolice aurait, selon eux exclu l’adoration du cœur physique). Ils puiseront bientôt la plupart de leurs accusations contre le nouveau culte dans Camillo BLASI, Dissertatio commonitoria, 1771, qui sera réfuté par E. MARQUES, s.j., Defensio cultus, 1781. Par contre, ils renoncèrent vite à un argument importé d’Italie (1773) que la chronologie de la vie de La Colombière démentait : celui-ci aurait, au cours de son séjour à Londres, emprunté l’idée de la dévotion au protestant anglais Thomas GOODWIN, The heart of Christ in heaven towards sinners on earth, 1651.
Après la condamnation de Pie VI, il y eut un instant collusion entre les thèses jansénistes et le courant révolutionnaire via certains ecclésiastiques constitutionnels, ex. : l’évêque de Loir-et-Cher (1791), le fameux abbé Henri Grégoire († 1831), ex-président du Corps Législatif (1799), qui entretint une correspondance avec Scipion Ricci, au terme de laquelle il publia Histoire critique des dévotions nouvelles au Sacré-Cœur de Jésus et au Cœur de Marie (1807), « où toute l’argumentation du 18° est rassemblée avec une vigueur et une précision extraordinaires » (Cognet). De façon plus pesante, il reprendra la question en 1828 dans son Histoire des sectes religieuses (T.2 : Les cordicoles).
A noter : avant que Michelet ne passe le relais aux psychologues modernes, il y aurait d’autres chaînon à explorer : la Biographie universelle de Feller ; Tabaraud (1822) ; un factum anonyme de 1832 ; Dajoumer, etc… Cf. A. HAMON, Histoire de la Dévotion au Sacré-Cœur, Paris, Beauchesne, 1931, T. 4, 367.

Sur le texte du Décret de la Congrégation des Rites (1765), cf. N. NILLES, De rationibus festorum Sacratissimi Cordis Jesu et purissimi Cordis Mariae e fontibus juris canonici erutis, 4e éd., T. I, Innsbruck, Libraria academica wagneriana, 1875, 163 :
« Congregatio Sacrorum Rituum habita die 26 Januarii hujus anni (1765), probe noscens, cultum Cordis Jesu jam esse per omnes fere catholici orbis partes, foventibus earum episcopis propagatum, saepe etiam a Sede Apostolica decoratum millenis indulgentiarum brevibus, datis ad innumeras propemodum confraternitates sub titulo cordis jesu canonice erectas, simulque intelligens, hujus Missae et Officii celebratione non aliud agi, quam ampliari cultum jam institutum, et symbolice renovari memoriam illius divini amoris, quo Unigenitus Dei filius humanam suscepit naturam, et factus obediens usque ad mortem, praebere se dixit exemplum hominibus, quod esset mitis et humilis corde ».
La Congrégation des Saints Rites, réunie le 26 janvier de cette année (1765), sachant fort bien que le culte du Cœur de Jésus s’est déjà propagé à travers presque toutes les parties du monde catholique, par les prévenances de leurs évêques, et a souvent été encore enrichi par mille décrets (brefs) d’indulgences donnés aux (presque) innombrables confréries érigées canoniquement sous le titre du Cœur de Jésus,
et comprenant en même temps que par la célébration de cette Messe et de cet Office, il ne s’agit pas d’autre chose que d’amplifier le culte déjà institué, et de rénover symboliquement la mémoire de son divin amour, par lequel le Fils unique de Dieu a pris la nature humaine, et s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et a dit s’offrir en exemple aux hommes, (en tant) qu’il était doux et humble de Cœur.

La querelle cordicole rebondit en Italie jusqu’au Pseudo-synode de Pistoie (1786). Le Pseudo-synode de Pistoie (1786) fut convoqué par l’évêque Scipion Ricci. Par le bref Maxima quidem (1781 : H. MARIN, El Sagrado Corazòn de Jesus. Documentos pontificios, Bilbao, 1961, § 81), Pie VI avait déjà censuré la lettre pastorale de Ricci (1781) prohibant le culte du Sacré-Cœur.
En 1794, Pie VI engagera pour la première fois le magistère doctrinal de l’Eglise en faveur de l’ « adoration » du cœur physique du Seigneur :
« De même, en reprochant également aux dévots du Cœur de Jésus de ne pas remarquer que la chair très sainte du Christ, ou une de ses parties, ou même l’humanité entière, ne peut pas être adorée si elle est séparée ou scindée de la divinité, comme si les fidèles adoraient le Cœur de Jésus en le séparant ou en le scindant de la divinité, alors qu’ils l’adorent en tant qu’il est le cœur de Jésus, c’est-à-dire le cœur de la personne du Verbe auquel il est inséparablement uni, de la manière dont le corps exsangue du Christ durant les trois jours de la mort – sans être séparé ni scindé de la divinité (sine separatione aut praecisione a divinitate) - était adorable dans la sépulture, (cette doctrine est) captieuse, fait injure aux fidèles dévots du Cœur du Christ ».
Pie VI, Constitution Auctorem Fidei, condamnant les erreurs du synode de Pistoie, 28 août 1794, D 2663. Cf. D 2661 et 2662.

34. @ Le jansénisme précurseur des objections de l’homme du XX° siècle.
J. NOUWENS, « Considérations sur l’opposition janséniste à la dévotion au Sacré-Cœur », in [Collectif], L’actualité d’un culte, Tilburg, éditions Missionnaires du Sacré-Cœur, 1957, 59-63.

35. @ La réflexion sur le Cœur de Jésus aux XIX° et XX° siècle, jusqu’à Haurietis aquas.
Retenons seulement que sans attendre même que la Compagnie de Jésus ait ratifié officiellement la mission reçue d’en-haut, l’Esprit n’a cessé d’agir dans le cœur de ses intellectuels, leur donnant de devancer, en bien des cas, la prise de conscience de leurs contemporains.
Des principales étapes de l’évolution de la théologie, six dates, liées à six noms de jésuites, peuvent légitimement être considérées comme assez représentatives :
1806 : La querelle cordicole étant close depuis une décennie, Alfonso Muzzarelli* ouvre les voies de l’avenir. Cent cinquante ans avant Pie XII, sa Dissertazione théologique l’affirme déjà : au travers de la sensibilité de son amour humain, le culte rendu à son Coeur englobe l’infinité de son Amour divin. - Un point méritera qu’on y revienne plus bas : selon Muzzarelli, la symbolique du cœur repose sur l’expérience psycho-somatique que tout homme fait de la vulnérabilité de son cœur aux émotions; comme telle, elle est indépendante de la façon dont, à partir de cette expérience banale, les savants peuvent concevoir le rôle exact de l’organe cardiaque dans la production des sentiments.
1842 (?) : A l’usage des étudiants du Collège Romain, J. Perrone* semble être le premier à introduire la question du Cœur de Jésus dans l’enseignement ordinaire de la théologie. Séquelle des disputes du siècle précédent : à la suite du jésuite, les manuels de théologie se centreront généralement sur le problème de savoir si on peut ou non adorer l’organe de chair en tant que symbole de l’amour, ce qui rétrécissait singulièrement la problématique de l’insondable mystère du Cœur de Jésus.
1893 : Le petit ouvrage de Jean-Baptiste Terrien* mériterait d’être mieux connu. A la différence de beaucoup à son époque, l’auteur décrit, avec une grande justesse théologique, toute l’originalité et la fécondité du mode symbolique de la connaissance humaine dans l’approche du mystère du Christ et de son Cœur.
1906 : A l’inverse, A. Vermeersch* manifestera peu de sens symbolique lorsqu’il proposera d’exclure l’amour divin de l’objet propre et direct du culte du Cœur de Jésus. Son article déclencha une vive polémique qui va aboutir à clarifier définitivement la spécificité de la relation unissant, par-delà le « concept », le « symbole » au « mystère ». L’incident va, en effet, permettre à l’Eglise de vérifier qu’en son sein règne depuis longtemps un consensus, qui sera définitivement avalisé par Haurietis Aquas : la contemplation du Cœur de Jésus permet une saisie réelle, bien que voilée, du mystère de l’Amour trinitaire, en tant qu’il « déborde » sur ce cœur humain (HA 46) , - et ceci en vertu du mode analogique propre à la connaissance symbolique (HA 58).
1908 marque l’entrée en scène de ce qu’on a appelé l’école autrichienne. Centré sur l’affirmation que la signification symbolique du « cœur » relève non du sens « figuré », mais du sens « propre » du mot, le traité original de Thomas Lempl* ouvrait la voie à la future approche philologique de Karl Rahner* : s’appuyant sur les progrès de l’ethnologie, celui-ci tiendra que, dans l’ensemble des cultures, l’usage symbolique du mot « cœur » apparaît si primitif qu’il y constitue en réalité son sens premier et principal. Chaque fois que le contexte force à le limiter à sa signification anatomique, on opère en réalité une sorte d’amputation de son plein sens - Lempl est, par ailleurs, le premier à tenter de reconstituer les étapes historiques par lesquelles les modernes se sont peu à peu écartés du sens biblique du mot ; à sa suite, ses confrères d’Innsbruck Noldin* et Lercher* proposeront de revenir à cette acception primitive.
1944 (?) : Rejoignant une intuition du grand théologien allemand Scheeben* (), Emile Mersch*, bientôt suivi par certains carmes (Philippe de la Trinité, cf. Etudes Carmélitaines, 1950, Le Cœur, 379-389), invite à scruter le rapport entre le mystère du Cœur de Jésus et l’Esprit Saint. L’Esprit Saint étant l’Amour, en quel sens peut-on dire, déjà avec saint Jean Eudes*, que le Cœur de Jésus, pris dans toute l’amplitude de son sens symbolique, est « origo Spiritus Sancti, origine du Saint-Esprit » ? Six ans plus tard, Haurietis Aquas se gardera pourtant d’affirmer de l’Esprit qu’il est « don du Cœur de Jésus » et la question reste donc, aujourd’hui encore, ouverte. Etant donné déjà les divergences millénaires des Eglises d’orient et d’occident sur le rôle du Verbe de Dieu dans la « procession éternelle » de la troisième Personne, le problème du rôle de son « cœur » est a fortiori, œcuméniquement parlant, encore plus délicat.

36. @ L’apport du magistère romain de Léon XIII à Pie XII.
Le caractère tardif de cette intervention n’implique pas que les papes soient restés absents du débat théologique de la fin du 19e siècle et de la première moitié du XXe. Si Pie XII fera sienne comme allant de soi la théorie des deux notes spécifiques du culte du Cœur de Jésus, qui sont selon lui l’amour et la réparation (expiatio), c’est bien qu’il aura hérité sur ce point de l’enseignement de son prédécesseur et, à travers lui, de ce qui s’était passé à la fin du XIXe.
Dans le dernier quart de ce siècle-là, les papes avaient été sollicités de consacrer au Cœur de Jésus l’Eglise, puis, plus largement, le monde, - ce qui, en ce dernier cas, posait la question des droits du Christ et de son Eglise sur l’humanité tout entière. L’Occident avait beau être encore en situation massive de chrétienté, il est tout à l’honneur de l’Eglise qu’au nom du respect des consciences, elle se soit déjà interrogée ici sur l’universalité de sa compétence. Mais finalement, s’appuyant sur l’Ecriture et son commentaire thomiste, Léon XIII* conclut que, l’humanité appartenant au Fils de Dieu au double titre de son origine divine et de sa passion rédemptrice, le vicaire du Christ pouvait, en vertu de sa sollicitude pastorale, poser, au seuil du XXe siècle, un acte de solennelle Consécration du genre humain au sacré Cœur de Jésus. L’encyclique Annum Sacrum (1899) précisait que, si cette consécration se faisait spécifiquement au Cœur du Christ, c’est qu’elle n’émanait pas d’un simple devoir de justice à l’égard du Rédempteur, mais, plus radicalement, d’un profond désir de lui rendre amour pour amour.
Vingt-cinq ans plus tard, Pie XI* sera sollicité à son tour de couronner cet acte de Léon XIII par l’institution de la fête du Christ Roi, qui apparaîtra comme une sorte de proclamation annuelle de la souveraineté du Christ sur les nations, telle que la suppose la démarche de consécration. Cette fête une fois instituée en 1925, la question se posa alors de redéfinir, par rapport à elle, le sens de la Solennité du Cœur de Jésus. Ayant réexaminé soigneusement le dossier, le pape fit élaborer un nouveau formulaire liturgique – la messe Cogitationes –, qui mettait en valeur sa signification réparatrice*. Celle-ci s’exprimerait en particulier par la récitation publique d’une formule universelle d’amende honorable*, tandis que celle de la consécration de Léon XIII* était transférée à la fête du Christ Roi. C’est dans ce contexte que l’encyclique Miserentissimus Redemptor (1928) élabora ce qui allait devenir avec Haurietis Aquas la théorie des deux actes spécifiques du culte du Cœur de Jésus : l’amour, qui, comme chez Léon XIII, s’exprimait par la « consécration* », et la réparation*, qui se formulait dans les termes symboliques de l’ « amende honorable* ». Pie XI montrait l’unité de ces deux actes : ils se ramènent l’un et l’autre à la redamatio*, cette réponse d’amour envers l’Amour qui implique d’entrée de jeu, dans un monde pécheur, réparation de l’offense faite à l’amour.

38. @ J. DE GALLIFFET, De cultu, 42.
« Ergo quemadmodum anima ope oculorum videre dicitur : audire ope aurium : ita ex æquo amare ope cordis dicenda erit : qua ratione de oculo vere dici potest ac debet, quod videat ; de aure, quod audiat : eadem prorsus fatendum est de corde vere dici quod amet ».
Donc, comme on affirme que l’âme voit par l’opération des yeux, qu’elle entend par l’opération des oreilles : ainsi, il faudra dire pareillement qu’elle aime par l’opération du cœur : pour la raison que l’on peut et doit vraiment affirmer que l’oeil voit, que l’oreille entend, ainsi on doit tout à fait accepter de vraiment dire du cœur qu’il aime.

40. @ La théorie cartésienne du cœur.
V. AUCANTE, « Le rôle du cœur de Fludd à Descartes et Harvey », Colloque 1999, 58.
Cf. site ch. 3 : @ Cœur et âme chez Descartes.

42. @ Un film d’inspiration matérialiste.
[*** Prochainement en ligne ***]

64. @ L’Apostolat de la Prière au Brésil.
Prier et Servir, 1992, 353.

68. @ Karol WOJTYLA et Gaudium et Spes.
Bien que son expérience du communisme l’ait amené à formuler des réserves précisément sur l’optimisme du texte, qui, à son sens, ne faisait pas assez droit au besoin de Rédemption de l’homme.

70. @ TEILHARD désire que sa mort scelle son témoignage.
Désir très ancré chez lui. « Mon Dieu, je vous en supplie, aidez-moi à bien finir ! » ; « Jésus, aidez-moi à bien finir, - mais en même temps, avant de finir et en finissant, à faire le geste qui sera, dans mon cas, le plus efficient pour faire avancer votre Règne… » ; « O Jésus, faites que je finisse bien, c’est-à-dire dans un geste de témoignage scellant l’affirmation et la foi de ma vie en un Pôle d’Amour à la dérive universelle. La communion par la mort » (Notes de retraites, cités in P. NOIR, art. T. de Ch. DSAM, T. XV, 124). « Il me semble que je mourrai en confiance, si jusqu’au bout, j’ai fidèlement servi le Devenir du Monde… (qui par la mort me reprend en soi)… Et ceci demeure chrétien, puisque ce Devenir est centré sur Oméga. » (Notes de retraites, 1942, septième jour, page 224). Ou encore : « Mon Dieu- Jésus, une fois de plus, la même prière, la plus ardente et la plus humble. « Faites-moi bien finir, « en beauté », pas pour moi (cela m’est égal !) mais pour l’Idée de Vous que je représente. » « Bien finir », c’est à dire en pleine confession et en pleine foi au Cosmos, au Christ-Oméga… (Notes de retraites, 1950, Troisième jour, pages 302, 303).

75. @ TEILHARD et le péché originel.
Après avoir très succinctement présenté la position de Teilhard, nous essaierons de donner quelques éléments d’appréciation d’ensemble sur une question immense et parfois très discutée.

La position de Teilhard.

A propos du péché originel, le père de Lubac remarquait que Teilhard « ne fut pas théologien de métier, c’est même ici peut-être que l’on s’en aperçoit le mieux » (1).

« Plus nous ressuscitons scientifiquement le Passé, moins nous trouvons de place, ni pour Adam, ni pour le Paradis terrestre » écrivait le paléontologue jésuite en 1922 (P. TEILHARD DE CHARDIN, « Note sur quelques Représentations historiques possibles du Péché originel » (écrit en 1922), in Œuvres, T. 10 : « Comment je crois », Paris, Seuil, 1969, p. 62).

Les autres articles où l’auteur développe cette question sont : « Chute, Rédemption et Géocentrie », 20 juillet 1920 in Œuvres, T. 10, Paris, Seuil, 1969, p. 49-57 ; « Réflexions sur le Péché originel » (novembre 1947), in Œuvres, T. 10, Paris, Seuil, 1969, p. 219-230 ; « Mon univers » (25 mars 1924), in Œuvres, T. 9, Paris, Seuil, 1965, p. 107-109.

La difficulté de concilier les perspectives traditionnelle et moderne sur les origines de l’homme est une pierre d’achoppement majeure qui provoque chez beaucoup de nos contemporains une remise en cause de la foi. Les travaux du père Teilhard de Chardin représentent, à cet égard, un effort louable pour penser la foi chrétienne à l’intérieur de ce que l’on pourrait appeler un évolutionnisme spiritualiste qui tient compte des théories scientifiques de notre temps, même si cela entraîne chez lui une refonte du dogme qui est discutable.

Selon Teilhard, il faudrait finalement penser le péché originel non pas comme « un événement sérial formant chaîne (avec un avant et un après) à l’intérieur de l’histoire », mais comme « une réalité d’ordre transhistorique » (« Réflexions… », p. 220-221). « Transhistorique » veut dire pour lui : « affectant (comme une teinte ou une dimension) la totalité de notre vision expérimentale du monde » (221). Cela le conduit à proposer une réinterprétation du péché originel et de la chute qui fait éclater le premier Adam intègre et le péché originel comme « acte » humain ponctuel. Du coup, le péché originel est présence universelle et inévitable du mal (228) dans l’histoire, mais il ne provient pas de la chute d’une création intègre, consécutive à un acte humain personnel.

Dans la ligne du Père Teilhard de Chardin, on trouve notamment : G. MARTELET, Libre réponse à un scandale. La faute originelle, la souffrance et la mort, Paris, cerf, 1986 ; J. ARNOULD, La théologie après Darwin, Paris, Cerf, 1998.

Signalons, pour rendre justice au paléontologue jésuite, l’Appendice au Phénomène humain intitulé : « Quelques remarques sur la place et la part du mal dans un monde en évolution », (PH, 345-348), où l’auteur précise bien les limites de son propos : « Douleurs et fautes, larmes et sang : autant de sous-produits (souvent précieux, du reste, et ré-utilisables) engendrés en chemin par la Noogénèse. Voilà donc, en fin de compte, ce que, dans un premier temps d’observation et de réflexion, nous révèle le spectacle du Monde en mouvement. Mais est-ce vraiment bien tout, – et n’y a-t-il par autre chose à voir ? C’est-à-dire est-il bien sûr que pour un regard averti et sensibilisé par une autre lumière que celle de la pure science, la quantité et la malice du Mal hic et nunc répandu de par le Monde ne trahisse pas un certain excès, inexplicable pour notre raison si à l’effet normal de l’Evolution ne se sur-ajoute pas l’effet extraordinaire de quelque catastrophe ou déviation primordiale ?... » Et le paléontologue jésuite de continuer : « Sur ce terrain, je ne me sens loyalement pas en mesure, et ce n’est du reste pas le lieu ici, de prendre position. Une chose toutefois me paraît claire, et suffisante provisoirement pour conseiller les esprits : et c’est d’observer que dans ce cas (exactement comme dans celui de la ‘création’ de l’âme humaine, cf. p. 186, note 1) toute liberté est non seulement laissée, mais offerte par le Phénomène à la Théologie de préciser et de compléter en profondeur (si elle s’y croit tenue) les données ou suggestions – toujours ambiguës au-delà d’un certain point – fournies par l’expérience.
D’une manière ou de l’autre, il reste que, même au regard du simple biologiste, rien ne ressemble autant que l’épopée humaine à un chemin de la Croix » (Rome, 28 octobre 1948).

A l’inverse…

A l’inverse, dans un souci de sauvegarder le contenu du dogme et de bien distinguer Révélation divine et sciences, F. Marlière en vient à une solution qui paraît diamétralement opposée à celle de Teilhard. F. MARLIERE. Et leurs yeux s’ouvrirent, Editions Anne Sigier /Desclée, Québec, 1988 ; Du même auteur : Et ils virent qu’ils étaient nus, A. Sigier/Chalet, 1990.
Pour l’auteur, « Si ‘l’apparition de l’homme au terme d’une longue histoire du monde dont la description ne relève que de la science’ est une chose, sa création d’Origine en Eden est tout autre chose. Les identifier, sans plus, c’est effacer purement et simplement la tragédie de ‘l’épreuve originelle’ qui les distingue radicalement » (Et leurs yeux s’ouvrirent, 26).
Soucieux d’éviter le concordisme, l’auteur distingue « l’homme biblique » et « l’homme préhistorique » (27), mais il tend malheureusement à les séparer : « autre, en effet, le corps qu’on a depuis que nos premiers parents ‘virent qu’ils étaient nus’… autre le corps qu’on est » (26). S’inspirant des positions discutables d’Origène et de Grégoire de Nysse, F. Marlière distingue radicalement le « limon originel » dont parle la Bible et notre substrat biologique. « Qu’il nous suffise d’affirmer ici que le vrai corps d’Adam (et le nôtre), celui qui est créé en Eden, n’est pas biologique » (289). L’homme créé par Dieu, c’est « Adam, corps et âme, non biologique, un sujet pur et personnel, conscient et libre, où règne la parfaite harmonie du cœur, du corps et de l’esprit » (293).

A la différence de Teilhard, le péché originel est pensé comme transhistorique, mais pas au sens où il désignerait finalement la condition de tout homme. Ici, création intègre, péché originel personnel et chute sont des faits bien réels. Ils sont transhistoriques en ce sens qu’on ne peut les situer dans notre espace-temps.
Récemment, A. Léonard a développé une perspective semblable. Tout en se voulant fidèle au dogme, l’auteur cherche, à penser la création, l’état originel de l’homme et la chute non « dans un quelconque moment du temps cosmique et historique » mais dans un « monde réel… ne coïncidant pas avec notre monde présent » (A. LEONARD, Les raisons de croire, Paris, Communio-Fayard, 1987, p. 215). Cf. aussi P. MASSET "Réflexion philosophique sur le péché originel", NRT 110 (1988), p. 888 et sv. Notons que Teilhard de Chardin envisage et critique déjà cette solution : « Note sur quelques Représentations historiques possibles du Péché originel », p. 65-67 ; « Réflexions sur le Péché originel », p. 223-226.

Bien qu’opposée, cette perspective partage avec celle de Teilhard un présupposé semblable selon lequel le commencement de l’histoire humaine, l’intégrité originelle et le premier péché tels que la tradition chrétienne les comprend, ne peuvent prendre place dans notre monde et dans notre histoire (2).

A la recherche d’une troisième voie…

Ne faudrait-il pas mettre en dialectique ces deux points de vue et les renvoyer dos à dos ? C’est ce que fait E. Gabellieri : L’auteur dénonce « plus récemment la radicalisation conduisant à lier nécessairement la finitude et le mal, ce qui tend à rendre nécessaires le péché et la Croix au sein de la création » (perspective de G. Martelet) ; « et inversement la reprise du scénario origénien d’un péché originel principe d’une mutation cosmique à la source de tout mal, le problème étant ici de faire du premier homme une sorte d’ange non soumis aux modalités biologiques de la génération, de la corruption et de la mort (perspective de F. Marlière) (3). L’auteur renvoie à la perspective plus classique de Louis Bouyer (4) et recommande « la mise en perspective » « toujours valable » de M. J. Nicolas, sur « les différentes manières de repenser la question du mal et du péché originel après Teilhard de Chardin ». M. J. NICOLAS, Evolution et Christianisme. De Teilhard de Chardin à saint Thomas d’Aquin, Paris, Fayard, 1973, spécialement le chapitre IV, en particulier, p. 177, note 3 ; 179, note 6. L’ouvrage dans son ensemble est une très bonne confrontation avec la pensée de Teilhard de Chardin. Noter la préface de Jacques Maritain.

A quelles conditions est-il possible de penser aujourd’hui une création intègre de l’homme, les « dons préternaturels » (la Tradition théologique désigne ainsi chez nos premiers parents, la possibilité de ne pas mourir, l’exemption de la souffrance, de la concupiscence ou convoitise, et de l’erreur) et la chute, en les articulant aux notions de finitude et de marche vers un accomplissement, sans que l’on soit obligé de les situer ailleurs que dans notre histoire ? Il faudrait aujourd’hui repenser les conditions de possibilité d’une authentique « protologie théologique » qui intègre une réflexion sur les diverses façons d’envisager la question de l’histoire (5).

Il semble que Teilhard, comme beaucoup, ait buté sur l’apparente opposition entre l’histoire sainte et le dogme chrétien tels qu’il les comprenait, et l’histoire du monde telle qu’il la découvrait par les sciences. Au fond, son problème ne serait pas uniquement théologique, mais peut être d’abord herméneutique et épistémologique : Comment interpréter en profondeur les énoncés scripturaires et les énoncés de foi ? Comment interpréter justement la portée des découvertes scientifiques ? Comment bien poser l’articulation entre discours scientifique, anthropologie philosophique et discours théologique ? Aujourd’hui, cela reste certes une difficulté, mais peut-être moins insurmontable qu’au temps des premiers travaux du paléontologue jésuite.

Le magistère de l’Eglise et le péché originel.

Le magistère de l’Eglise, tout en exprimant les données qui lui paraissent essentielles à la foi (6) devant les pistes de recherche ouvertes entre autres par Teilhard, n’a pas cru nécessaire de s’engager dans les perspectives d’un F. Marlière par exemple.

Le Concile Vatican II évoque sans la discuter la doctrine commune sur l’origine de l’homme en Dieu et la chute. Cf. Dei Verbum 3 ; Gaudium et Spes 13 : « Institué par Dieu dans un état de justice, l’homme cependant, séduit par le Malin, dès le début de l’histoire (inde ab exordio historiae), a abusé de sa liberté… ». Sur la mort, cf. GS 18.

Le Catéchisme de l’Eglise Catholique renvoie à GS 13 : « Le récit de la chute (Gn 3) utilise un langage imagé, mais il affirme un événement primordial, un fait qui a eu lieu au commencement de l’histoire de l’homme » (7). Le récent catéchisme développe la doctrine de l’Eglise, notamment aux n° 374-384 et 385-421.

Méditant, à propos du mariage, sur la parole de Jésus : « A l’origine, il n’en a pas été ainsi » (Mt 19, 8), Jean Paul II, dans ses catéchèses du mercredi, s’interroge sur « l’origine ». Il distingue l’état de l’innocence originelle et l’état de péché ; « l’homme historique » , « tout… interlocuteur, potentiel ou actuel, de tous les moments de l’histoire », « l’état historique », « l’état de peccabilité historique », d’une part, et, d’autre part : la « préhistoire théologique qui est l’état de l’innocence originelle », « l’état d’originelle (en un certain sens préhistorique) et fondamentale innocence », la « préhistoire théologique révélée ». Jean Paul II souligne que « l’homme historique est donc pour ainsi dire enraciné dans sa préhistoire théologique révélée. Et pour cette raison tout élément de sa « peccabilité » historique s’explique (tant pour l’âme que pour le corps) par référence à l’innocence originelle » (8).

Il semblerait utile, pour aller dans le même sens, de distinguer au sein du même terme grec archè, principium en latin (Gn 1, 1 ; Jn 1, 1), entre deux mots français : « commencement » et « origine » (9). Ainsi, le premier péché se situe dans notre histoire humaine, notre monde et notre temps, mais dans un moment bien spécifique de l’histoire qui est le commencement. Le commencement premier de l’humanité est à penser en rapport avec son origine qui le transcende. C’est dans cette origine que se situe la création de l’homme et son institution par Dieu dans un état de justice et de sainteté. Par définition, toucher à l’origine, c’est toucher au mystère sur lequel on ne peut mettre la main directement.
Saint Irénée compare la naissance d’Adam à la naissance virginale du Christ. Dans l’un et l’autre cas, nous assistons à un événement qui transcende pour une part les lois de la nature antécédentes. Il faudrait relire et méditer ces textes lumineux… (10) Quelle est donc cette « terre intacte et vierge » dont parle l’Ecriture ? Mystère de l’origine…

« Notre expérience historique doit, d’une certaine manière, s’arrêter au seuil de l’innocence originelle de l’homme, car elle est inadéquate à son égard. Toutefois, à la lumière des mêmes considérations introductives, nous devons parvenir à la conviction que notre expérience humaine est, dans ce cas, un moyen en quelque sorte légitime pour l’interprétation théologique et, en un certain sens, un point de référence indispensable dont nous devons nous réclamer dans l’interprétation de l’origine » (11).

Plus récemment, notons l’important discours de Jean Paul II à l’Académie Pontificale des sciences en 1996 (12) dans lequel le pape cherche à articuler science, philosophie et foi chrétienne.

Un exemple récent de travail théologique approfondi : Karl Rahner

Parmi les théologiens qui ont cherché à approfondir et à démêler ces questions tournant autour de la conception chrétienne des origines de l’homme, du péché originel et du mal, signalons tout particulièrement les principaux écrits de Karl Rahner sur la question :
       - "Die Frage nach dem Erscheinungsbild des Menschen als Quaestio disputata der Théologie" in P. OVERHAGE : Um das Erscheinungsbild des Ersten Menschen, Herder, Freiburg im Breisgau, 1960. Q.D.7. p. 11 à 30.
       - K. RAHNER - P. OVERHAGE, Das Problem der Hominisation, Herder, Freiburg im Breisgau, 1961, Q.D.12/13.
       - Science, évolution, et pensée chrétienne. Théologie et sciences, christologie et évolution, trad. H. de Lavalette et C. d’Armagnac, Paris, DDB, 1967.
       - K. RAHNER, "Erbsünde und Monogenismus", in K.H. WEGER, Théologie der Erbsünde, Herder, Freiburg im Breisgau, 1970, Q.D.44, p. 176 à 223.
       - K. RAHNER. "Principes généraux de la protologie et de l'anthropologie théologique" in Mysterium Salutis. Dogmatique de l'histoire du salut, vol. 6 : La Trinité et la Création, Paris, Cerf, 1971, p. 142 à 165.

Sur le débat entre monogénisme et polygénisme qui a fait suite à l'encyclique Humani Generis de Pie XII en 1950 (D 3895-3897) :
       - K. RAHNER : "Le monogénisme et la théologie", Ecrits théologiques, T. V, DDB, Paris-Lille, 1966, p. 7 à 85.
       - "Péché originel et évolution", Concilium (26), 1966, p. 57-69.

Signalons aussi les deux études fondamentales du jésuite allemand :
       - K. RAHNER, "Pour une théologie de la Mort", Ecrits Théologiques, T. III, DDB, Bruges, 1963, p. 105 à 167.
       - "Le concept théologique de concupiscence", Ecrits théologiques, T. IV, DDB, Bruges, 1966, p. 203 à 249.

Que dire du mal dans la nature ?

Les recherches contemporaines ont confirmé le rapport étroit entre l’histoire de l’homme et celle du monde vivant et même du cosmos tout entier. Qu’en est-il de ce que la tradition appelle le « mal physique » ou le « mal de la nature » ?
Dans la tradition chrétienne, pour donner une vue schématique, on a réfléchi sur ce mystère selon deux points de vue qui peuvent apparaître à première vue contradictoires :

1. La première perspective, qui est celle de saint Thomas d’Aquin, cherche peut-on dire, une explication naturelle du mal physique. Elle distingue la question du mal dans la nature et la question du mal lorsqu’il affecte l’homme. Ce n'est pas la constitution interne des lois du monde vivant et inanimé qui pose problème en elle-même ; ce qui pose problème, c'est le rapport à l'homme destiné à la vie surnaturelle d'une création, d'une nature dont il éprouve l'hostilité. Ainsi, la concupiscence, la souffrance et la mort sont-elles un problème pour l’homme, mais pas pour des créatures qui ne sont pas ordonnées à une fin surnaturelle. Cette perspective cherche à intégrer le mal physique dans un ordre plus global qui constitue finalement un bien (13). Elle a le mérite de bien mettre en valeur la pleine gratuité de la vie surnaturelle et de l’intégrité originelle données à l’homme en son premier commencement.

« Pour les choses qui sont au-dessus de la nature, on s'en remet à la seule autorité ; aussi, là où l'autorité est muette, devons-nous suivre la condition de la nature » (14).
« Beaucoup de biens seraient supprimés, si Dieu ne permettait à aucun mal d’exister. Le feu ne s’engendrerait pas si l’air n’était pas corrompu, la vie du lion ne se conserverait pas si l’âne n’était pas occis » (15).
« Certains disent que les animaux qui maintenant sont féroces et tuent d'autres animaux auraient été, dans cet état, pacifiques, non seulement avec l'homme, mais aussi avec les autres animaux. Mais cela est tout à fait déraisonnable. En effet, la nature des animaux n'a pas été changée par le péché de l'homme au point que ceux qui maintenant, par nature, mangent la chair d'autres animaux, comme les lions ou les faucons, eussent alors été herbivores. D'ailleurs, la Glose tirée de Bède ne dit pas à propos de la Genèse (1, 30) que les fruits et l'herbe aient été donnés en nourriture à tous les animaux et oiseaux, mais à certains d'entre eux. Par conséquent l'hostilité eût été naturelle entre certains animaux. Pour autant, ils n'auraient pas été soustraits à la domination de l'homme, pas plus qu'ils ne le sont maintenant à la domination de Dieu, par la providence de qui tout cela est disposé. L'homme eût été l'exécuteur de cette providence, comme cela se voit encore maintenant pour les animaux domestiques; en effet, les hommes fournissent des poules aux faucons domestiques pour leur nourriture » (16).
Le récent Catéchisme de l’Eglise Catholique se situe dans cette perspective : « Pourquoi Dieu n’a-t-il pas créé un monde aussi parfait qu’aucun mal ne puisse y exister ? Selon sa puissance infinie, Dieu pourrait toujours créer quelque chose de meilleur (17). Cependant dans sa sagesse et sa bonté infinies, Dieu a voulu librement créer un monde ‘en état de cheminement’ vers sa perfection ultime. Ce devenir comporte, dans le dessein de Dieu, avec l’apparition de certains êtres, la disparition d’autres, avec le plus parfait aussi le moins parfait, avec les constructions de la nature aussi les destructions. Avec le bien physique existe donc aussi le mal physique, aussi longtemps que la création n’a pas atteint sa perfection (18) » (CEC 310).

2. « La création aspire de toutes ses forces à voir cette révélation des fils de Dieu. Car la création a été livrée au pouvoir du néant, non parce qu’elle l’a voulu, mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être elle aussi, libérée de l’esclavage, de la dégradation inévitable, pour connaître la liberté et la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons bien, la création tout entière crie sa souffrance, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore… »
S'il y a une dimension cosmique du salut, ainsi que l’affirme saint Paul dans ce célèbre passage de l’épître aux Romains (19), il semble qu’il y ait aussi une certaine inscription cosmique de la chute. Se posent alors plusieurs questions :
Quelle est la portée du lien entre la chute de l’homme et cette chute de la « création » « au pouvoir du néant » dont parle l’Ecriture ?
Le concile de Trente, dans son Décret sur le péché originel, cite comme conséquence du peccatum originans de nos premiers parents : « la captivité sous le pouvoir de celui qui ensuite ‘a eu l'empire de la mort, c'est-à-dire du diable’ (He, 2,14) » (20). Quel est donc le lien qui existe entre l’humanité déchue et les anges déchus ?
Quel est le lien entre l’univers angélique et notre cosmos ? Dans quelle mesure peut-on lier le mal physique qui est bien antérieur à l’apparition de l’homme et la chute des anges, sans retomber dans les impasses d’une cosmogonie manichéenne ?
On ne fera ici que signaler quelques études sur ce sujet, par exemple, celle de D. DUBARLE, « La théologie du cosmos », Initiation Théologique, T. II, Paris, Cerf, 1952, 303-339 ; en particulier : « Bonté et méchanceté au sein de la nature cosmique » (319-323) et « L’action des esprits sur le monde corporel » (323-327). C’est une étude déjà ancienne mais solide, sur laquelle on gagnerait à s’appuyer pour poursuivre aujourd’hui la réflexion théologique sur ces questions. Voir aussi K. RAHNER, "Pour une théologie de la mort", p. 142-146 : "La mort et le démon" ; Petit dictionnaire de Théologie catholique, article "possession" p. 372.
Signalons aussi le très beau travail de L. Bouyer. L’auteur, avec une puissance de synthèse et une clarté rares, s’appuie sur l’Ecriture et la tradition patristique pour penser l’univers angélique et l’histoire humaine dans l’unité du dessein de Dieu. L. BOUYER, « Les deux économies du gouvernement divin : Satan et le Christ », Initiation Théologique, T. II, Paris, Cerf, 1952, 504-535.
L’auteur propose aussi d’intégrer dans l’unité de ce dessein, l’histoire du cosmos, notamment l’histoire du vivant et ce qu’on appelle aujourd’hui l’évolution. L. BOUYER, Cosmos, Cerf, Paris, 1982, p. 331-349 ; Sophia ou le monde en Dieu. Cerf, Paris, 1994, p. 153-160.

Annexe 1. Extraits de la Profession de foi de Paul VI.

« Nous croyons qu’en Adam tous ont péché, ce qui signifie que la faute originelle commise par lui a fait tomber la nature humaine, commune à tous les hommes, dans un état où elle porte les conséquences de cette faute et qui n’est pas celui où elle se trouvait d’abord dans nos premiers parents, constitués dans la sainteté et la justice, et où l’homme ne connaissait ni le mal ni la mort. C’est la nature humaine ainsi tombée, dépouillée de la grâce qui la revêtait, blessée dans ses propres forces naturelles et soumise à l’empire de la mort, qui est transmise à tous les hommes et c’est en ce sens que chaque homme naît dans le péché. Nous tenons donc, avec le Concile de Trente, que le péché originel est transmis avec la nature humaine, "non par imitation, mais par propagation", et qu’il est ainsi "propre à chacun". Nous croyons que Notre Seigneur Jésus-Christ, par le sacrifice de la croix, nous a rachetés du péché originel et de tous les péchés personnels commis par chacun de nous, en sorte que, selon la parole de l’Apôtre, "là où le péché avait abondé, la grâce a surabondé". » PAUL VI, Profession de foi du 30 juin 1968, n° 16 et 17, Paris, Centurion, p. 24.

Le texte n’est pas une définition dogmatique, mais le pape semble toutefois lui accorder une grande importance. Dans le discours qui introduit la proclamation de ce Credo, il déclare : « Il Nous semble également que Nous devons remplir le mandat confié par le Christ à Pierre, dont Nous sommes le successeur… à savoir de confirmer dans la foi nos frères. Avec la conscience, certes, de Notre faiblesse humaine, mais avec toute la force qu’un tel mandat imprime à Notre esprit, Nous allons donc faire une profession de foi, prononcer un Credo qui, sans être une définition dogmatique proprement dite, reprend en substance, avec quelques développements réclamés par les conditions spirituelles de notre temps, le Credo de Nicée, le Credo de l’immortelle tradition de la sainte Eglise de Dieu » (14).

Sur les préoccupations du pape à ce moment, cf. p. 15-17 : « Nous sommes conscients de l’inquiétude qui agite certains milieux modernes par rapport à la foi. Ils n’échappent pas à l’influence d’un monde en profonde mutation, dans lequel tant de certitudes sont mises en contestation ou en discussion. Nous voyons même des catholiques se laisser prendre par une sorte de passion du changement et de la nouveauté. L’Eglise, certes, a toujours le devoir de poursuivre son effort pour approfondir et présenter d’une manière toujours mieux adaptée aux générations qui se suivent les insondables mystères de Dieu, riches pour tous de fruits de salut. Mais il faut en même temps prendre le plus grand soin, tout en accomplissant le devoir indispensable de recherche, de ne pas porter atteinte aux enseignements de la doctrine chrétienne. Car ce serait alors engendrer, comme on le voit malheureusement aujourd’hui, le trouble et la perplexité en beaucoup d’âmes fidèles » (15).

Annexe 2. Message de Jean Paul II aux Membres de l'Académie Pontificale des Sciences réunis en Assemblée plénière (21).

C'est avec un grand plaisir que je vous adresse un cordial salut, à vous, Monsieur le Président, et à vous tous qui constitue l'Académie Pontificale des Sciences, à l’occasion de votre Assemblée plénière. J'adresse en particulier mes voeux aux nouveaux Académiciens, venus prendre part à vos travaux pour la première fois. Je tiens aussi à évoquer les Académiciens décédés au cours de l'année écoulée, que je confie au Maître de la vie.

I. En célébrant le soixantième anniversaire de la refondation de l'Académie, il me plait de rappeler les intentions de mon prédécesseur Pie XI, qui voulut s'entourer d'un groupe choisi de savants en attendant d'eux qu'ils informent le Saint-Siège en toute liberté sur les développements de la recherche scientifique et qu'ils l'aident ainsi dans ses réflexions.
A ceux qu'il aimait appeler le Senatus scientificus de l'Église, il demanda de servir la vérité. C'est la même invitation que je vous renouvelle aujourd'hui, avec la certitude que nous pourrons tous tirer profit de la fécondité d'un dialogue confiant entre l'Église et la science” (22).

II. Je me réjouis du premier thème que vous avez choisi, celui de l'origine de la vie et de l'évolution, un thème essentiel qui intéresse vivement l'Église, puisque la Révélation contient, de son côté, des enseignements concernant la nature et les origines de l'homme.
Comment les conclusions auxquelles aboutissent les diverses disciplines scientifiques et celles qui sont contenues dans le message de la Révélation se rencontrent-elles ? Et si, à première vue, il peut sembler que l'on se heurte à des oppositions, dans quelle direction chercher leur solution ? Nous savons en effet que la vérité ne peut pas contredire la vérité (23). D'ailleurs, pour mieux éclairer la vérité historique, vos recherches sur les rapports de l'Église avec la science entre le XVI et le XVIII siècle sont d'une grande importance.
Au cours de cette session plénière, vous menez une réflexion sur la science à l'aube du troisième millénaire, en commençant par déterminer les principaux problèmes engendres par les sciences, qui ont une incidence sur l'avenir de l'humanité. Par votre démarche, vous jalonnez les voies de solutions qui seront bénéfiques pour toute la communauté humaine.
Dans le domaine de la nature inanimée et animée, l'évolution de la science et de ses applications fait naître des interrogations nouvelles. L'Église pourra en saisir la portée d'autant mieux qu'elle en connaîtra les aspects essentiels.
Ainsi, selon sa mission spécifique, elle pourra offrir des critères pour discerner les comportements moraux auxquels tout homme est appelé en vue de son salut intégral.

III. Avant de vous proposer quelques réflexions plus spécialement sur le thème de l'origine de la vie et de l'évolution, je voudrais rappeler que le Magistère de l'Église a déjà été amené à se prononcer sur ces matières que le cadre de sa propre compétence. Je citerai ici deux interventions.
Dans son encyclique Humani generis (l950), mon prédécesseur Pie XII avait déjà affirmé qu'il n'y avait pas opposition entre l'évolution et la doctrine de la foi sur l'homme et sur sa vocation, à condition de ne pas perdre de vue quelques points fermes (24).
Pour ma part, en recevant le 31 octobre 1992 les participants à l'Assemblée plénière de votre Académie, j'ai eu l'occasion, à propos de Galilée, d'attirer l'attention sur la nécessité, pour l'interprétation correcte de la parole inspirée, d'une herméneutique rigoureuse.
Il convient de bien délimiter le sens propre de l'Écritures en écartant des interprétations indues qui lui font dire ce qu'il n'est pas dans son intention de dire. Pour bien marquer le champ de leur objet propre, l'exégète et le théologien doivent se tenir informés des résultats auxquels conduisent les sciences de la nature (25).

IV. Compte tenu de l'état des recherches scientifiques à l'époque et aussi des exigences propres de la théologie, l'encyclique Humani generis considérait la doctrine de l'évolutionnisme comme une hypothèse sérieuse digne d'une investigation et d'une réflexion approfondies à l'égal de l’hypothèse opposée. Pie XII ajoutait deux conditions d'ordre méthodologique : qu'on n'adopte pas cette opinion comme s'il s'agissait d'une doctrine certaine et démontrée et comme si on pouvait faire totalement abstraction de la Révélation à propos des questions qu'elle soulève. Il énonçait également la condition à laquelle cette opinion était compatible avec la foi chrétienne, point sur lequel je reviendrai.
Aujourd’hui, près d'un demi-siècle après la parution de l'encyclique, des nouvelles connaissances conduisent à reconnaître dans la théorie de l'évolution plus qu'une hypothèse. Il est en effet remarquable que cette théorie se soit progressivement imposée à l'esprit des chercheurs, à la suite d'une série de découvertes faites dans diverses disciplines du savoir. La convergence, nullement cherchée ou provoquée, des résultats de travaux menés indépendamment les uns des autres constitue par elle-même un argument significatif en faveur de cette théorie.
Quelle est la portée d'une semblable théorie ? Aborder cette question, c'est entrer dans le champ de l'épistémologie. Une théorie est une élaboration métascientifique, distincte des résultats de l'observation mais qui leur est homogène. Grâce à elle, un ensemble de données et de faits indépendants entre eux peuvent être reliés et interprétés dans une explication unitive. La théorie prouve sa validité dans la mesure où elle est susceptible d'être vérifiée ; elle est constamment mesurée à l'étiage des faits; la où elle cesse de pouvoir rendre compte de ceux-ci, elle manifeste ses limites et son inadaptation. Elle doit alors être repensée.
En outre, l'élaboration d'une théorie comme celle de l'évolution, tout en obéissant à l'exigence d'homogénéité avec les données de l'observation, emprunte certaines notions à la philosophie de la nature.
Et, à vrai dire, plus que de la théorie de l'évolution, il convient de parler des théories de l'évolution. Cette pluralité tient, d'une part, à la diversité des explications qui ont été proposées du mécanisme de l'évolution et, d'autre part, aux diverses philosophies auxquelles on se réfère. Il existe ainsi des lectures matérialistes et réductionnistes et des lectures spiritualistes. Le jugement ici est de la compétence propre de la philosophie et, au-delà, de la théologie.

V. Le Magistère de l'Église est directement intéressé par la question de l'évolution, car celle-ci touche la conception de l'homme, dont la Révélation nous apprend qu'il a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu (26).
La Constitution conciliaire Gaudium et spes a magnifiquement exposé cette doctrine, qui est un des axes de la pensée chrétienne. Elle a rappelé que l'homme est "la seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même" (27).
En d'autres termes, l'individu humain ne saurait être subordonné comme un pur moyen ou un pur instrument ni à l'espèce ni à la société; il a valeur pour lui-même. Il est une personne.
Par son intelligence et sa volonté, il est capable d’entrer en relation de communion, de solidarité et de don de soi avec son semblable.
Saint Thomas observe que la ressemblance de l'homme avec Dieu réside spécialement dans son intelligence spéculative, car sa relation avec l'objet de sa connaissance ressemble à la relation que Dieu entretient avec son oeuvre (28).
Mais, plus encore, l'homme est appelé à entrer dans une relation de connaissance et d'amour avec Dieu lui-même, relation qui trouvera son plein épanouissement au-delà du temps, dans l'éternité. Dans le mystère du Christ ressuscite nous sont révélées toute la profondeur et toute la grandeur de cette vocation (29).
C'est en vertu de son âme spirituelle que la personne tout entière jusque dans son corps possède une telle dignité. Pie XII avait souligné ce point essentiel : si le corps humain tient son origine de la matière vivante qui lui préexiste l'âme spirituelle est immédiatement créée par Dieu "animas enim a Deo immediate creari catholica lides nos retinere iubet" (30).
En conséquence, les théories de l'évolution qui, en fonction des philosophies qui les inspirent, considèrent l'esprit comme émergeant des forces de la matière vivante ou comme un simple épiphénomène de cette matière sont incompatibles avec la vérité de l'homme. Elles sont d'ailleurs incapables de fonder la dignité de la personne.

VI. Avec l'homme, nous nous trouvons donc devant une différence d'ordre ontologique, devant un saut ontologique, pourrait-on dire. Mais poser une telle discontinuité ontologique, n'est-ce pas aller à l'encontre de cette continuité physique qui semble être comme le fil conducteur des recherches sur l'évolution, et ceci dès le plan de la physique et de la chimie ? La considération de la méthode utilisée dans les divers ordres du savoir permet de mettre en accord deux points de vue qui sembleraient inconciliables.
Les sciences de l'observation décrivent et mesurent avec toujours plus de précision les multiples manifestations de la vie et les inscrivent sur la ligne du temps. Le moment du passage au spirituel n'est pas objet d'une observation de ce type, qui peut néanmoins déceler, au niveau expérimental, une série de signes très précieux de la spécificité de l'être humain.
Mais l'expérience du savoir métaphysique, de la conscience de soi et de sa réflexivité, celle de la conscience morale, celle de la liberté, ou encore l'expérience esthétique et religieuse, sont du ressort de l'analyse et de la réflexion philosophiques, alors que la théologie en dégage le sens ultime selon les desseins du Créateur.

VII. En terminant, je voudrais évoquer une vérité évangélique susceptible d’apporter une lumière supérieure à l'horizon de vos recherches sur les origines et le déploiement de la matière vivante.
La Bible, en effet, est porteuse d'un extraordinaire message de vie. Elle nous donne sur la vie, en tant qu'elle caractérise les formes les plus hautes de l'existence, une vision de sagesse.
Cette vision m'a guidé dans l'encyclique que j'ai consacrée au respect de la vie humaine et que j'ai intitulée précisément Evangelium vitae.
Il est significatif que, dans l'Évangile de saint Jean, la vie désigne la lumière divine que le Christ nous communique. Nous sommes appelés à entrer dans la vie éternelle, c'est-à-dire dans l'éternité de la béatitude divine.
Pour nous mettre en garde contre les tentations majeures qui nous guettent, notre Seigneur cite la grande parole du Deutéronome: "Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu" (31).
Bien plus, la vie est un des plus beaux titres que la Bible ait reconnu à Dieu. Il est le Dieu vivant.
De grand coeur, j'invoque sur vous tous et sur ceux qui vous sont proches, l'abondance des Bénédictions divines.

Du Vatican, le 22 octobre 1996.

Annexe 3. Saint Thomas d’Aquin, Contra Gentiles, III, 71 : « Comment la Providence de Dieu n’écarte pas tout mal des choses ».

« Il apparaît de tout cela comment la Providence de Dieu qui gouverne les choses n'en écarte pas la corruption, les déficiences et le mal. Le gouvernement divin en effet par lequel Dieu agit dans les êtres, n'exclut pas l'agir des causes secondes, on l'a prouvé. Il peut arriver qu'un effet soit défectueux parce que la cause seconde est elle-même imparfaite sans que pour cela il y ait quelque défaut dans l'agent premier ; ainsi dans l'oeuvre d'un artiste en pleine possession de son art, des imperfections peuvent être dues aux défectuosités de l'instrument. Tel encore le cas d'un homme, vigoureux dans ses mouvements, qui boîte, non par manque de force, mais en raison de la déviation de sa jambe. Chez les êtres, mus et gouvernés par Dieu, on rencontre donc des défauts et du mal en raison des défections des causes secondes, bien qu'en Dieu n'y ait aucune faiblesse. La bonté de la création ne serait point parfaite sans une hiérarchie des biens d'après laquelle certains êtres sont meilleurs que les autres ; sans cela tous les degrés de bien ne seraient pas réalisés et aucune créature ne ressemblerait à Dieu par sa prééminence sur les autres. En outre la beauté dernière des êtres s'évanouirait avec cet ordre fait de distinction et de disparité ; bien plus la suppression de l'inégalité des êtres entraînerait celle de leur multiplicité : l'un est en effet meilleur que l'autre par les différences mêmes qui distinguent ces êtres les uns des autres, le vivant de l'inanimé et le raisonnable du non raisonnable. Et ainsi dans l'hypothèse de cette égalité totale, il n'y aurait plus qu'un seul bien créé, ce qui dérogerait manifestement à la perfection du monde créé. Or être bon sans possibilité de déchéance, est un degré supérieur du bien ; être au contraire susceptible défaillance en est un degré inférieur. La perfection de l'univers suppose ces deux degrés. Et il appartient à la Providence du chef de conserver la perfection ses êtres qui lui sont soumis et non de la diminuer. La Providence de Dieu n'a donc pas à préserver les êtres de leur déchéance possible mais le mal sera la conséquence de cette possibilité, car ce qui est susceptible de déchoir, défaille en fait parfois, et le mal est une déchéance du bien, comme on l'a dit. La divine Providence n'a donc pas à écarter tout mal des êtres. La perfection pour tout gouvernement est de pourvoir à ses sujets dans le respect de leur nature : telle est la notion même de justice dans le gouvernement. De même donc que pour un chef de cité, s'opposer - si ce n'est momentanément en raison de quelque nécessité - à ce que ses sujets accomplissent leur tâche, serait contraire au sens d'un gouvernement humain, de même ne pas laisser aux créatures la faculté d'agir selon le mode de leur propre nature serait opposé au sens du gouvernement divin. Mais de ce fait même il s'ensuit la corruption et le mal dans le monde, car c'est en raison des contrariétés et des oppositions qui se rencontrent en elles qu'une réalité en corrompt une autre. La divine Providence ne doit donc pas écarter tout mal des choses qu'elle gouverne. Un agent ne peut faire quelque chose de mal si ce n'est en vue d'un bien qu'il se propose, on l'a vu précédemment. Or la Providence de Dieu, qui est la source de tout bien, ne peut rejeter universellement de la création tout objectif de bien; autrement beaucoup de biens disparaîtraient ainsi de l'univers : par exemple supprimer le mouvement par lequel le feu tend à engendrer son semblable, et qui provoque ce mal qu'est la corruption des choses soumises à la combustion, serait détruire ce bien qu'est la génération du feu et la conservation de son espèce. La Providence divine ne doit donc pas rejeter tout mal de la création. Beaucoup de biens seraient absents de la création sans la présence de certains maux: par exemple sans la malice de leurs persécuteurs, il n'y aurait pas la patience des justes; et il n'y aurait pas de justes punitions s'il ne se commettait point de délits ; pareillement sur le plan de la nature, sans la corruption de l'un, il n'y aurait pas la génération de l'autre. Par conséquent dans l'hypothèse d'une intervention providentielle pour supprimer totalement le mal de l'univers, l'ensemble des biens serait diminué. Ce qui ne doit pas être, car le bien dans la bonté est plus fort que le mal dans la malice. La Providence divine ne doit donc pas écarter tout mal des choses. Le bien de l'ensemble l'emporte sur celui de la partie. Un gouvernement sage sait donc tolérer quelque défectuosité dans le bien de la partie en vue de l'accroissement du bien dans le tout: ainsi de l'entrepreneur qui dissimule les fondements de la maison dans le sol en vue d'assurer à l'ensemble sa solidité. Or la perfection de l'univers perdrait grandement par la suppression du mal dans toutes ses parties, car la beauté de cette perfection naît de l'ensemble harmonieux des maux et des biens, mais les maux proviennent des déficiences d'êtres qui sont bons, et, grâce à la providence du chef, de ces maux surgissent certains biens: ainsi dans un chant les temps de silence donnent de la suavité. Il ne fallait donc pas que la Providence de Dieu écartât le mal des êtres. Tous les êtres, et surtout les êtres inférieurs, sont au service du bien humain comme de leur fin. Or dans cette hypothèse de la suppression de tout mal dans les choses, le bien de l'homme serait beaucoup amoindri: au plan de la connaissance, du désir et de l'amour la comparaison avec le mal donne une connaissance meilleure; le support de quelques maux rendent nos désirs du bien plus ardents: ainsi les malades apprécient mieux ce bien qu'est la santé et la désirent plus ardemment que les bien portants. La divine Providence ne doit donc pas écarter tout mal de la création. De là ce mot d'Isaïe : « Je fais la paix et je crée le malheur » ; et celui d'Amos : « Arrive-t-il un malheur dans une ville sans que Yaweh en soit l'auteur ? ». Toutes ces raisons écartent l'erreur de certains hommes qui à la vue du mal dans le monde, niaient l'existence de Dieu : ainsi Boèce présente un certain philosophe qui demande : « Si Dieu existe d'où vient le mal ? » Il faut retourner l'argumentation : « Puisqu'il y a du mal, Dieu existe ». Supprimez l'ordre du bien, le mal n'existera plus puisqu'il est la privation du bien. Or sans Dieu cet ordre ne cesserait pas. De même ces considérations suppriment une occasion d'erreur pour ceux qui devant des maux nombreux dans le domaine des êtres, soumis à la corruption, nient l'extension de la providence jusque-là ; à leur avis seraient seuls soumis à la providence les êtres incorruptibles chez qui on ne rencontre ni défaillances ni maux. Ces vues éloignent encore cette autre occasion d'erreur, propre aux Manichéens qui reconnaissent deux causes premières, le bien et le mal, comme si le mal ne pouvait trouver place sans la providence de Dieu qui est bon. Enfin est encore résolu ce doute de quelques-uns : « les actions mauvaises ressortissent-elles à Dieu ? » On a démontré en effet comment tout agent agit par la vertu de Dieu, et de ce fait, comment Dieu est la cause de tout, effets et actions ; on a prouvé pareillement comment le mal et les défauts qui se rencontrent chez les êtres soumis à la providence de Dieu, proviennent de la condition des causes secondes, susceptibles de faiblesses : il est évident que les actions mauvaises en ce qu'elles portent de défectuosité, ne sont pas de Dieu, mais des causes immédiates lui sont défaillantes, tandis qu'elles sont de Dieu par leur agir et leur entité ; par exemple la claudication relève de la force motrice en tant qu'elle est un mouvement, mais par son défaut elle s'explique par la déviation de la jambe ».

78. @ Teilhard moniste ?
On lui a reproché par exemple une conception “moniste” qui nierait la distinction esprit-matière. Teilhard s’en est toujours défendu en arguant qu’il se plaçait non pas au plan métaphysique, mais au plan phénoménologique. Tel est le sens de PH, note 1 p. 186 où Teilhard montre que son système laisse place à la création directe de l’âme par Dieu :
« Ai-je besoin de répéter, une fois de plus, que je me limite ici au Phénomène, c’est-à-dire aux relations expérimentales entre Conscience et Complexité, sans rien préjuger de l’action de Causes plus profondes, menant tout le jeu. En vertu des limitations imposées à notre connaissance sensible par le jeu des séries temporo-spatiales, ce n’est, semble-t-il, que sous les apparences d’un point critique que nous pouvons saisir expérimentalement le pas hominisant (spiritualisant) de la Réflexion. – Mais, ceci posé, rien n’empêche le penseur spiritualiste, – pour des raisons d’ordre supérieur, et à un temps ultérieur de sa dialectique – de placer, sous le voile phénoménal d’une transformation révolutionnaire, telle opération « créatrice », et telle « intervention spéciale » qu’il voudra (cf. Avertissement). – Qu’il y ait, pour notre esprit, des plans différents et successifs de connaissance, n’est-ce pas là un principe universellement accepté par la pensée chrétienne dans son interprétation théologique de la Réalité ? ».
Certaines expressions pourraient sous entendre une nécessité de la création et mettre à mal la Transcendance de Dieu. Ainsi, lorsque Teilhard parle du monde comme « un mystérieux produit de complétion et d’achèvement pour l’être Absolu lui-même » (CM 65). Voir l’astucieuse note de CM, p. 65 où l’éditeur s’était donné le temps d’appeler Bérulle à la rescousse de l’obstination de Teilhard. Déjà récusée par les réviseurs de 1948, l’expression avait été épinglée par le Monitum (DC 1962, col. 951).

84. @ Luc Barbier et Teilhard de Chardin.
Luc Barbier étudie au collège des chartreux à Lyon dès l’âge de 7 ans. Toute son œuvre sera marquée par son fond très religieux. Il était issu d’un milieu très catholique, notamment par son père, Antoine Barbier. Ses parents habitant Paris ; il ne revenait même pas pour les vacances. Très influencé par les chartreux, il les appréciait beaucoup. C’était un homme partagé entre la rigolade et le devoir. Il a beaucoup lu, avait de nombreux amis prêtres. Quand il recevait la commande d’une œuvre, il se renseignait sur l’esprit du lieu, les personnes qui l’habitaient, ce que le commanditaire voulait exprimer. Bien sûr il travaillait pour vivre, lui et sa famille ; il a eu sept enfants. Mais un véritable état d’esprit de foi l’animait. La vie d’artiste est difficile ! Et son oeuvre reste mal connue du public.
Luc Barbier a fait des eaux fortes, des peintures murales d’église, des vitraux, des fresques, des chemins de croix. 48 ou 50 églises possèdent des œuvres de lui dans la région Rhône-Alpes, jusqu’à Paray le Monial. Il fut graveur, peintre d’art sacré (vitraux, cuivre martelé), écrivain (poèmes, romans, recueils), aquarelliste, tout au long d’une carrière qui dura 63 ans. (Extraits de contacts téléphoniques avec Marie Paule et Ricky, filles de Luc Barbier en 2003).

« Luc Barbier a 55 ans à la mort de Teilhard de Chardin. Il aurait pu le rencontrer mais rien ne nous l’indique…je ne pense pas. Par contre c’est dans les années 60 qu’il le découvre dans ses lectures….. Au cours des longues discussions avec le Père Ladame, il est incontestable que pour sa peinture murale de Paray, Luc Barbier, a été influencé par Teilhard de Chardin » (Lettre de Ricky Barbier du 24 novembre 2003).

« Ricky se souvient qu’au moment de la réalisation de la fresque de la chapelle de la Visitation de Paray le Monial, son père lisait assidûment, depuis les années 1960, Teilhard de Chardin et que ce sujet fut un sujet de réconciliation avec son fils aîné ». (Entretien téléphonique entre Ricky Barbier et Sylvie Toupet, attaché parlementaire du député maire de Paray le Monial, Jean-Marc Nesme).

Jean Ladame, ancien supérieur des chapelains de Paray et un autre prêtre, tous deux décédés, ont beaucoup parlé avec Luc Barbier. Jeune religieuse au monastère à l’époque, sœur Madeleine dit qu’il faut voir les cinq plaies brillantes comme cinq soleils, comme un feu. (Echange téléphonique du 17 novembre 2003 avec Sœur Madeleine Élisabeth, supérieure du monastère de la Visitation de Paray le Monial).

Le Phénomène humain de Teilhard de Chardin a été édité en 1955, année même de la mort de Teilhard à New York. Dix tomes de ses oeuvres vont ensuite paraître jusqu’en 1965, date de la réalisation de la fresque d’après Daniel Dideberg (ou 1966 d’après Jean Ladame). Luc Barbier a donc eu largement le temps de connaître la pensée de Teilhard avant de réaliser la fresque de Paray et même des commentaires : « La pensée religieuse de Teilhard de Chardin » de Henri de Lubac paraît en 1962.
C’est donc aujourd’hui dans les écrits de Jean Ladame qu’il faut chercher le meilleur sens de la fresque puisque c’est lui qui a communiqué avec l’artiste. Une description et un sens sont donnés dans la plaquette « Sainte Marguerite-Marie et la visitation de Paray » (Imprimatur 1977, chapitre sur la chapelle et la fresque). Voir aussi : Les faits mystiques de Paray, 1991, page 85 où il exprime la représentation que devrait en faire les artistes.
« De chaque côté de la scène centrale, elle même nimbée de flammes, car Dieu, dit la Sainte écriture, est un « Feu dévorant » J. Ladame.
Ou encore « … où le Cœur apparaît comme lumière et flamme, comme soleil et fournaise » J. Ladame.
Or le thème du feu revient sans cesse chez Teilhard. La plaie du Cœur diffuse partout sa lumière d’amour avec de grands rayons concentriques en absorbant peu à peu tous ceux qui l’ont particulièrement aimé, comme symbolisant le Monde.
En somme, si l’on ne trouve pas de trace historique formelle montrant que Teilhard a directement inspiré la fresque de Luc Barbier, elle représente parfaitement sa pensée. Feu, émanation de son Cœur jusqu’à ne faire qu’un avec le Monde : Le Tableau, tout Teilhard est là. C’est donc à juste titre que Daniel Dideberg, dans la brochure « Contempler le Cœur du Christ » peut dire que « probablement » la fresque a été inspirée par lui.
Voir le rapprochement à faire avec les fresques de Hongrie : Article paru dans la Revue du secrétariat des Œuvres du Sacré Cœur, deuxième trimestre 2003, N° 435, juin. Là encore Teilhard de Chardin…

86. @ Regarder le Cœur de Jésus avec Teilhard.
Pour Teilhard focaliser la vision sur le Cœur de Jésus n’est pas comparable à un simple mécanisme réglant la quantité de lumière qui ferait ressortir l’objet regardé. Parce que ce Cœur est à la fois réalité physique et spirituelle de toute sa Personne, il en fait l’objet de la convergence et de la concentration du Monde en Lui. En sens inverse, dans « Le tableau » écrit en 1916 (Écrits du temps de la guerre, page 113), qu’il reprendra en 1950 dans « Le Cœur de la Matière » (T. XIII, Pages 76 à 80), il partira de ce Cœur pour l’agrandir aux dimensions du Monde : « … Avec son Cœur offert aux hommes…l’atmosphère vibrante dont s’auréolait le Christ n’était pas confiné dans une petite épaisseur autour de Lui, elle s’irradiait à l’infini…..l’Univers entier vibrait. Tout ce mouvement paraissait émaner du Christ, -de son Cœur surtout- ». Va et vient de nos méditations : un Coeur en capacité à la fois et de concentration du Monde et d’expansion au Monde.
Trop long sans doute, difficile d’être réducteur sur une telle ampleur d’adoration. Je pense que Teilhard nous invite sans cesse à étendre au Corps mystique de Christ ce que nous vivons du Corps physique de Jésus.
“Travailler… à une “réforme de la Christologie” dont le besoin et l’imminence me paraissent monter à une vitesse accélérée. Il ne s’agit pas bien sûr de « remplacer » le Dieu chrétien. Mais Celui-ci, pour rester lui-même, doit à nos yeux devenir capable de contenir (c’est à dire de centrer) l’énormité organique et mouvante de l’Univers que nous commençons à découvrir autour de nous. Le Dieu du Cosmos grec devenant enfin un Dieu de Cosmogénèse. Le Dieu de l’Évangile devenant le « Dieu de l’Évolution ». En ce sens, l’Humanité présente se meurt de l’attente d’un « nouveau » Dieu, qu’elle puisse adorer à plein, « en esprit et en vérité ». (Lettre à l’abbé Breuil, 13 décembre 1952, p. 317).

87. @ Le point Omega.
[*** Bientôt en ligne ***]

88. @ Le tableau.
CM 76 et sv. HU, 42-47.

89. @ Teilhard et le New Age.
Cf. Cardinal P. Poupard, « Jésus-Christ, le Porteur d’Eau vive, une réflexion chrétienne sur le ‘Nouvel Age’, DC 2288 (2003), 272-309, spécialement certaines notes.
Cette problématique était celle d’une religiosité, made in USA, qui devait envahir l’Occident dans le dernier tiers du XXe siècle. Tout en se gardant bien (et pour cause) d’emprunter à Teilhard ses solutions, le New Age s’est reconnu en effet dans sa problématique. Il est l’auteur le plus cité dans le livre fondateur de MARILYN FERGUSON, Les enfants du Verseau, Calmann-Lévy, 1981, qui porte même une phrase de lui en frontispice. Fin 1977, une enquête de Marilyn lui avait révélé que les « conspirateurs du Verseau » plaçaient Teilhard en tête des auteurs qui les avaient influencés. Cf. DC 2003, 278, note 15. Teilhard avait donc parfaitement saisi la sensibilité nouvelle qui se faisait jour, « pour un nouveau paradigme », selon le sous-titre de Ferguson. C’est en ce sens qu’il est typique d’un effort pour réduire la fracture culture-foi.
De plus le « cœur » comporte une dimension affective et symbolique, qui correspond à la religiosité actuelle : « Le dialogue entre les chrétiens et les personnes attirées par le Nouvel Age sera plus fécond s’il tient compte de l’attrait exercé par tout ce qui touche aux émotions et au langage symbolique ». DC 2003, 301.
Dans le domaine de la chasteté, même si des libertins ont cru pouvoir s’en réclamer, la « troisième voie » qu’il préconisa n’était que saine réaction contre un puritanisme victorien hérité du XIXe. Voir la « récupération » par le New Age : Les enfants du Verseau, 294.
Le concept d’ « une profonde mutation spirituelle de la conscience individuelle et collective » est sous-jacent au New Age. Cf. DC 2003, 302 b. Les adeptes se voient volontiers comme des “mutants”.
« Le Christique », CM 117. Voir « récupération » de ce texte par Maryline Ferguson, Les enfants du verseau, 39-40.

90. @ Les quatre coordonnées de l’univers symbolique du Cœur de Jésus.
[*** Prochainement en ligne ***]

91. @ Prière de Teilhard au Cœur de Jésus.
Dans La Messe sur le Monde (HU, 32), Teilhard adresse au Christ cette prière qui reprend pour finir les paroles d’un jésuite polonais du 17° siècle : G. Druzbicki dans son Meta cordium, Kolisz, 1683 :
« Et maintenant, Jésus, que voilé sous les puissances du Monde, vous êtes devenu véritablement et physiquement tout pour moi, tout autour de moi, tout en moi, je ferai passer dans une même aspiration l’ivresse de ce que je tiens et la soif de ce qui me manque et je vous répèterai, après votre serviteur [Druzbicki], les paroles enflammées où se reconnaîtra toujours plus exactement, j’en ai la foi inébranlable, le Christianisme de demain :
« Seigneur, enfermez-moi au plus profond des entrailles de votre Cœur. Et, quand vous m’y tiendrez, brûlez-moi, purifiez-moi, enflammez-moi, sublimez-moi, jusqu’à satisfaction parfaite de vos goûts, jusqu’à la plus complète annihilation de moi-même ». Cf. H. RONDET, « Note sur Teilhard, Druzbicki et la dévotion au Sacré-Cœur », RAM 45 (1969) 451-452.
« Les termes (en particulier le ‘sublimez-moi’, synonyme dans la chimie médiévale de purification totale) suggèrent une véritable alchimie amoureuse dans lequel le cœur fait figure de divin alambic », remarque le père Glotin (Colloque 1999, 312, note 58).

93. @ Teilhard au féminin.
[*** Prochainement en ligne ***]

96. @ Les débuts de la vie mystique de Sœur Faustine.
Elle date de l’âge de 7 ans le début de sa vie mystique, devant le Saint-Sacrement exposé durant les vêpres. « Depuis ma plus tendre enfance, le Seigneur Jésus présent dans le Très Saint Sacrement m’a attirée vers Lui. J’avais sept ans lorsque j’assistai aux vêpres et le Seigneur Jésus était exposé dans l’ostensoir, pour la première fois et le Seigneur me donna la compréhension des choses divines ; depuis ce jour jusqu’aujourd’hui mon amour pour Dieu caché s’est accru jusqu’à la plus étroite intimité. Toute la force de mon âme provient du Très Saint Sacrement. Je passe chaque moment de liberté en conversation avec Lui, Il est mon Maître » (PJ 1404).

99. @ Le désir de la sainteté chez sœur Faustine.
PJ 1361 : « Ta ferme décision de devenir sainte m’est excessivement agréable. » PJ 1364 : « Je peux être complètement utile à l’Eglise par une sainteté personnelle qui animera la vie dans toute l’Eglise puisque nous ne constituons tous qu’un seul organisme en Jésus. » PJ 1475 : « Je m’efforce à la plus grande perfection afin d’être utile à l’Eglise. Ma liaison avec l’Eglise est bien plus grande. La sainteté ou la chute de chaque âme prise séparément, se reflète dans toute l’Eglise. En m’observant et en observant ceux qui me sont proches, j’ai vu quelle grande influence j’exerce sur les autres âmes – non par quelque action héroïque, car celles-ci sont frappantes en elles-mêmes, mais par de si petites actions, comme bouger la main, regarder, et beaucoup d’autres choses que je ne saurais énumérer et qui pourtant agissent et retentissent sur les autres âmes » PJ 1571 : « J’ai remarqué que depuis le moment où je suis rentrée au couvent, on m’a toujours fait le même reproche, c’est d’être sainte ; mais ce nom était toujours dit de façon ironique… le Seigneur m’a répondu… ‘Mais tu es sainte, sous peu je le ferai paraître moi-même en toi et ils prononceront ce même mot ‘sainte’ – mais cette fois avec amour ».

100. @ Convergence entre Faustine et Thérèse de Lisieux.
PJ 150. Dans sa vie, ce sera la seule intervention de Thérèse, que pourtant, jeune fille, elle avait aimée : au témoignage de sa Congrégation, Faustine, ignorante de la littérature mystique, ne lira même jamais l’Histoire d’une âme. Et pourtant rien n’aura autant préparé le monde moderne à accueillir le message de Cracovie que la vie et la doctrine de la petite carmélite de Lisieux. Leur mission à toutes les deux fut de révéler au monde la profondeur et l’étendue de la Miséricorde divine. Il s’agit de partager cette révélation avec toutes les catégories d’âmes – pécheresses, désespérées, souffrantes, imparfaites ou parfaites (PJ 1485-1490). Mais une commune « soif des âmes » leur fait désirer en persuader surtout le plus grand des pécheurs : « Quand même ses péchés seraient noirs comme la nuit, déclare Jésus à Faustine, lorsqu’un pécheur se tourne vers ma miséricorde, il me rend la plus grande gloire » (PJ 378. Cf. 1507). Avec la même logique que Thérèse, Faustine s’écrie donc : « Même si j’avais eu sur la conscience les péchés du monde entier […], je n’aurais cependant pas douté de la bonté divine » (PJ 1552). Et l’une et l’autre vont répétant que ce qui blesse le plus le Cœur de Jésus, c’est le manque de confiance en sa miséricorde, - particulièrement après les chutes. Toutes deux sont persuadées de la grandeur de leur mission et le déclarent ouvertement, car pour elles, « l’humilité, c’est la vérité » (PJ 1502-1503). Elles ont d’ailleurs l’une et l’autre la conscience très vive que leur mission continuera au ciel après leur mort (PJ 1653. Cf. 1605).

101. @ Réaction prudente de Rome.
Monitum de 1959. DC 56 (1959), 404. « On notifie que la suprême sacrée congrégation du Saint-Office ayant examiné les prétendues visions et révélations de sœur Faustina Kowalska, de l’institut de Notre-Dame de la Miséricorde, morte en 1938 près de Cracovie, a fixé ce qui suit :
On doit interdire la diffusion des images et des écrits qui présentent la dévotion à la divine Miséricorde dans les formes proposées par la même sœur Faustina. On confie à la prudence des évêques le devoir d’écarter les susdites images qui, éventuellement, auraient été déjà exposées au culte. Du palais du Saint-Office, 6 mars 1959.
Sur les antécédents (dès 1936 ?), cf. 1045 ; 1110, n. 347.
« Sur ce, quelques ecclésiastiques que je ne connaissais pas commencèrent à m’examiner et à m’humilier, ou plutôt ce que j’ai écrit, cependant je vis comme Jésus Lui-même prit ma défense et leur fit comprendre ce qu’ils ne savaient pas » (PJ 1045)
« 29 IV 1937 ? Le Seigneur m’a fait connaître les querelles qui ont eu lieu au Vatican à propos de cette fête : le dignitaire Pacelli y a beaucoup travaillé (PJ 1110).
« Sœur Faustine possédait le don de connaître à distance certaines choses et certaines situations (cf. note 329). Elle pouvait donc, également dans ce cas-là, grâce à une vision intérieure, connaître les entretiens qui se tenaient au Vatican au sujet de la fête de la Miséricorde Divine. Actuellement, nous ne savons pas à quels entretiens cette vision fait allusion. Toutefois, nous savons qu’en 1936 l’abbé Sopocko a adressé un mémoire concernant la miséricorde divine aux participants du 1er Synode Plénier tenu à Czestochowa, les 26 et 27 VIII 1936. Le Synode était présidé par le Légat du Pape, Mgr Marmaggi. Probablement a-t-il transmis, dans son rapport au Saint-Siège, la question de l’institution de la fête de la Miséricorde Divine, à la suite de quoi, des discussions à ce sujet ont bien pu avoir eu lieu. Il nous est permis de supposer que ce rapport avait éveillé l’intérêt du Cardinal E. Pacelli, alors Secrétaire d’Etat. Toutefois, il est difficile d’établir en quoi avait consisté le travail du Cardinal Pacelli dont parle Sœur Faustine. Une prise de position positive par le Cardinal Pacelli, futur Pape Pie XII, au sujet du culte de la Miséricorde Divine nous est confirmée par le fait que le monitoire publié par le saint-Office n’est paru qu’après sa mort, le 28 XI 1958 » (PJ, note 347).
La date du Monitum indique-t-elle que dès le début le Cardinal Pacelli était favorable à l’institution de la fête ?

102. @ PJ 299. Une erreur de traduction.
PJ 299 traduit : « mon cœur, agonisant sur la croix ». La vraie traduction serait : « mon cœur après son agonie sur la croix ».

103. @ La symbolique du rayonnement.
Accoutumés comme nous le sommes aujourd’hui à serrer de près le texte biblique, nous pouvons être surpris par la substitution d’un rayonnement bicolore à l’écoulement de sang et d’eau du côté du Christ élevé sur la croix. Comment légitimer cette curieuse superposition de deux registres symboliques ? On ne peut certes contester à l’Esprit le droit de s’écarter, au cours des âges, de la lettre du texte sacré, mais on souhaiterait que les interprètes du message de Cracovie osent éclairer le choix divin par des motifs de convenance.
Peut-être pourrait-on argumenter de la façon suivante : en soi la symbolique du rayonnement est cohérente avec celle du vêtement blanc ; le Christ de Cracovie est le Seigneur qui, transfiguré par sa résurrection, vient nous baigner dans la lumière bienfaisante de son Cœur, aujourd’hui vivant. Mais, en traversant le prisme coloré du sang et de l’eau, les rayons lumineux avouent leur origine secrète, que nous sommes toujours tentés d’oublier : ils laissent deviner, comme en filigrane, le sacrifice de l’Agneau dont ils tirent leur efficacité salutaire.

104. @ Le P. van Peteghem et l’invocation “Jésus, j’ai confiance en vous”.
Depuis le début du 20e siècle, ce genre d’invocation était traditionnellement lié à la dévotion au cœur du Sauveur. « Cœur Sacré de Jésus, j’ai confiance en vous ! » : isolée ou clôturant une litanie, la formule stéréotypée a été d’usage courant au siècle dernier (La formule est due au jésuite van Peteghem au début du XXe.). Moins vénérable que le « Jésus, doux et humble de cœur, rendez mon cœur semblable au vôtre », elle peut du moins se réclamer de l’exclamation autographe de sainte Marguerite-Marie dans sa « petite consécration » (dont le texte, selon elle, venait du Seigneur lui-même) : « O Cœur d’amour, je mets toute ma confiance en vous, car je crains tout de ma faiblesse, mais j’espère tout de vos bontés » (VO4, 2, 809). En leur temps, d’ailleurs, les Pères et les auteurs médiévaux avaient déjà comparé la plaie du côté à la porte au flanc de l’arche de Noé, où se réfugie symboliquement l’Eglise, et, à propos du regard de l’Epouse du Cantique, sainte Gertrude* avait recueilli des lèvres même du Seigneur le commentaire suivant : « Ce regard de ma bien-aimée par lequel elle transperce mon Cœur, c’est l’inébranlable confiance qui la rend certaine de moi, de mon pouvoir, de ma capacité et de ma volonté de l’assister fidèlement en toutes choses ; cette confiance a sur mon cœur tant de force qu’il m’est impossible de l’abandonner en quoi que ce soit » (Le Héraut, Mémorial des largesses de l’amour divin, III, 5, SC 255).

108. @ La dévotion à la Miséricorde divine.
A la différence des autres pratiques, celle des litanies de la Miséricorde apparaît brusquement dans le Petit Journal (PJ 949), sans que l’origine en soit indiquée. Mais, à supposer que cette longue série d’invocations ait été dictée par le Seigneur, comment son saint confesseur se serait-il permis, comme il l’a fait, de l’amender et de la compléter ?
Pratique centrale de la nouvelle dévotion, le chapelet de la Miséricorde provient, au contraire, du Seigneur lui-même (PJ 476, 13. 09. 1935), qui, comme de l’image, semble avoir voulu en faire un trait d’union entre les Eglises. Récité sur un chapelet de type occidental, il s’apparente en effet au « chodki* » des chrétiens d’Orient par la brièveté de l’invocation répétitive (« Par sa douloureuse Passion, sois miséricordieux pour nous et pour le monde entier »), et le Gloria final y est remplacé par la triple récitation d’un Trisagion (« Dieu Saint, Dieu Fort, Dieu Eternel, aie pitié de nous et du monde entier »). Dès le début, Faustine reçut l’ordre de se servir de ce chapelet neuf jours de suite chaque fois qu’elle désirerait désarmer la juste « colère » du Seigneur, par exemple à l’égard de sa patrie ou du monde.
Recentré sur la Fête de la Miséricorde, à laquelle il sert de préparation, ce type de neuvaines aboutira un an plus tard à la pratique de la grande neuvaine de la miséricorde, qui commence le Vendredi Saint et s’achève la veille du 2e dimanche de Pâques.
Tardivement, fin 1937 (PJ 1320, 1572), un rendez-vous quotidien est prescrit à Faustine à l’ « heure de grande miséricorde pour le monde entier ». Lorsque l’horloge sonne les trois heures, « immerge-toi tout entière, lui intime Jésus, en ma miséricorde en l’adorant et en la glorifiant ». Un bref instant, elle est invitée à s’unir à l’ « abandon » (PJ 1320) que ressentit le Crucifié et à la « mortelle tristesse » (PJ 1320) de son agonie. Quand elle le peut, qu’elle inclue cet instant dans un chemin de croix ou qu’elle entre un moment à la chapelle pour y célébrer, dit-il, « mon cœur qui est plein de miséricorde dans le Saint-Sacrement » (PJ 1572).
Toutes ces pratiques ont pour principal but d’obtenir la conversion des pécheurs, surtout des plus endurcis. Maintes fois, en particulier au cours de ses séjours en hôpital, Faustine expérimentera auprès des agonisants l’efficacité de son chapelet (PJ 754, 811, 1035, 1541, 1565, 1798, etc.), et le Seigneur lui révélera que, parfois, des gens qui, jusqu’au bout, avaient refusé la miséricorde reçoivent du coup une ultime grâce de conversion, dont ils ne peuvent donner aucun signe à leur entourage (PJ 1698). Nul ne peut cependant à l’avance se prévaloir présomptueusement de cette éventualité : « Mais horreur –il y a aussi des âmes qui volontairement et consciemment rejettent cette grâce et la dédaignent. Bien que cela soit déjà l’agonie, Dieu miséricordieux donne à l’âme ce moment de clarté intérieure et, si l’âme le veut, elle a la possibilité de revenir à Dieu. Mais parfois il y a chez les âmes un tel endurcissement qu’elles choisissent consciemment l’enfer ; elles font échouer toutes les prières que d’autres âmes dirigent à leur intention, et même les efforts de Dieu » (PJ 1698).
Plus que la dévotion au Sacré-Cœur, la dévotion à la Divine Miséricorde est centrée sur cette fin apostolique. L’intention réparatrice n’en est pas absente, mais, s’insérant dans une telle finalité rédemptrice, elle vise le Père plutôt que le « cœur » du Fils. Sur le gros grain qui correspond au Pater de son chapelet, Faustine devait donc dire la prière suivante, dictée par le Seigneur lui-même :
Père Eternel,
je t’offre le Corps et le Sang, l’Ame et la Divinité
de ton Fils bien aimé, Notre Seigneur Jésus-Christ,
en réparation de nos péchés et de ceux du monde entier
(PJ 475. Cf. 476).

Curieusement la phrase conserve l’essentiel de l’offrande répétitive qui, quelques années plus tôt, avait été enseignée aux trois petits voyants de Fatima : « Très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, je Vous adore profondément et je Vous offre le très précieux Corps, Sang, Ame et Divinité de Jésus-Christ, présent dans tous les tabernacles de la terre, en réparation des outrages, sacrilèges et indifférences par lesquels il est lui-même offensé. » (4° document de Sœur Lucie, in Lucie raconte Fatima, DDB, 1976, 172.). Dans les deux cas, la réception de la prière s’accompagnait de l’intervention d’un ange et elle était suivie d’une formule demandant la conversion des pécheurs. La prière portugaise n’ayant été révélée que par un mémoire postérieur de sœur Lucie, toute influence littéraire sur le texte polonais doit être écartée. En ce premier tiers de XXe siècle, les deux messages – celui de Fatima et celui de Cracovie – témoignaient que la grande vague réparatrice du siècle précédent n’était pas encore amortie. Mais l’un et l’autre réorientaient le message de Paray-le-Monial vers l’œuvre de la conversion des pécheurs. Les pratiques issues de sainte Marguerite-Marie*, telle l’heure sainte de la nuit du jeudi au vendredi, ne sont cependant pas absentes de la vie de sainte Faustine (PJ 268, 445, 646, 1537, 1685, 1697, etc.), et elles ont aussi pour intention de consoler Jésus : sa dévotion à la Miséricorde s’est greffée sur la dévotion au Cœur de Jésus, bien ancrée depuis deux siècles en terre polonaise.

111. @ La mort de Jean-Paul II, le jour de la fête de la Miséricorde.
Une double signature divine sur le 2e dimanche de Pâques : C’est par les hasards d’une clôture de Jubilé que, comme le demandait Jésus, l’image avait été honorée en 1935 pendant les trois jours de la clôture de la grande semaine pascale (PJ 89). Faustine avait « beaucoup souffert » pendant ces 3 jours (PJ 421) Et ces 3 jours devait être, 70 ans plus tard, ceux de l’agonie de JP II. En réalité, pas de hasard, cf. PJ 1530 : « Je supplie Dieu qu’il se hâte de nous faire ce don inestimable qu’est la fête de la Miséricorde et je vois que Jésus agit. Il donne lui-même les directives sur la façon d’agir. Rien n’est laissé au hasard. »

114. @ La consécration du 17 août 2002.
La consécration ne figure pas au nombre des pratiques que le Seigneur avait enseignées à sainte Faustine. Il en était déjà ainsi avec sainte Marguerite-Marie* et saint Claude La Colombière*. Rien dans les premières apparitions de Paray-le-Monial n’oblige à conclure que Jésus ait réclamé lui-même une telle démarche de la part de la sainte ni de son directeur. Mais leur siècle y voyait l’accompagnement normal de toute nouvelle dévotion. C’est une fois l’initiative prise par Claude, puis par Marguerite-Marie que le Seigneur en encouragera l’extension d’abord en inspirant à la sainte les termes de sa « petite consécration », puis en réclamant celle du roi Louis XIV et de sa cour. Et c’est seulement quand, au 19e siècle, les « consécrations publiques au Sacré-Cœur » auront commencé de s’étendre spontanément aux nations qu’une mystique recevra mission de demander enfin à Léon XIII la solennelle consécration du monde. Même si, pour autant qu’on le sache, il n’ait pas été explicitement demandé d’En-haut, le geste de Lagiewniki vient aujourd’hui s’inscrire tout naturellement dans le développement homogène de la tradition de l’Eglise.

119. @ Les signes du retour du Christ.
« Ecris ceci : Avant de venir comme un Juge équitable, je viens d’abord comme Roi de miséricorde. Avant qu’advienne le jour de justice, il sera donné aux hommes un signe dans le ciel.
Toute lumière dans le ciel s’éteindra et il y aura de grandes ténèbres sur toute la terre. Alors le signe de la croix se montrera dans le ciel, et des plaies des mains et des pieds du Sauveur, sortiront de grandes lumières, qui pendant quelque temps illumineront la terre. Ceci se passera peu de temps avant le dernier jour » (PJ 83).

120. @ Enfer et purgatoire selon l’expérience de sœur Faustine.
« Aujourd’hui j’ai été dans les gouffres de l’enfer, introduite par un ange. C’est un lieu de grands supplices, et son étendue est terriblement grande. Genres de supplices que j’ai vus : le premier supplice qui fait l’enfer c’est la perte de Dieu ; le deuxième – les perpétuels remords ; le troisième – le sort des damnés ne changera jamais ; le quatrième supplice – c’est le feu qui va pénétrer l’âme sans la détruire, c’est un terrible supplice, car c’est un feu purement spirituel, allumé par la colère de Dieu ; le cinquième supplice – ce sont les ténèbres continuelles, une terrible odeur étouffante et malgré les ténèbres, les démons et les âmes damnées se voient mutuellement et voient tout le mal des autres et le leur ; le sixième supplice – c’est la continuelle compagnie de Satan ; le septième supplice – le désespoir terrible, la haine de Dieu, les malédictions, les blasphèmes. Ce sont des supplices que tous les damnés souffrent ensemble, mais ce n’est pas la fin des supplices. Il y a des supplices qui sont destinés aux âmes en particulier, ce sont les souffrances des sens. Chaque âme est tourmentée d’une façon terrible et indescriptible par ce en quoi ont consisté ses péchés. Il y a de terribles cachots, des gouffres de tortures où chaque supplice diffère de l’autre ; je serais morte à la vue de ces terribles souffrances, si la toute-puissance de Dieu ne m’avait soutenue. Que chaque pécheur sache : il sera torturé durant toute l’éternité par les sens qu’il a employés pour pécher. J’écris cela sur l’ordre de Dieu pour qu’aucune âme ne puisse s’excuser disant qu’il n’y a pas d’enfer, ou que personne n’y a été et ne sait comment c’est.
Moi, Sœur Faustine, par ordre de Dieu, j’ai été dans les gouffres de l’enfer, pour en parler aux âmes et témoigner que l’enfer existe. Je ne peux en parler maintenant, j’ai l’ordre de Dieu de le laisser par écrit. Les démons ressentaient une grande haine envers moi, mais l’ordre de Dieu les obligeait à m’obéir. Ce que j’ai écrit est un faible reflet des choses que j’ai vues. J’ai remarquée une chose : qu’il y a là-bas beaucoup d’âmes qui doutaient que l’enfer existe. Quand je suis revenue à moi, je ne pouvais pas apaiser ma terreur de ce que les âmes y souffrent si terriblement, c’est pourquoi je prie encore plus ardemment pour la conversion des pécheurs, sans cesse j’appelle la miséricorde divine sur eux. Ô mon Jésus, je préfère agoniser jusqu’à la fin du monde dans les plus grands supplices que de T’offenser par le moindre péché » (PJ 741).

« Peu après, je tombai malade. La chère mère supérieure m’envoya avec deux autres sœurs en vacances à Skolimow non loin de Varsovie. C’est alors que j’ai demandé au Seigneur Jésus : pour qui dois-je prier ? Jésus me répondit qu’Il me ferait connaître la nuit suivante pour qui je dois prier.
Je vis mon Ange Gardien qui m’ordonna de le suivre. En un instant, je me trouvai dans un endroit brumeux, rempli de feu, et là une multitude d’âmes souffrantes. Ces âmes prient avec ferveur, mais sans efficacité pour elles-mêmes, nous seuls pouvons les aider. Les flammes qui les brûlaient ne me touchaient pas. Mon Ange Gardien ne me quittait pas un seul instant. Et je demandai à ces âmes quelle était leur plus grande souffrance. Elles me répondirent d’un commun accord, que leur plus grande souffrance était la nostalgie de Dieu. J’ai vu la Mère de Dieu, visitant les âmes du purgatoire. Les âmes l’appellent ‘Etoile de la mer’. Elle leur apporte du soulagement. Je voulais encore leur parler, mais mon Ange Gardien m’a donné le signal du départ. Nous sommes sortis de cette prison de douleurs. J’entendis une voix intérieure qui me dit : Ma miséricorde ne veut pas cela, mais la justice l’exige. Depuis ce moment, je suis en relations plus étroites avec les âmes souffrantes » (PJ 20).




NOTES :

(1) H. de LUBAC, La pensée religieuse du P. Teilhard de Chardin, Paris, Aubier, 1962, 168.

(2) Cf. A. Léonard, op. cit., 209-211, 221-222.

(3) « Nature et création : opposition ou nouvelle alliance ? » in J. M. EXBRAYAT ET E. GABELLIERI (sous la direction de), Nature et création entre science et théologie, publication de l’Institut Interdisciplinaire d’Etudes Epistémologiques, Lyon ; Paris, Vrin, 2006, p. 226, note 97.

(4) L. BOUYER, Cosmos, Paris, Cerf, 1982, 331-361.

(5) Cf. X. Skof, « Peut-on encore parler de dons préternaturels ? », en particulier, ch. 3 : « Situation d’une protologie théologique », Mémoire de maîtrise non publié. Bibliothèque de l’Université Catholique de Lyon, 1996.

(6) Cf. « Profession de foi de Paul VI », en annexe 1 de cet @.

(7) CEC 390.

(8) Audience du 26 septembre 1979 in Homme et femme il les créa, Paris, Cerf, 2004, p. 25-26.

(9) « ‘Commencement a donc deux sens dans l’usage courant… : le mot désigne à la fois la première manifestation, et ce qui la fonde. Cette ambiguïté, qui a place dans l’expérience, peut être recueillie dans le langage. Mais s’il faut la lever, ce qui fonde la première manifestation recevra le nom d’origine » (P. BEAUCHAMP, L’un et l’autre Testament, T. 1, Paris, Seuil, 1976, p. 124).

(10) AH III, 21, 10, Cerf, 1984, p. 382. Cf. « La guérison de l’aveugle-né, révélation de l’action créatrice du Verbe aux origines de l’humanité », AH, V, 15, 2, p. 614-615.

(11) Jean Paul II, Audience du 26 septembre 1979, op. cit. p. 28.

(12) Cf. le texte complet en annexe 2 de cet @.

(13) Pour aller plus loin, cf. C. JOURNET, Le Mal, essai théologique, 135-157.

(14) ST, Ia, Qu. 101, art 1.

(15) ST, Ia, Qu 22, art. 2, ad 2.

(16) ST, Ia, Qu. 96, art. 1, ad 2. Cf. la position d'Augustin à ce sujet : De Genesi ad litteram, L. III, n°XV - XVIII.

(17) CEC renvoie à saint Thomas d’Aquin, ST, Ia, Qu. 25, art. 6.

(18) CEC renvoie à saint Thomas d’Aquin, Contra Gentes, III, 71 reproduit en Annexe 3 de cet @.

(19) Sur l’interprétation de ce texte, voir S. LYONNET : "La Rédemption de l'univers", Lumière et Vie, Juin-Août 1960, p. 43 à 62 ; "Rom 8,19-22 et la rédemption de l'univers" in Etudes sur l'Epître aux Romains, Analecta Biblica 120, Editrice Pontificio Istituto Biblico, Roma, 1990, p. 242 à 254.

(20) D 1511.

(21) DC, 2148 (1996), 951-953.

(22) Discours à l'Académie des Sciences, 28 octobre 1986, n. 1.

(23) Cf. Léon XIII, encyclique Providentissimus Deus.

(24) Cf. AAS 42 [1950], pp. 575-576.

(25) Cf. ARS 85 [1993], pp. 764-772; Discours à la Commission biblique pontificale, 23 avril 1993, annonçant le document sur l'Interprétation de la Bible dans l'Église : AAS 86 [l994], pp. 232-243.

(26) Cf. Gn 1, 28-29.

(27) n. 24.

(28) ST, I-II, q.3, a. 5, ad 1.

(29) Cf. Gaudium et spes, n. 22.

(30) Encycl. Humani generis, AAS 42 [l950], p. 575.

(31) 8, 3 ; cf. Mt 4, 4.




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