La Bible du Coeur de Jésus

Edouard Glotin

Presses de la Renaissance


Notes et Annexes

Introduction

Annexes
Haurietis Aquas
Le Coeur de Jésus et le Shabbat juif
Benoît XVI : Lettre au R.P. Kolvenbach (50° anniv. d'HA)
Benoît XVI : Message de Carême 2007

Commentaires
des illustrations

Fig. 1 à 11
Fig. 12 à 19
Fig. 20 à 29
Fig. 30 à 39
Fig. 40 à 49
Fig. 50 à 59
Fig. 60 à 69
Fig. 70 à 83

Notes
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
• Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12

Liste des sigles
Notes du chapitre 5

1. @ Le Mystère chez saint Paul.
Principales références, outre le grand texte d’Ep 3 : 1Co 2, 7 ; Rm 16, 25-26 ; Col 1, 26-27 et 2, 2 ; Ep 1, 9-10 ; Col 4, 3 ; Ep 6, 19 ; I Tim 3, 9 et 16 ; Ep 5, 32.
Cf. Vocabulaire de Théologie Biblique, art. « mystère » ; J. N. ALETTI, Saint Paul, Epître aux Ephésiens, Gabalda, 2001, aux références de l’épître où le mot apparaît.

Dans le langage de Saint Paul, le terme de ‘mystère’ (que la Vulgate latine transcrit mysterium ou traduit sacramentum) désigne, en général (1), la communication que Dieu nous fait de Lui-même pour nous sauver : donc non pas seulement ce que Dieu est en Lui-même (théologie, au sens de l’antiquité), mais sa Volonté et son Œuvre (économie, au sens de Saint Paul et de l’antiquité patristique), sa Parole et son Action, son intervention suprême dans notre histoire d’hommes en la personne de Jésus Christ, et jusqu’à la Fin dans son Eglise.
Pour expliquer un peu cette définition générale, on peut dire que Mystère veut dire :
La volonté divine du Salut, à savoir le Salut des hommes décidé de toute éternité dans la volonté de Dieu :
Volonté d’abord demeurée cachée, dessein d’abord tenu secret, d’où précisément cette désignation de mystère ;
Qui a commencé de se réaliser et de se révéler par l’action et la parole de Dieu, sous forme de préparations, d’annonces et de figures, dans toute l’histoire du Peuple de Dieu sous l’ancienne Alliance ;
Qui aujourd’hui est réalisée en Jésus Christ,
Et qui sera pleinement achevée à la fin des temps.

Jésus, le Christ ou Messie, est Lui-même celui qui a réalisé cette volonté divine par sa venue dans la chair, sa Croix, sa Résurrection et la Pentecôte,
Et qui par là même l’a révélée pleinement dans sa vie et sa parole.
Jésus est donc en sa Personne, son unique Personne de Fils éternel du Père, la totalité du ‘Mystère’ : Il est ‘le grand Sacrement’ (2).
Ce riche contenu de l’idée de mystère, contenu ‘actif’, ‘synthétique et dynamique’ (3), et l’identification du Mystère lui-même au Christ en Personne, ne doivent nullement nous étonner.
Car la Tradition biblique avait déjà clairement préparé la voie à cette théologie paulinienne. Déjà dans l’Ancien Testament, ce terme de mystère désigne fondamentalement tout ce qui, dans les événements de l’histoire du Peuple de Dieu rassemblé comme tel, a valeur de signe du Mystère invisible de Dieu et de l’Economie et constitue déjà une certaine réalisation actuelle du Dessein du Salut.
Ce qui est ainsi révélé, c’est donc l’Etre même de Dieu, en lui-même absolument inaccessible, mais, en même temps, sa volonté, son action, sa parole de révélation. Tout en étant révélé, ce mystère de Dieu et de son œuvre de Salut demeure dans une obscurité où la lumière n’est donnée qu’aux ‘humbles’, aux ‘doux’, aux ‘pauvres’ (4).
En définitive, le mystère est donc tout signe qui révèle et fait connaître ce qui était caché, mais en faisant appel à la démarche active de la foi qui cherche avec amour, de sorte qu’il faut l’illumination de la foi, pour saisir le signe lui-même et sa signification.

(Cette présentation est extraite du cours aux séminaristes de Paray non publié du père H. Faure).

2. @ Haurietis Aquas : une démarche symboliste.
Deux ans après la parution de HA, son rédacteur allemand soulignait cependant l’originalité de la démarche adoptée en 1956. Le Cardinal Bea, recteur du Biblique et rédacteur de la partie scripturaire de l’encyclique, exprime ce point de vue dans l’introduction de Cor Jesu, le commentaire officieux de 1958 patronné par les jésuites de l’Apostolat de la Prière (p. XIII-XIV).
Parce qu’il s’agissait du culte à rendre au Cœur du Seigneur, on avait voulu lier, dès le départ (HA 12), l’exposé de ce Mystère à la médiation symbolique. Et ceci de deux points de vue.
Si on insistait davantage sur la nature physique de l’organe, celle-ci renvoyait immédiatement à la Personne du Christ : ce cœur étant « uni hypostatiquement* à la personne du Verbe divin » méritait « le même culte d’adoration que celui rendu par l’Eglise à la Personne même du Fils de Dieu fait homme ».
Pourtant la priorité devait plutôt être donnée à la relation de signification qui lie le cœur au mystère représenté. Dès l’aube du siècle, l’Eglise avait rappelé ce point de vue, déjà consacré par sa Tradition vivante : « Nous trouvons dans le Sacré-Cœur - écrivait, en 1899, Léon XIII - le symbole et l’image exacte de l’infinie charité de Jésus-Christ, qui nous pousse à y répondre par notre propre amour» (LEON XIII, Annum Sacrum, Acta Leonis, vol. XIX, 1900, p. 76 ; LEON XIII, Lettres apostoliques, T 6, Paris, Bayard, 31.). Si le Cœur du Rédempteur réclame un culte particulier, concluait donc en 1956 Pie XII, c’est que « plus que tous les autres organes de son corps, il est l’indicateur et le symbole naturels de son immense charité envers l’humanité ».

3. @ La plénitude prophétique des temps apostoliques.
Cette plénitude n’est en fait advenue qu’avec Paul, à partir de son extase du Temple (Ac 22, 17-21).

4. @ Manifestation de Dieu à l’homme avant et après la chute.
« Dieu, qui crée (Jn 1, 3) et conserve toutes choses par le Verbe, donne aux hommes dans les choses créées un témoignage incessant sur lui-même (Rm 1, 19-20) ; voulant de plus ouvrir la voie d’un salut supérieur, il se manifesta aussi lui-même, dès l’origine (ab initio), à nos premiers parents. Après leur chute, par la promesse d’un rachat, il les releva dans l’espérance du salut (Gn 3, 15) ; il prit un soin constant du genre humain, pour donner la vie éternelle à tous ceux qui, par la fidélité dans le bien, recherchaient le salut (Rm 2, 6-7) » (DV 3).

5. @ Quatre étapes dans la révélation du Cœur de Jésus.
Tout en adoptant ce plan du Magistère, notre méthode sera plus complexe : se refusant à séparer Ecriture et Tradition, elle visera à montrer comment chacune de ces quatre étapes ne devient en fait véritablement signifiante d’un progrès dans la révélation du Cœur de Jésus que moyennant la relecture qu’en ont faite les siècles qui suivent le Christ. C’est à cette condition seulement que nous entrerons pleinement dans la dynamique de la découverte progressive du sens plénier de l’Ecriture, qui sous-tend, à travers l’histoire de l’Eglise et jusqu’à nos jours, le dévoilement ininterrompu du mystère du Cœur de Jésus.
Une telle lecture de l’histoire débordera donc celle de l’encyclique (5). Mais elle aura l’avantage de couper court à certaines interprétations restrictives du rapport du Cœur de Jésus à l’Ecriture, qui auraient pu être tentées de se réclamer de l’une ou l’autre expression de Pie XII.

6. @ L’Alliance et les Alliances.
A l’époque, il manquait évidemment cette notion de la multiplication des alliances qui apparaît au contraire si fondamentale dans l’exposé du Catéchisme. L’accent était mis sur l’Alliance du Sinaï, « scellée par des victimes pacifiques, dont Moïse promulgua, gravée sur les deux tables, la Loi fondamentale » (HA 14). Rien n’était évoqué de l’Alliance avec Abraham et encore moins de celles avec Adam et Noé. Même si nous allons montrer qu’il le déborde déjà, le texte de 1956 demeurait en effet encore prisonnier du schéma classique de la caducité de l’ancienne Alliance, au sein de laquelle aucune distinction n’était faite.
Le CEC insiste par contre sur « l’Alliance avec Noé d’après le déluge », qui, selon lui, « exprime le principe de l’Economie divine envers les nations, c’est-à-dire envers les hommes regroupés d’après leurs pays, chacun selon sa langue, et selon leurs clans » (CEC 56). C’est sans doute le premier document officiel de l’Eglise à déduire de cette définition la conséquence capitale que cette alliance « est en vigueur tant que dure le temps des nations, jusqu’à la proclamation universelle de l’Evangile » (CEC 58). A l’heure du pluralisme religieux, les fondements du mystère du Cœur dans cette alliance préhistorique seraient donc à cerner de près, - sur la base de l’intuition de Jean-Paul II que, « même dans le langage non-biblique », le mystère intérieur de l’homme s’exprime par le mot « cœur » (RH 8). Toutes provisoires qu’elles soient, les conclusions actuelles de la paléontologie inviteraient à commencer par l’étude de la signification du mot « cœur » dans les langues africaines (Voir Emmanuel ANATI, La religione delle origine, Edizioni del Centro, 1995 (trad. Fr : La religion des origines, Paris, Bayard, 1999).
De la même façon, la notion d’alliance avec Abraham devient fondamentale pour amorcer avec l’Islam un dialogue sur ce mystère du « cœur ». Depuis lors, le CEC, CBP 2001 a précisé le statut chrétien de l’élection d’Israël (notamment § 36) et de l’Alliance avec Abraham (notamment § 42).

7. @ Les nuances de HA dans la comparaison entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance.
Cf. HA 18 : « L’Alliance chrétienne apparaît clairement, beaucoup plus que l’ancienne comme un pacte inspiré non par des sentiments de crainte servile, mais par ces sentiments d’affection naturels entre père et enfants. » Selon HA 18, l’ancienne alliance est dans un rapport symbolique à la Nouvelle et dans Jérémie elle devient ainsi prophétie de la nouvelle.

8. @ L’Alliance dans CBP 2001, § 37-38.
Tout ce paragraphe repose sur le document de la CBP 2001 qui oppose l’Alliance du Sinaï (où la réciprocité est marquée, sans être pour autant la « base » de cette Alliance) et l’alliance avec Noé ou celle avec Abraham où le terme hébreu berith a un sens seulement analogique (dans les sous-titres, la CBP préfère dire ici « engagement » de Dieu. CBP 2001, § 37-38)

9. @ Miséricorde de Dieu faite au juif ou au païen.
La nuance est de Paul lui-même. Cf. Rm 15, 9. Cf. le commentaire de la CBP 2001, § 36. Voir l’étude classique de G. FESSARD, La dialectique des exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, Aubier, Paris, 1966.

10. @ Les visions médiévales des saintes bénédictines d’Helfta.
Celles-ci sont pleines de réminiscences d’anciennes images liturgiques, gravitant autour de celle du Temple juif : le Cœur de Jésus apparaissait à Mechtilde* ou Gertrude* tantôt comme un autel, tantôt comme un brûle-parfum, etc.. D’une grande justesse, la métaphore principale identifiait ce Cœur divin, centre du Temple de son corps (Jn 2, 20), au lieu le plus secret du sanctuaire de Jérusalem, - celui où résidait la présence invisible du Dieu unique parmi nous. Touchant la poitrine de Jésus, le Disciple qui y reposa durant la Cène sacrée la désignait en effet à sainte Gertrude en disant : « Voici le Saint des Saints qui attire à soi tous les biens célestes et terrestres» (Le Héraut, Mémorial des largesses de l’amour divin, L.4, c.4, 3 ; SC 255, p. 65.)

12. @ L’interprétation de Cantique des cantiques dans la Tradition juive et chrétienne.
« Tu m’as blessé le cœur » (Ct 4, 9). L’application médiévale de ce verset au Christ transpercé : Cf. DS, t. 13, article « Réparation », 378. CASSIODORE, Expositio in Cant. 4 : 9, PL 70, 1076 ; BEDE, In Cant. IV, PL 91, 1139-1140 ; Pseudo-GREGOIRE, In Cantic. Expositio 4, 12, PL 79, 512.
Quant à l’invitation à mettre l’autre « comme un sceau sur le cœur, comme un sceau sur le bras » (Ct 8, 6), on débat encore aujourd’hui pour savoir si elle s’adresse bien, conformément à la tradition juive (6), à l’Epoux. Mais que l’application mystique se fasse au cœur du Christ ou à celui de l’Epouse – à celui de Marie, par exemple -, la corrélation du « cœur » et du « bras », de l’intérieur et de l’extérieur, n’en demeure pas moins typique d’une « géographie symbolique » où un chiffre mystérieux pourrait bien coder chacun des « lieux » physiques de leur anatomie (7), métaphoriquement détaillée par les deux amants (+ Ct 8, 5 : epistêthizomene ? Appuyée sur la poitrine, c’est-à-dire sur le cœur de son Bien-Aimé ? Ne pourrait-on faire le lien à l’epistêthios ?).

13. @ Une représentation symbolique de la Nouvelle Alliance (HA 17).
Le regard du pape s’élargissait aussitôt à l’humanité entière. A la dynamique d’accomplissement se substituait alors une vision contrastée, où l’unique symbole du Feu cédait la place à ceux du Désert et de l’Eau, l’un à l’autre opposés : seul le Verbe fait chair, « plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14.), pouvait conjoindre à sa divine Personne la nature humaine, faisant ainsi jaillir, du sein même de notre terre aride, la « source d’eau vive » qui allait en faire un jardin de fleurs et de fruits.

14. @ HA 13. Pas de mention certaine du culte du Cœur de Jésus dans l’Ecriture.
L’adjectif est malencontreusement omis par la traduction officieuse de la Polyglotte. Or le texte nie seulement une « certitude » dont on pourrait déduire une preuve, car seul le sens littéral de l’Ecriture peut servir de base sûre à l’argumentation théologique (Cf. S. THOMAS D’AQUIN, ST 1,1,8 et 10).

15. @ L’expérience de sainte Marguerite-Marie, dans le prolongement de l’Ecriture.
Lorsque sainte Marguerite-Marie, par exemple, aura sa première vision du Cœur de Jésus (VO4, 2, 573 ; VO5, 2, 480), elle croira revivre la scène évangélique de l’apôtre Thomas mettant sa main dans la blessure faite au cœur du Ressuscité, car, se prosternant, elle s’écriera comme lui : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Le culte du Cœur de Jésus était en effet comme préfiguré par ce cri de Thomas qui « contient sans aucun doute une profession de foi, d’adoration et d’amour, qui s’élevait de la nature humaine blessée du Seigneur à la majesté de la Personne divine » (HA 50). A la lumière de l’expérience d’une Marguerite-Marie, il est loisible aujourd’hui de voir dans ce toucher évangélique de la plaie du cœur la figuration symbolique de toute expérience mystique où, des siècles plus tard, le Seigneur révélera son cœur à son Eglise. A s’en tenir à la lettre du texte de saint Jean (Jn 20, 25-27), il n’est cependant pas fait mention du « cœur » : voir dans cet événement pascal comme le premier acte d’adoration du Cœur de Jésus relève donc de ce « surplus de sens » que lui a légitimement octroyé la contemplation des croyants qui, comme Marguerite-Marie, devaient un jour y reconnaître ce qu’il leur était donné de vivre à leur tour.

16. @ La miséricorde rédemptrice dans HA 19-20 et 23.
L’encyclique invitait à aborder ce mystère de la Miséricorde rédemptrice dans un esprit contemplatif, les yeux fixés sur la croix du Christ (HA 19-20 et HA 23), de manière à percevoir qu’au sommet de l’acte rédempteur, il y a « l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance » (Ep 3, 17-19 ; Cf. HA 19). Théoriquement, Dieu pouvait pardonner à l’homme sans exiger de lui de réparation, mais une telle condescendance eût été humiliante. Au contraire, aux yeux du Père, le visage de l’homme est sorti grandi de l’épreuve de la croix que l’amour surabondant du Fils a librement consenti à souffrir au nom de ceux qu’ « il ne rougit pas de nommer ses frères » (He 2, 11. Cf. HA 23) : « Ce fut, conclura saint Thomas d’Aquin, le fait d’une plus grande Miséricorde que si Dieu avait remis les péchés sans réparation » (HA 20). (Cf. ST, IIa, q. 46, art. 1, ad tertium. Cf. IIIa, q. 48, art. 2. A la lumière de l’encyclique de Jean-Paul II Dives in misericordia, j’essaie de retraduire le sens profond de la dialectique thomiste de la justice et de la miséricorde à la lettre de laquelle s’en tenait HA 20)

20. @ Le Christ souffrant lu dans les psaumes et les prophètes.
Lus et priés à cette lumière, les Psaumes donnent expression à ce réalisme de l’affectivité du Christ. Rompant avec les timidités de saint Augustin* et de beaucoup d’autres Pères, le Moyen Age latin n’hésitera pas à mettre dans la bouche de Jésus certains versets où s’exprimait l’effroi du Juste souffrant. Il rejoindra ainsi l’apologétique de saint Justin*, qui, dès le milieu du 2e siècle, appliquait déjà aux réactions organiques de Jésus agonisant la plainte prophétique : « Mon cœur est devenu comme de la cire qui fond dans mes entrailles » (Ps 22 [21], 15) : à Gethsémani, « son cœur était comme de la cire fondante, qui se répandait dans ses entrailles, afin que nous sachions que le Père, à cause de nous, a voulu que son Fils souffre réellement de semblables douleurs et que nous ne disions pas que, fils de Dieu, il ne sentait pas ce qui lui advenait et survenait (Dialogue avec Tryphon 103, 7-8 ; PG 6, 718-719) ».
Cet accomplissement des anciennes prophéties dans le drame de Jésus de Nazareth ne fut possible que parce qu’à leur insu des croyants d’Israël prêtèrent à l’avance leur voix à celle du Messie, rejeté de son peuple. L’identification à l’Epoux divin trahi par son Epouse infidèle put aller jusqu’à une sorte de psychodrame, tel celui que le Dieu d’Israël fit vivre au prophète Osée*, « qui a senti les déchirures du cœur dans son foyer désuni et qui sentait en même temps non moins profondément dans son âme religieuse le déchirement de l’alliance entre Dieu et Israël. Sous la lumière de la révélation, ces deux expériences se fondent au point qu’on ne peut pas toujours distinguer dans ses paroles s’il exprime ses propres sentiments ou s’il chante l’amour divin. Le prophète n’a pas prêté à Dieu seulement sa bouche pour annoncer aux hommes le message divin ; c’est son cœur, avec ses joies et ses peines, qui exprime ce que ressent le Cœur de Dieu. […] C’est dans le cœur d’un homme de chair et de sang que nous lisons l’amour de Dieu : ‘Va, aime une femme aimée et adultère, comme Dieu aime Israël qui court après les idoles (cf. Os 1, 2 )’. […] Dieu souffre de notre péché comme un mari offensé. […] Il est blessé parce qu’il aime » (A. LEFEVRE, « Les révélations de l’amour de Dieu dans l’Ancien Testament » Christus (15), juillet 1957, 323).

21. @ Le visage du Christ et la pulsation de son Cœur.
Parce que « c’est surtout le visage de notre adorable Sauveur qui fut l’indicateur et comme le fidèle miroir de ses sentiments (HA 26) », la contemplation de l’Eglise a de tout temps ressenti un attrait particulier pour la sainte Face du Christ. Mais alors que Paul et l’Orient chrétien furent surtout sensibles au rayonnement de « la gloire qui est sur le visage du Christ » (2 Co 4, 6) ressuscité, l’Occident, mû par une sensibilité particulière à l’égard de l’Humanité de Jésus de Nazareth, s’est plutôt attardé aux diverses expressions qu’a revêtues ce visage tout au long de sa vie terrestre : Thérèse de l’Enfant Jésus et le XIXe siècle devaient être plus particulièrement bouleversés par les visions mystiques de la Face de l’ « homme des douleurs »; le pape Jean-Paul II n’hésitera pas, lui, à inviter toute l’Eglise à entrer dans le nouveau millénaire sous le rayonnement multiforme de ce Visage (NMI 16-28).
Mais, longtemps auparavant, les grandes visionnaires du Cœur de Jésus que furent Mechtilde (+1298) et Gertrude d’Helfta (+1302) avaient ressenti la pulsation de ce cœur divin. A plusieurs reprises, l’encyclique Haurietis Aquas reviendra donc, elle aussi, avec une insistance marquée, sur le réalisme de cette palpitation vitale du cœur du Christ, à laquelle elle invitait à se rendre spirituellement attentif. Et elle concluait : « Nous devons donc contempler amoureusement les battements de son Cœur Sacré qui ont comme mesuré la durée de son pèlerinage terrestre, jusqu'au moment suprême où, selon les témoignages des évangélistes, ‘criant d'une voix forte, Il dit : Tout est consommé et ayant incliné la tête, Il rendit l'esprit’ (Jn 19, 30). Alors les battements de son Cœur cessèrent et son amour sensible s'interrompit jusqu'à ce qu'Il ressuscitât du sépulcre, vainqueur de la mort. Mais depuis le moment où le corps glorifié du Rédempteur divin a été de nouveau uni à son âme, son Cœur très saint n'a plus cessé, ni ne cessera de battre son rythme régulier » (HA 28).

23. @ L’In-carna-tion comme une « in-corda-tio » Dei.
Guillaume d’Auvergne (+ 1249), cité sans référence (De causis cur Deus homo ?) par F. ANIZAN, Le Centre du plan divin, Paris, Lethielleux, 1925, 38.

25. @ La vie du Christ toute entière symbolique de la vie de Dieu, selon CEC 515-516.
Des langes de sa nativité (Lc 2, 7) jusqu’au vinaigre de sa passion (Mt 27, 48) et au suaire de sa Résurrection (Jn 20, 7), tout dans la vie de Jésus est signe de son mystère. A travers ses gestes, ses miracles, ses paroles, il a été révélé qu’ « en Lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité » (Col 2, 9). Son humanité apparaît ainsi comme le « sacrement », c’est-à-dire le signe et l’instrument de sa divinité et du salut qu’Il apporte : ce qu’il y avait de visible dans sa vie terrestre conduisit au mystère invisible de sa filiation divine et de sa mission rédemptrice.
Tout dans la vie du Christ est Révélation du Père : ses paroles et ses actes, ses silences et ses souffrances, sa manière d’être et de parler. Jésus peut dire : « Qui me voit, voit le Père » (Jn 14, 9), et le Père : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le » (Lc 9, 35). Notre Seigneur s’étant fait homme pour accomplir la volonté du Père, les moindres traits de ses mystères nous manifestent « l’amour de Dieu pour nous » (1 Jn 4, 9).

28. @ Les larmes de Jésus.
Il est permis de déplorer l’absence, dans ce chapitre 32 de l’encyclique (mais cf. HA 25), de toute allusion aux larmes de Jésus, qu’il eût été pourtant facile d’évoquer, avec saint Luc (Lc 19, 41), à propos de Jérusalem. On se prend à rêver d’une future encyclique gravitant, à la manière de Jean-Paul II, autour de l’épisode de Lazare. Au cœur (cf. le plan de G. MLAKUZHYIL dans The christocentric literary structure of the fourth gospel, Roma, Editrice Pontificio Istituto Biblico, 1987, p.181. Selon l’auteur, Jn 11 est un chapitre charnière, ‘the bridge section’, qui fait le lien dans Jean entre le « livre des signes » et le « livre de l’heure ») du quatrième évangile (Jn 11), cette scène constitue en effet la plus bouleversante révélation du « cœur affectif » de Jésus. Le verbe aimer y fait une entrée remarquée dans la langue de saint Jean et sous sa forme philein (Jn 11, 3 : « Seigneur, celui que tu chéris est malade ») et sous sa forme agapan (Jn 11, 5 : « Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare »). Et les pleurs de Jésus (Jn 11, 35) sont ici explicitement interprétés comme la révélation du « cœur affectif » de Jésus : « Voici comme il le chérissait », s’exclament les Juifs eux-mêmes (Jn 11, 36).

29. @ La participation physique du cœur aux sentiments de l’âme selon HA.
“Les affections divines et humaines que le Coeur de Notre sauveur Jésus-Christ a éprouvées en participant à notre vie mortelle” (participando rettulit) : HA 29 ; “il vibrait encore d’un amour en parfaite harmonie avec les affections de sa volonté humaine et de son amour divin…” (commovebatur) : HA 30 ; “Le Coeur de Jésus était ému d’une charité plus empressée encore…” (permovebatur) : HA 31 ; “son Coeur fut ému lorsqu’il pressentit l’heure imminente de la Passion” (commotum) : HA 32.
Le battement précoce du Cœur de Jésus : Au risque de déconcerter le lecteur d’aujourd’hui, il y est même question d’une « pulsation d’amour » (HA 30) de ce cœur à l’instant de l’Incarnation, - ce qui veut dire que notre science occidentale doit avoir l’humilité de s’arrêter au seuil d’énigmes, dont, plus loin, nous aurons à demander la clef à nos grands penseurs contemplatifs du Moyen Age.

31. @ Une phrase d’Origène.
« Nul ne peut le comprendre à moins de s’être penché sur le cœur de Jésus » (8). A strictement parler, stêthos désigne la poitrine, mais ici, comme en Jn 13, 25, elle n’est nommée qu’en tant qu’elle symbolise le lieu du « cœur », au sens biblique (et non affectif) du mot.

36. @ « Celui-là le sait, il parle de choses vraies » (Jn 19, 35).
Celui là désigne le Christ. C’est en particulier l’option du lectionnaire liturgique : « le Seigneur sait qu’il dit vrai » ; « celui-là » (BJ) ; « Celui-là désigne Jésus… mais on peut l’interpréter encore du Père… ou simplement du témoin » (Osty) ; « Celui-là… il s’agit sans doute du Christ Glorieux » (TOB). En sens contraire : « Cet homme là sait qu’il dit vrai » (E. DELEBECQUE, Evangile de Jean, Paris, Gabalda, 1987).
L’hypothèse structurale de Simoens tente de justifier la timidité de Brown, Schnackenburg, Léon-Dufour. Y. SIMOENS, Selon Jean, T. 3, Bruxelles, Editions de l’IET, 1997, p. 857-858.

37. @ Jn 19, 35 et Jn 20, 31 : deux apartés.
Ce caractère d’aparté apparente (je veux dire en tant que comme dans une lettre la phrase s’adresse au lecteur) Jn 19, 35 s’apparente au style de la 1ère Lettre de Jean, où précisément ekeinos désigne généralement Jésus. Les exégètes développent souvent une série d’arguments pour ou contre, sans mettre en relief le fait le plus topique.
On est d’autre part étonné que les commentaires de l’évangile ne fassent pas remarquer comment ces deux apartés suivent les deux révélations successives du signe du Transpercé : pour le premier aparté, c’est clair ; pour le second, remarque-t-on assez que Jn 20, 31 ne fait qu’expliciter le sens de la confession de Thomas devant le Transpercé : « Mon Seigneur et mon Dieu ! », témoignant que c’est ce signe ultime qui donne leur sens à tous ceux qui précèdent ?

38. @ L’évangile de Jean, œuvre personnelle du disciple.
Ce qui veut dire : y compris le chapitre 21 (à la différence peut-être de l’épisode de la femme adultère qui n’est pas attesté par les plus anciens témoins du texte : son insertion en Jn 8, 3-11 pourrait être rédactionnelle (9)). Il faut nous méfier de nos habitudes modernes de composition : plutôt que d’une première « conclusion » (Jn 20, 30-31) et d’une seconde « conclusion » (Jn 21, 25), le style n’invite-t-il pas à parler d’« aparté » (le 2e du genre après Jn 19, 35) et de « post-scriptum » (Jn 21, 25) ? Cf. Certaines finales de lettres de Paul (par exemple : 1 Co, 21-23 ; Col 4, 18 ; 2 Th 3, 17 ; 2 Tm, 4, 19-22). C’est le seul verset où l’auteur dit « je » (grec : oimai). (Contestation de ce point de vue par E. DELEBECQUE, « La mission de Pierre et celle de Jean : note philologique sur Jean 21, Biblica 67 (1986), p. 335-342). Mais les différences de style sont elles toujours aussi décisives qu’on veut bien le dire, étant donné l’intervention de secrétaires dans la rédaction de l’évangile et de son chap. 21.
Le quatrième évangile offre aussi cet avantage qu’il porte, indélébile, la signature de l’unique rédacteur : je suis, témoigne-t-il anonymement, l’épisthetios (littéralement : le penché-sur-le-Cœur. Jn 21, 20), - le Disciple entre les disciples, celui dont l’invisible présence doit, sous le voile de l’écrit, « demeurer » parmi vous jusqu’au retour de notre Maître, selon la parole énigmatique de celui-ci à Pierre. Cf. Interprétation de la Potterie. Plus simplement Jean explique ici sa longévité, voir ch. 7 @ L’identité du Disciple Bien-Aimé.
Entre une signature symboliste (Jn 21-23. « Symboliste » en raison des connotations voulues par l’évangéliste lui-même et que les Pères grecs saisiront bien) et un bref post-scriptum (Jn 21, 25), Jn 21, 24 apparaît comme le certificat d’authenticité délivré par sa communauté.
Pour le chapitre 21, on objecte des tournures grecques qu’on ne rencontre pas dans les chapitres précédents (M.E. BOISMARD, « Le chapitre XXI de saint Jean. Essai de critique littéraire », Revue Biblique, 1947, 501 : « Le chapitre XXI de l’évangile de Jean n’a pas été écrit par Jean lui-même, mais par un rédacteur anonyme, certainement disciple de Jean, qui s’est inspiré des propres récits et du style johanniques. L’identité de cet auteur demeure mystérieuse, malgré certains rapprochements curieux entre son style et celui de Luc ».). Mais rien ne dit que Jean a dicté en grec : ces différences de style s’expliqueraient alors, si son habituel traducteur lui ayant fait défaut pour la fin du texte, il avait eu recours à un autre traducteur (plusieurs des tournures incriminées ressemblent en effet à de simples options de traduction : vg. choix d’un mot inhabituel pour rendre un concept familier, lui, à Jean). De l’aveu général (même de ceux qui n’admettent pas l’unité d’auteur), la marque de saint Jean sur le chapitre reste en effet impressionnante.

39. @ L’évangile de Jean à la lumière de l’école rhétorique.
En ce sens, quel crédit peut-on accorder aux méthodes de l’école de la rédaction (ou école rhétorique), c’est-à-dire de celles qui - se basant précisément sur l’état final du texte, tel que nous l’avons entre les mains - tentent de détecter la charpente invisible d’un monument littéraire dont on a postulé au départ l’unité ? Le scrupuleux respect de la « lettre* » dont témoignent les plus récents essais de ce genre nous a incité à leur accorder une extrême attention et l’analyse serrée que nous allons tenter du verset de Jn 19, 34 leur doit beaucoup. Leur ingéniosité est d’autant plus crédible qu’ils avouent modestement eux-mêmes ne présenter qu’ « une interprétation », dont, en véritables hommes de science, il savent bien qu’elle restera indéfiniment falsifiable, c’est-à-dire que, de leur aveu même, elle ne représente qu’une étape de la recherche - certes marquante mais provisoire - dont la communauté scientifique mettra du temps à valider les résultats. Et, de toute manière, chaque lecteur de la Bible peut se rassurer : le « sens » d’un texte – surtout lorsqu’il est directement inspiré par l’Esprit - ne relève qu’indirectement de son hypothétique « structure ». Le sens est en effet à la structure ce que l’âme est au corps : conditionnée par lui, l’âme n’en résulte pas ; mais le sens filtre pourtant à travers la structure, tout comme l’âme transparaît au travers du corps.
La remarque vaut particulièrement de l’ « évangile spirituel », c’est-à-dire de celui dont le sens spirituel constitue le vrai sens littéral : polyphonique, il réveille, à l’infini, des cascades d’échos au travers des multiples couches tectoniques du « cœur »; « polycentré », il ressemble, comme ce qui est divin, à un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Origène a dit en clair ce qu’on pouvait déjà lire entre les lignes mêmes de Jean : le lecteur de l’epistêthios n’atteindra la vraie source du « sens » qu’au fond du puits, c’est-à-dire en s’incurvant lui-même vers ce « lieu du cœur » qui, en l’occurrence, n’est autre que le Cœur même du Verbe incarné (10).

40. @ L’intuition d’Origène confirmée par les méthodes de la structure ?
A charge pour les méthodes de la « structure* » d’en donner leur vérification savante : le vieux raccourci symboliste que nous allons emprunter ne faisait, en l’occurrence, qu’anticiper sur ce que la « lettre* » de saint Jean commence aujourd’hui à laisser filtrer au travers du subtil agencement de ses mots et de ses phrases.

41. @ Shabbath et Coeur de Jésus.

42. @ « Et il boira » (Jn 7, 37).
Pour la traduction par le futur, cf. G. BIENAIMÉ, « L’annonce des fleuves d’eau vive en Jean 7, 37-39 », Revue théologique de Louvain 21 (1990), 306-307 ; DBS, t. 13, article « sukkot », 69.

43. @ « Selon ce que déclara cette écriture » (Jn 7, 38).
Le passé simple insère la proposition dans la phrase du récit : il vaut donc mieux mettre la citation dans la bouche de Jean (comme une glose) que dans celle de Jésus. La Vulgate induit en erreur en rendant le verbe au présent.

44. @ Les divers courants exégétiques devant l’évangile de Jean.
A l’aube du nouveau millénaire, l’interprétation de saint Jean se trouve en fait écartelée entre deux tendances contradictoires.
Elle reste largement dominée, encore à ce jour, par la vague qui déferla sur les dernières décennies du siècle écoulé : à dominante philologique, l’exégèse allemande avait introduit dans les études bibliques une exigence de rigueur scientifique qui fut salutaire. Elle a donc obligé à scruter passionnément la « lettre » du texte, réclamant que toute option de traduction soit dûment argumentée dans les langues d’origine. Surfant sur cette vague, l’école rhétorique a mis au jour l’originalité des procédés de composition sémitique : par-delà les mots, on se rendait attentif à leur agencement dans des « structures » de plus en plus englobantes. La synthèse commençait à prendre le pas sur l’analyse, la totalité sur l’addition des parties. Malheureusement, l’interprétation biblique n’était pas encore libérée du postulat de l’univocité du sens littéral et, en réaction contre les méfaits séculaires de l’allégorisme, elle est restée jusqu’à nos jours massivement étrangère à l’expérience symbolique. L’interprétation du quatrième évangile est évidemment la première à se ressentir d’une telle carence. Xavier Léon-Dufour a lui-même dénoncé cette carence dans la préface de son commentaire (Lecture de l’évangile selon Jean, T.1, Paris, Seuil, 1988, 19-21 ; cf. XLD « Towards a symbolic reading of the fourth gospel », New Testament Studies, 1981, 439-456). Mais en a –t-il tiré lui-même toutes les conséquences ? Dans le détail de son commentaire, il se rallie ensuite parfois aux timidités des anglo-saxons (si peu symbolistes) dans l’interprétation ponctuelle de divers passages.
Voici donc l’exégèse dite « scientifique » sollicitée de s’ouvrir aux intuitions neuves de l’école herméneutique. Parce que la plume de l’évangéliste obéissait à la main d’un exceptionnel virtuose, l’impressionnant ensemble symphonique qu’il nous a légué ne consent à livrer son ultime secret qu’à l’oreille longuement exercée à déchiffrer la partition polyphonique du symbole. Origène et les Pères n’ignoraient pas que cet « évangile à double fond » cachait sous ses images - et même sous ses mots, en apparence, les plus innocents - un mystère qu’il s’agissait à chaque fois de percer. Mais, cette exégèse « au coup par coup » ayant révélé ses limites, l’interprétation symbolique du quatrième évangile doit recueillir à son tour la leçon de l’exégèse de la « structure » et chercher comment le sens des parties dérive de l’unité de la totalité. On ne peut s’empêcher de penser qu’une plus grande attention à cette unité de totalité aurait sans doute permis à des exégètes comme Schnackenburg, Léon-Dufour et même Brown de dépasser certaines de leurs timidités.
Partons de la distinction, établie plus haut (ch. 4), entre les deux niveaux de sens chez saint Jean : celui de surface tel qu’il avait déjà été accessible, du vivant de Jésus, aux interlocuteurs juifs ; celui de fond que seuls les chrétiens pouvaient comprendre, maintenant que le Seigneur était ressuscité. Si cette distinction est bien d’application universelle dans le quatrième évangile, alors le principe de totalité qui a présidé à sa composition a pour corollaire les deux règles herméneutiques suivantes : 1. On doit toujours présumer que les mots de saint Jean peuvent cacher autant de tiroirs à « double fond » ; 2. On ne peut établir quel sens symbolique précis revêt tel mot que par référence à l’intuition centrale d’où procède l’unité de la totalité. La seconde règle est d’application délicate. En revanche, la première est d’emblée libératrice pour l’interprète, car elle entraîne cette conséquence pratique : là où quelqu’un nie qu’il y ait effectivement « double fond », c’est à lui d’en faire le premier la preuve et non l’inverse.

45. @ L’introuvable citation de Jn 7, 38.
Malgré toute l’ingéniosité des exégètes, on n’a pu localiser la citation. Puisque nous savons que « de Bible [au sens moderne] il n’y avait pas », elle peut provenir de quelque version inconnue.

46. @ Les canaux de Siloé
Nous sommes à la fête des Tentes après le retour de la procession de la fontaine de Siloé dont dérivaient des canaux divers. L’une des hypothèses actuelles est que, dans la citation biblique, « koilia » référait au sous-sol de Jérusalem dont sortaient les canaux. Ce que l’original disait de la cité sainte, Jean l’aurait appliqué à Jésus et à son cœur en profitant de l’amphibologie du mot.

47. @ L’interprétation minimale de Jn 7, 37-39.
Par conséquent, il incombe à quiconque voudrait réduire le terme à son acception de surface de justifier, lui le premier, son refus de la connotation symbolique, car c’est lui, en l’occurrence, qui s’écarte du principe de totalité qui, partout et toujours, préside à l’écriture de saint Jean. La rigueur scientifique n’est pas automatiquement du côté de l’interprétation « minimale », selon laquelle la phrase ne signifierait guère plus que : « de Jésus » ou « de la personne de Jésus » – à la rigueur : « de l’intérieur de Jésus » – « couleront des fleuves d’eau vive ». Dans sa thèse de jeunesse, Joseph HEER, Der Durchbohrte, Roma, Herder, 1966, impressionné par ses compatriotes, s’en était timidement tenu à cette exégèse. Le maître Schnackenburg l’avait félicité de cette wissenschaftlich, réserve qui lui apparaissait méritoire de la part du membre d’un Institut voué au Cœur de Jésus.

48. @ La poitrine (stêthos). Cf. Jn 21, 20.
Dans la langue des LXX, le mot peut, comme dans l’ancienne poésie grecque, désigner le cœur. Le terme stêthos est employé par exemple dans la traduction grecque des LXX en Ex 28, 29 et 30 à propos d’Aaron qui porte sur sa poitrine le rational où sont gravés les noms des fils d’Israël. Ici, stêthos traduit l’hébreu lêb. Cf. La Bible d’Alexandrie, T. 2 : L’Exode, Paris, Cerf, 1989, p. 288, note.

49. @ Pourquoi Jean n’a-t-il pas employé le mot cœur ?
A mon avis, la signification qu’avait à l’époque le mot « cœur » constituait le grand obstacle culturel que rencontrait Jean. L’évitement du mot dans celui des quatre évangiles qui constitue pourtant le « terreau » natal de la spiritualité du Cœur de Jésus est flagrant : comment parler de ce Cœur du Maître a un peuple chez qui le mot avait avant tout des résonances intellectuelles (avivées par le contexte grec, comme on le voit chez Origène) ? Fort heureusement le sens symbolique de Jean lui permit de contourner la difficulté avec les mots grecs koilia et kolpos (ou s’il conçut en hébreu : me‘im et heiq) en utilisant leur connotation affective. Mais on restait en deçà d’une symbolisation focalisée sur le cœur physique, puisque ces deux mots renvoyaient à des régions corporelles mal circonscrites.
On pourrait imaginer le scénario suivant : Jean a bien eu le 8e jour après la résurrection (ou dans sa vision apocalyptique postérieure) la vision d’un foyer de chaleur et d’amour émanant de la région cardiaque de Jésus ; à cause de la plaie, il pouvait en faire le lien à la Source sacramentelle de l’Eau et du Sang. Mais pour exprimer sa vision il ne disposait dans sa culture que d’une symbolique possible : celle des entrailles et non celle du cœur.
Humilité de Dieu qui a laissé le temps aux hommes de découvrir la plénitude affective du sens naturel du mot cœur. Providence de Dieu aussi : il réservait la spiritualité du Cœur de Jésus pour les millénaires à venir… Le vieux saint Jean avait beau être habité lui-même par la vision intérieure d’une esquisse prophétique du Cœur de l’Agneau, il ne pouvait sauter par-dessus son temps et en concevoir - ni, à plus forte raison, en proposer - une représentation achevée, capable d’être immédiatement reçue comme l’expression privilégiée du mystère de l’Amour divin. Telle est exactement la conclusion découlant d’HA 13 qui refuse seulement qu’il y ait dans l’évangile la mention certaine d’un véritable culte rendu à l’Amour sous le symbole du cœur.

50. @ Le récit fondateur, fruit de la contemplation assidue du témoin oculaire.
Dans le cas du Cœur de l’Agneau, plus que jamais dans l’Ecriture, le symbolique apparaît indissolublement lié à l’historique : le vieux maître symboliste d’Ephèse est, en effet, ce jeune témoin oculaire (Jn 19, 35), qui jadis avait en personne assisté, ébahi, à l’éclosion d’une source au flanc du crucifié du Golgotha (Jn 19, 34). Expressément évoquée (Jn 19, 27), comment penser que la présence sous son toit de celle qui avait vécu l’événement avec lui ait pu être étrangère au long parcours intérieur qui le mena du fait au sens ? En tout cas, partagée ou non, seule une contemplation assidue produisit le récit fondateur où s’allient les deux indissociables composants du témoignage évangélique : choc originel de l’événement vu de ses yeux (Jn 19, 35) et maturité lucide de la réflexion qui en interprète, après coup, le symbolisme (Jn 19, 36-37).

51. @ La controverse du début du XXe sur l’objet de la dévotion au Cœur de Jésus.
Certains voulaient en exclure l’amour divin. Sans doute le symbolisme du Cœur de Jésus est, comme ils le voulaient, immédiatement fondé dans la seule affectivité humaine du Seigneur, qui y retentit physiquement ; mais, parce qu’il dit cependant le refus de toute clôture du sens, c’est le propre d’un tel symbole d’orienter le regard en direction directe du mystère divin de l’Amour. Cf. DEODAT DE BASLY, Pourquoi Jésus-Christ ?, 4° édition, Tournai, 1903, 164 ; Arthur VERMEERSCH, Pratique et doctrine de la Dévotion au Sacré-Cœur, 2 vol., 5° édition, Paris-Tournai, 1919, t.2, 25-101 ; ou, plus tard, Paul GALTIER, De Incarnatione ac Redemptione, Paris, 1926, 246-253 ; 2° éd., 1947, 235-236. Et encore en 1958 : M.J. NICOLAS : « Il y aurait certainement avantage à réserver le mot et l’image de « cœur » pour l’amour humain du Christ (Messager, juin 1958, 260). »

53. @ L’amour, concept analogique.
Il faut certes distinguer dans le mystère du Christ ce qui appartient à sa nature humaine et ce qui relève de sa nature divine et, le concile Constantinople III* ayant affirmé chez lui l’existence de deux volontés, il s’ensuit aussitôt qu’il n’y a pas coïncidence pure et simple entre son amour humain et son amour divin ; pourtant nous n’usons du même mot pour désigner cette double réalité que parce qu’une ressemblance analogique unit ici entre eux deux niveaux de sens (cf. HA 58) : c’est pourquoi, en contemplant le cœur de Jésus, le regard franchit aisément le seuil qui sépare en Jésus l’humanité de la divinité.

54. @ Peut-on symboliser l’amour divin ? HA 58.
La distance qui sépare l’incréé du créé est telle, en effet, que nous ne pouvons signifier que d’une manière imparfaite et relative les réalités intérieures à l’essence divine : l’Amour divin y est identique à Dieu lui-même et Dieu ne s’est donné d’ « Effigie de sa substance » (He 1, 3) que dans son Verbe, Dieu comme lui-même et intérieur à lui. Pourtant, dans l’acte divin de son amour rédempteur, Dieu est, pour ainsi dire, sorti de soi à la rencontre de l’homme ; et c’est même le propre de la foi chrétienne que de croire à une authentique révélation que l’Amour est capable de nous faire de lui-même en s’extériorisant.

55. @ Le Cœur de Jésus et la Miséricorde divine.
Effectivement, comme le rappelle alors l’encyclique (HA 53), le premier décret romain autorisant la fête du Cœur de Jésus (1765) ne prétendait à rien d’autre qu’à « raviver symboliquement (« symbolice ») la mémoire de ce divin amour avec lequel le Fils unique de Dieu prit la nature humaine et se fit obéissant jusqu’à la mort », - autrement dit : ce divin amour en tant qu’il se montra miséricordieusement compatissant envers nous. Cf. GARDELLINI, Decreta authentica, 1857, n.4.579, tom. III, 174.

56. @ La miséricorde, plus grand des attributs divins ?
L’abbé Sopocko, directeur de Ste Faustine, croyait avoir trouvé l’expression chez Augustin et Thomas d’Aquin. Toutefois il ne semble pas que l’on trouve chez eux le superlatif, mais seulement le comparatif : la miséricorde est plus grande que la justice. On trouve cependant chez saint Thomas (in obliquo, puisque c’est dans son anthropologie des vertus) l’expression que, en Dieu, la miséricorde est « la plus grande des vertus » et cela de deux façons : en soi et par rapport à son sujet qui est Dieu (ST, 2a 2ae, q.30, art.3).

57. @ Dieu Être et Amour selon Paul VI.
Le Credo de Paul VI (Profession de foi du Peuple de Dieu, FC 52, 2) rappelait que ce Dieu « qui est en lui-même au-dessus de tout nom » s’est pourtant fait connaître sous « deux noms, Etre et Amour », selon l’expression conjuguée de Moïse (Ex 3, 14) et de saint Jean (1 Jn 4, 8). En sa source, qui est Dieu le Père, la divinité est d’abord plénitude d’Etre ; en son achèvement, qui est l’Esprit Saint, elle est ultimement plénitude d’Amour.

58. @ HA envisage avant tout l’amour du Christ pour nous.
Par souci de théocentrisme, certains commentateurs d’HA ont avancé le contraire (11), mais semblent avoir méconnu le point de vue de l’encyclique. Son théocentrisme s’affirme du côté du sujet de l’amour symbolisé (la Trinité et non le Christ homme seulement) et non d’abord du côté de l’objet (l’amour du Christ pour les hommes). L’amour du Christ est bien envisagé dans toutes ses dimensions (y compris son amour pour le Père), mais ce n’est pas là le point de vue le plus spécifique. Cf. par ex. HA 20 où l’amour juste pour le Père exprime la dimension religieuse de cet amour humain du Christ, qui se trouve comme englobée et débordée par le mouvement de l’Amour rédempteur qui va du Père par le Christ vers les hommes (Arragain avait cité en amputant du mot « justi »). Parce que le culte du cœur de Jésus s’adresse à l’Amour trinitaire, il est un culte pleinement théocentrique (en même temps que christocentrique).

59. @ L’amour comme mouvement de Dieu vers nous chez Jean.
Tel était déjà le point de vue de saint Jean lorsqu’il proclamait lumineusement : « Dieu est Amour » (1 Jn 4, 8), car il ajoutait aussitôt : « En ceci consiste son amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime pour nos péchés » (1 Jn 4, 10). L’Amour, qui est la Plénitude achevée de la divinité, nous est connaissable dans la mesure même où, miséricordieusement, « il s’est manifesté chez nous » (1 Jn 4, 9).

61. @ Le « Miséricordieux » selon le Coran.
Dieu est appelé « le Miséricordieux », bien que le Coran conçoive l’exercice de cette Miséricorde de façon assez restrictive : le « Dieu fait Miséricorde à qui il veut » de la Bible est conçu comme l’expression d’un arbitraire divin devant lequel l’homme n’a plus qu’à s’incliner (on est un peu au stade des amis de Job).
Signalons le dialogue avec des spirituels musulmans au Congrès interreligieux sur la Miséricorde qui, pour l’aniversaire de la mort de Jean-Paul II, a eu lieu au Vatican du 2 au 6 avril 2007 et pour lequel non seulement l’orthodoxie russe mais des bouddhistes ont manifesté leur intérêt.

66. @ Un texte d’Origène abusivement sollicité.
ORIGÈNE, Homélies sur Ezéchiel, VI, 6, SC 352, 229-231. En faveur de l’invention contemporaine d’une souffrance de la « divinité ». Or le mot « pâtir » est à prendre ici non au sens de souffrir, mais d’éprouver une « passion » : ici, celle de la Miséricorde. Cf. P. DESCOUVEMONT, Les apparents paradoxes de Dieu, Paris, Presses de la Renaissance, 2003, 227, à propos du Père Varillon.

67. @ Le chemin parcouru depuis le Moyen-Age.
On pourrait peut-être dire que le Moyen Age avait gagné la bataille de l’Amour, mais non encore celle de la Miséricorde. Malgré les textes de Catherine de Sienne, cf. Bible du Cœur de Jésus, 229. Voir surtout Dial., c. 166 intitulé : « Résumé de presque tout le présent livre », en particulier : « Je veux faire miséricorde au monde puisque la miséricorde est mon apanage ».
Un saint Thomas d’Aquin n’avait pas de peine, en effet, à défendre philosophiquement l’idée que « Dieu est amour » (ST, Ia, qu. 20, 1) ; en revanche, s’il admettait que la Miséricorde soit en Dieu l’équivalent d’une « vertu » royale (12), il se voyait pour ainsi dire obligé de le disculper d’éprouver une compassion qui ressemblerait à la faiblesse d’une passion. En l’occurrence la « tristesse » au sujet de la misère d’autrui, passion qui lui semble inhérente au sentiment de la Miséricorde (1a, q. 21, 3).

68. @ La miséricorde touche au mystère de la Paternité.
La Miséricorde dit en effet, à l’état le plus pur, la gratuité de l’Amour. Or la fécondité de la Paternité divine est double : elle est à la fois Don intérieur à Dieu dans l’engendrement du Fils unique et, dans un redoublement de gratuité, Don extérieur à lui dans sa création. Aussi, disait-on autrefois, Dieu est le « Bien » par excellence, parce qu’il tend à communiquer gracieusement de lui-même : Bonum diffusivum sui, selon l’adage ancien (13).

71. @ L’interprétation du texte de sainte Mechtilde. Livre de la grâce spéciale, I, 5.
Pour nous, occidentaux, ceci relève d’un imaginaire symbolique ; il faudrait se demander comment l’entendent les praticiens du pouls chinois !
Dans la mesure où elle est une expérience hautement spirituelle, l’interprétation d’une telle symbolique requiert un certain travail de l’intelligence et, surtout, un effort de très simple contemplation du Cœur vivant de Jésus dans une prière personnelle, où se mendie la lumière de l’Esprit Saint.

73. @ Trois dimensions du mystère trinitaire.
La vision de Mechtilde, en effet, sous-entendait ici les trois dimensions du mystère trinitaire, classiques depuis le XIIe siècle : Toute-Puissance (Père), Sagesse (Fils), Amour (Saint-Esprit). Cf. la querelle de saint Bernard et d’Abélard, lequel voyait à tort dans les trois termes de ce schéma plus que des « appropriations » trinitaires – Chez Mechtilde, la « courtoisie » est passée par là : les trois substantifs de l’ « appropriation » sont réduits au statut de simples « adjectifs » de l’Amour (qui, à partir du Saint-Esprit, se met maintenant à investir la Trinité tout entière et à « s’annexer » les deux autres Personnes).

74. @ L’Esprit Saint et l’Immaculée selon le Père Kolbe.
De cette Troisième Personne, qui est le fruit exquis de la fécondité divine, un martyr qui fut à la fois un géant du don de soi et une intelligence supérieure, saint Maximilien Kolbe (1894-1941), a hasardé qu’Elle serait en Dieu une éternelle « Immaculée Conception » (14), dont celle de la Vierge Marie – cette « quasi-incarnation, osait-il dire, de l’Esprit Saint » (15) - ne serait que le reflet créé. Cf. les textes cités par H.M. MANTEAU-BONAMY, La doctrine mariale du P. Kolbe, Paris, Lethielleux, 2e éd., 1979, p.43-53. L’explication théologique de H.M. Manteau-Bonamy demanderait cependant examen : en mêlant Conception virginale et Immaculée Conception, il semble outrepasser la pensée du P. Kolbe ; pour M. Kolbe, d’ailleurs, l’Esprit Saint ne semble envisagé comme « principe » de la Vie qu’ad extra (ad intra il est réservé au Père d’être le principe). Voir aussi J.F. VILLEPELÉE, Le Bienheureux P. M. Kolbe. Entretiens spirituels inédits, Paris, Lethielleux, 1974, p.10 : Marie est le « sacrement vivant de la Conception incréée » (Manteau-Bonamy).
Car Marie fut celle qui, dans son agir, s’est sans cesse reçue immaculée des mains du Père, comme l’Esprit est, dans son Etre, celui qui ne cesse de se recevoir du Père, tel une très pure transparence de ce Père en son Fils. - « La volonté de l’Immaculée est étroitement unie à la volonté de l’Esprit Saint. Il la possède complètement » Conférence du 3.7.1938. « Cette union est si inexprimable mais si parfaite que le Saint-Esprit agit uniquement par l’Immaculée, son Epouse » (28.7.1935 : Villepelée, 52). Est-ce qu’une telle pensée ne pousserait pas à dire (par appropriation ?) du Saint-Esprit en référence au Père et au Fils : il est « Leur Agir » (de la même façon que nous allons dire ci-dessous : il est « Leur Amour »).

78. @ L’Esprit Saint qui est Amour.
S.AUGUSTIN, De Trinitate, 15, 19, 37 ; S. THOMAS D’AQUIN, S.T., Ia, Qu. 37, 1. (cf. Qu. 27, 1 : processio amoris, secundum quam amatum est in amante) – Déjà Origène appelle le Verbe “le fils de son (= le Père) amour », je crois, et il a des expressions sur l’Esprit comme Amour.

79. @ Aimer le Cœur de Jésus, c’est aimer l’Esprit Saint. HA 4.
Il s’ensuit que rendre un culte au Cœur de Jésus, symbole de l’Amour de la Trinité tout entière, c’est, au fond, rendre « amour pour amour au Divin Amour » (HA 4), qui est l’Esprit Saint (C’est ce qu’implique la double majuscule du texte latin et le contexte) : l’union à la volonté divine que l’on obtient par le cœur de Jésus est donc très étroite, remarquait Pie XII (HA 4), parce que c’est une union d’amour et qu’ainsi, comme disait saint Paul, « celui qui s’unit au Seigneur n’est plus qu’un seul esprit avec lui » (1 Co 6, 17).

83. @ La Sainte Trinité : l’Aimant, l’Aimé et l’Amour.
Bien que les premières formules de ce type remontent à saint Augustin, c’est la mystique de l’amour courtois qui les mit en relief (16) et il est possible qu’elles n’aient pas été étrangères au soufisme musulman lui-même (17). En tout cas, selon l’intuition « courtoise » du Bienheureux Raymond Lulle, la triade Aimant-Aimé-Amour serait apte à faire pressentir à certains milieux d’Islam en quel sens, bien comprise, la trinité des Personnes ne rompt pas l’unité divine. Raymond LULLE (†1316), Livre de l’Ami et de l’Aimé, n° 252 : une œuvre charmante d’un laïc franciscain, où l’auteur s’exprime souvent sous le mode d’énigmes (365 pensées pour chaque jour de l’année). Cf. DSAM, T. 13, art. Raymond Lulle, 183.

85. @ Les « appropriations » et les « circumincession » des personnes.
Le nom propre du Père serait plutôt l’Inengendré, mais l’ « appropriation » l’Eternel est plus intelligible. Dans le tableau ci-joint, les « appropriations » ne sont utilisées que dans la mesure où elles renvoient au nom propre de la Personne.
De telles formules circulaires se superposent en s’enrichissant l’une l’autre. Elles nous font pressentir, avec saint Thomas d’Aquin, que ces « personnes intrinsèquement relationnelles » (18) que sont les Personnes divines sont intérieures les unes aux autres dans la circularité dynamique de leurs relations, selon la déclaration insistante de Jésus : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jn 14, 10-11. Cf. 10, 38 ; 17, 21). C’est ce que les théologiens nomment circumincessio (perichoresis, Jean de Damas), principe dont généralement ils ne développent guère l’application.

90. @ Ct 1, 1 chez saint François de Sales.
Pour François de Sales, le maître de sainte Marguerite-Marie, ce premier verset du Cantique était, comme pour saint Bernard, incontournable : aux censeurs offusqués qui auraient voulu le voir en supprimer de son Traité de l’Amour de Dieu le commentaire, il répliqua qu’il y tenait au point de préférer renoncer à la publication de l’œuvre s’il devait en rayer les chapitres 9 et 10 de son Livre I.

93. @ Le culte des images selon les médiévaux.
Ce que les médiévaux commenteront ainsi : “Aux images on rend un culte religieux qui, loin de les considérer en elles mêmes comme des objets, les considère comme des images nous menant au Dieu incarné. Or le mouvement qui va vers l’image, en tant qu’elle est image, ne s’y installe pas, mais il tend vers celui dont elle est l’image (ST, IIa IIae, Qu 81, 3, ad. 3 ; cf. HA 57)”.

94. @ L’image du Cœur de Jésus. HA 56-58.
Le pape semble jouer sur le mot relatif (HA 57). Car le Cœur vivant dans la poitrine du Christ, qu’il appelle « chose corporelle » (res corporalis : HA 58) n’est pas un objet comme une statue ou tableau. On préfère donc généralement dire qu’on lui rend, comme au corps tout entier du Christ, un culte de latrie, au sens « absolu » du mot. L’articulation d’HA 57 tant avec HA 56 qu’avec HA 58 montre qu’il y a comme un transfert subreptice du raisonnement qui va et vient entre l’image-objet et l’image vivante du cœur de chair.

95. @ Le mot “personne” et la face.
D’où vient, d’ailleurs, lui-même ce mot de “personne” ? La persona désignait, chez les romains, le “masque” de théâtre, ce visage d’emprunt sous lequel les acteurs antiques jouaient leur “personnage”. Quel nom allait-on donc donner à ces trois “visages” du même et unique Dieu que sont le Père, le Fils et l’Esprit Saint ? En les désignant comme des personae, notre Eglise latine exprima le sentiment commun : le visage est la première expression du mystère de la “personne”.

96. @ Deux noms d’homme qui participent au Nom divin.
Dès les premières pages de l’évangile, deux noms d’hommes participent , chacun à sa façon, de cette sainteté du Nom divin : celui de Jean-Baptiste et celui de Jésus.
Le huitième jour après sa naissance, en donnant à son fils Jean le nom de Yohannan – “Dieu fait grâce”-, le prêtre Zacharie ne songeait pas d’abord à l’inscrire dans une famille lévitique (Lc 1, 61) : l’assistance sentit qu’il engageait divinement l’avenir de ce petit enfant (Lc 1, 66). Quant au nom que Joseph est chargé de donner à l’enfant de Bethléem pour l’inscrire dans la lignée de David, il lui vient de “l’Ange du Seigneur” (Mt 1, 20), car le propre Fils de Dieu ne peut recevoir que d’En-haut le nom de “Jésus”, qui le consacre pour sa mission : Yeshouah, “Dieu sauve” (Mt 1, 21).

97. @ Coeur de Jésus et union hypostatique.
C’est au Concile d’Ephèse en 431 qu’apparaît pour la première fois l’expression : « l’union selon l’hypostase » : « Le Verbe s’étant uni selon l’hypostase une chair animée d’une âme raisonnable, est devenu homme » (D 250). Cf. J. P. TORRELL, Le Verbe Incarné, I, Paris, Cerf, 2002, 307.
A la différence de l’ange, ce pur esprit, on peut dire du Christ comme de l’homme, puisqu’ils ont une âme et un corps, qu’ils sont des “êtres composés”, - indissolublement formés d’esprit et de chair. Mais, dans le cas du Christ, on le dit une “personne composée” à un autre titre encore : il unit en lui une nature humaine et une nature divine.
Selon Karl Rahner et à la différence de Descartes (19), nous faisons l’expérience fondatrice de notre Moi comme celui d’une “unité originelle” de l’âme et du corps. Le lieu de cette expérience est le “coeur” et c’est pourquoi elle est fondamentalement de type symbolique. Du “mystère intérieur” du Christ chacun de nous connaît donc, par l’expérience qu’il fait de son propre coeur, ce que Jésus de Nazareth expérimentait aussi de sa condition humaine, à savoir : qu’il était un être de chair et d’esprit.
Par contre, le mode de l’union hypostatique nous échappe radicalement : c’est la foi de l’Eglise qui en confesse le mystère. Or, depuis l’origine, suivant l’exemple de l’apôtre Thomas, elle n’a pas hésité à adorer la chair de son Seigneur et de son Dieu ; et c’est de cette adoration qu’elle a déduit le statut du corps physique du Christ. Ce corps est bien de nature humaine comme le nôtre et cependant il n’y a aucune idolâtrie à l’adorer, parce qu’il est uni à la Personne du Verbe d’une union que rien, même la mort, ne peut rompre. Confesser le mystère de l’Incarnation, c’est confesser non certes la transformation de la nature humaine en une nature divine, mais, tout de même, son “assomption” durable par la divine personne du Verbe.
Lorsque se posera le problème de savoir si le coeur de Jésus était lui aussi adorable, l’Eglise sera donc amenée à rappeler qu’il n’est pas un quelconque objet dont se serait servi temporairement Dieu : effectivement adorable comme “tous les autres organes du Corps sacrosaint de Jésus Christ” (HA 12), il est “comme un instrument assumé de la Divinité” (HA 39), “uni à la Personne du Verbe Divin sur un mode indissoluble” (HA 42), - ce qui veut dire : “uni hypostatiquement” à elle (HA 12). Sur tous ces points, l’adoration du Coeur de Jésus est apparue, au XVIIIe, comme la profession pratique de la foi des conciles des Ve et VIe siècles, dont l’Eglise venait seulement de tirer, en l’occurrence, une ultime conséquence doctrinale (HA 12, n. 15).
Bref, “il est donc nécessaire de ne jamais l’oublier : la vérité du symbolisme naturel qui rapporte le Coeur physique de Jésus à la Personne du Verbe est tout entière fondée dans la vérité première de l’union hypostatique” (HA 60).
L’adoration du Coeur de Jésus est apparue, au XVIIIe siècle, comme la profession pratique de la foi des conciles des Ve et VIe siècles, dont l’Eglise a seulement tiré, en l’occurrence, une ultime conséquence doctrinale (HA 12, n. 15).

104. @ Le Cœur de Jésus chez saint Jean Eudes.
Témoin privilégié de la façon dont la Tradition a su conserver, même en Occident, toute la plénitude de sens du mot hébreu, saint Jean Eudes distingue jusqu’à 9 connotations du cœur biblique, dont l’esprit saisit intuitivement l’unité dans l’élan d’un unique mouvement symbolique : 1. Sens physiologique : l’organe corporel et les passions qui lui sont associées ; 2 : La mémoire ; 3. L’entendement ; 4. ‘La volonté libre de la partie supérieure et raisonnable de l’âme’ ; 5. « La pointe de l’esprit, par laquelle se fait la contemplation, qui consiste en un très unique regard et une très simple vue de Dieu sans discours ni raisonnement ni multiplicité de pensée » ; 6. Tout l’intérieur de l’homme ; 7 et 8. L’« esprit » (pneuma) lui-même, c’est-à-dire l’habitation même des Personnes divines dans l’âme juste ; 9. L’amour au triple sens de HA : « Toute la faculté et la capacité d’aimer qui peut être en la partie supérieure de intérieure de l’âme, tant naturelle que surnaturelle ; comme aussi l’amour tant humain que divin qui peut procéder de cette faculté (cf. Mt 22, 37) ». La dévotion au Très Saint Cœur, Caen, 1663, OC, VIII, 425-428 (reproduction de son anonyme de 1650).
L’élément de sens n°9 (= l’amour), qui occupe la première place dans la dévotion au Cœur de Jésus, n’est sans doute plus explicité comme tel dans l’œuvre posthume de 1681 (Le Cœur admirable, 1, 1, c. 2), mais il est sous-jacent à tous les développements de l’auteur.
Un document de la première génération eudiste (L’institution de la Sainte Confrérie […], Coutances, 1688), qui se veut un fidèle résumé de la doctrine du fondateur, accentue la dépendance thomiste de sa notion de cœur, qui signifierait : « d’une manière spéciale la volonté (= sens n°4 ci-dessus). Car […] tout de même comme le cœur est le principe de la vie extérieure du corps (= St Thomas : principium motuum corporalium), la volonté est le principe de la vie intérieure (= St Thomas : principium spiritualium motuum) de l’homme […]. C’est elle qui, par son libre arbitre, donne le prix à toutes ses actions et qui est la cause […] de leur mérite ou de leur démérite […]. C’est dans la volonté de l’homme juste que l’amour, la charité, le courage et la générosité sont établis ».
Sur la conception eudiste du cœur, cf. J. ARRAGAIN (en collaboration), c.j.m., Le Cœur du Seigneur, Paris, 1955 et surtout Cl. GUILLOCHEAU, s.j., « Le cœur dans l’œuvre de S. Jean Eudes », RAM, 1961, n°146.

105. @ Logique ascendante et logique descendante se rencontrent dans le Coeur de Jésus.
Obsédant, le schème mental du “triple amour” structure quasiment presque chaque développement de l’encyclique (HA 21-60), mais cet insistance thématique conduit inexorablement le lecteur à entrer dans le vif de l’acte rédempteur : deux logiques, étroitement imbriquées, lui démontrent pas à pas le rôle incontournable que joue l’amour du Verbe incarné et de son Coeur – inséparablement divin, spirituel et physique - dans cet acte médiateur de l’Amour miséricordieux.
La logique de manifestation, qui est celle de la Révélation divine, procède essentiellement - disons pour faire image - de haut en bas : du “Dieu des Lumières” en direction de l’homme en proie à ses interrogations. Or voici que le propre Verbe de ce Dieu a “pris une vraie et parfaite nature humaine; et donc aussi “il s’est forgé un coeur de chair susceptible tout comme le nôtre de souffrir et d’être transpercé” (HA 23), - au point que, dorénavant, la lancinante question du croyant devient : “Qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi ?” On connaît l’admirable réponse d’un fils anonyme de saint François (Bonaventure, peut-être) : si le Coeur de Jésus “fut blessé, c’est pour qu’à travers la blessure visible nous voyions l’invisible blessure de l’amour” (HA 44). En effet, parce qu’“en Lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité” (Col 2, 9), le Coeur du Verbe incarné « est le symbole de cet amour divin qu’il a en commun avec le Père et l’Esprit Saint, mais qui en lui seul, en tant que Verbe fait chair, se manifeste à nous à travers un caduc et frêle corps humain » (HA 27). Il faut ajouter aussitôt : en assumant un tel corps, le Verbe s’exposait à toute la vulnérabilité de notre « affectivité » d’hommes, dont le « cœur physique » est - « de façon plus directe et plus naturelle » (HA 27) – le symbole. C’est donc au travers d’une double vulnérabilité physique et psychique – celle de son corps et celle de son cœur – que le Christ crucifié nous a rendu symboliquement tangible « la blessure invisible de l’amour » dont pâtit la bienheureuse Trinité.
Or, si cette bouleversante révélation de l’Amour divin se fait par la médiation « descendante » du Cœur de Jésus, c’est par la médiation « ascendante » de ce même Cœur que peut monter vers Dieu une réponse issue des amoureuses profondeurs de l’humanité. Distincte de la « logique de manifestation », - où c’est la « passivité » souffrante de ce Cœur qui offrait la suprême révélation de l’amour - la logique de rédemption implique ici une « activité » spirituelle de l’amour en Jésus : celle de la « très ardente charité infusée dans son âme » (HA 27), - ce que saint Jean Eudes nommait son « Cœur spirituel ». En position médiane dans le schéma des « trois amours » (cf. encart ci-dessous), c’est cet amour spirituel qui, dans le Cœur de Jésus, produisit l’acte d’offrande qui a poussé le Christ à se livrer pour nous. C’est lui qui en fait l’efficacité proprement médiatrice, car il s’exerce en direction à la fois du Père et de l’homme : en direction du Père, il est l’origine de l’amoureuse réparation* offerte à la miséricordieuse blessure trinitaire de l’Amour ; en direction des hommes, il est source de la guérison qui, pour la douloureuse blessure de notre affectivité, découle de cette réparation, acceptée par le Cœur, à son tour bouleversé, de Dieu. Trait d’union entre (1) l’Amour divin et (3) l’affectivité humaine, c’est (2) l’amour spirituel de Jésus qui fait de son Cœur le « lieu symbolique » de l’acte rédempteur.

En gras : les niveaux où se joue
prioritairement chaque logique
Logique de manifestation
(révélation descendante)
Logique de rédemption
(réparation ascendante)
La Trinité
(dont le Père est source) :
(1) L’Amour Divin
(qui se révèle en Jésus)
(1) Le Cœur de Dieu
(vers qui monte la réparation)
Zone humaine d’activité : (2) La charité infuse
dans l’âme de Jésus
(2) Cœur spirituel de Jésus
(= charité infuse)

source de l’oblation du Christ
Zone humaine de passivité :

Le niveau du signe visible :
(3) L’affectivité de Jésus

La blessure physique
(3) Cœur de l’homme
(= affectivité)
(qui reçoit la guérison :
conséquence descendante)


106. @ Le récent correctif de René Girard.
[*** Bientôt en ligne ***]

110. @ Les peintures trinitaires du Cœur de l’Homme-Dieu au XVII° siècle.
Visiblement conçues sur le modèle du Baptême de Jésus, certaines de ces représentations étaient traversées dans le haut par une banderole : « Celui-ci est le cœur de mon Fils bien-aimé. » La logique de médiation s’y inscrivait donc dans une logique de manifestation.

111. @ Jean 19, 37, une infaillible prophétie.
Le contexte du quatrième évangile confirme cette interprétation : en annonçant que les chrétiens « fixeront les yeux sur Celui qu’on transperça » (20), Jean n’émettait-il pas une authentique prophétie, dont l’ensemble de son évangile proclame à la fois l’infaillibilité et l’accomplissement ?
En amont, en effet, l’évangéliste s’était par avance référé à la parole péremptoire du Verbe de Dieu lui-même : « Moi, quand j’aurai été élevé de terre – ce qui veut dire, précise l’évangéliste (21) : sur le trône de la croix -, j’attirerai tous à moi » (22), c’est-à-dire à l’unanimité de la foi en ma divinité, selon ce que vous avez entendu précédemment de ma bouche : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’Homme, vous saurez que Je Suis » (23).
Puis, en aval, Jean allait attester les prémices de cet universel accomplissement : dès le soir de la nouvelle Pâque, les regards de l’Eglise naissante avaient convergé vers la vivante vision de la gloire du Transpercé (24) et, le huitième jour, cédant lui-même à l’irrésistible « attrait » divin, celui qui restait encore incrédule avait émis la profession de foi fondatrice, qui sera bientôt celle des premiers Conciles œcuméniques : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (25).

112. @ L’exercice permanent de la charité dans la vie du Christ.
Dans cette perspective bérullienne, il s’agissait moins, en effet, de contempler, dans ces mystères, des événements successifs de notre salut que des états intérieurs de sa Personne, dont l’exercice permanent de la charité fait l’unité.

113. @ Le Coeur de Jésus signe de salut.
Corrélative, pour saint Jean, de la figure de l’Agneau, celle du Pasteur représente le Christ nous arrachant à la mort au prix du don de sa vie (26), - à la seule condition que nous croyions en lui (27). En ce sens, le Christ transpercé a mené à son parfait accomplissement la figure du Serpent de bronze de Moïse, dans lequel le judaïsme postérieur avait déjà reconnu le grand signe sauveur (28). Il n’y avait eu pour les juifs, commentait le Livre de la Sagesse, aucune idolâtrie à tourner vers son effigie des yeux suppliants; à plus forte raison, peut-on affirmer des chrétiens qui, avant nous, ont adoré le Cœur sacré de l’unique Médiateur :

Ils avaient un signe de salut
qui les rappelait à l’obéissance à ta Loi,
et celui qui se retournait
n’était pas sauvé par ce qu’il contemplait,
mais par toi, l’universel Sauveur
(29).

Notons l’expression : « signe de salut », sumbolon sôterias - au sens de : gage, témoin, où l’emploie ce livre grec (30). A ce symbole était reconnu un rôle de simple rappel de la Loi : quand, au début de son évangile, saint Jean annoncera que le Fils de l’Homme allait être, comme « le Serpent au désert » (31), élevé sur le bois, ne préparait-il donc pas les esprits à « contempler » un jour dans le cœur transpercé du Crucifié cette pure évocation symbolique du commandement de l’amour où trouverait le salut « tout homme qui croit en lui » ? (Jn 3, 15-16). Cf. D. BARTHELEMY, Dieu et son image, Paris, Cerf, 1963, p. 240-241 : « Le crucifié est un signe rappelant le commandement de la Nouvelle Loi, c’est-à-dire l’amour ».

114. @ Le regard des Pères sur Jn 19, 34.
A la différence de nos biblistes actuels, ils ne s’attachèrent guère à replacer ces deux lignes dans leur contexte immédiat : sans doute n’avaient-ils pas une connaissance suffisante des institutions juives pour relever, par exemple, qu’explicitement daté par Jean « du jour de la Préparation » (Jn 19, 14), l’épisode avait eu lieu à l’heure de l’immolation des agneaux de la Pâque. Il n’ont donc généralement pas vu que l’intention première de Jean est ici de nous désigner dans le Transpercé l’accomplissement de la figure de l’Agneau. Il resterait cependant à examiner de plus près les commentaires qu’ils nous ont légués de la parole de Jean le Baptiste : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde (Jn 1, 29) ». Ont-ils au moins aperçu de loin que Jean anticipait ici le sens sacrificiel de l’épisode du Transpercement ?

117. @ Une objection : l’ordre des mots de saint Jean.
Or, à cette interprétation sacramentelle des Pères, il n’est pas rare qu’aujourd’hui on oppose l’ordre des mots de saint Jean : si, dans la pensée de l’auteur lui-même, il s’agissait bien des sacrements de l’Eglise, pourquoi ne les avait-il pas énumérés dans l’ordre de l’initiation chrétienne, où le néophyte est plongé dans l’Eau avant de communier au Sang ? A quoi l’on peut répondre déjà que le témoin oculaire n’avait aucune raison de falsifier sa vision, du moment qu’au niveau historique de son récit, il entendait d’abord attester la réalité de ce qu’il avait vu : le sang, dit-il, avait coulé, - ce qui était normal -, puis – ô surprise – l’eau. Mais il ne faut pas oublier que l’intention première du vieux saint Jean sera d’interpréter, à l’intention des générations de chrétiens présentes et futures, le sens de ces faits, qu’étant jeune, il avait indubitablement vus. L’intention est bien ici « première », puisque, dans ce qu’il faut appeler un aparté, Jean déclare clairement – ce qui ne lui arrive que deux fois, nous l’avons dit – vouloir en l’occurrence s’adresser directement à ses lecteurs chrétiens pour éclairer leur foi : il témoigne, nous dit-il, « pour que vous aussi vous croyiez » (Jn 19, 35).
Or, dans la conjonction du sang et de l’eau ce qui intéresse d’abord saint Jean, c’est l’unité d’un témoignage qu’au travers de cette conjonction, l’Esprit de vérité (1 Jn 5, 6) rend au double mystère de l’Incarnation et de la Rédemption.
La Première Lettre de l’apôtre est, on ne peut plus explicite, sur cette double dimension du témoignage chrétien fondateur : « Voici ce témoignage : Dieu nous a donné la vie éternelle (= la Rédemption) et cette vie est dans son Fils (= l’Incarnation) » (1 Jn 5, 11). Soucieux avant tout d’affirmer l’unanimité vivante de ce « témoignage de Dieu » (1 Jn 5, 9) dans l’Eglise, saint Jean en appelait, dans cette Lettre, à l’expérience sacramentelle des communautés : et c’est pourquoi l’énumération suivait l’ordre liturgique de l’initiation chrétienne, - Baptême d’abord, puis Eucharistie : conformément à la règle juive du témoignage véridique, « ils sont trois à témoigner : l’Esprit, l’eau et le sang » et la permanence actuelle de leur « accord » les rend crédibles (1 Jn 5, 7).
Selon J. Meijia, l’explication sacramentelle de Jn 19, 34 est la plus satisfaisante parce qu’elle suppose l’imbrication des trois termes : Esprit, eau, sang. J. MEIJIA « Nacer del Costado de Cristo : Orientación para la Iglesia una », Corazon de Cristo. Aportes latinoamericanos, Bogota, IIHJ, 1984, 251.

118. @ Expérience chrétienne et culture rabbinique de saint Jean.
Si maintenant on veut pénétrer plus en profondeur le sens de ce témoignage rendu au mystère de l’Incarnation rédemptrice par ce signe vivifiant du Sang et de l’Eau, il faut se rappeler que saint Jean écrit d’abord pour des chrétiens, mais ne pas oublier sans doute aussi qu’il reste lui-même pétri de culture juive.
L’unanimité du témoignage conjoint que rendent « l’Esprit, l’eau et le sang » (1 Jn 5, 7) n’est pleinement convaincante que pour ceux qui vivent l’expérience chrétienne. Le témoignage fondateur, c’est en effet celui de l’Esprit du Christ : « C’est l’Esprit qui rend témoignage » (1 Jn 5, 6), commençait par affirmer saint Jean. C’est pourquoi, selon l’apologétique classique, si elles ne s’enracinaient dans ce témoignage intérieur que « l’Esprit rend à notre esprit » (Rm 8, 16 vulg.) les autres sources du témoignage, si spectaculaires soient-elles, perdraient de leur crédibilité. Ce témoignage intérieur de l’Esprit, c’est celui du Souffle de Pentecôte que le Ressuscité devait communiquer à ses disciples au cœur de sa Pâque (Jn 20, 22), mais que saint Jean - jouant comme à son ordinaire sur ses mots à « double fond » - nous avait précédemment invités à concevoir comme le don suprême du Fils dans l’instant même de sa mort : dans l’ultime « expiration » (Mc 15, 37 ; Lc 23, 46 b) où il « rendit le souffle » (Mt 27, 50) et le remit « entre les mains du Père » (Lc 23, 46 a), Jésus avait en effet, selon lui, symboliquement « livré le Souffle » divin (Jn 19, 30) à l’Eglise.
Une fois insinué cela témoignage de « l’Esprit » du crucifié (32), saint Jean pouvait en effet, à l’intention des communautés d’Asie, l’éclairer par le double témoignage joint (33) de l’« eau » et du « sang » : issus du Temple des derniers temps (34), qui sera celui du Corps du Christ en trois jours restauré (35), les sacrements du Baptême et de l’Eucharistie viendront inscrire symboliquement jusque dans le « corps » visible des croyants le sceau invisible de l’Esprit, dont ceux-ci auront reçu spirituellement le don dans le « cœur » (36). Ce grand « Symbole de salut » (37) est le seul qui nous ait été donné dans l’instant même où s’est opérée historiquement notre Rédemption : si Jean a pu nous garantir que le limpide « Fleuve de vie » de l’Esprit, éternellement jaillissant du « Trône de Dieu » (38), féconderait en permanence l’Eglise des nations (39), c’est parce que, de ses yeux pénétrants, il avait vu ces « fleuves d’eau vive » (40) que sont eux-mêmes les sept sacrements jaillir symboliquement du « sein » (41) de l’Agneau mystique, royalement élevé sur le trône de sa croix (42).
Quant à la culture juive du Disciple bien-aimé, transparaîtrait-elle subtilement ici dans une allusion implicite aux commentaires rabbiniques de la source du désert à laquelle les Hébreux avaient désaltéré leur soif ? Moïse avait frappé deux fois le rocher et en avait fait jaillir de l’eau, mais, pour des motifs que l’Ecriture ne précisait pas, il s’était vu reprocher immédiatement une faute d’incrédulité telle qu’elle lui vaudrait une mort prématurée avant même l’entrée du peuple dans la terre promise (43). L’énormité de la punition devait frapper la tradition juive et la faute serait finalement interprétée comme une blessure faite injustement au rocher innocent. Dieu n’avait pas commandé de frapper rudement le rocher, mais plutôt de lui parler gentiment (44). Or « Moïse leva sa main, lit-on dans un Targum, et frappa par deux fois le rocher avec son bâton ; la première fois, il laissa dégoutter du sang et, la seconde fois, il sortit de l’eau en abondance, et la communauté put boire ainsi que leurs bêtes (45) ». Blessé, le rocher avait donc suinté le sang, signe de mort. Mais pourquoi, frappé une seconde fois - sans doute plus rudement encore -, avait-il consenti à donner finalement une telle abondance d’eau vive que l’imagination des commentateurs la voyait inonder toute la terre alentour ? Les rabbins attesteront ce ruissellement universel sans jamais songer à l’expliquer. Commentaires rabbiniques de l’eau jaillie du Rocher. Contrairement à M.E. BOISMARD, « De son ventre couleront des fleuves d’eau vive. Jn 7, 38 », Revue Biblique 65 (1958), 539-540 ; LE DEAUT, La nuit pascale, 332, n.237 pensait que la tradition rapportée ici par le Targum pouvait être antérieure au texte de Jn 19, 34. Ces thèmes furent abondamment développés dans la littérature rabbinique, comme G. BIENAIME l’a longuement analysé dans son Moïse et le don de l’eau dans la Tradition juive ancienne : Targum et Midrash, Rome, Biblical Institute Press, 1984, 136-150.
Saint Jean, lui, nous a mis sous les yeux la vision du « Rocher spirituel » (46) qu’est le Christ, du côté duquel jaillit la source de vie. C’est la main d’un païen qui frappe ce Rocher, et voici le peuple chrétien invité à s’abreuver à cette source (47). Il suffit d’un seul coup pour qu’ « aussitôt » (48) aient jailli à la fois du sang et de l’eau : l’un comme l’autre, ils sont donc cette fois des signes de vie, indices de la puissance vivifiante du Sang rédempteur. Si le Rocher a consenti à les donner si promptement après avoir été pourtant injustement frappé, faudrait-il y voir un signe de la Miséricorde divine que venait de nous valoir la mort du Christ ? Nous serions seulement invités à en tirer la leçon et à ne plus imiter à l’avenir l’incrédulité de Moïse : je témoigne de ce don miséricordieux, semblerait en ce cas nous dire saint Jean, « pour que vous aussi vous croyiez » (49).

119. @ Phlegme ou « eau véritable » ?
Comment dès lors l’interprétation chrétienne pourrait-elle se contenter des explications naturalistes qui visent à rendre plausible le double épanchement du côté ? Saint Thomas d’Aquin dénonçait déjà les spéculations ésotériques qui voyaient ici dans le « sang » et le « phlegme (humor phlegmaticus) » deux des « quatre humeurs » dont serait composé le corps humain (50). Et il rappelait à ce propos une récente intervention du pape Innocent III : « Si ce n’était pas de l’eau mais du phlegme qui était sorti du côté du Sauveur, celui qui a vu et rendu témoignage à la vérité n’aurait pas parlé d’eau. » (D 798) Si ce grand pape avait raison, on peut en déduire que, comme le récit du livre des Nombres, celui de saint Jean implique le caractère miraculeux de l’événement. En tout cas, même si elle n’avait pas encore osé tirer cette conclusion, par contre l’Eglise médiévale saisissait instinctivement que contester le réalisme du signe de l’ « eau », c’était mettre en péril un symbolisme eucharistique – certes mineur, mais commun aux liturgies d’Orient et d’Occident : selon une coutume probablement héritée du judaïsme pré-chrétien, le prêtre (ou le diacre) aujourd’hui encore est tenu de mêler au vin de la coupe au moins une goutte d’eau.

122. @ Noces de l’Epoux et sommeil du Nouvel Adam chez saint Jean.
Or s’agissant de l’union du Christ et de l’Eglise, ce symbole des noces était familier à l’Ecriture. Pour le disciple bien-aimé en particulier, c’est « le premier des signes » offert à la foi des disciples. Dès le commencement, Jésus s’y était fait reconnaître comme l’Epoux, et ce que le Disciple ajoute vaut évidemment du Christ et de l’Eglise : « Qui a l’Epouse est l’Epoux » (Jn 3, 29). Cette Epouse, qui n’est autre que la Jérusalem céleste, l’Apocalypse nous la présente comme « l’Epouse de l’Agneau » (51), ce qui invite les yeux à se tourner vers le lieu de l’immolation de celui-ci : en la personne de Marie (52), cette Epouse immaculée y était présente, elle héritait d’une maternité (Jn 19, 26) ; et, comme aux premières noces, l’Epoux l’appelle : Femme. Selon Jean, comme à l’origine des temps, le décor est ici celui d’un Jardin : tout était donc prêt pour que, dans ce jardin de rêve, le nouvel Adam donne naissance à la nouvelle Eve.
« Un des soldats de sa lance lui frappa le côté », en grec : « pleura ». On a fait remarquer que la bible d’Alexandrie utilisait déjà ce même mot (53) pour désigner la fameuse côte d’Adam. Saint Jean aurait-il donc voulu insinuer par là que Jésus dormait, dans ce Jardin mystique, du même sommeil que le premier homme ? Les Pères, quant à eux, ne manqueront pas de faire le parallèle : c’est du côté du Christ « endormi » sur la croix qu’est née l’Eglise. Mais il y aurait un jour des gens pour prétendre que la mort du Christ n’avait été qu’une apparence (54) : Jean ne pouvait donc se risquer, sans équivoque, à recourir lui-même directement à ce symbole du sommeil, qui, seul cependant, eût rendu claire l’allusion à la naissance d’Eve. On peut noter pourtant que, dans un contexte voisin, l’image n’était pas absente de son évangile : en la personne de Lazare, Jésus n’avait-t-il pas tiré l’homme de son « sommeil » (« Lazare dort et je vais le réveiller » Jn 11, 11), de la même façon que Dieu avait tiré Adam du sien et qu’il en tirerait son Fils ?

123. @ La naissance de l’Eglise sur la Croix, selon saint Augustin.
Scrutant les détails du texte de la Genèse, il a même conclu à un subtil échange qui s’était opéré symboliquement entre les deux époux : à la place de l’os pris à Adam, Dieu avait remis de la chair ; c’est ainsi, concluait-il que, dans sa passion, le Christ a échangé sa force contre notre faiblesse qu’il a prise pour lui.

127. @ La triple naissance de l’Eglise selon le Catéchisme.
Cf. LG 5 : « Jésus opéra le commencement de son Eglise en prêchant l’heureuse nouvelle, l’avènement du Règne de Dieu » (CEC 763). Ce commencement s’apparente à une conception, puisque le Royaume est présent de façon encore cachée. « L’Eglise est née principalement du don total du Christ pour notre salut, anticipé dans l’institution de l’Eucharistie et réalisé sur la croix » (CEC 766). CEC 778 conserve le schéma, tout en renonçant à filer la métaphore et en faisant référence à la totalité du mystère pascal : « Fondée par les paroles et les actions de Jésus-Christ, réalisée par sa croix rédemptrice ET SA RESURRECTION, elle [l’Eglise] est manifestée comme mystère de salut par l’effusion de l’Esprit Saint ». Cf. J. MEIJIA, Aportes, 261, contre l’interprétation « réaliste » et 245-246 : le point de vue des actes fondateurs. Pour le texte de PIE XII, voir MC, Actes de Pie XII, 1943, p.xx ; S. TROMP, « De Nativitate Ecclesiae ex Corde Jesu in Cruce », Gregorianum 13 (1932) ; ou bien : Mystici Corporis. Texte et commentaire, Rome, 1943. Pie XII commençait par éclairer la séquence métaphorique de Léon XIII par une autre : celle du « temple mystique de l’Eglise » qu’il commença d’édifier en prêchant, acheva à la croix, manifesta et promulgua à la Pentecôte.

129. @ L’expression symbolique de Vatican II.
Faut-il comprendre : le sang est là pour rappeler que l’activité sacramentelle de l’Eglise trouve son « origine » au sein de la propre « chair » de Jésus et l’eau vive pour signifier que sa « croissance » correspond à celle du fleuve impétueux de l’Esprit (74) ? Quiconque connaît l’Ecriture songera en l’occurrence au mince filet d’eau qu’Ezéchiel avait vu sourdre de son Temple mystique pour gonfler aussitôt en un torrent infranchissable (55).

130. @ L’Eglise provient de la totalité du mystère pascal du Christ. SC 5.
Pour être complet, il convient cependant de souligner ici le contexte de l’alinéa que vient clore la phrase citée de la Constitution conciliaire (SC 5). Sa lecture suggère que ce « Proto-Sacrement » de l’Eglise n’est tel que qu’à la condition de le situer non seulement dans son rapport à la croix du Sauveur, mais à la totalité du mystère pascal du Christ Seigneur (passion-résurrection-ascension), « par lequel en mourant il a détruit notre mort et en ressuscitant il a restauré la vie ». Raison de plus pour « écrire » aujourd’hui des icônes du Transpercé qui, telles de véritables instantanés de l’action pascale du Rédempteur, la surprennent sur le vif dans sa bipolarité symbolique, - nous offrant ainsi à contempler, d’un seul regard, l’immortelle Vie jaillissant, toute neuve, de la féconde mort de Jésus.

136. @ La mort de Jésus interprétée comme son Cœur qui s’est brisé.
Bien entendu les modernes ont tenté de vérifier les dires des anciens, et l’on n’a pas manqué de suggérer que l’abondance de sang et d’eau jaillis du côté, quelques instants plus tard sous la lance romaine, pourrait constituer un indice de l’éclatement spontané auquel avait déjà succombé le cœur (76). Mais c’est opter, un peu rapidement peut-être, pour une explication naturelle du mystérieux phénomène de l’effusion. S’en tenant strictement au texte de saint Jean, d’autres interprètes de la pensée eudiste n’en plaident pas moins pour l’éclatement physique du cœur, car la plaie infligée par le soldat « n’a, remarque l’un d’eux, qu’un rapport extérieur, si l’on peut dire, avec l’amour du divin Maître. Elle en est la figure, singulièrement expressive il est vrai, mais enfin elle n’en est que la figure, et ce n’est qu’après avoir cessé de battre que le Cœur de Jésus la subit. » C. LEBRUN, Le bienheureux Jean Eudes et le culte public du Cœur de Jésus, Paris, Lethielleux, 1917, 62.

138. @ La Blessure d’amour, symbole d’infinité.
Ainsi la blessure du côté révèle-t-elle une dimension d’infinité de l’amour du Christ que sa souffrance humaine, si intense soit-elle, ne parvenait pas à nous manifester. Il fallait que le Fils de l’homme soit déjà passé par la mort avant de recevoir cette blessure, d’une part pour qu’elle ne pût avoir d’autre efficacité que « symbolique », d’autre part pour que cette signification même apparût décisive. Le côté s’est donc ouvert pour laisser entrevoir « le secret du cœur », dont nous savons que, pour Catherine, il réside dans la médiation qu’opère, en faveur de l’homme, l’amour qui a uni la nature divine à la nature humaine. Examinée ainsi de plus près, la symbolique du côté ouvert concrétise visuellement, quand on la déchiffre à la lumière de la conception « courtoise » du cœur, ce qui était l’enseignement des savants de l’époque, dominicains ou autres : la raison philosophique de l’efficacité de cette médiation tient à L’INFINITE DIVINE DE L’AMOUR qui s’exprime à travers ce cœur humain.




NOTES :

(1) Seule exception, semble-t-il : 2 Thess 2, 7 : « le mystère d’Iniquité ».

(2) Cf. Ep 5, 32 ; 1 Tim 3, 16, Col 1, 27.

(3) Cf. H. de LUBAC, Corpus Mysticum. L’Eucharistie et l’Eglise au Moyen Age, 2° édition, Aubier, 1949, p. 60-63. L’auteur montre dans le ch. II quelle ‘nuance active’ affecte le mot de ‘mystère’ chez Saint Paul, puis dans toute la littérature patristique et médiévale. ‘Le sens originel des mots (mystère et sacrement)… est synthétique et dynamique’.

(4) Eccl 3, 20 ; Mt 11, 25 ; Lc 10 21.

(5) L’encyclique ne suit cette méthode que pour le nouveau Testament, où elle en appelle aux Pères.

(6) Ponctuation de la massore.

(7) Certains pensent qu’il s’agirait d’une géographie symbolique de la terre d’Israël.

(8) In Jo. I. Préf. 6 ; PG 14, 29D ; SC n° 120, p. 70.

(9) Voir notre chap. 12 ci-dessous. Cette insertion cadre cependant très heureusement avec le déroulement de la journée de Jésus au Temple. On ne fait pas assez remarquer que la scène se place à l’aurore avant que Jésus déclare : Je suis la Lumière du monde. Tout un peuple est rassemblé et c’est une poignée de Pharisiens et de scribes qui viennent jouer les trouble-fête.

(10) In Jo. I. Pref, 6 ; PG 14, 29D ; SC 120, p. 70.

(11) cf. ARRAGAIN.

(12) Conception qu’implique ST, 2a 2ae, qu. 30, 4. Un fonctionnaire ne peut pardonner au citoyen car il est tenu d’appliquer la loi, mais le souverain, lui, le peut (cf. l’amnistie des présidentielles) Cf. Y. CONGAR, « La miséricorde attribut souverain de Dieu », dans Vie Spirituelle 106 (1962), 380-395, spécialement 384-386 et 395 : « Pardonner relève plus proprement du Roi que faire justice. »

(13) Qui trouvera la source historique de l’expression : « Le Bien tend à se diffuser » ?

(14) « Le Père engendre, le Fils est engendré, le Saint Esprit est Conception procédante ». Conférence du 17 février 1941, jour de son arrestation. Voir le détail de la conférence dans J.F. VILLEPELÉE, Le Bienheureux P. M. Kolbe. Entretiens spirituels inédits, Paris, Lethielleux 1974, p. 47-50.

(15) Conférence du 05.02.1941, quelques jours avant son arrestation. Voir aussi J.F. VILLEPELÉE, op. cit. p. 52 (Conférence du 25.09.1937).

(16) C’est la lecture d’une béguine flamande (HADEWICH ? Béatrice de Nazareth ?) qui avait attiré mon attention sur l’expression.

(17) Christian NISPEN, s.j. Professeur au Caire.

(18) En Dieu, la Personne « signifie la relation en tant que subsistante » ou « relation par mode de substance ». ST, Ia, Qu. 29, 4.

(19) Cf. ci-dessus ch. 3, section 1 : Un mot-source. Pour la distinction d’avec le Cogito cartésien, cf. mon livre Le Cœur de Jésus, Approches anciennes et nouvelles, Namur, coll. Vie Consacrée, 1997, ch. 2, section 1.

(20) Jn 19, 37.

(21) Jn 12, 33.

(22) Jn 12, 32.

(23) Jn 8, 27.

(24) Jn 20, 19-20.

(25) Jn 20, 28.

(26) Jn 10, 11.

(27) Jn 3, 16.

(28) Sg 16, 5-7.

(29) Sg 16, 6-7.

(30) Cf. Sg 2, 9.

(31) Jn 3, 14.

(32) 1 Jn 5, 6. Cf. Jn 19, 35.

(33) 1 Jn 5, 7.

(34) Ez 47, 1.

(35) Jn 2, 21.

(36) Rm 5, 5.

(37) Sg 16, 6.

(38) Ap 22, 1.

(39) Ap 22, 2.

(40) Jn 7, 38.

(41) Jn 7, 38.

(42) Jn 18, 19.

(43) Nb 10, 10-12.

(44) Ex 20, 8.

(45) Targum du Pentateuque, III. Nombres, SC n° 261, 185 (Trad. Le Déaut).

(46) 1 Co 10, 4.

(47) Jn 7, 37.

(48) Jn 19, 34.

(49) Jn 19, 35.

(50) ST, IIIa.

(51) CEC 757 avec références à l’Ap. Cf. CEC 796.

(52) « La dimension mariale de l’Eglise précède sa dimension pétrinienne » (CEC 773).

(53) Mais au pluriel : une des côtes. Le sens n’appartient pas au grec classique. Il s’agirait alors de nouveau d’un jeu de mot de saint Jean sur les deux sens : côté/côte, déjà possible en français.

(54) Cf. Mahomet

(55) Ez 47, 1.




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