La Bible du Coeur de Jésus

Edouard Glotin

Presses de la Renaissance


Notes et Annexes

Introduction

Annexes
Haurietis Aquas
Le Coeur de Jésus et le Shabbat juif
Benoît XVI : Lettre au R.P. Kolvenbach (50° anniv. d'HA)
Benoît XVI : Message de Carême 2007

Commentaires
des illustrations

Fig. 1 à 11
Fig. 12 à 19
Fig. 20 à 29
Fig. 30 à 39
Fig. 40 à 49
Fig. 50 à 59
Fig. 60 à 69
Fig. 70 à 83

Notes
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
• Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12

Liste des sigles
Notes du chapitre 4

1. @ L’arrière-plan biblique de Mt 11, 29 :
Le mot « cœur » revient fréquemment sur les lèvres des sages et des psalmistes d’Israël pour désigner le lieu d’une connaissance religieuse. En l’employant lui-même, Jésus se situait délibérément dans cette tradition de son peuple. Il se présentait comme le sage par excellence, - mieux encore : comme celui dont les psaumes décrivaient prophétiquement la conscience messianique. Plus précoce que Jésus Ben Sira, seul Jésus de Nazareth pouvait en toute vérité dire de la Sagesse : « Mon cœur mettait sa joie en elle […], j’y ai appliqué mon cœur dès le commencement » (Si 51, 15.20). Plus parfait que son royal ancêtre David, il s’était proposé : « Je marcherai dans l’intégrité de mon cœur au sein de ma maison » (Ps 101, 2) et, toute sa vie, il a effectivement eu « la Loi de Dieu dans son cœur » (Ps 37, 31). Aussi, puisque « le cœur du sage rend sa bouche avisée » (Pr 16, 23), le Fils pourrait, au terme de son bref passage parmi nous, confier au Père : « Je n’ai pas caché au fond de mon cœur […] ton amour et ta vérité » (Ps 40,11), car « la sagesse de son cœur » - celle qu’il avait acquis « en la plaçant sur son cœur » - il « la répandit comme une pluie » (Si 50, 27-28). Témoins de sa récompense finale « au jour de la joie de son cœur » (Ct 3, 11), nous pouvons nous écrier aujourd’hui avec le Ressuscité : « Je te rends grâces, Seigneur, de tout mon cœur ! » (Ps 9, 2 ; 138, 1). Bref, la révélation que Jésus nous ferait un jour de son Cœur s’auréolait par avance d’une constellation de versets d’Ecriture ; et mettre dans sa bouche ceux des psaumes – comme il le fit lui-même durant sa vie -, c’est nous immerger dans le cœur du Messie pour y rejoindre sa prière et son expérience intérieure. Seule l’autorité des Enarrationes d’Augustin freina au moyen âge l’application de certains versets au Christ. Il s’agit des versets de Psaumes qui pouvaient être interprétés comme l’expression de la Passion intérieure permanente du Cœur de Jésus. Ainsi, Ps 31 (30), 11 ; 88 (87), 16 ; 38 (37), 18 ; 73 (72), 14 ; 6, 7… « Le grand commentaire des Psaumes de saint Augustin préfère appliquer aux membres mystiques du Christ plutôt qu’à sa personne historique les versets ci-dessus cités… son autorité a freiné ici le mouvement de relecture de la Passion » (E. GLOTIN, Le Cœur de Jésus, Approches anciennes et nouvelles, Namur, Col. Vie consacrée, n° 16, 1997, ch. 4, 128).

3. @ M.-M. Philipon, Conchita.
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4. @ Le principe de Pascal :
« On ne peut faire une bonne physionomie qu’en accordant toutes nos contrariétés, et il ne suffit pas de suivre une suite de qualités accordantes sans accorder les contraires. Pour entendre le sens d’un auteur, il faut accorder tous les passages contraires. Ainsi, pour entendre l’Ecriture, il faut avoir un sens dans lequel tous les passages contraires s’accordent. Il ne suffit pas d’en avoir un qui convienne à plusieurs passages accordants, mais d’en avoir un qui accorde les passages même contraires. Tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s’accordent, ou il n’a point de sens du tout. On ne peut pas dire cela de l’Ecriture et des prophètes ; ils avaient assurément trop bon sens. […]. En Jésus-Christ toutes les contradictions sont accordées » B. PASCAL, Pensées et opuscules publiés par L. Brunschvicg, section X, n° 684 (Contradiction), Paris, Hachette, 1961.

8. @ La Bible du Cœur de Jésus bénéficie du développement exégétique.
Le mystère du Cœur de Jésus bénéficie aujourd’hui de cet affinement de l’outil exégétique. Comme le présent volume, chacun des suivants débutera par la présentation d’un texte évangélique. Quand il est de saint Jean, cette présentation tiendra le plus grand compte des résultats auxquels a abouti l’exégèse récente. Elle privilégiera l’école de la rédaction (dite aussi : école rhétorique) : sans les ignorer pour autant, celle-ci relativise l’étude des sources du texte – pour l’instant du moins, trop entourées de mystère – et elle renonce donc à faire un tri – qui s’expose à être mal compris - entre un noyau déclaré primitif et des couches additionnelles. Quoi que ce ne soit généralement pas l’idée de l’exégète, son lecteur moyen comprend souvent à tort que le plus ancien est le plus valable. Or l’exégèse historico-critique bien comprise considère que sa tâche n’est pas achevée tant qu’elle n’a pas analysé le texte dans son état final (CBP 1993, 17). Ce ne sont pas en effet les hypothétiques ébauches rédactionnelles, mais la version finale qui porte l’inspiration de l’Esprit Saint : la structure fait partie intégrante de cet état final.
Prenant la rédaction telle qu’elle se présente dans son état définitif, l’école de la rédaction établit le sens à partir de l’examen de la structure : la mise en lumière des anciens procédés de composition – très différents des nôtres - révèle alors l’homogénéité, parfois cachée, du texte actuel. Loin de dévaluer les meilleures interprétations classiques d’un épisode comme le transpercement de Jésus (Jn 19, 31-37), elle leur donne un fondement plus rigoureux dans l’intention même du rédacteur. Nous le verrons : la main de l’epistethios (litt. « celui-sur-la poitrine ») – le Disciple qui s’était penché vers le cœur du Maître (Jn 13, 23) – n’en devient ici que plus manifeste (Jn 21, 20 et 24).

9. @ ‘Alma, un mot hébreu « ouvert » :
La nuance du grec « parthenos », vierge, pourrait avoir été une des nuances potentielles déjà enclose dans l’ambiguïté du substantif « ‘alma ». Colette Kessler, « Et voici : la ‘alma sera enceinte » (Is 7, 14), Réforme, 18 et 25.02.1995.

11. @ Des réalisations divines ultérieures qui manifestent mieux la portée d’un texte.
La CBP pensait peut-être à ces réalisations de l’époque apostolique qui ont mieux manifesté la portée de certains textes de l’Ancien Testament. Mais l’histoire de l’Eglise connaîtra aussi des « réalisations » qui éclaireront après coup la portée de certains textes du Nouveau Testament. C’est le cas de l’établissement d’un culte rendu au Sacré-Cœur.

12. @ L’exégète et le croyant.
L’opposition méthodologique du croyant et de l’exégète apparaît d’ailleurs en voie de résorption, car, de plus en plus, « l’Eglise compte sur des exégètes animés par le même Esprit qui a inspiré l’Ecriture » (CBP 1993, 35). Les conclusions de l’école herméneutique* confortent d’ailleurs l’exégèse catholique, l’incitant à pénétrer, au-delà du sens littéral, jusqu’au sens plénier des textes : même si une telle démarche implique une précompréhension* chrétienne, elle n’en est pas pour autant suspecte de partialité, mais « correspond à l’exigence d’affinité vitale entre l’interprète et son objet, affinité qui constitue une des conditions de possibilité de l’entreprise exégétique » (CBP 1993, 31. C’est le principe du cercle herméneutique cher à Ricoeur et aux exégètes du symbole. Cf. ci-dessus, ch. 2, 4.). Tout en se gardant d’attribuer à des textes bibliques un sens qui, sans lien au sens littéral*, serait exclusivement « le fruit d’un développement ultérieur de la Tradition », on peut considérer comme légitime « une précompréhension qui unit étroitement la culture moderne scientifique et la tradition religieuse provenant d’Israël et de la communauté chrétienne primitive » (CBP 1993, 31). Nous aurons donc, pour notre part, à manifester que le mystère du Cœur de Jésus relève aujourd’hui de ce type de compréhension.

13. @ Pour une exégèse plus large :
La position de la CBP sera reprise par Jean-Paul II, Fides et ratio, 1998, § 55, 2 : « Il ne faut pas sous-estimer le danger inhérent à la volonté de faire découler la vérité de l’Ecriture Sainte de l’application d’une méthodologie unique, oubliant la nécessité d’une exégèse plus large qui permet d’accéder, avec toute l’Eglise, au sens plénier des textes. Ceux qui se consacrent à l’étude des saintes Ecritures doivent toujours avoir présent à l’esprit que les diverses méthodologies herméneutiques ont, elles aussi, à leur base une conception philosophique : il convient de l’examiner avec discernement avant de l’appliquer aux textes sacrés. » Notons cependant que CBP 1993, I, A, 4 invite à ne pas tomber dans « l’excès inverse » qui serait « un oubli de l’histoire, de la part d’une exégèse exclusivement synchronique ».

15. @ Jn 6, exemple de l’opération symbolique.
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18. @ La revalorisation philosophique de la « tradition ».
Cf. H.-G. GADAMER, Wahrheit und Methode, Tübingen, Mohr (Siebeck), 2e éd. 1965, 266 (trad. fr. : Vérité et Méthode, Paris, Seuil, 1976, 121). « Nous nous trouvons constamment au sein de traditions et cette immersion exclut toute attitude objectivante » (121). Sur le « pré-jugé », réévalué par Gadamer : « Dépasser le préjugé de l’Aufklärung à l’égard du pré-jugé, ce n’est rien d’autre que renoncer au rêve d’une science maîtrisant ses commencements ; c’est prendre acte de la finitude qui ‘domine non seulement notre être, mais également notre conscience historique’ » (A. M. PELLETIER, Lecture du Cantique des Cantiques, Rome, Analecta Biblica 121, 1989, 112. La proposition relative finale est empruntée à Wahrheit, 260. Tr. fr., 114).

20. @ L’expression « sola Scriptura » chez Luther.
Cf. F. Gaboriau, L’Écriture seule ?, Paris, FAC Éd., 1997. L’auteur montre que le sola scriptura ne se trouve pas textuellement chez Lüther. Il se trouve chez saint Thomas, mais à propos d’un texte précis (Jn 21, 24) avec le sens très circonscrit de rappeler que seuls les versets authentiques de l’Ecriture peuvent servir à appuyer de façon certaine l’argumentation du théologien : il n’y est pas question de nier la valeur de la Tradition.

21. @ Les textes d’Irénée redécouverts trop tard :
Déjà le pape Grégoire cherchait en vain les textes d’Irénée. C’est à Erasme que reviendra le mérite de publier ces textes redécouverts à la Renaissance : c’était trop tard. Le premier Luther n’avait pu bénéficier de leur lecture. A Vatican II, au contraire, Irénée fut l’un des deux Pères les plus cités.

22. @ Le chassé-croisé de l’expression conciliaire.
Certes, parce qu’inspirée, seule l’Ecriture est (au sens fort de ce verbe) la Parole de Dieu (DV 9) ; mais, la Tradition ne faisant que retransmettre l’Ecriture, est, elle aussi pour sa part, pure « transmission (transmittit) » (DV 9) de cette même Parole. Inversement, si cette Tradition n’est rien d’autre que le dialogue séculaire de l’Epoux et de l’Epouse, la Bible est cette même « prise de parole divine » (locutio Dei), mais sous la forme écrite que lui a donnée l’Esprit (DV 9). La Tradition vivante est pure relation à la parole de l’Ecriture; l’Ecriture demeure l’âme du colloque vivant de la Tradition. Tradition comme Parole de Dieu, Ecriture comme colloque vivant : le chassé-croisé de l’expression conciliaire est délibéré.

24. @ L’école ésotérique chrétienne de Paray-le-Monial.
Sur l’histoire du Hiéron : P. LEQUET, « Le Hiéron du Val d’Or et l’ésotérisme chrétien autour de Paray-le –Monial », Politica hermetica, 1998, n° 12, 79-100 ;
Sur la biographie de Sarachaga : [J.-P. CHANTIN], Les marges du christianisme, Paris, Beauchesne, 2001, art. SARACHAGA (P. LEQUET).
Pour une courte présentation documentée de l’Ecole : J.-P. LAURANT, L’ésotérisme chrétien en France au XIXe siècle, Lausanne, L’Age d’homme, 1992, 129-132.
Né en 1893 de l’initiative généreuse du baron basque Alexis de Sarachaga, le Musée eucharistique du Hiéron s’inscrit dans le puissant mouvement liturgique – aujourd’hui quelque peu amorti - qui, par delà la consécration du monde au Cœur de Jésus (1899), allait aboutir à l’introduction d’une fête du Christ, Roi des nations et Seigneur de l’univers (1925). Le projet du musée se voulait grandiose : démontrer que, dès l’origine, toute l’histoire de l’humanité avait tendu, comme à son insu, vers l’instauration de ce règne spirituel du Christ sur les nations. Or, selon la logique partiale du fondateur, il était tout à fait essentiel que la cité du Cœur de Jésus apparaisse comme le « centre » de cette universelle récapitulation de l’histoire. La roche préhistorique de Solutré se trouve assez proche de Paray. Bien avant le président Mitterrand, le baroque baron avait cru y discerner un lieu tellurique. Des fouilles furent organisées et l’imagination fertile de notre homme s’échauffa : par un mystérieux dessein de la Providence, le site de Paray-le-Monial – ou plus exactement son lieu-dit « Romay » – n’aurait-il pas correspondu à un centre celtique où les druides se seraient transmis, chaque année, le secret de la « révélation adamique » ? Le baron, qui était un scientifique et un esprit cultivé, n’ignorait évidemment pas Jules César : « Chaque année à date fixe ils tiennent leurs assises en un lieu consacré, dans le pays des Carnutes, qui passe pour occuper le centre de la Gaule » (Guerre des Gaules, VI, 13). Qu’il se soit agi de la transmission primordiale constitue la lecture ésotérique d’un texte historique. La notion symbolique d’un « centre du monde » est évidemment sous-jacente à une telle lecture. A noter que César voyait dans la métempsycose « le point essentiel » de l’enseignement de ces druides celtiques (Id., 14).
L’entourage du baron le prédisposait à de semblables affabulations : ne vient-on pas de découvrir que le concept New Age de l’ « ère du verseau » avait été créé, dès 1900, par l’une de ses proches collaboratrices, Me Bessonnet-Favre (alias : Francis André) ? Cf. Evelyne LATOUR, « L’ère du Verseau », Politica hermetica, 1998, n° 12, 205-240. Un proche du Hiéron devait un peu plus tard développer l’idée : Paul LE COUR, L’ère du verseau (1937), rééd. Croissy-Beaubourg, Dervy, 1991. Marilyn FERGUSON, The aquarian conspiracy. Trad. fr. Les enfants du verseau, Paris, Calmann-Lévy, 1981, n’a pas rendu leur dû à ses prédécesseurs méconnus.
Il semblerait également que l’invraisemblable Da Vinci code ait une dette envers le Hiéron. Panchard de Saint-Clair, le mystificateur dont s’inspire le best-seller de Dan Brown, aurait emprunté plusieurs traits de son mythique Prieuré de Sion à l’école du Hiéron.
Voir aussi : S. SALZANI, P.L. ZOCCATELLI, Hermétisme et emblématique du Christ dans la vie et l’œuvre de L. Charbonneau-Lassay, Paris, Archè Edidit, 1996.

29. @ Philosophie ésotérique et relativisme religieux.
- La Philosophie Esotérique concilie-t-elle toutes les religions ? Au niveau de l’éthique, certainement pas en ce qui concerne l’Eglise d’Orient et d’Occident, si manifestement en rupture avec la permissivité d’un certain nombre d’entre elles sur des points vitaux.
- Le statut des religions pour R. Guénon. Pour Guénon également, la religion se situe au plan du « vêtement » (on pourrait presque dire du « déguisement », puisque le pratiquant n’en est pas lui-même conscient)
- Selon le Cardinal J. Ratzinger, le relativisme constituait aujourd’hui l’alternative qui a succédé à la chute des idéologies totalitaires. (conférence de mai 1996 à Guadalajara, trad. fr. : DC 1997, 29-37).
- « il serait clairement contraire à la foi catholique de considérer l’Eglise comme un chemin de salut parmi d’autres. Les autres religions seraient complémentaires à l’Eglise, lui seraient même substantiellement équivalentes, bien que convergeant avec elle vers le Royaume eschatologique de Dieu » REF. A sigler : (CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration Dominus Jésus sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Eglise, 2000, 21).

30. @ Conversion ou non-conversion de René Guénon à l’Islam ?
En tout cas, il n’a pas suivi le chemin « exotérique » qu’il préconisait pour un occidental. Apprécié d’Anizan, ce « Descartes de l’ésotérisme » (ainsi surnommé vu sa clarté d’esprit) appartint deux ans au groupe du Hiéron de Paray pour lequel il rédigea d’assez bons articles sur le symbolisme du cœur. Des notes inédites de lui semblent rejeter la responsabilité de sa rupture sur l’Eglise catholique. Certains guénoniens tentent aujourd’hui de dissocier le concept de Tradition de celui du magistère actuel de l’Eglise (selon eux, son rejet de l’ésotérisme ne manifesterait pas une lucidité, mais une étroitesse).

31. @ Pour une meilleure distinction entre la vie spirituelle authentique et le parapsychique.
R. GUENON, L’erreur spirite, Paris, Editions traditionnelles, 1991.

34. @ La distinction guénonienne entre salut de l’individu et délivrance de l’âme ne semble pas rendre justice à l’expérience mystique chrétienne.
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35. @ Le mythe de l’ « Agartha » :
René GUENON, Le roi du monde, Gallimard, 1958, notamment 7-8, 14, 38, 68, 71, 96. Sur ce mythe guénonien, voir J.P. LAURANT, L’ésotérisme chrétien en France au XIXe siècle, Lausanne, L’Age d’homme, 1992, 32 : « Le système synthétique ésotérisant de Saint-Yves d’Alveydre (1824-1909) auquel Guénon s’est référé dans Le roi du monde mettait en avant l’existence d’un centre caché de gouvernement du monde : l’Agartha et énonçait les principes d’une organisation mondiale harmonieuse : « synarchie sans énigme » selon la belle expression de Jean Saunier mais qui n’en fut pas moins à l’origine de l’extraordinaire développement du mythe du complot synarchique à la veille de la Seconde Guerre mondiale et sous le gouvernement de Vichy. »

36. @ Tradition primitive et Tradition apostolique.
La figure d’une « tradition primitive » s’en distingue, en ce qu’elle constitue plutôt un simple « héritage originel ». Le Concile Vatican II admettait certes une « manifestation (Semetipsum manifestavit, DV 3) » primordiale de Dieu, - sur la nature et la transmission de laquelle il ne s’est d’ailleurs pas davantage expliqué. (Les actes du concile et ses commentaires permettent cependant de fixer assez précisément les limites de l’affirmation. Cf. [Collectif], La révélation divine, Paris, Cerf, 1968, t. 1, 206-207) Mais faut-il lier strictement à une telle manifestation originaire du divin le caractère universel des grands symboles religieux, comme le voudrait l’ ésotérisme ? Ainsi le guénonien Patrick GEAY (Hermès trahi, Paris, Dervy 1996, 17 et sv.). Il était peut-être bon de récuser un certain immanentisme dans la conception jungienne d’un « inconscient collectif ». Mais, pour mieux exalter la tradition primitive, fallait-il refuser à notre imaginaire toute activité au point de dévaluer la réalité d’une « opération symbolique » de la part du sujet humain ? En tout état de cause, il est à jamais impossible de démêler ce qui conserverait la trace d’authentiques « hiérophanies », c’est-à-dire de manifestations de la divinité à l’aube de l’humanité, et ce qui tient tout simplement aux structures génériques de notre imaginaire, tel qu’il fonctionne lorsqu’il est mis en présence du réel cosmique. Ces structures sont elles-mêmes partiellement héritées par chaque individu de l’espèce humaine. A défaut de témoigner d’une tradition primitive formelle, elles manifestent qu’il y a bien héritage originel.

« La connaissance des bases archétypiques universelles considérées en elles-mêmes m’a incité à regarder ce qui existe partout et toujours et ce qui appartient à tous (quod semper, quod ubique, quod ab omnibus creditum est) comme un fait psychologique dont la portée s’étend fort loin au-delà du cadre de la religion chrétienne et à l’étudier comme un simple objet de science, comme un phénomène, sans tenir compte de la signification ‘métaphysique’ qu’on peut reconnaître à un tel phénomène » disait Jung (C.G. Jung, Symbolik des Geistes, Zürich, 1948, p. 144).
C’est justement l’ouverture à cette dimension métaphysique de l’expérience humaine qui peut nous donner une vision plus large et plus juste de l’interprétation du fait religieux.
En distinguant dans la condition humaine le « transcendantal » et le « catégorial », l’aspect transcendantal et l’aspect catégorial de la Révélation divine ; en envisageant l’être humain comme ouvert par nature au transcendant (donc aux questions métaphysiques) et en contact par grâce avec l’horizon surnaturel, Karl Rahner propose une vision qui articule bien la profondeur (envisagée par Jung) et la hauteur du symbole.
Voici quelques extraits de la façon dont il évoque la question de la « Révélation primitive » dans son Traité fondamental de la foi, Paris, Le Centurion, 1983, p. 189-191 :
« Les récits des premiers chapitres de la Genèse portant sur le commencement de l’histoire de l’humanité ne sont certes pas à comprendre comme un ‘reportage’ transmis, depuis le commencement et tout au long des générations sur les événements de l’histoire primitive, pas plus que comme un reportage que, pour ainsi dire, Dieu aurait fourni, en tant que coacteur de l’histoire primitive, mais comme une étiologie (1) qui, à partir de l’expérience surnaturellement transcendantale du présent, conclut rétrospectivement à ce qui a dû se trouver au commencement en fait de fondement historique de cette expérience du présent. La présentation de ce commencement conclu rétrospectivement opère par suite, étant sauves la vérité et l’historicité primitive de ce qui est conclu, en usant d’un matériau de présentation et de représentation tiré du présent de ces peuples et de ces homes qui, directement ou indirectement, ont contribué à cette formation et à cette configuration des récits de la Genèse.
Etant donné qu’une telle étiologie, à quelque degré et sous quelque forme que ce soit, advient toujours et partout, dans l’homme historique, par anamnèse, et que pour cette raison l’étiologie d’un homme dépend toujours et indubitablement, pour le meilleur et pour le pire, de l’étiologie du monde ambiant, et du monde d’avant, la proposition selon laquelle l’homme atteint son commencement étiologiquement ne signifie pas que soit contestée la proposition selon laquelle la connaissance de ce commencement lui échoit par tradition et la Révélation primitive. Mais on peut l’entendre en ce sens : une telle tradition peut et doit se présenter sous les formes les plus variées sans être pour autant une formation mythologique simplement fantastique, en un sens négatif, et sans cesser, jusque sous les représentations mythologiques les plus étranges, d’être une objectivation plus ou moins accomplie de l’expérience transcendantale de la Révélation » (190-191).
"Savoir si et dans quelle mesure a existé une tradition historique de la Révélation catégoriale primitive, et cela dans la parole humaine explicite, c'est là une autre question, étant donné qu'une telle tradition, sans doute, ne se montre pas de façon primaire dans des comptes rendus narratifs portant sur l'origine historique de l'homme dans sa concrétude, mais plutôt dans la maintenance de l'expérience transcendantale de Dieu et de l'expérience qui concerne l'être-conditionné par la faute de la situation historique" (p. 190).

40. @ Acte de lecture et pluralité du sens :
Cf. D. BANON, La lecture infinie. Les voies de l’interprétation midrashique, Paris, Seuil, 1987. A.-M. PELLETIER, Lectures du Cantique des cantiques. De l’énigme du sens aux figures du lecteur, Rome, 1989, Ed. Istituto Biblico, Analecta biblica 121. P.C. BORI, L’interprétation infinie. L’herméneutique chrétienne ancienne et ses transformations (trad. fr. Paris, Cerf, 1991). [ACFEB], Les nouvelles voies de l’exégèse. En lisant le Cantique des cantiques, Paris, Cerf, 2002.




NOTE :

(1) L'étiologie, du grec aitia, cause, "indique un événement antérieur comme fondement ou cause d'une situation ou d'un événement rencontrés dans le domaine de l'existence humaine". L'étiologie est "historique" lorsqu'elle prétend atteindre "réellement, d'une façon plausible et justifiée, une cause historique (même si celle-ci est exprimée éventuellement sous une forme imagée), et ceci à partir d'une situation actuelle, qui sera elle-même mieux comprise du fait que son origine est élucidée" (K. RAHNER, Petit dictionnaire de Théologie catholique, article "étiologie", p. 173-174.)




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