La Bible du Coeur de Jésus

Edouard Glotin

Presses de la Renaissance


Notes et Annexes

Introduction

Annexes
Haurietis Aquas
Le Coeur de Jésus et le Shabbat juif
Benoît XVI : Lettre au R.P. Kolvenbach (50° anniv. d'HA)
Benoît XVI : Message de Carême 2007

Commentaires
des illustrations

Fig. 1 à 11
Fig. 12 à 19
Fig. 20 à 29
Fig. 30 à 39
Fig. 40 à 49
Fig. 50 à 59
Fig. 60 à 69
Fig. 70 à 83

Notes
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
• Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12

Liste des sigles
Notes du chapitre 6

1. @ Quelques jalons dans la tradition mystique du Cœur de Jésus.
Et l’encyclique de citer, sans aucune prétention à l’exhaustivité, quelques « exemples » de théologiens et théologiennes mystiques, choisis parmi les seuls dont la sainteté est officiellement reconnue par l’Eglise : Bonaventure (1217-1274), Albert le Grand (†1280), Gertrude (1256-1301), Catherine de Sienne (1347-1380), Henri Suso (†1366), Pierre Canisius (†1597), François de Sales (†1622).
A plusieurs l’omission de S. Bernard et des premiers cisterciens paraîtra ici regrettable. Sans doute les rédacteurs ont-ils jugé que le XIIe siècle relevait plutôt des sources lointaines que du développement proprement dit de la dévotion au « Cœur » : en ce sens, ils ont sans doute sous-estimé l’influence précoce de la « courtoisie » sur le développement de la Minnemystiek flamande.
Tenu à son époque en suspicion d’hérésie, un Ubertino da Casale n’a pas eu les honneurs de la canonisation et ne figure pas non plus dans la liste, quoiqu’on ait pu, à juste titre, le considérer comme le « doctor medievalis Cordis Jesu » Cf. Thèse manuscrite de Mgr Oscar SCHEID, scj, actuel archevêque de Rio de Janeiro. Cf. Ch. 12.
Leurs noms prestigieux jalonnent les étapes du développement d’une « dévotion (religionis forma) » privée, qui, « pas à pas, prenait dans les congrégations religieuses une vigueur croissante » jusqu’au moment où, avec saint Jean Eudes, sainte Marguerite-Marie et saint Claude La Colombière, elle débouchera enfin sur une liturgie publique et une spiritualité nettement définie (HA 51). Dès la fin du Moyen Age, cette histoire mystique n’avait d’ailleurs pas été limitée aux cloîtres et, du moins dans l’aire germanophone, elle touchait déjà de larges sphères du laïcat.
Les rédacteurs de l’encyclique semblent avoir ignoré sur ce point les travaux du remarquable connaisseur des manuscrits du XIVe et du XVe que fut le jésuite K. RICHSTÄTTER. Cf. Die Herz-Jesu Vercehrung des deutschen Mittelalters, 2 vol., Paderborn, 1919. 2e éd. largement remaniée, 1 vol. Ratisbonne, Pustet, 1924. Il faut se rappeler que les terres d’Empire constituaient alors, avec les Flandres, le principal terreau d’une floraison mystique dont la Réforme tarira les sources.

2. @ La spiritualité du Cœur de Jésus commence-t-elle avec le Christianisme ou bien au 17e siècle ?
Pour les uns, les révélations privées dont la sainte avait bénéficié et son action promotrice marquaient la véritable date de naissance du culte du Sacré-Cœur : l’histoire antérieure, y compris saint Jean Eudes, n’aurait été que pré-histoire.
Pour d’autres, « sous sa forme actuelle, avec la précision de l’objet qu’elle a en vue, des moyens déterminés qu’elle emploie et met en œuvre, cette dévotion est de date récente, elle est moderne ; mais dans son fond et son essence, cette dévotion est ancienne, très ancienne ; elle a été connue pratiquée, honorée il y a très longtemps. Pour la faire éclore, Notre Seigneur n’a pas attendu le 17e siècle ; tout ce qui la constitue substantiellement existe depuis l’établissement même du christianisme » (X. DE FRANCIOSI, Le Sacré-Cœur de Jésus et la Tradition, 2e éd., Tournai-Paris, Casterman, 1908, Préface, 5-6).

3. @ Une lecture trop « logicienne » de Jn 20, 27.
Tel que les exégètes occidentaux croient pouvoir le relire aujourd’hui, le récit de saint Jean n’impliquait pourtant pas que le geste de Thomas ait été effectif : à l’invitation qui est faite à son « doigt » et à sa « main » (Jn 20, 27), le texte littéral ne mentionne, en effet, d’autre « réponse » (Jn 20, 28) explicite de l’apôtre que l’exclamation de sa bouche. Dépasser cette lecture « minimaliste* » suppose en fait, une fois de plus, de prolonger le regard contemplatif de l’évangéliste dans une direction qu’il n’a pas manqué de suggérer à la Tradition ancienne.

6. @ Un code symbolique.
Bien qu’on ne puisse l’exclure a priori, il n’est pas requis de supposer ici une image intérieure qu’aurait reçue, dans l’amphithéâtre romain, un des témoins de la scène, occupé à prier pour son frère, supplicié sous ses yeux. Les codes symboliques du Disciple bien-aimé demeuraient suffisamment familiers à des Eglises de culture grecque, fondées par des disciples directs de l’apôtre, pour qu’après coup la phrase leur soit venue spontanément sous la plume.

9. @ L’eau vive chez saint Jean.
La symbolique de saint Jean est sans doute plus précise qu’on ne le dit parfois. Comme souvent dans l’Ecriture, l’ « eau vive » est certes chez lui le symbole de l’Esprit, mais – on ne le fait pas toujours assez remarquer – par la médiation de la vie sacramentelle, à laquelle Jean fait toujours, dans ce cas, implicitement référence. Son langage est cohérent : le « Fleuve de vie » (Ap 22), au singulier et sans la mention de l’eau, c’est la personne de l’Esprit, évoquée dans un contexte trinitaire ; lorsque ce « fleuve de Vie » devient, au pluriel, « fleuves d’Eau vive » (Jn 7, 38), l’Eau désigne maintenant la communication de ce même Esprit à travers un symbole matériel : celui des sacrements, dont la source prend symboliquement naissance du Rédempteur transpercé sur la croix. Il n’y a pas pour autant à opposer expérience sacramentelle et effusion de l’Esprit : pour saint Jean, on naît conjointement « d’eau et d’Esprit » (Jn 3, 5).

10. @ Les sacrements proviennent du côté du Christ, selon saint Augustin.
Pour saint Augustin*, du côté du Christ « se sont écoulés les sacrements, sans lesquels on n’accède pas à la vie qui est la vraie ». Nul donc ne peut être sauvé à moins d’entrer par cette « porte de la vie » dont l’ouverture au Flanc du crucifié était préfigurée par l’ouverture de la porte au flanc de l’arche de Noé : « De fait, personne n’entre dans l’Eglise que par le sacrement de la rémission des péchés, [le baptême]. Or celui-ci a coulé du côté ouvert du Christ. » (Contra Faustum XII, 16). Cette interprétation augustinienne sera évidemment souvent reprise, mais c’est seulement à l’époque courtoise que cette porte de l’Arche ouvrira aux contemplatifs l’accès du cœur miséricordieux de Jésus qu’elle dissimulait jusqu’alors. Cf. Guillaume de SAINT-THEODORE (+1153), Meditativae orationes, VI. Cf. X. de FRANCIOSI, Le Sacré-Cœur de Jésus et la Tradition, Paris, Casterman, 1908, 132.

14. @ L’attente de la conversion d’Israël et le Cœur de Jésus.
Deux orphelins juifs, les jumeaux Augustin (+1909) et Joseph (+1915) Lémann s’étaient fait baptiser à 18 ans (1854) et avaient été ordonnés prêtres à Lyon (1860). Adhérant au catholicisme à l’époque où le culte du Cœur de Jésus était en plein essor (universalisation de la Fête, 1856), les deux célèbres convertis comprirent immédiatement toute la signification de Jn 19, 31-37 pour leur peuple. C’est à leur instigation qu’une jeune avignonnaise Marie-Espérance Rolland (+1935) entra en 1876 au monastère de la Visitation de Paray-le-Monial et s’y offrit en sacrifice pour le retour d’Israël. Un jeune israélite ayant de son côté demandé le baptême, ils tinrent à ce que la célébration eût lieu dans la chapelle des apparitions le jour de la Sainte Marguerite-Marie (17 octobre 1875) et c’est également pour cette même fête (17 octobre 1882) que, sept ans plus tard, ils inaugurèrent la Lampe d’Israël, brûlant (selon Tobie 6, 8 : brûler le cœur du Poisson) en intercession muette pour Israël. Au centre de cette lampe, la plus ouvragée de la chapelle (face à la châsse de Sainte Marguerite-Marie), tel que le voyait Saint Justin, un groupe d’israélites se frappant la poitrine devant le Transpercé. En 1897, c’est encore depuis Paray que les frères Lémann propagèrent les ‘croix pour la conversion d’Israël’, qui portaient gravée la prophétie de Zacharie : Ils regarderont vers moi qu’ils ont transpercé (Za 12, 10). On leur doit aussi d’avoir exhumé l’exégèse que les Pères faisaient de Tb 11, 7-15 : le voile qui tombe des yeux de Tobie frottés avec le fiel du Poisson (= le Christ) préfigure le voile de 2 Co 3, 16. On consultera THEOTIME DE SAINT-JUST, omc, Les frères Lémann, Duculot, 1937, p. 432 (à noter que les frères Lémann ne séparaient pas le retour d’Israël de celui des Nations [occidentales athées]) ; E. GLOTIN, J’entends battre ton cœur, Paris, DDB, 1984, p. 106 (photo de la Lampe, illustrant le témoignage de Yohanan, jeune israélite contemporain qui, le jour de son baptême, ‘tira’ le texte de Za 12, 10 sv).

16. @ Le Cœur dans l’Allemagne médiévale.
Finalement, c’est toute l’Allemagne médiévale – mais spécialement l’aire rhéno-flamande – qui développera une tendre compassion pour le « cœur brisé, transverbéré par la lance (das gebrochene, von der Lanze durchstossene Herz) » (V. BECK, Neuf siècles d’histoire du culte du Sacré-Cœur, Sélestat, Alsatia, 1963, 15). D’Outre-Rhin, ce climat mystique s’étendra aux terres voisines et l’on a pu parler d’un « rayonnement du Cœur navré de Jésus sur la pensée du Moyen Age » (Léon GAUTIER, Les épopées françaises, t. 3, p. 70). Du temps, du moins, où sa querelle avec l’Eglise n’en était qu’à ses débuts, Martin Luther, héritier de cette tradition, prêchera sur le Cœur de Jésus le Vendredi saint 1519.
« Tu peux t’exciter d’abord, non plus à contempler la souffrance du Christ (car celle-ci a fait son œuvre et t’a effrayé) mais à aller plus avant, à contempler son cœur aimant, plein d’amour pour toi, amour qui t’oblige à porter si lourdement ta conscience et ton péché… Puis à travers le cœur du Christ, monte jusqu’au Cœur de Dieu et tu verras que le Christ n’aurait pas pu faire preuve à ton égard de cet amour si Dieu, dans son amour éternel, ne l’avait pas voulu ainsi, Dieu, auquel le Christ obéit dans son amour pour toi » (LUTHER, Méditation sur la Passion du Christ, éd. de Weimar, 2, p. 131-142, cité dans B. de MARGERIE, Histoire doctrinale du culte envers le cœur de Jésus, Paris, Saint Paul, 1995, 44).
« Cette parole : ‘Celui-ci est mon Fils bien-aimé’ te conduit à voir le bon plaisir de Dieu et tout son cœur dans le Christ, en toutes ses paroles et actions, et tu vois ensuite le Christ dans le cœur et le bon plaisir de Dieu de telle manière que les deux sont joints ensemble de manière en tout point inimitable » (LUTHER, Werke, éd. de Weimar, 20, p. 229, cité dans B. de MARGERIE, op. cit., 45).
« La pénétration du christianisme par le germanisme […] a été celle du sentiment (Gemüt), de l’imagination, des états affectifs » (J. LORZ, Histoire de l’Eglise, [référence], 1956, 83.). Cette germanisation du christianisme a connu un début dès l’époque de la conversion autoritaire des Saxons par Charlemagne, comme en témoigne, vers 830, Der Heliand (Le Sauveur), résumé en vers vieux-saxons, aux accents d’épopée, des principales scènes évangéliques. Pour toucher les nouveaux convertis, le poète mentionne maintes fois le doux et humble cœur qui bat dans la poitrine de ce héros carolingien que devient ici le Christ (cœur touché lorsqu’il pleure sur Jérusalem ou Lazare, saisi d’un sentiment de douceur avant d’énoncer les béatitudes, troublé à la Cène et au Jardin, patient, doux et humble sous les moqueries de la populace ; les apôtres lui demandent de se montrer plus doux « dans son cœur » envers la tyrophénicienne, etc.). Cf. K. RICHSTÄTTER, Die Herz-Jesu Verehrung des deutschen Mittelalters, 2 vol. Paderborn, 1919 ; 2° édition entièrement refondue, 1 vol., Ratisbonne, 1924, 30-32. Il est possible que l’inspiration de ce poème revienne à l’évêque Bernolt de Strasbourg (831-840), qui était d’origine saxonne (Médard BARTH, Herz-Jesus Verehrung im Elsaß, Freiburg, 1928, 18, n. 1.) : la plus ancienne geste du Cœur de Jésus pourrait donc avoir des attaches avec l’Alsace. Et l’on s’étonnerait moins, en ce cas, d’entendre, dès le XIIe siècle, une abbesse du Mont-Sainte-Odile (+1195) célébrer le « bienveillant (willige) cœur du Christ » (V. BECK, Le cœur de Jésus dans la mystique rhénane, Sélestat, Alsatia, 1978, 23).

25. @ L’échange mystique des cœurs.
Lutgarde est le premier cas connu d’échange des cœurs (DSAM, 2, 1046-1051). Même type d’expérience chez Sainte Marguerite-Marie (A § 53) et nombre de saintes, en particulier chez Sainte Catherine de Sienne, qui s’offrait ensuite à Jésus avec les mots : « Je te donne TON Cœur » (DSAM, 2, 329). L’échange des cœurs a évidemment sa référence scripturaire en Ez 36, 26.

27. @ Une distinction non perçue.
Origène n’a pas développé cet aspect. Il avait pourtant entrevu qu’il y avait une différence entre « reposer dans le sein » et « se renverser sur la poitrine » (ORIGENE, In Cant., 1, PG 13, 87AB. Cf. Lpc, p. 183). Probablement lui a-t-il manqué de distinguer nettement entre le « sein (kolpos) », lieu de l’affectivité, et la « poitrine (stêthos) », dont le substrat hébraïque évoquerait plutôt le cœur au sens biblique du mot (Cf. Ch 5, sect. 1, § 4, 3). Pour lui, au contraire, l’un et l’autre termes étaient indistinctement synonymes de l’ « esprit (noûs) ».

30. @ L’ivresse spirituelle de l’epistêthios.
« Hic est discipulus ille, qui supra pectus Domini in coena recubuit, qui fonte Dominici pectoris, spiritualis sapientiae plenitudinem hausit, qua inebriatus, in vocem theologam tanti ponderis plenam erupit, ut ipso Paulo altius intonuerit ac totus mundus eum capere non potuerit cum ait : In principio erat Verbum et Verbum erat apud Deum (Jn 1, 1). Unde et aquilae volanti comparatur, qui irreverberatis luminibus, aciem solis intuitus est. Sic Joannes, inconcussa mentis acie, verum lumen, id est, Christi divinitatem, aeternitatem, cum Patre aequalitatem contemplatus est, cujus tanquam personante buccina, vulva haereticorum sine liberis est facta, et ubera eorum facta sunt arentia ».
HILDEBERT († 1134), sermon 80 pour la fête de saint Jean l’évangéliste. PL 171, col 726 in X. de FRANCIOSI, Le Sacré Cœur et la Tradition, Chartreuse de Montreuil, 1895, 109 D).

Voici ce disciple qui reposa sur la poitrine du Seigneur à la cène, qui, à la source de la poitrine du Seigneur, puisa la plénitude de la sagesse spirituelle, par elle enivré, éclata en une intense voix théologique de tant de poids qu’il a retenti plus haut que Paul lui-même et que le monde entier n’a pu le saisir lorsqu’il a dit : Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu (Jn 1, 1). Par là, on le compare à l’aigle qui vole et qui, sans être ébloui (les lumières non reflétées), a pénétré de son regard l’éclat du soleil. Ainsi Jean, par le regard inébranlable de son esprit a contemplé la vraie lumière, c’est-à-dire la divinité du Christ, l’éternité, l’égalité avec le Père, de même que par sa trompette retentissante, le sein des hérétiques est devenu stérile (sans enfants) et leur fécondités sont devenues desséchées ».

33. @ La grâce spéciale selon Sainte Mechtilde.
La vision de Gertrude venait récompenser une ferveur collective. Femmes cultivées, pour la plupart issues de la noblesse allemande, les compagnes de son monastère de Helfta étaient en train de développer la PREMIERE LITTERATURE MYSTIQUE CENTREE SUR LE CŒUR DE JESUS : une expérience typiquement bénédictine, marquée par la louange chorale, s’y déroulait dans un foisonnement médiéval de visions allégoriques. Sainte Mechtilde de Hackeborn* (1241-1298), la directrice des études, enseignait que la contemplation assidue du cœur transpercé de Jésus contient une « grâce spéciale ». Cf. Le livre de la grâce spéciale (1292-1300), trad. fr. : Poitiers-Paris, 1878.
Effluve directe du Cœur divin du Seigneur (II, XLIII=39), fruit de son Esprit (V, XXXI), don gratuit de l’Amour qui a opéré l’Incarnation (VII, XVII) et dont le Christ est fils (I, XIII=21), cette ‘grâce spéciale’, d’essence trinitaire (VII, XVII), se traduit par une « commotion affectueuse » (V, XXIV=27), d’ « une merveilleuse et indicible suavité » (V, XXV=28), qui réjouit le cœur (II, XLIII=39), l’illumine intellectuellement et l’éclaire sur son état (VII, XVII), l’embrase et le console (II, XLIII, 39), incitant et fortifiant l’âme pour l’action (V, XXIV=27) : « Tous ceux qui aimeront ce don de grâce spéciale et, pleins de foi en ma bonté, me rendront des actions de grâces humblement pour ceux que j’aurai admis à cette intimité, je leur ouvrirai mon CŒUR avec une affection particulière. (V, XXV=28) »

35. @ Le repos sur le Cœur du Christ chez d’autres mystiques.
Avant ou après Marguerite-Marie d’autres mystiques ont connu la grâce du « repos sur le cœur », venant s’inscrire aussi dans leur charisme propre. Ainsi Jeanne Chézard de Matel (1596-1670), la sainte de Roanne, fondatrice de l’Ordre du Verbe Incarné. Le Seigneur lui demande aussi d’annoncer « l’Evangile d’Amour » qui se distingue de « l’Evangile de puissance » annoncé par les apôtres avec des miracles et de « l’Evangile de sapience » des docteurs chrétiens. L. CRISTIANI, Une grande mystique lyonnaise, Jeanne de Matel, Lyon, Congrégation du Verbe Incarné, 2° éd., 1979, 73..

36. @ François d’Assise et Marguerite-Marie.
« Un jour de saint François, à mon oraison, Notre-Seigneur me fit voir ce grand saint revêtu d’une lumière et splendeur incompréhensible et élevé dans un éminent degré de gloire au-dessus des autres saints, à cause de la conformité qu’il a eue à la vie souffrante de notre divin Sauveur et de l’amour qu’il avait porté à sa sainte Passion, qui avait attiré ce divin Amant crucifié à s’imprimer en lui par l’impression de ses sacrées plaie, ce qui l’avait rendu un des plus grands favoris de son sacré Cœur, qui lui a donné un grand pouvoir pour obtenir l’application efficace du mérite de son sang précieux, le rendant en quelque façon le distributeur de ce divin trésor, pour apaiser la divine justice lorsque, étant irritée contre les pécheurs, prête à les châtier, il s’expose à cette divine colère d’un Dieu irrité, comme un autre lui-même dedans son Fils crucifié, pour l’amour duquel il fait souvent céder la rigueur de sa justice à la douce clémence de sa miséricorde ; mais particulièrement pour les religieux déchus de leur régularité, pour lesquels il était prosterné et gémissait sans cesse, pour les désordres qui étaient arrivés à un Ordre en particulier, lequel aurait reçu de grands châtiments sans le secours de ce grand favori de Dieu. Après m’avoir fait voir toutes ces choses, ce divin Epoux de mon âme me le donna pour conducteur, comme un gage de son divin amour, pour me conduire dans les peines et souffrances qui m’arriveront » (VO5, 349-350).

40. @ Julienne de Norwich.
NB. Ceci est la première mouture de la conclusion générale du Tome 1.

En mai 1373 (le 8 ou le 13 du mois), le Seigneur, tout radieux, fit voir à la recluse anglaise, Julian of Norwich* (1342-1416), son cœur fendu par la lance du soldat. Et, après l’avoir fait réfléchir un peu à l’amour infini qui « n’a pas eu de commencement, est et sera à jamais », il l’avait invitée, par amour pour lui, à se réjouir avec lui de la JOIE qu’il trouvait dans son salut, en lui disant : « Vois combien je t’aime ! […] Mon plaisir, c’est ta sainteté et ta JOIE et ta béatitude éternelle avec moi. » (JULIENNE DE NORWICH, Le Livre des révélations, tr. fr. R. Maisonneuve, Paris, Cerf, 1992, 24, p. 99-100).

Cette vision relève de la foisonnante expérience visionnaire que Jésus accorda dans le court espace d’un jour et d’une nuit à une femme de « 30 hivers et demi » (E. Colledge et J. Walsh], A book of showings to the anchoress Julian of Norwich, Toronto, Pontifical Institute of mediaeval studies, 1978, t. 1, 207, 1-2). Celle en qui d’aucuns n’hésitent plus à voir la plus grande théologienne d’Outre Manche (1) mit ensuite une vingtaine d’années à déchiffrer la plénitude de sens de son expérience. Et, de même que notre titre de Bible du Cœur de Jésus peut se réclamer du patronage de saint Augustin, Julienne est le commentaire vivant de l’oracle d’Isaïe :

C’est dans L’ALLEGRESSE que vous puiserez les eaux aux sources du salut (Is 12, 3)

Pour marquer le climat joyeux du parcours biblique auquel chacun allait être convié, l’encyclique Haurietis Aquas s’ouvrait sur le commentaire spirituel de cette prophétie. A ce titre, la mystique de Julienne va nous apparaître comme parfaitement consonante avec le résumé de la foi que, sous le signe du Cœur de Jésus, présentait le document de Pie XII. Mais, en outre, son Livre des Révélations éclaire par bien des aspects l’expérience du mystère de ce Cœur, telle qu’elle s’est développée dans l’Eglise à partir du regard fondateur que Marie et Jean ont, les premiers, fixé sur « Celui qu’on a transpercé » (Jn 19, 37). Ce seront autant de motifs de clore sur la figure féminine de Julienne un ouvrage destiné à commémorer le cinquantenaire de l’Encyclique.

Au centre de tout, l’Amour

Comme toute son époque, Julienne était habitée par une grande compassion à l’égard de Jésus. Or, au cours de la 8e de ses seize révélations, elle va voir le corps du crucifié dans l’atroce phase finale de sa déshydratation :

De toutes les souffrances qui conduisent au salut (2), s’écrie-t-elle alors,
voici la plus vive : celui que tu aimes souffre […]
J’eus ici la certitude que j’aimais le Christ plus que moi-même,
puisqu’il n’y avait pas au monde de douleur plus grande pour moi
que de le voir souffrir. (17, 85)

Toute jeune, Julienne avait demandé la grâce d’un incessant souvenir intérieur de cette souffrance de son Bien–Aimé. Or la blessure continuelle d’une ardente soif de Dieu lui avait fait pressentir que seule une grave maladie, la conduisant aux portes de la mort, serait capable de la mûrir de façon décisive. Elle avait donc eu la hardiesse de la demander, si telle était la volonté divine. Et, de fait, voici que Dieu la lui envoie à l’âge de 30 ans, - précisément celui qu’elle souhaitait. Elle se sentira mourir, puis, tout à coup, la vie en elle reprendra le dessus.

On avait appelé à son chevet le prêtre. Celui-ci présente un crucifix à ses yeux déjà défaillants. L’objet sacré s’anime et c’est le début des visions qui vont s’enchaîner. « Nous trouvons chez elle, a pu écrire un maître contemplatif du siècle écoulé, une admirable synthèse d’expérience mystique et de réflexion théologique, allant des « visions sensibles » de la passion du Christ aux « visions intellectuelles » de la Trinité, et de réflexions sur la création et la providence à des intuitions pénétrant le plus profond secret de la rédemption et de la miséricorde divine. » (Thomas Merton, dans Mystic and Zen masters, New York, 1967 ( tr. fr. : Mystique et Zen, Paris, Cerf, 1972, 221). Mais c’est son traducteur français qui, d’une phrase, résume le mieux l’intuition centrale de sa doctrine : « Tout l’enseignement que reçoit Julienne de Norwich par ses révélations et qu’elle cherche à transmettre par son texte vise à former en tous un regard de foi amoureuse qui perçoive continuellement DIEU TRI-UN, AMOUR INFINI, présent et vivant en tout être, en toute chose, en tout événement, en tout point du réel, afin qu’il devienne perceptible, connaissable, aimable et par là soit pour chacun le départ d’une vie nouvelle, de paix et de joie. » (Maisonneuve, 14-15). Doctrine trinitaire de l’Amour créateur, sur laquelle vient se greffer une théologie des mystères du Dieu incarné et rédempteur, très semblable à celle qu’Haurietis Aquas dérivera, elle aussi, du mystère de l’Amour miséricordieux de Dieu pour l’homme.

Symbolique et métaphysique

L’effort de nos pages a été d’approcher le mystère du Cœur de Jésus en en appelant simultanément à l’intelligence et à l’affectivité du lecteur. Car CONNAISSANCE METAPHYSIQUE ET CONNAISSANCE SYMBOLIQUE NE S’OPPOSENT PAS, MAIS S’APPELLENT AU CONTRAIRE L’UNE L’AUTRE. Si rare chez les théologiens du siècle écoulé, c’est principalement cette alliance paradoxale qui nous incite à clore sur l’exemple de Julienne de Norwich.

« Le langage symbolique est beau […]. Il est une véritable œuvre d’art. […] Il relie comme un pont […]. Il provoque une joie profonde car il met sur la route de Dieu et provoque à la création, source de fierté pour tout homme. Ce langage dévoile l’amour discret et combien présent de Dieu pour tous. Ce langage laisse toute la place au travail de l’Esprit dans le cœur des hommes car ce langage fait germer […] l’expérience d’un grand respect de chacun qui est façonné par sa culture, sa mémoire, son expérience de la vie, de l’amour […] L’Eglise se révèle ainsi une Eglise de la rencontre, partenaire de l’histoire de l’humanité. » (R. Pousseur, « Réhabiliter le langage symbolique dans l’Eglise », Esprit et Vie, juillet 2005, 4). Tel était le dessein de la présente Bible du Cœur de Jésus et de son ouverture à un dessein d’ « inculturation » dont on a souligné l’urgence.

Or « Julienne propose tout un enseignement théologique et pédagogique sur le regard, voie d’accès à Dieu […]. Julienne a un désir viscéral de voir, pour mieux connaître et comprendre. Elle veut saisir, élucider et être rassurée par le regard. C’est par le regard qu’elle entre dans un nouvel univers divin. C’est par le regard qu’elle veut révéler l’amour divin infini. […] Elle expose comment les Personnes de la Trinité se regardent entre elles. L’incessant mouvement d’amour qui va du Père au Fils et du Fils au Père dans l’Esprit se poursuit dans les regards de passion du Fils et de compassion du Père, tout autant que dans la joie de l’essence trinitaire. […] Le Dieu-Tri-Un contemple l’homme du même regard qui s’échange entre les Personnes divines. Le Père voit tous les hommes en son Fils en qui ils sont tous créés ; il les aime du même amour qu’il a pour son Fils […] Julienne de Norwich appelle l’homme à vivre sous les regards du Père et du Fils […]. Pour revivre, il est convié à sonder le regard de Dieu […] Elle l’invite à exercer continuellement […] un regard d’abandon qui se confie au pur-voyant et au tout-amour qu’est Dieu. » (Maisonneuve, 15-17).

« Le Livre des Révélations de Julienne de Norwich est un foisonnement de regards contemplatifs sur les modes les plus divers des présences. Elles entendent cerner les facettes multiples d’une réalité simple et complexe : l’Amour divin. […] Le Christ souffrant, Seigneur de gloire, est pour Julienne la porte d’entrée essentielle qui conduit à la connaissance du pur, total et multiple amour qu’est Dieu. C’est à partir de là que la voyante de Norwich est centrée sur les mystères liés et unifiés de la Trinité, de la rédemption et de la divinisation de l’homme par l’union à Dieu dans le Christ, qui constituent la vision essentielle du Livre des Révélations. » (Maisonneuve, 17-18).

Mais, en même temps, les visions imaginatives de ce Livre s’accompagnent de lumières proprement métaphysiques*. Dès la première vision, Julienne note : « Au moment où je vis la tête de notre Seigneur ruisselante de sang, il me montra son amour intime par une vision spirituelle […]. Je vis dans cette vision qu’il est à mon sens toute chose bonne. Alors il me montra, gisant dans la paume de sa main, une petite chose de la grosseur d’une noisette et, selon ce que je compris, ronde comme une bille. Je l’observai et pensai : « Qu’est-ce donc ? » Il me fut répondu, de façon générale : « C’est tout ce qui est créé. » Je m’étonnai que cette chose-là pût subsister, car, me sembla-t-il, un si petit rien pouvait être anéanti en un instant. Il me fut répondu dans mon entendement : « Il subsiste et subsistera à jamais, parce que Dieu l’aime. Ainsi toute chose tient son ETRE de l’amour de Dieu. » (Maisonneuve, 5, 50).

« Sur ce – [et c’est la 2e révélation] – je vis, en vision corporelle, sur la face du crucifix qui était devant moi […] une partie de sa passion : outrages, crachats, souillures, soufflets et bien d’autres langueurs et douleurs […] Je désirai plus de lumière physique pour voir plus distinctement. Il me fut répondu dans ma raison : « Si Dieu veut t’en faire voir davantage, il sera ta lumière. Tu n’as besoin que de lui. » […] Mon entendement fut à un moment transporté jusqu’au fond de la mer […]. Je compris alors que si quelque homme – ou femme – se trouvait sous cette eau profonde et voyait comment Dieu est continuellement avec nous […], il recevrait plus de consolation et de réconfort que tout ce monde n’est capable de l’exprimer. » Julienne est alors ramenée à sa vision corporelle, « figure et image de la ténébreuse et terrible mort que notre bel et lumineux bienheureux Seigneur prit sur lui à cause de nos péchés ». (Maisonneuve, 10, 66).

Le point-centre-de-tout

« Sur quoi – [3e révélation] -, JE VIS DIEU DANS UN POINT. Je le vis dans mon entendement. » (Maisonneuve, 11, 70).

La géométrie symbolique du point, comme représentation mentale du principe divin, est si naturelle à l’intelligence humaine qu’elle appartient à de nombreuses traditions sacrées. Le taoïste Tchang-tseu parle du point ultime qui n’a pas de nom (DSymb, Point, 709) ; le Zohar du « mystérieux Point originel », qui est aussi le point de la fin ; le soufi Ibn Arabi du point vibrant qu’est Allah. « Dans la tradition chrétienne, parce qu’il fusionne centre, rayon et circonférence, il figure l’union en la déité des trois Personnes divines […] ; l’union aussi du créateur et de toute la création. » (Maisonneuve 70, n. 22). Clément d’Alexandrie* nommait déjà Dieu « le point de l’unité primordiale » (Stromates 5, 2) : si, en effet, on abstrait d’un corps propriétés et dimensions, il reste un point ayant une position ; si l’on ôte la position, on atteint l’unité primordiale. Plus tard, le Pseudo-Denys, père de la théologie symbolique, exprimera que l’existence procède de la Bonté absolue en recourant à l’analogie suivante : « Tous les rayons du cercle sont concentrés dans une unique unité et un seul point contient en soi toutes les lignes droites, unitairement unifiées les unes par rapport aux autres et toutes ensemble par rapport au principe unique duquel elles procèdent toutes. » (Noms divins, V, 6. Traduction large d’A.-M Reynolds). Recueillant toute une tradition médiévale de mystique spéculative*, Angelus Silesius rappellera que ce point est l’inexprimable Infini : « Il n’y a pas de commencement, pas plus qu’il n’y a de fin. Ni centre ni cercle, où que je me tourne. » (Le Pèlerin chérubinique, II, 188). Plus près de nous, Teilhard de Chardin, se plaçant du côté non de l’origine, mais du dynamisme qui meut le cosmos vers son achèvement dans le Christ, recourra à la notion apocalyptique de Point Oméga (Cf. Ch. 8 ; sect 3, 2).

Or la métaphysique* du « centre » est constitutive de la symbolique du « cœur » (Cf. Ch. 3, sect. 3) et, ne l’oublions pas, c’est cette symbolique du cœur-centre qui, dans une théologie de l’immanence*, réconcilie les coordonnées christique et trinitaire du mystère de l’Amour, car le fondement dynamique de cette symbolique du Cœur de Jésus, c’est la métaphysique* du Dieu-centre-de-tout (Cf. Ch. 10, cect. 2, VRJ, Dynamique).

Mais, consciente que sa troisième révélation était d’ordre plus intellectuel qu’imaginatif, Julienne notait déjà que la vision du « point-centre de tout » (Maisonneuve, 11, 71) ne lui donnait aucune clarté sur l’agir des créatures (c’est-à-dire, sur le mode selon lequel elles sont les coopératrices de Dieu), mais seulement sur l’opération-source de toutes les autres : celle de Dieu dans son œuvre, où tout provient de lui hormis le péché. « Notre-Seigneur, concluait-elle, veut que l’âme soit vraiment tournée vers la contemplation de Dieu et de ses œuvres […]. Tout a été créé selon l’ordre qui lui convient à jamais. Rien ne faillira à cet égard. Car c’est DANS LA PLENITUDE DE SA BONTE QU’IL A CREE TOUTES CHOSES. C’est pourquoi la très sainte Trinité est à jamais pleinement satisfaite de ses œuvres. Il me le montra avec grande béatitude :

Vois ! Je suis Dieu. Vois ! Je suis en toute chose […].
Vois ! Je conduis toute chose à la fin que je lui ai assignée de toute éternité,
avec la même puissance, la même sagesse, le même AMOUR
que lorsque je l’ai créée.

C’est avec puissance, sagesse et amour que mon âme fut sondée lors de cette vision. Je vis en vérité que je devais acquiescer avec profonde révérence et me réjouir en Dieu. » (Maisonneuve, 11, 71-72).

« All shall be well »

Les dernières lignes de cette déclaration de Julienne contiennent le secret de l’optimisme qui marque toute sa doctrine de l’Amour divin. La recluse de Norwich s’était pourtant posé avec acuité le problème du mal et de l’existence de l’enfer, dont avec l’Eglise elle confesse la réalité. Mais ce qui est caractéristique du Livre des révélations, c’est qu’au tourment de la voyante, Dieu répond du fond de sa mystérieuse ETERNITE, dont il déploie sous nos yeux la triple dimension par laquelle celle-ci s’inscrit dans le temps : passé ou mystère de l’origine de toutes choses, présent ou mystère de la providence qui « garde » tout ce qu’il a créé avec amour, avenir ou accomplissement de notre destinée dans la béatitude éternelle. Mais, depuis le 20e siècle, l’interprétation commune du message de Julienne donne avec raison le pas à la troisième dimension : le problème du mal ne trouvera sa solution pour chacun d’entre nous que dans la béatitude éternelle. Ce jour-là, « nous dirons tous d’une seule voix :

Seigneur, tu es béni !
Car il en est ainsi : TOUT EST BIEN
(3). »

En attendant, Jésus demande à Julienne d’avoir une confiance absolue en la réalisation ultime de cette parole répétée maintes fois à son entendement : « All shall be well ! Tout sera bien ! Il n’y a rien qui ne sera pas bien. » (Cf. 27, 106 ; 31, 113 ; 32, 116 ; etc.). L’Eternel manifeste en effet le plus clairement la transcendance de son Etre par une radicale capacité à se situer dans l’avenir comme s’il s’agissait du Présent. Ce royaume de la Fin échappe, au contraire, totalement à l’esprit humain, invité à faire aveuglément confiance à une Bonté divine, dont il a pu expérimenter en maintes occasions les effets.

De ce point de vue, nier l’existence de Satan et de la damnation a toutes les apparences d’une pseudo-solution, que Le Livre des Révélations refuse : « Notre BON Seigneur, considérant éternellement sa propre gloire et le profit de tous ceux qui seront sauvés, s’oppose, de toute sa puissance et justice, aux damnés (4) qui, avec malice et perversité, s’affairent à conspirer contre lui et à agir contre sa volonté. » Voyant pourtant le mépris avec lequel Dieu tient l’Ennemi pour déjà vaincu, la mourante note qu’elle fit rire ceux qui entouraient son lit en éclatant de rire dans ce moment dramatique où sa vie semblait ne tenir qu’à un fil. « Pourtant le Christ, lui, je ne le vis pas rire […]. J’eus cette vision – où Dieu méprise la malice de Satan -, ajoute-t-elle, lorsque je fixai mon entendement en lui. Il me révéla intérieurement la vérité, sans qu’il changeât d’expression […]. Je redevins grave et je dis : « Je vois trois choses : une lutte, un mépris, une ardeur. » Cette ardeur que Jésus mit dans sa passion et dans sa mort ne nous dispense donc pas d’une lutte dramatique à ses côtés pour que l’Ennemi soit vaincu. Et Julienne termine en se situant maintenant résolument du côté de l’accomplissement final du Mystère : « Quand j’ai dit : Dieu le méprise, j’ai voulu dire : Dieu le voit maintenant comme il le voit éternellement : damné. C’est ce qu’il me montra […] : il sera méprisé. J’ai vu qu’au jour du jugement, il le sera par tous ceux qui seront SAUVES. Leur salut lui causera une grande rage. Il verra que tout le mal, toutes les tribulations qu’il a manigancées se retourneront en un accroissement de joie pour eux, à tout jamais. » (Maisonneuve, 13, 76).

L’affirmation décisive du Livre des Révélations est donc celle-ci : « La passion de Notre-Seigneur nous est un réconfort contre tous [ces maux], telle est sa volonté bénie envers ceux qui seront sauvés. Il réconforte promptement et délicatement par ces mots : Mais tout sera bien ; toute chose quelle qu’elle soit sera bien. » ([E. Colledge et J. Walsh], A book of showings to the anchoress Julian of Norwich, Toronto, Pontifical Institute of mediaeval studies, 1978, t. 1, 245, 69-73). Seul le mode de réalisation de cette Parole nous échappe. En effet, selon la pertinente remarque d’un des meilleurs connaisseurs de la mystique chrétienne, « l’heureuse fin de toutes choses ne nous indique pas avec certitude comment toute chose ou tout événement particulier se situera par rapport au bien final (5). » Aussi, même, déchiffrée à la lumière du mystère pascal du Cœur transpercé de Jésus, l’aventure personnelle de chaque homme et de chaque femme reste-t-elle souvent ici-bas, comme celle de Job dans son épreuve, entourée d’obscurité. « La phrase que Julienne entend dans son entendement : ‘Tout sera bien’ a pour fonction essentielle d’exprimer l’exigence inévitable de l’unité d’un Dessein de Dieu qui se réalise : puisque Dieu est infiniment bon, qu’il crée tout par amour et pour sa propre gloire, laquelle coïncide avec l’effusion participée de sa vie et de son amour, le destin du monde est un et s’achève dans la lumière et la bonté. » (Dmyst, t. 2, 282).

Il semble que Julienne, en tout cas, ait entrevu un élargissement du mystère du salut, à l’encontre de la théologie de son temps, qui – dans l’univers clos du Moyen Age – se montrait sévère non seulement pour Israël, mais pour le salut des non-baptisés et des mauvais chrétiens. Mourir hors de l’appartenance visible à la sainte Eglise, c’était à l’avance être exclu du ciel et il semblait à la voyante qu’il s’agissait d’une interprétation irréformable de l’Eglise, enracinée dans la Parole même de Dieu : « Je jugeai donc impossible que tout pût finir bien […] La seule lumière que je reçus de Notre-Seigneur […] fut cette phrase (qui rappelle celle de Jésus à ses disciples : Mt 18, 26) : « Ce qui t’est impossible ne me l’est pas. » […] J’appris donc, par la grâce de Dieu, qu’il fallait me tenir dans la foi […] et là croire avec non moins de fermeté que toutes choses seront bien […]. Ce que sera cette œuvre et comment elle se fera, hormis le Christ, aucune créature ne le sait ni ne le saura avant son accomplissement. » (Maisonneuve, 32, 118). C’est seulement dans le jugement final de Dieu, marqué par le triomphe d’un Amour à la fois juste et miséricordieux, que chacun comprendra l’heureux aboutissement de tout.

Quoiqu’il en soit, Julienne voulut longtemps savoir ce que signifiaient ses révélations non pas pour elle, mais pour le Seigneur lui-même. « Quinze ans plus tard et plus, il me fut répondu dans mon entendement. » - et cette réponse est du plus pur style courtois - : « Sache-le bien. L’amour, voilà ce qu’il a eu en vue. Qui te l’a montré ? L’amour. Pourquoi te l’a-t-il montré ? Pour l’amour. Attache-toi à cet enseignement. Tu en connaîtras davantage en AMOUR, mais tu n’en apprendras jamais davantage, dans les siècles des siècles. »

Retenons l’incidence pratique du message. Quel puissant réconfort que de nous redire intérieurement à nous-même, dans chacune des épreuves qui – fruit direct ou non du péché – nous atteignent nous, nos proches ou le vaste monde : « All shall be well ! Tout finira bien ! Tout tournera en bien ! » Louer à tout moment et en toutes choses la bienheureuse Trinité, louer notre Créateur et Rédempteur pour, dans le malheur, être capable de maintenir qu’Il est Amour quand même : cette louange incessante, fruit d’une effusion d’Esprit qu’il faut savoir humblement demander, tel est le secret ici-bas d’une inaltérable paix qui transfigure les larmes en autant de perles d’amour qui seront dans l’éternité notre parure aux yeux du Dieu d’infinie béatitude. Tel est le fruit d’une Sagesse à laquelle Jésus peut nous faire accéder à tout âge de la vie.

Le Cœur de Jésus, « lieu »symbolique de notre liesse éternelle

C’est dans la 10e révélation que Jésus avait, comme nous l’avons dit, montré à Julienne son Cœur. Reprenons plus au long le récit de la voyante.

La révélation précédente s’était terminée sur l’évocation du « bonheur qu’éprouve la très sainte Trinité à cause de notre salut […]. Le fils de la Vierge souffrit seul, mais toute la Trinité se réjouit. », car, quelle qu’ait été la compassion du Père dans l’instant de la Passion de son Fils, son ETERNITE l’enveloppe éternellement de béatitude. C’est équivalemment dire que de ce qu’il a fait dans son mystère pascal, le Verbe incarné, deuxième Personne de cette bienheureuse Trinité, lui aussi « se réjouit à jamais et sans fin ».

Le chapitre 24 poursuit (Maisonneuve, 24, 99-100) :
L’air content, Notre-Seigneur regarda dans son côté, IL LE CONTEMPLA AVEC JOIE et, de son doux regard, il introduisit l’entendement de sa créature à l’intérieur de cette même blessure. Là, il lui montra un beau lieu délicieux, assez grand pour que tous les hommes sauvés puissent y reposer dans la paix et dans l’amour. Il me remit en mémoire le sang très cher et l’eau précieuse qu’il laissa couler par amour. D’un doux regard contemplatif, il montra son saint CŒUR fendu en deux. Dans sa joie, il dévoila en partie à mon entendement sa bienheureuse divinité, selon ce qu’il voulait alors en révéler. Il fortifia ma pauvre âme pour qu’elle pût comprendre, pour ainsi dire, l’AMOUR qui n’a pas eu de commencement, est et sera à jamais.

Notre-Seigneur dit avec la plus vive allégresse : « Vois COMBIEN je t’aime (6) ! » C’était comme s’il avait dit : « Ma bien-aimée, […] contemple et vois quelle allégresse et quel bonheur je trouve dans ton salut. Et par amour pour moi, réjouis-toi avec moi. »
Ce qui suit prend tout son relief lorsqu’on le replace dans la perspective du Catéchisme § 112, telle que notre dernier chapitre l’a développée :
Puis, pour me faire encore mieux comprendre, il ajouta : « Vois COMBIEN je t’aime ! » Comme s’il avait dit : « Regarde bien ! Je t’ai tant aimée qu’avant de mourir pour TOI je l’ai désiré ardemment. J’ai souffert volontiers tout ce que j’ai pu souffrir. Et maintenant toutes mes amères souffrances, tout mon dur labeur, se sont changés en joie et en béatitude éternelle pour MOI et pour TOI. […] Car mon plaisir, c’est ta sainteté et ta joie et ta béatitude éternelle avec moi. »
Et, comme à son habitude, Julienne a conscience qu’en lui parlant à elle, Jésus s’adressait à tous : « Si Notre-Seigneur m’a parlé ainsi, c’est pour NOUS rendre joyeux et heureux. » Tel est le souhait qu’il ne nous reste plus qu’à formuler, à notre tour, pour chacun des lecteurs de cette Bible du Cœur de Jésus.

42. @ Les Méditations du pseudo-Bonaventure.
Ces “méditations sur la vie du Christ”, pétries d’esprit bernardin, pourraient être d’un franciscain toscan du couvent de san Gemignano (DSAM 1, 1848-1853 ; 8, 324-326). L’unité de style attesterait que même les chapitres sur la passion ne sont pas, malgré l’unanimité des anciens témoins, de S. Bonaventure (Ibid., 325).

46. @ L’ « évangile du bas Moyen Age ».
DSAM 9, 1133-1136. La version castillane de ces contemplations d’évangile, nourries des Pères et surtout de la prière de Ludolphe, venait de paraître en 1502-1503. Cette “Vie de Jésus-Christ” enseignait à se faire le compagnon des personnages de l’évangile et à méditer le récit évangélique au présent : “Le Seigneur te sera présent spirituellement à la mesure où tu te le représenteras présent” (Vita, 2, 58).

50. @ La vision de saint Pierre Canisius (1546).
« J’étais agenouillé devant l’autel des apôtres saint Pierre et saint Paul quand, par un nouveau bienfait, mon Dieu, vous m’avez envoyé un ange, et vous avez voulu, en me le donnant pour guide et pour gardien dans l’état de vie plus saint qui est celui des religieux profès, que je fusse éclairé et soutenu par lui. Après l’avoir reçu comme compagnon, je me suis dirigé vers l’autel où se trouvait le sacrement de votre saint Corps, toujours dans la basilique Saint-Pierre, et là j’ai mieux compris le rôle de l’ange. Mon âme était prosternée devant vous, mon âme affreuse, impure, inerte, souillée par quantité de vices et de passions. A ce moment, l’ange s’est tourné vers le trône de votre Majesté, et il me montrait en détail l’importance et l’ampleur de mon indignité et de mon abjection, de manière à me faire voir nettement combien j’étais indigne de la profession ; il disait la difficulté qu’il allait rencontrer à me gouverner, à me conduire sur une route si ardue et si parfaite. Mais vous, mon sauveur, vous m’avez alors, pour ainsi dire, ouvert le Cœur de votre Corps très saint. J’avais l’impression d’en voir l’intérieur. Vous m’avez dit de boire à cette fontaine, m’invitant à puiser les eaux de mon salut à votre source, ô mon Sauveur. Pour moi, j’éprouvais un grand désir de voir couler de là dans mon âme, à flots, la foi, l’espérance et la charité. J’étais assoiffé de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, et je vous priais de me purifier de la tête aux pieds, et de me couvrir, et de me parer. Puis, j’osai atteindre à votre Cœur, tout rempli de douceur, et y apaiser ma soif ; et vous m’avez promis une robe tissée de paix, d’amour et de persévérance, pour couvrir mon âme dénudée. Avec cette parure de salut, je sentis grandir en moi la confiance que je ne manquerais de rien et que tout se tournerait à votre gloire » (Christus, juillet 1957, 389).
Voir aussi : P. WENISCH, Célébration du Cœur du Christ, Colmar, Alsatia, 1982, 308-309.

53. @ Saint Jean de la Croix puisait au cœur de Jésus :
“Là [dans le cellier intérieur] il m’accorda son sein, là il m’enseigna une science très savoureuse” (Cantique B, 27). “Accorder son sein à quelqu’un, c’est lui donner son amour et son amitié et lui découvrir ses secrets comme à un ami. La science savoureuse [...], c’est la [...] contemplation, laquelle est très savoureuse, parce que c’est une science d’amour” (Ibid., 4) Cf. Thérèse de l’Enfant Jésus à propos de S. Marguerite-Marie : Prologue, sect. 2, § 3..

60. @ Le « cœur » chez Thérèse d’Avila.
En effet, on ne rencontre pas sous sa plume l’expression Corazon de Jesus, car, dans la langue de Teresa de Ahumada, la notion de corazon (« cœur ») est très secondaire par rapport à celle de « centre de l’âme». A cet égard, le choix de l’évangile de sa fête (Lc 6, 43-45) est typique : docteur des « voies de l’intériorité (7) », l’auteur du fameux Château intérieur a eu pour ambition de conduire ses carmélites, de demeure en demeure, au plus près du centre de leur âme où gît le « trésor du cœur » (Lc 6, 45) - au sens biblique du mot –, qui n’est autre que l’habitation des trois Personnes divines. « Comme une biche languit après l’eau vive, ainsi mon âme languit vers toi, mon Dieu. Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant » (Ps 41, 2-3) : toute âme authentiquement attirée par le Carmel tressaille à l’antienne d’ouverture de la messe du 15 octobre.

62. @ Oraison et symbolique du Cœur de Jésus aujourd’hui.
Il y aurait à traiter ici de la « prière du cœur » et à développer pourquoi et comment la symbolique moderne du Cœur de Jésus (et l’adoration eucharistique, qui en est le corollaire) facilitent grandement, chez les jeunes ouvriers de la « nouvelle évangélisation », la conjonction du recogimiento (le « recueillement » au sens pré-térésien) et de la dévotion thérésienne à la sainte humanité du Christ.

63. @ Thérèse d’Ávila vient de nous décrire une « blessure qu’elle ressent en l’absence de son Dieu ».
[*** Prochainement en ligne ***]

65. @ Edith Stein, poème de la Transverbération.
[*** Prochainement en ligne ***]

@ Bref historique de la « consécration ».
Au sens où l’emploie la spiritualité moderne, la notion de « consécration » s’était imposée à l’attention vers le début du siècle, grâce sans doute d’abord à l’école salésienne, puis à la bérullienne. Cf. DSAM, article « Consécration », col. 1579 et sv.. Consacré à Jésus dans le sein maternel, François de Sales* proposait dès 1608 aux laïcs qui voulaient reprendre au sérieux leur baptême une “résolution et consécration” à l’amour de Dieu par laquelle ils dédieraient et consacreraient à celui-ci – au cours d’une « protestation » faite secrètement entre les mains d’un confesseur - leur esprit, leur âme, leur cœur et leur corps (Introduction à la Vie Dévote 1, 20, p. 69-71. Cf. 5, 2, p. 297 ; 18, p. 316). Quant au cardinal Pierre de Bérulle* († 1629), il fut l’adorateur du Oui sans réserve que le Christ prononce “en entrant dans le monde” (He 10, 5) ; et son disciple Jean Eudes* préconisait que nous inaugurions par une offrande à Dieu chacun de nos commencements - du jour, du mois, de l’année et surtout, rétrospectivement, de notre vie même -, lui abandonnant par ce geste toute propriété sur nous-mêmes. Dans les années 1630, on apprenait ainsi à “dédier” au Créateur les racines même de son être et de son agir. Ce n’est donc pas un hasard si l’une des premières grandes vagues de consécrations va débuter dans la nuit du 24 au 25 mars 1636, à minuit : en cette fête de l’Annonciation du Seigneur, à l’heure supposée du Oui de Marie et de Jésus, la jeune Marguerite du Saint-Sacrement* (1619-1648) et huit de ses compagnes “se consacreront et se dédieront au Verbe Eternel, s’offrant à lui en ce premier moment qu’il s’est incarné, pour lui appartenir [...] à jamais » (J. ROLAND-GOSSELIN, Le Carmel de Beaune, hors commerce, 1969, 143 (Archives du monastère, XXIII, f. 2).
Ces carmélites de Beaune, en Bourgogne, se consacraient ainsi à la divine personne du Verbe fait chair, devenu par son Incarnation l’enfant auquel nous pouvons tous nous identifier. Mais il n’y avait pas que l’humanité du “Petit Roi de grâce” (ibid.) qui pouvait servir de médiatrice à la dédicace que nous voulons faire de nous-mêmes à Dieu. Deux ans plus tard, à Abbeville, le jour de l’Assomption, le roi Louis XIII* célébrera solennellement la consécration à Marie de sa personne, son Etat, sa couronne et tous ses sujets, obligés que nous nous sommes crus, déclarait-il, de nous consacrer au Fils de Dieu “par sa Mère élevée jusqu’à lui” (R. LAURENTIN, Le vœu de Louis XIII, Paris, OEIL, 1988, 109). Et, au milieu du siècle, le jésuite toulousain Jean-Pierre Médaille* († 1669), par exemple, proposera à des religieuses actives de se consacrer aux trois Personnes divines au travers d’une triple consécration à cette “trinité terrestre” que constitue la sainte famille de Jésus, Marie et Joseph (Cf. arobase ci-dessous). En ce Grand Siècle, où le “cœur” envahissait la littérature et l’imagerie, tout était mûr pour que quelqu’un prît l’initiative d’une consécration au divin Cœur du Fils de Dieu par la médiation de son cœur humain ; et c’est derechef de Bourgogne que va partir l’élan par l’influence conjuguée de Marguerite-Marie* et Claude La Colombière*.
Les racines de ce mouvement seraient à retrouver. Plusieurs courants semblent avoir conflué ici. Dès le Moyen Age, la donation à Dieu ne fut pas réservée aux vierges et aux religieux : elle toucha le monde laïc. Se fondant sur une antique formule par laquelle Ildefonse de Tolède* (+ 671) s’était livré à son Seigneur et à « Dame (Domina) Marie » sa Mère, certains, dès le XIe siècle, se donnaient à celle-ci comme serfs, parfois la corde au cou, et, à partir du XVe, fleurit en Espagne la pratique du « service (servitudo) marial », dont l’influence s’exercera sur Bérulle* – et plus tard Grignion de Montfort*. La protestation de François de Sales*, elle, peut avoir ses antécédents dans le propositum des Pénitents médiévaux, qui correspondait comme chez lui à une démarche de conversion personnelle à une vie fervente. Peu étudiées encore, certaines chartes du Christ, d’inspiration « courtoise », préfigureraient, quant à elles, les futures consécrations au Cœur de Jésus. A partir du XVIe siècle, les membres des Congrégations mariales, dont les jésuites couvrirent l’Europe, feront un engagement par lequel ils se donnaient à Dieu dans leur état de laïcs.

73. @ Jean Pierre MEDAILLE et la consécration à la Trinité.
Né à Carcassonne, Jean-Pierre Médaille entre chez les Jésuites à l’âge de 16 ans et devient prêtre en 1637. Au cours de ses missions dans le Massif Central, le père Médaille rencontra des femmes désireuses de se consacrer à Dieu et de soulager la misère qu’elles côtoyaient. A cette époque, la vie consacrée ne se concevait qu’à l’intérieur d’un cloître, or le Père Médaille eut l’idée de proposer à ces femmes une Congrégation de vie consacrée dans le monde. Bien qu’une telle audace choquât beaucoup les gens de l’époque, il reçut l’approbation et l’appui de Monseigneur Maupas, alors évêque du Puy. Le 15 octobre 1650, est fondée la Congrégation des Sœurs de Saint-Joseph.

« Abrégé de la fin de la petite Congrégation de Saint Joseph.

Pour mettre en abrégé la fin de notre très petite Congrégation de Saint Joseph, les sœurs qui sont agrégées se souviendront que leur petit Corps est consacré à la Très Sainte Trinité incréée de Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et à la très Sainte Trinité créée de Jésus, Marie, Joseph.

Et premièrement, qu’à l’honneur de Dieu le Père, qui est l’exemplaire de notre perfection, elles doivent faire profession en toutes choses de la recherche de ce qui est le plus parfait.

Secondement, et qu’à l’honneur de Dieu le Fils qui s’est anéanti pour nous, elles doivent faire état du plus grand anéantissement d’elles-mêmes, de toute leur volonté et en toute leur vie, par la profession de l’humilité la plus profonde.

Troisièmement, à l’honneur de Dieu le Saint Esprit qui est tout amour, elles doivent vivre de telle sorte que leur petit Corps puisse porter le nom de la Congrégation du grand amour de Dieu et, qu’en tout et partout, elles fassent profession du plus grand amour en la pratique.

Quatrièmement, à l’honneur de Jésus, grand zélateur de la gloire de Dieu son Père et du salut des âmes, elles doivent être toutes pleines de zèle pour avancer, du mieux qu’elles pourront, la plus grande gloire de Dieu, le salut et la perfection du prochain.

Cinquièmement, à l’honneur de la glorieuse Vierge Marie qui a été remplie et regorgeante de toutes sortes de grâces, elles doivent faire état d’être très fidèles à tous les mouvements de la grâce, se laissant conduire avec douceur, humilité et obéissance très grande au très adorable Saint-Esprit.

Sixièmement, à l’honneur de leur très glorieux Patriarche Saint Joseph qui a été tout charité pour Jésus et pour Marie, elles feront profession de la plus parfaite union et charité entre elles-mêmes qui leur sera possible, et d’une très accomplie charité et miséricorde selon Dieu et les ordres de leur petit Institut, envers toutes sortes de prochain, le tout moyennant la souveraine assistance de la grâce sans laquelle nous ne sommes rien ».

Constitutions du 2° Saint Joseph. Fin de la 2° partie : Fin et moyens in Sœurs de Saint Joseph, Textes primitifs, Clermont-Ferrand, Imprimerie Siman, 1981, p. 31.

74. @ La consécration au Cœur de Jésus avant Claude La Colombière.
[*** Prochainement en ligne ***]

75. @ Les origines historiques de la consécration.
Cf. J. de Finance, DSAM, art. « Consécration ».

80. @ Les rares études sérieuses sur Marguerite Marie.
[*** Prochainement en ligne ***]

81. @ Deux mises en garde préliminaires.
Aux hommes d’Eglise nous devons deux mises en garde préliminaires.
1. D’une longue fréquentation de la sainte il résulte que son langage est fiable. Là où elle nous laisse entendre que le Dieu vivant lui parle – ou parle en elle -, nous pouvons la croire sur parole. Or, frottés de « sciences humaines » comme nous le sommes tous aujourd’hui, qui ne se surprendra pas, au moins une fois ou l’autre, à retraduire dans leur jargon telle ou telle phrase qui, de plein fouet, heurte la sensibilité du jour ? Là où le sujet grammatical est de toute évidence : « mon divin Maître » ou « l’Esprit qui me conduisait », gare à la tentation renaissante de le remplacer subrepticement par : « le cher petit Surmoi que papa et maman m’ont fait » ! Qu’ici on ne laisse pas abuser par la si fréquente incise « si je ne me trompe » : ce sont ses supérieures (G 14. VO4, 1, 361) qui sont coupables de l’avoir expressément exigée de son humilité, renforçant ainsi la native défiance qu’elle avait d’elle-même et, par contrecoup, celle que nous pourrions avoir à son égard. Sans fausse pudeur, nous n’hésiterons pas, pour notre part, à dire tout crûment : « Jésus », là où le mot s’impose.
2. La seconde mise en garde découle de la première. Face à la déferlante qui submerge aujourd’hui le « cas » de notre sainte, beaucoup d’entre nous ne croient pouvoir la « sauver » qu’au prix d’une imprudente concession. Soit ! disent-ils. Marguerite Alacoque donnait tous les signes d’un profond déséquilibre. Et après ? Dieu est bien libre de se servir d’instruments faussés pour tracer avec eux des lignes droites. Or la concession est inutile et dangereuse. Inutile parce que le soi-disant « déséquilibre » de sainte Marguerite-Marie n’a jamais existé que dans le crâne de ceux qui ne l’ont pas longuement fréquentée. Dangereuse, parce que, pour peu qu’il soit lucide sur lui-même, chacun conviendra aisément que de tels jugements n’ont pas peu contribué à déconsidérer, dans notre propre vie, le lumineux message de Paray-le-Monial.

82. @ Entêtement de la sainte ou impuissance psychologique ?
Toute la famille Alacoque était allergique au fromage : au récit de la jeune novice se débattant vainement devant le tout petit morceau que sa supérieure – au mépris de la convention passée à l’entrée au monastère – a ordonné de lui servir, qui d’entre nous ne sentirait se réveiller délicieusement en lui le souvenir de l’enfant jadis privé de dessert par papa et/ou maman ? Comme de tant d’autres scènes de la vie d’une sainte constamment attentive à noter ses « résistances » instinctives, c’est le cas de dire qu’il ne vaut guère la peine d’en faire tout un plat !

83. @ Date et contenu de la première apparition.
A moins que ce ne soit en 1674. - Au début du siècle dernier, l’archiviste du monastère avait imposé l’idée que la suite constituait une seconde apparition. Les historiens contemporains se sont affranchis de cette opinion. Voir la minutieuse étude d’E. GLOTIN, « Un jour de saint Jean l’évangéliste ». Les différents récits d’une même apparition », Colloque 1990, 211-265. – DARRICAU et Ch. BERNARD [référence] ont recopié l’opinion ancienne sans avoir repris l’étude du dossier.
Cette partie de l’apparition ne fut dévoilée qu’en 1888. FILOSOMI y a vu une apparition de la fin de la vie de la voyante. La sainte en parle pourtant comme de « cette première grâce », ce qui semble renvoyer à celle du 27 décembre où il lui ouvrit son cœur « pour la première fois ». Jusqu’à la fin de sa vie, en effet, Marguerite-Marie revient sur cette grâce fondatrice, alors qu’elle ne fait guère allusion par la suite à juin 1675. Une biographique critique serait bien utile pour peser les arguments pour et contre.

85. @ L’écriture de sainte Marguerite-Marie.
[*** Prochainement en ligne ***]

86. @ L’enfance de Marguerite-Marie.
[*** Prochainement en ligne ***]

88. @ Les avis de Marguerite-Marie à ses novices.
[*** Prochainement en ligne ***]

91. @ L’hétéro-interprétation du cas de Sainte Marguerite-Marie.
Cf. Glossaire : Hétérointerprétation* = interprétation à base de critères hétérogène au sujet traité et généralement « réducteurs » du spirituel.
Cf. J. VUARNET, Le dieu des femmes, l’Herne, 1989, 93-115. Cf. aussi J. Maître, Mystique et féminité, Paris, Cerf, 1997, 143-146). J. Le BRUN (DSAM, art. MARGUERITE-MARIE) reste extérieur à l'expérience. Mais son « Politique et spiritualité : La dévotion au Sacré-Cœur à l’époque moderne », Concilium, n°69, 1971, 25-36 semble meilleur.

92. @ L’interprétation d’un historien romantique.
J. MICHELET, Le prêtre, la femme, la famille, Paris, 1845, Ch. XI : « Plus de système : un emblème. Le sang ; le sexe ; l'Immaculée, le Sacré-Cœur ».
Ce serait l'esprit pratique et "matérialiste" des jésuites qui, pour parer à la décadence théologique, aurait emprunté le fétiche équivoque du cœur à J. Eudes. Représentante typique de cette "galanterie dévote" par où, à l'époque, le sexe pénètre la religion, Mademoiselle Alacoque, "forte fille sanguine qu'on était obligé de saigner sans cesse", avait donc "l'imagination remplie de ces visions de sang". "Entrée à 24 ans au couvent avec des passions entières", c'est elle qui, aidée du P. Lachaise et de "La Colombière, douce et faible nature" (!), a donné au catholicisme "la charnelle et sensuelle dévotion au Sacré-Cœur" : "Pour mêler l'horreur au ridicule, c'est en 1685 dans l'année néfaste de la révocation de l'édit de Nantes que Marie Alacoque dresse le premier de ces autels qui couvrirent la France." Courte étude de JP. Moisset, Michelet, la femme et le prêtre, dans (CHOLVY), La religion et les femmes, Montpellier, 2002, Université Valéry, 137-146. Voir aussi l’invraisemblable H. THULIE, La mystique divine, diabolique et naturelle des théologiens, Paris, Vigot 1912, 126-127, 160-171, 184-185, 194-197.

93. @ Les contresens des psychologues de naguère.
W. JAMES, L’expérience religieuse, essai de psychologie descriptive (1900), 2e éd., Paris, 1908 : « Perversion de la sensibilité, déficience intellectuelle » (!) ; J.H. LEUBA, Psychologie du mysticisme religieux, Paris, 1925. « Erotomanie nettement caractérisée ».
– Analyse dans P. BLANCHARD, Sainte Marguerite-Marie. Expérience et doctrine, Paris, Alsatia, 1961, p. 17-20. Françoise Mallet Joris dans son Jeanne Guyon a noté combien le jugement de James était dépassé (p. 93-94).

94. @ Trois articles calomnieux.
Ch. BOYSSET, « Sainte Marguerite-Marie et le Révérend Père de la Colombière », Le Petit Lyonnais, 14, 24 et 31. 07. 1880.

95. @ Sous une plume d’ordinaire sérieuse.
A. VERGOTE, Dette et désir, Paris, Seuil, 1978, 220-223. Or à l’inverse d’une hystérique, Marguerite-Marie a toujours cherché à dissimuler ce qui lui arrivait. D’où ses résistances à s’acquitter de sa mission (vg. quand le 21 nov. 1677, elle doit déclarer à sa supérieure et à son monastère son offrande victimale). Et pour l’obtention de la Fête, Jésus lui reprochera de traîner pour ce qu’il lui a tant de fois demandé.

96. @ Marguerite-Marie, un « cas-limite » ?
[*** Prochainement en ligne ***]

@ Pierre Blanchard.
[*** Prochainement en ligne ***]

99. @ Impulsion instinctive ?
Ce qu’un confrère psychanalyste n’a pu soutenir qu’au prix d’un jeu de tronquage et de soulignement. L. BEIRNAERT, sj.. Son geste a été interprété comme le symptôme d’une pathologie (Cf. L. BEIRNAERT, « Note sur les attaches psychologiques du symbolisme du cœur chez sainte Marguerite-Marie », EC 1950, 228-233). Deux fois (A 71), elle affirme que c’est parce que Jésus la reprit fortement de ses répugnances qu’elle « ne put se défendre» de poser ce geste. L. BEIRNAERT omet la première partie de la phrase.

101. @ Du bon usage de la psychanalyse.
En particulier sur ce qui concerne les maladies d’enfance de Marguerite Marie et de Thérèse de l’Enfant Jésus. Nous avons dit : globalement inadaptée, sans nier qu’on puisse en tirer un éclairage marginal par un usage modéré, comme le fait JF. CATALAN, « Amour pour amour », Christus, Hors série, 2001. Il y cite le jugement compétent de Blanchard, professeur de psychologie religieuse à Lyon : « expérience mystique ne relevant nullement de la psychiatrie ». Cf. aussi : JF CATALAN, Approche psychanalytique de la signification de la Symbolique du Cœur, Histoire et symbole, 1987, Session Instituts religieux, pro manuscripto, 75-86.

103. @ L’épithète doloriste.
[*** Prochainement en ligne ***]

107. @ S. Thérèse D’AVILA Cf. l’explication de Jésus lui-même.
En cas de fautes non expiées, « je ne te priverai point de ma présence pour cela, mais je te la rendrai si douloureuse qu’elle tiendra lieu de tout autre supplice » (VO4, 2, 568). Longue analyse de Marguerite Marie (VO4, 2, 568-570) qu’elle soumet humblement à J. CROISET.

108. @ Nombreuses expressions.
Cf. index.
Conformité à Jésus souffrant, à replacer dans l’expression typique de Marguerite-Marie « conforme à la vie d’un Homme-Dieu » (cf. ses premières résolutions : VO4, 2, 189) : « ces paroles que mon divin [Maître] me fit entendre dans le commencement qu’il m’apprit à connaître son aimable Cœur, par lesquelles [il] a enseigné à son indigne esclave qu’il voulait rendre, lui-même, sa vie entièrement conforme à celle d’un Homme-Dieu, en la rendant une véritable copie de Jésus pauvre, humilié, méprisé et souffrant ; et tellement abandonnée et destituée de tout soutien, que souvent je m’écrie avec lui sur la Croix : « Mon Dieu ! pourquoi m’avez-vous délaissée ? » (VO4, 2, 612-613). Outre les souffrances morales et les maladies, elle avait, semble-t-il, habituellement de douloureux maux de tête. La douleur de son côté (A 54) semble aussi s’apparenter à une stigmatisation invisible.

112. @ Une phrase choquante pour un moderne.
Le texte se termine par cette phrase choquante pour un moderne, mais proche d’expressions de Thérèse d’Avila ou de François de Sales : « Car la vie me serait insupportable sans la croix. C’est tout le bonheur d’ici-bas que d’y pouvoir souffrir. »

114. @ Pour approcher les textes de sainte Marguerite-Marie.
Nous conseillerions volontiers de faire précéder sa lecture par celle d’un texte qui la présente sous son jour favorable, telle la biographie facile que nous en avons nous-même publiée.
L’édition du tricentenaire comprend deux volumes (Vie et Œuvres de S. Marguerite-Marie ALACOQUE, 5° édition abrégée, 2 vol. Fribourg, Editions Saint Paul, 1990-1991). Commencer par la lecture intégrale du second : les lettres et les avis aux novices d’abord, les Ecrits par ordre de la Mère de Saumaise ensuite. C’est seulement alors qu’on abordera le premier tome (Vie par elle-même et Mémoire des contemporaines) en n’omettant pas de clore sur les témoignages recueillis en fin de volume.
Si on a le temps de faire la lecture la plume à la main, que l’on établisse comme deux colonnes : l’une où on notera ce qui choque, l’autre où l’on collectionnera les perles d’expression qui jalonnent tout du long le parcours.
Pour le progrès spirituel, particulièrement celui des consacrés, sacrifier quelques lectures plus faciles et s’immerger plusieurs mois dans les écrits de sainte Marguerite-Marie permettra en tout cas de se construire solidement dans le Seigneur.

117. @ Autres textes de Julien GREEN sur sainte Marguerite-Marie.
“Lecture de l’autobiographie d’une religieuse canadienne, morte il y a près de trente ans. /.../. Loin de moi l’idée de sourire d’un ouvrage qui témoigne d’un grand amour de Dieu, mais la religieuse en question, belle et grave figure, a eu avec le Christ de forts longs entretiens sur le modèle de presque tous ceux que nous connaissons, et c’est cela qui m’arrête. Je crois qu’en France, une fois pour toutes, le ton a été donné par sainte Marguerite Marie Alacoque” (Julien GREEN, Journal, OC, 97).
“Cette nuit, j’ai lu la confession de sainte Marguerite Marie qui m’avait enthousiasmé alors que j’étais aspirant d’artillerie, à Rennes, et cette fois, je l’ai lue avec les mêmes sentiments qu’alors. Dans son français suranné, cette fille nous transporte en un monde qui n’est pas le nôtre, le monde surnaturel qui est le monde de la vérité. Elle dit craindre fort d’être dans l’illusion, mais il y a une force prodigieuse dans ces pages et cette force ne vient pas d’elle. Combien de fois n’ai-je pas songé au passage où elle nous raconte avoir pris la place de Louis XIV devant le Saint Sacrement ! Les étranges tentations qu’elle a souffertes à ce moment-là !” (Julien GREEN, Vers l’Invisible, OC, 288).

118. @ A quand une biographie critique ?
Qui donc, ayant lu sous l’illumination d’un tel Esprit ces écrits inspirés, restituera enfin à cette immense personnalité la réputation qu’on lui a si obstinément dérobée ? Quel dix-septièmiste – historien doublé d’un authentique spirituel – consentira à consacrer sa vie à faire cadeau à l’Eglise de l’urgente « biographie critique » dont nous sommes dépourvus ?

126. @ Influence conjointe de saint Jean Eudes ?
L’influence bérullienne s’est-elle exercée par l’intermédiaire de Jean Eudes*, le saint de l’école française ? Une anecdote vaut ici d’être rapportée. Je la tiens directement du P. Macé, ex-secrétaire général des eudistes, qui reçut le coup de fil et se chargea de la besogne.
Lors de la réforme liturgique de Vatican II, les eudistes de Rome se voient confier le soin de choisir la lecture pour l’office de sainte Marguerite-Marie. Etonnement. Cela regarderait plutôt les jésuites. Non, c’est bien à vous qu’on a pensé. Le texte retenu contient donc ce conseil que la sainte donne à l’une de ses sœurs :
Il faut vous unir, en tout ce que vous ferez, au Sacré Cœur de Notre Seigneur Jésus Christ, au commencement pour vous servir de dispositions et à la fin pour satisfaction. Comme par exemple : vous ne pouvez rien faire à l’oraison ? Contentez-vous d’offrir celle que ce divin Sauveur fait pour nous au très saint Sacrement de l’autel, offrant ses ardeurs pour réparer toutes vos tiédeurs. Et dites dans chacune de vos actions : « Mon Dieu, je vais faire ou souffrir cela dans le Sacré Cœur de votre divin Fils et selon ses saintes intentions que je vous offre pour réparer tout ce qu’il y a d’impur ou d’imparfait dans les miennes » (VO4, 2, 498).
Le conseil est de saveur typiquement eudiste : Jean Eudes enseignait à unir au Cœur de Jésus le commencement et la fin de tout ce que l’on vit ou fait. Certaines de ses œuvres étant connues du monastère de Paray, il n’est pas exclu que la sainte s’inspire ici de lui.
Mais les conseils de ce genre semblent avoir été universellement répandus à l’époque : « Cette adhésion à la vie intérieure du Christ, a-t-on pu écrire, c’est tout le bérullisme (J. DECREAU, « Vie intérieure et dévotion au Sacré Cœur », L’Ami du clergé, 60 (1950), 356). » Quelques années après la mort de sainte Marguerite-Marie, on pourra lire, par exemple, sous la plume des visitandines de Rouen : « Le Sacré Cœur de Jésus est, à proprement parler, l’intérieur de Jésus-Christ, lequel nous est donné pour l’exemplaire des actes et des dispositions de la suprême religion à l’égard de Dieu. » (J. DECREAU, « Sainte Marguerite-Marie et les auteurs spirituels du 17e siècle », L’Ami du clergé, 59 (1949) 362)

128. @ La consécration de Claude La Colombière et Marguerite-Marie.
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131. @ Instituts voués à l’Adoration au 17e° siècle.
Dès le deuxième quart du XVIIe siècle, en effet, avaient germé en France plusieurs Instituts féminins voués à l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. L’intention réparatrice y était déjà sensible. Ainsi des Sacramentines, fondation dominicaine du Sud-Est : unies au Cœur de Jésus, « l’aimant et se perdant dans son amour », elles avaient à « accompagner [l’Epoux] jour et nuit au Saint-Sacrement de son amour pour y veiller avec lui » à la place des « ingrats envers l’amour » (cf. DSAM).

138. @ Consoler Jésus
Intercéder auprès du Père en se tenant aux côtés du Fils de Dieu dans sa Passion, beaucoup l’avaient fait avant Marguerite-Marie. Par contre, que nous puissions, au travers de notre contemplation, lui apporter un véritable réconfort dans sa détresse, c’est une idée que l’on voit certes poindre, par exemple, chez un saint Nicolas de Flue* à la fin du XVe siècle et, avec quelque hésitation, chez une Thérèse d’Avila*, mais qui ne s’est affirmée véritablement qu’avec la révélation de Paray. Sans doute Claude La Colombière* reflétait-il la confidence que Marguerite-Marie lui en avait faite, lorsqu’il demandait à ses auditeurs londoniens, durant le Carnaval ou le Carême, de “consoler” Jésus, et, pour ce faire, de ne pas omettre le soulagement des pauvres et des affligés. A mesure que le Cœur de Jésus sera mieux connu, ce besoin de le consoler se fera plus pressant et, sur la fin du siècle dernier, une Thérèse de l’Enfant Jésus* n’aura pour ainsi dire qu’une passion : désaltérer, par la délicatesse de son amour, la soif de ce “divin Mendiant d’amour” qu’était pour elle son Jésus bien-aimé (Lettre LT 172).
Depuis cette seconde apparition, toute de lumière et de feu, le « soleil » pascal du Cœur eucharistique de Jésus n’a cessé d’illuminer les profondeurs mystiques de l’Eglise. Combien d’humbles chrétiens, nos pères, auraient pu témoigner de ces vendredis de grâce où, comme pour la voyante de Paray, la « gloire » du Ressuscité « a dardé à plomb » sur leur cœur ! Dans le rayonnement de ses cinq plaies, l’amour donnait force à ses paroles. Dès le début, deux jésuites avaient entrepris de répondre à sa double requête : Claude La Colombière* recommandait autour de lui la communion réparatrice des premiers vendredis ; Jean Croiset*, à la demande de la sainte, sélectionnera quarante phrases des évangiles qui, s’ajoutant à la contemplation mensuelle de Gethsémani, pouvaient à tour de rôle chaque vendredi de l’année sensibiliser le cœur à l’ingratitude qui accompagna la vie et la passion du Seigneur.




NOTES :

(1) Thomas Merton, Lettre inédite, citée par Maisonneuve, 8, n. 2 : « Julienne est, avec Newman, le plus grand théologien anglais. »

(2) « L’enfer est une toute autre souffrance, car il y a le désespoir. »

(3) Maisonneuve, 85, 266-267

(4) Désignation qu’elle restreint plus loin à « toutes les créatures vivant ici-bas dans l’état diabolique jusqu’à leur mort. » Maisonneuve 33, 119.

(5) Ch-A. Bernard, Dmyst, t. 2, 282. En ce qui concerne le mystère du salut d’Israël et des païens, Julienne reste tributaire de ce qu’elle appelle la « foi », c’est-à-dire l’enseignement des théologiens de son époque. Cf. Maisonneuve, 32, 117 ; 33, 120. C’est une règle générale de la conscience mystique qu’elle n’anticipe pas sur les déviances culturelles du temps.

(6) Ou selon certains mss : « Combien je t’ai aimée. » Cf. plus bas : « Je t’ai tant aimée... »

(7) CH.-A, BERNARD, Le Dieu des mystiques, t.1, 421-478.



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