La Bible du Coeur de Jésus

Edouard Glotin

Presses de la Renaissance


Notes et Annexes

Introduction

Annexes
Haurietis Aquas
Le Coeur de Jésus et le Shabbat juif
Benoît XVI : Lettre au R.P. Kolvenbach (50° anniv. d'HA)
Benoît XVI : Message de Carême 2007

Commentaires
des illustrations

Fig. 1 à 11
Fig. 12 à 19
Fig. 20 à 29
Fig. 30 à 39
Fig. 40 à 49
Fig. 50 à 59
Fig. 60 à 69
Fig. 70 à 83

Notes
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
• Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12

Liste des sigles
Notes du chapitre 7

3. @ L’identité du disciple bien-aimé.
Je crois que l’on ne gagne rien à faire éclater le « corpus johannique ». En ce qui concerne le mystère du Cœur, il y a risque à scier la branche sur laquelle on est assis. Seuls ceux qui ne se sont pas affrontés à un travail de synthèse en équipe peuvent croire qu’on peut sans danger concéder une pluralité d’auteurs : le mystère du Cœur de Jésus et sa symbolique découlent d’une cohérence qui suppose une grande unité de conception et de symbolique. Ceci est particulièrement sensible concernant le thème de l’Agneau.

Cependant, en dépit des préjugés philosophiques qui limitaient souvent son champ de vision, l’historico-criticisme allemand nous a rendu service. Un instant, la science catholique, tel le roseau de la fable, dut plier pour ne pas rompre. Mais tandis que les dernières mèches rationalistes n’en finissent pas de faire long feu les unes après les autres (1), le temps est venu de la nouvelle évangélisation. Reprendre sans complexes l’initiative, ne signifierait-il pas, aidés de méthodes logo-symboliques à expérimenter (2), accueillir cette « naïveté seconde » (Ricoeur, cf. notre chap. 2) de l’école herméneutique (3), qui, en l’occurrence, consiste à prendre l’évangile et l’apocalypse (et les témoignages des premiers témoins) comme ils sont écrits ? C’est seulement à partir de ce point de départ tenu fermement qu’il conviendrait de réexaminer sans préjugé la question des sources et des doctrines (sacerdotales ou autres) sous-jacentes au IVe évangile ou à l’apocalypse, - en se persuadant d’ailleurs bien, dès le départ, que, chaque fois qu’il s’agit du mystère des origines, l’homme ne parvient qu’à approcher la vérité sans jamais pouvoir mettre la main sur elle. Secret du Père enveloppé dans les brumes de la « tradition » !

En tout cas, nul n’a à se laisser ébranler par tout ce qu’il entend dire. L’Eglise continue à fêter tous les 27 décembre, en Jean l’apôtre, l’évangéliste et disciple bien-aimé. Chacun peut, avec toute la tradition d’Orient et d’Occident, reposer en toute tranquillité, avec lui, sur le Cœur de l’Agneau.

Quoique dans un tel cas (Melior est conditio possidentis), ce ne soit pas à nous à faire la preuve, mais à l’opposant, on commencera ici par donner les arguments positifs en faveur de l’unicité du seul Jean ; on montrera en finale que la thèse de l’existence de deux Jean à Ephèse repose sur une pointe d’aiguille. Il suffirait que le bref document objecté (HE 3, 39, 4) trouve une autre explication que celle avancée par Eusèbe et toute l’argumentation s’écroulerait (4).

On ne s’étonnera pas que nous nous appuyions constamment sur les documents recueillis par Eusèbe de Césarée au IVe siècle.

Texte de Duchesne, SC 31, avant-propos : « Si Eusèbe. n’avait pas, avec une diligence sans égale, fouillé les bibliothèques palestiniennes où le docteur Origène [début 3e] et l’évêque Alexandre [début 4e] avaient recueilli toute la littérature chrétienne des temps anciens, nos connaissances sur les trois premiers siècles de l’Eglise se réduiraient à bien peu de chose. » Chaque fois qu’on a pu contrôler à partir d’autres sources, les copies d’Eusèbe se sont révélées fiables (5). Eusèbe est accessible en un volume dans la récente réédition de la traduction de G. Bardy : EUSEBE DE CESAREE, Histoire ecclésiastique, Cerf, 2003.

Devant la fragilité des hypothèses qu’on avance parfois, depuis l’époque de l’Aufklärung (6), pour douter que nous devions l’Apocalypse à ce Jean l’apôtre, on préfère suivre ici en gros l’ouvrage de référence de F.M. Braun, Jean le théologien, Paris, Gabalda, 1959 et, du moins sur l’identité de l’epistêthios, Mollat, DSAM, t. ?, art JEAN, mais surtout A. FEUILLET, Le sacerdoce du Christ et de ses ministres, 1972, p. 142-155. (Cazelles, RSR 2000, 253-258, en voulant se montrer conciliant (7), a été contraint à l’acrobatie en ce qui concerne la présence « dans le sein de Jésus » d’un Jean qui serait à la fois l’apôtre Jean et le fils aîné du propriétaire de la maison. Voir ci-dessous, note 64). Bien qu’il soit difficile d’être d’accord avec l’exégète américain R. E. Brown, lorsqu’il laisse entendre (p. 434) que quatre personnages pourraient se dissimuler sous le nom de Jean (p. 434), je crois utile de me référer par endroits à son gros livre, devenu dans les pays francophone l’ouvrage de référence proposé aux étudiants : R. E. BROWN, Que sait-on du Nouveau Testament, Bayard, 2000 (8).

Tout ce qu’on va lire ci-dessous était écrit, lorsque m’est tombé entre les mains l’ouvrage du professeur Edouard DELEBECQUE, L’apocalypse de Jean. Introduction, traduction, annotations, Paris, Mame, 1992. Or ce « travail non d’exégèse mais de philologie » (p. 13), dû à l’un des meilleurs hellénistes de l’université française, consacre près de quarante pages à démontrer, dans le détail, que le grec de l’Apocalypse est infiniment plus proche de celui de l’évangile qu’on ne le prétendait ces derniers temps (p. 55-91. Plus que de la « langue », la différence proviendrait de ce que l’apôtre n’était pas maître de son « style » (91-94), qui, comme nous l’avons dit nous-mêmes, lui était imposé par la fidélité (9) au réalisme de sa vision (et aussi par le recours constant à des citations implicites de l’Ancien Testament). La traduction « aussi littérale que possible » qui nous est offerte en 1992 aurait coûté trois ans de travail et de méditation contemplative à ce grand connaisseur de saint Jean qu’était l’auteur. De la part d’un philologue, j’ai été particulièrement impressionné de constater que la solution des difficultés linguistiques (10) était toujours cherchée du côté de l’enracinement dans la symbolique visionnaire (11).

Du point de vue de la Tradition, il faut tout d’abord relever l’ancienneté des témoignages de saint Justin (qui séjourna à Smyrne vers 130) et de saint Irénée (instruit par le disciple immédiat de saint Jean, saint Polycarpe). Cf. sa lettre à Florinus rapportée par Eusèbe (HE V, 20, 4-8). Pour l’un et l’autre, l’auteur de l’Apocalypse est « le Disciple du Seigneur » (Irénée), un « apôtre » (Justin + Irénée : AH II, 25, 2 et lettre au pape Victor, Eusèbe V, 24, 16).

Lettre d’Irénée à son ancien condisciple Florinus (Eusèbe, HE, V, 20, 5-7) : Je t’ai vu, quand j’étais encore enfant, dans l’Asie inférieure, auprès de Polycarpe ; tu brillais à la cour du Roi et tu t’efforçais d’avoir bonne réputation auprès de cet homme. Car je me souviens mieux des choses de ce temps-là que des événements récents. En effet, les connaissances acquises dès l’enfance (ek paidôn) grandissent avec l’âme et s’unissent à elle, de telle sorte que je peux dire l’endroit où s’asseyait le bienheureux Polycarpe pour parler, comment il entrait et sortait, sa façon de vivre, son aspect physique, les entretiens qu’il tenait devant la foule, comment il rapportait ses relations avec Jean et avec les autres qui avaient vu le Seigneur, comment il rappelait leurs paroles et les choses qu’il leur avait entendu dire au sujet du Seigneur, de ses miracles, de son enseignement ; comment Polycarpe, après avoir reçu tout cela des témoins oculaires du Verbe de vie, le rapportait en accord avec les Ecritures. Ces choses, alors aussi, par la miséricorde de Dieu qui est venue sur moi, je les ai écoutées avec soin et j’en ai conservé le souvenir non pas sur du papier, mais dans mon cœur (kardia) ; et toujours, par la grâce de Dieu, je les ai ruminées avec fidélité, et je puis témoigner en face de Dieu que si ce presbytre bienheureux et apostolique (=Polycarpe) avait entendu quelque chose de semblable à ce que tu dis, Florinus, il aurait poussé des cris et se serait bouché les oreilles, en disant selon son habitude : « O Dieu bon, pour quel temps m’as-tu réservé, pour que je supporte cela ? »

Bien entendu, selon la manière d’écrire des anciens, Jean a utilisé des secrétaires, des co-rédacteurs, voire des traducteurs (12), ce qui devrait suffire à expliquer le grec différent de l’évangile 1-20, de Jn 21 et d’Ap (cf. Braun, 6-9, 56, 59, 62-63) et rien n’interdit de parler d’ « école johannique » (13), à condition de comprendre qu’elle avait pour maître Jean l’Apôtre : sous la diversité des mots employés, concepts et images sont de la même veine (14).

Puisque c’est la seule (avec celle de Clément d’Alexandrie) dans la tradition du IIe siècle, pourquoi ne pas suivre aussi (comme le faisait déjà massivement Eusèbe) la datation d’Irénée pour qui Jean a « vu » son apocalypse à la fin du règne de Domitien (15) (+ 95. Cf. AH 5, 30, 3) et a vécu jusqu’aux premières années de Trajan (AH II, 22, 5 ; III, 3, 4), - ce qui a suffi à lui donner largement le temps de terminer la mise par écrit de sa vision ? Jn 21, 23 témoigne de la stupéfaction de l’entourage à voir Jean vivre (sans doute exceptionnellement vigoureux (16)) jusqu’à un âge si avancé, ce qui constituait un exploit pour l’époque, puisqu’il devait être nonagénaire quand il mourut. (Je pense ici à la voyante de Fatima, Lucie, à qui Marie, le 13 mai 1917, avait dit avec une tendresse nuancée d’humour : Toi, tu resteras un petit peu sur la terre ; largement nonagénaire, elle était toujours là en 2006. Quand le Seigneur a besoin de témoins, il se débrouille avec le phénomène naturel de la longévité). Cf. aussi : la tradition orale recueillie par Jérôme selon laquelle, sur ses derniers jours, le vieux Jean était si faible qu’on l’amenait à ses disciples sur une civière (17).

Le précieux témoignage de Polycrate - évêque même d’Ephèse à la fin du 2e siècle et lui-même 7e d’une lignée d’évêques - confirme, en tout cas, celui d’Irénée, en ce sens que Jean l’epistêthios est bien enterré à Ephèse, où il aurait, selon l’évêque, renoué avec la symbolique du sacerdoce juif (Eusèbe, III, 31, 3 ;V, 24, 2-3 : Cerf, 2003, p. 175, n. 3 : symbolique du petalon d’origine judéo-chrétienne ? (18)). Quoi qu’il en soit, à partir de cette fin du 2e siècle, un consensus existe déjà dans l’Eglise attribuant au fils de Zébédée la rédaction du 4e évangile. C’est la question du millénarisme qui rendra plus problématique pour Eusèbe (4e siècle) de lui attribuer l’Apocalypse (comme le faisait au contraire, dès cette fin du 2e, Clément d’Alexandrie, rapidement rejoint par Tertullien, Hippolyte et Origène). Le doute tardif d’Eusèbe s’appuyait en l’occurrence sur les remarques philologiques de l’évêque Denis d’Alexandrie, compatriote et contemporain d’Origène (HE 25, 22-26). Eusèbe en tout cas ne s’est jamais réclamé du texte de Polycrate pour contester l’identité de Jean, car, pour lui, Irénée et Polycrate étaient bien d’accord : en tant qu’epistêthios Jean était bien l’auteur de l’évangile.

Du point de vue de l’exégèse de l’ « évangile tétramorphe » (19) (DV), on relèvera les deux raisons majeures pour lesquelles l’epistêthios est bien le fils de Zébédée :
Selon les synoptiques, il n’y avait, le jeudi saint, que les Douze à table (Mt 26, 20 ; Mc 14, 17 ; Lc 22, 14) (20) ;

1. si le 4e évangile nomme les principaux de ces Douze sauf lui-même (et son frère Jacques), c’est que sa discrétion a préféré se cacher sous son titre de « Disciple que Jésus aimait » (l’Apocalypse étant au contraire le compte rendu d’une expérience d’un type très personnel, il parle d’un bout à l’autre à la première personne du singulier (21) et ne peut donc que signer de son nom : « moi, Jean »).
A cela j’ajouterai deux remarques personnelles, portant plus précisément sur des considérations philologiques et structurelles concernant le seul quatrième évangile :
S’il n’est pas aisé de distinguer dans le 4e évangile entre « apôtres » et « disciples », c’est un fait que l’expression : « un de ses disciples » est, elle, réservée aux Douze (Jn 6, 8 ; 12, 4), d’où l’on peut déduire qu’en se désignant par la même expression (Jn 13, 23), le Disciple bien-aimé entend bien nous affirmer qu’il est lui-même membre des douze chefs de l’Eglise. Pourquoi en effet à un moment aussi capital que l’institution eucharistique du nouvel Israël (moment où les synoptiques n’admettent que « les Douze ») signifierait-elle autre chose que dans le cas d’André et de Judas?

2. Le ch.21 (22) est peut-être contemporain de la rédaction de l’Apocalypse (23) (cf. ce que nous avons dit du terme arnion). Or ce récit de « l’apparition aux Sept » constitue (cf. notre chap 5, section 1, 4) la carte d’identité mystique que le voyant de Patmos a tenu à nous laisser à l’approche d’une mort que, - vu ce qui lui avait été révélé de la durée de l’histoire -, il savait pour lui-même inéluctable (Jn 21, 23) (24). Il est logique que, voulant préparer sa signature mystique (Jn 21, 20 = je suis l’episthêtios), il commence à y lever un coin du voile en insinuant qu’il est bien l’un des « fils de Zébédée » (21, 2), présents dans la barque avec les deux anonymes (ici mentionnés afin d’atteindre le total de Sept, nombre qui lui était devenu cher depuis Patmos pour marquer que la plénitude de l’Eglise dérive du chiffre de l’Esprit (cf. Ap 1, 4), le chiffre 12 n’intervenant que rarement dans le « corpus johannique » et principalement pour marquer le relais que l’Eglise prend de l’Israël aux 12 tribus, vg. Ap 7, 5-8 ; 21, 12-21 Cf. Jn 6, 13) – L’importance du chiffre « sept » dans cette 3e apparition a déjà été relevée (encore récemment Boismard, RB 1998, 77).
Par contre, Jean ne paraît pas devoir être identifié avec cet « autre disciple » (18, 15) qui introduisit Pierre dans la cour du Grand-Prêtre (pourquoi serait-ce le seul passage à partir de Jn 13 où il renoncerait à user de son titre de « Disciple que Jésus aimait », comme il le fait désormais chaque fois qu’il intervient comme personnage du récit ? Et le pêcheur galiléen n’avait d’ailleurs aucune raison d’être connu d’Anne – sauf hypothèse « sacerdotale » du type Cazelles, intéressante certes, mais qui reste à prouver (25)). Il n’en va pas de même de celui qui est désigné avec André comme un des « deux disciples » (Jn 1, 33) de… Jean-Baptiste : c’est par rapport au Baptiste et non par rapport à Jésus qu’il se désigne ainsi. A ce stade précoce du récit, l’apôtre n’avait aucune raison de lever le voile de l’anonymat dont il tenait à s’entourer, conformément au genre littéraire des « mémoires des apôtres » (26) (cf. Mt 9, 8 : l’auteur se nomme à la 3e personne). L’episthêtios prépare cependant ici la révélation de son repos dans le sein du Fils (Jn 13, 23.) en notant que, déjà ce jour-là, il vit où « demeurait » l’Agneau de Dieu (càd. symboliquement chez le Père. Cf. 1, 18) et qu’il « demeura » lui-même chez l’Agneau (Jn 1, 39).

Quant à la dénomination de « presbytre » (= ancien), qui figure dans la 2e et 3e lettre de Jean, elle convenait aux Douze lorsqu’ils voulaient appuyer leur crédit sur leur ancienneté. Cf. 1 Pi 5, 1 : moi « ancien comme les autres anciens (sumpresbyteros) », auxquels les jeunes sont invités à être soumis : 5, 5). On comprend que la longévité de Jean prédisposait l’entourage à l’appeler de ce nom (27). Finalement, il ne reste, dans la Tradition, que le texte de Papias (Eusèbe, HE 3, 39, 3-4) pour appuyer la thèse des deux Jean. Or qu’en est-il ?
Malgré son antiquité (peut-être entre 110 et 130, mais plus vraisemblablement vers 135), on ne peut pas tirer quelque chose d’absolument sûr du témoignage de cet évêque d’Hiérapolis (vers 135). Sans doute, celui-ci ne mérite peut-être pas la qualification d’esprit médiocre et crédule que lui a donnée Eusèbe (voir la prophétie délirante qu’il aurait attribuée à Jésus, Irénée V, 33, 3, mais qui, en fait, était démarquée d’un thème de prospérité messianique cher aux milieux gnostiques (28)) et Irénée semble le tenir en estime. Mais son témoignage, dont (à la différence de celui d’Irénée et dans une certaine mesure de Polycrate) on ignore d’ailleurs tout du contexte (29), n’est généralement pas lu d’assez près. Papias y affirme qu’il interrogeait les anciens (presbuteroi) de passage, d’une part sur ce que « dirent » naguère (eipen) sept ‘disciples du Seigneur » (« André ou Pierre, Philippe, Thomas ou Jacques, Jean ou Matthieu », d’autre part sur ce que « disent » actuellement (legousin) deux hommes qualifiés eux aussi (30) de « disciples du Seigneur » (31), Aristion et le presbuteros Jean. D’où on conclut, avec Eusèbe (que cela arrangeait), qu’il pourrait y avoir eu deux Jean, - alors que l’opposition principale du texte de Papias porte sur : dires anciens / dires contemporains (par rapport à la jeunesse de Papias). Cf. Jourjon, dans DBS, t. 6, 1105.

On peut faire ici deux remarques :
Il n’est pas question directement d’attribution littéraire (à moins que le rapprochement des noms de Jean et Matthieu ne sous-entende qu’il associe les deux apôtres comme auteurs d’évangiles (32)) ; en inférer que l’apocalypse serait « vraisemblablement » (Eusèbe) l’œuvre d’un second Jean, dit le « presbytre » Jean, c’est aller vite en besogne;
S’il distingue des premiers disciples les deux derniers : Aristion et Jean, c’est qu’ils vivaient encore à l’époque lointaine (pote) qu’il restitue à l’aide de « souvenirs dont il affirme la vérité ». Or cette époque ne peut être qu’antérieure à la fin du 1er siècle (à la rigueur on pourrait aller jusqu’à 104), puisqu’il s’agit de deux personnages qui avaient connu Jésus. Je suggèrerais (33) de traduire ici « le presbuteros Jean » par « le vieux Jean » (sens possible en grec, nous dirions aujourd’hui : Jean le senior), qualificatif qui convenait bien au nonagénaire. En ce cas, il n’y aurait peut-être pas à distinguer ici deux Jean : d’une part, Papias déclare qu’il aimait s’enquérir des dires anciens de l’évangéliste, au même titre que de ceux de Matthieu ou des autres Douze ; mais, d’autre part, il recueillait précieusement tout ce qu’il pouvait des souvenirs actuels du vieux survivant (vieux d’ailleurs en tant qu’il peut avoir survécu à Aristion lui-même). Irénée va jusqu’à présenter Papias comme auditeur de Jean (34) (AH V, 33, 4) : celui-ci aurait donc été un peu dans la situation du jeune étudiant qui, ne pouvant assister à tous les cours du maître, se renseigne, entre deux, auprès de ses aînés…et, en plus, recueille de la bouche de ceux-ci des données plus anciennes sur la doctrine du maître.
On voit que, dans ce cas, l’existence même d’un Jean le Presbytre, distinct de l’apôtre, serait totalement remise en cause.

Il existe un monde – je ne dis pas un monde où vivent tous les exégètes, mais un monde certainement où tous s’égarent parfois et que certains d’entre eux semblent habiter de manière permanente – qui n’est pas le monde où je vis. Dans le monde qui est le mien, si The Times et The Telegraph racontent tous les deux une histoire en des termes quelque peu différents, personne n’en conclut que l’un doit avoir copié l’autre, ni que les variations dans le récit ont une signification ésotérique. Mais, dans le monde dont je parle, ceci serait considéré comme allant de soit. Là, aucun récit ne dérive jamais des faits, mais toujours de la version, donnée du même récit par un autre... Dans le monde qui est le mien, presque chaque livre, à l’exception de certains de ceux produits par les départements gouvernementaux, est écrit par un seul auteur. Dans ce monde-là, presque chaque livre est produit par un comité et certains d’entre eux par toute une série de comités. Dans le monde qui est le mien, si je lis que selon Mr. Churchill en 1935, l’Europe se dirigeait vers une guerre désastreuse, j’applaudis sa prévoyance. Dans ce monde-là, aucune prophétie, même formulée vaguement, n’est jamais faite qu’après l’événement. Dans le monde qui est le mien, on dit : « La première guerre mondiale eut lieu en 1914-1918 ». Dans ce monde-là, on dit : « Le narratif de la guerre mondiale prit forme au cours de la troisième décennie du vingtième siècle ». Dans le monde qui est le mien, hommes et femmes vivent un temps considérablement long – soixante-dix, quatre-vingts ans, cent ans même – et ils sont équipés d’une chose qu’on appelle mémoire. Dans ce monde-là (semble-t-il), ils viennent à l’existence, écrivent un livre et périssent sur le champ, en un éclair, et on remarque à leur sujet, avec étonnement, qu’ils « préservent des traces de tradition primitive » au sujet de choses qui eurent lieu, manifestement, dans leur propre vie d’adulte.
A.H.N. GREEN-ARMYTAGE, John who saw, 1952, 12 s.

En tout cas, la tradition de tombeaux de deux Jean à Ephèse ne sera pas mentionnée avant Denis d’Alexandrie au 3e siècle, - celui-ci ayant d’ailleurs l’honnêteté de la présenter comme un « on dit », qu’Eusèbe non plus n’ira pas vérifier. Ainsi comprise, l’unicité de Jean permet de trouver le point d’accord de toutes les sources – et cela sans dévaloriser le témoignage d’Irénée, comme sont obligés de le faire ceux qui font éclater le corpus johannique (35). Bref, même si elle trahit un certain agacement, je fais volontiers mienne la position lucide d’A. Feuillet : « En dépit de dénégations de plus en plus appuyées, qui sont devenues de mode aujourd’hui et atteignent tout autant le quatrième évangile que l’Apocalypse (beaucoup se figureraient n’être pas à la page, s’ils n’adoptaient pas les yeux fermés et sans critique sérieuse la position dite critique), nous acceptons sans hésitation cette donnée fermement attestée par la tradition : l’origine apostolique de l’Apocalypse. […]. Nous maintenons que c’est l’apôtre Jean, l’auteur du quatrième évangile, qui a été également le bénéficiaire des visions de l’Apocalypse. Qu’il ne prenne pas le titre d’apôtre dans une œuvre qui s’apparente à l’ancienne prophétie, ce n’est pas là une objection valable, bien au contraire ; il était assez connu des destinataires immédiats pour n’avoir pas besoin d’ajouter quoi que ce soit à son nom de Jean : « moi, Jean » (Ap 1, 4. 9 ; 22, 8) ; un anonyme aurait certainement été plus précis. Préférer au fils de Zébédée un inconnu comme Jean le Presbytre, dont certains auteurs (Zahn, Gutjahr, Sickenberger, Michaelis, Meinertz, Schnackenburg (36)) vont jusqu’à contester l’existence (37), c’est, dit justement Ph. H. Menoud, « accorder bien vite à une hypothèse fragile le crédit qu’on refuse aux données traditionnelles ». […]. Ainsi que l’observe H. Lilje, « celui qui peut s’adresser à l’Eglise avec une telle autorité sacerdotale et apostolique est davantage qu’un simple compilateur apocalyptique ». Il faut dire plus : d’aucune autre personne, sinon d’un apôtre, les « anges » des églises n’auraient accepté d’aussi sévères remontrances et le rappel d’aussi dures vérités. » A. Feuillet, 148-149.


Annexe 2 : « Jean […] qui fut prêtre (iereus) portant le petalon » (HE III, 31, 3 ; V, 24, 3).

Fleuron ou lame d’or, le petalon (héb. Tsits, « fleur ») faisait partie du vêtement d’Aaron : « Tu feras un fleuron (ou : une lame) d’or pur, tu y graveras comme on grave un sceau : « Consacré (qodesh) au SEIGNEUR », tu le mettras sur un ruban de pourpre violette et il sera sur la coiffe (LXX : mitra). Il devra être sur le devant de la coiffe. Il sera sur le front d’Aaron afin qu’il puisse porter les fautes commises envers les choses saintes, toutes celles qui sont offertes et sanctifiées par les fils d’Israël ; il sera perpétuellement sur son front pour que ces offrandes trouvent faveur devant le Seigneur » (Ex 28, 36-38). Cf. Sg 18, 24 (« ta Majesté sur le diadème de sa tête ») et Sir 45, 12 (« une couronne d’or […] portant l’inscription de consécration (agiasma) ».

La description précise qu’en donne Flavius Josèphe (Ant. III, 172-178) laisse penser que cette coiffure fut en usage jusqu’à la ruine du Temple en 70. Elle était un privilège du Grand Prêtre et on n’a pas d’exemple de simple iereus juif ayant porté le petalon. En insérant dans sa symbolique cosmique une description des vêtements du Grand Prêtre, Philon d’Alexandrie (Vie de Moïse, II, 114-132) insistait sur la gravure du Nom divin : « Il y avait une plaque d’or travaillée en forme de couronne et portant les quatre caractères gravés d’un Nom que seuls avaient le droit d’entendre et de prononcer dans les lieux saints ceux dont l’oreille et la langue avaient été purifiées par la Sagesse. » L’Artisan du monde « place sur la tête une kidaris (turban ?) au lieu d’un diadème, parce qu’il estime que l’officiant de Dieu, pendant le temps qu’il officie, l’emporte sur tous les hommes, non seulement les simples particuliers mais les rois. Dessus se trouve la plaque d’or sur laquelle sont imprimées les gravures des quatre lettres qui forment, est-il dit, le nom de Celui qui est, vu que, sans l’invocation de Dieu, rien de ce qui existe ne peut tenir debout : car le principe de l’harmonie universelle, c’est Sa bonté et la puissance de Sa miséricorde. » Quand le Grand Prêtre s’avance, « tout l’ordre du monde entre avec lui grâce aux symboles qu’il en porte sur lui » et le microcosme qu’il est se trouve par là même invité à se modeler à l’image du macrocosme. – La Lettre d’Aristée (entre 200 et 60) faisait déjà allusion à « l’inimitable mitre (mitra), le diadème sacré » que le Grand Prêtre portait sur la kidaris (VII, 98).

Observant que ce grand « Prêtre (iereus), en entrant à l’intérieur du second voile, abandonnait le petalon près de l’autel des parfums et que lui-même entrait en silence, ayant le NOM gravé dans le cœur (kardia) », Clément d’Alexandrie (38) développera une allégorie de l’âme nue pénétrant dans le monde spirituel (pneumatika) et devenue ainsi « logikê (figure du logos) » et « archieratikê (figure du grand prêtre) », directement animée par le Verbe (Logos). Ceci correspond bien à la façon dont les premiers écrivains post-apostoliques concevaient déjà la qualité sacerdotale du ministère des apôtres, qui apparaissent « comme substitués au sacerdoce lévitique, mais dans une perspective spiritualisée : Ils ne succèdent pas aux iereis juifs ». J. Colson, Ministre de Jésus-Christ ou le Sacerdoce de l’évangile, Beauchesne, 1966.

Si on observe que le Grand Prêtre portait le petalon sur son front pour réparer les manquements cultuels d’Israël, on pourra voir dans le curieux témoignage d’Hégésippe sur Jacques, le frère du Seigneur, un exemple de « spiritualisation » de l’intercession du Grand Prêtre. Selon Hégésippe, qui écrit en 180, à Jacques seul (monos) il était permis d’entrer dans le sanctuaire (eis ta agia), car il ne portait pas de vêtements de laine, mais de lin (=sacerdotaux). Il entrait seul dans le temple (naon) et il s’y tenait à genoux, demandant pardon pour le peuple, si bien que ses genoux s’étaient endurcis comme ceux d’un chameau, car il était toujours à genoux adorant Dieu et demandant pardon pour le peuple. A cause de son éminente justice, on l’appelait le Juste et Oblias, ce qui signifie en grec rempart du peuple » (HE II, 23, 6-7). Tirer de ce texte (comme SC 31, p. 86, note 8) que Jacques était d’origine lévitique demeure problématique. A l’époque où les apôtres fréquentaient encore le Temple, on a plutôt l’impression qu’installé par eux comme chef de la communauté de Jérusalem, Jacques se faisait un devoir d’intercéder longuement pour son peuple (laos), - soit l’Israël incrédule, soit l’Eglise naissante. Et son intercession « spiritualisait » celle du Grand Prêtre, en ce sens qu’il prenait sur lui plus que les simples fautes cultuelles (39).

Selon le Protévangile de Jacques (5,1), apocryphe tenu en estime du 4e au 16e siècle (et daté d’avant Clément d’Alexandrie, càd. vraisemblablement d’avant Polycrate (40)), lorsque le riche Joachim apprend que sa femme Anne est enceinte de Marie, il monte au Temple offrir d’abondantes offrandes de ses troupeaux, afin que le surplus soit pour la rémission des péchés de tout le peuple. Or il y monte en se disant : « Si le Seigneur Dieu me fait grâce, le fleuron d’or du prêtre me le manifestera. » Fixant donc des yeux le fleuron d’or du Prêtre jusqu’à ce que celui-ci fût monté à l’autel, « il ne vit pas de faute en lui-même. Et Joachim dit : Maintenant je sais que le Seigneur m’a fait grâce et m’a remis tous mes péchés. Et, justifié, il descendit du Temple du Seigneur, et il rentra chez lui. » Ecrits apocryphes chrétiens, p. 86 + note 5, 1 – Ainsi, à la fin du 2e siècle, dans les milieux judéo-chrétiens, la mention du petalon restait liée à la rémission des fautes cultuelles. C’est donc bien de ce côté qu’il convient de chercher le sens spirituel de l’allusion de Polycrate. On peut constater que ce texte est lui aussi lié au nom de Jacques (25, 1), généralement tenu pour la figure marquante d’une communauté judéo-chrétienne.

Que signifie donc le témoignage de l’évêque d’Ephèse sur l’epistêthios, devenu à la fois prêtre, martyr et didascale ?

Notons d’abord qu’au 2e siècle, pour Hermas, l’auteur du Pasteur, la fonction de didascale (maître de doctrine) avait été exercée éminemment par les Douze, qui, dans le monde entier, « ont prêché le nom du Fils de Dieu » (93, 5) et « ont enseigné (didaxantes) en toute pureté et sainteté la parole du Seigneur » (102, 2), au point qu’on pourrait presque voir dans ce terme un synonyme paléo-chrétien du terme d’ « apôtre ». Cf. Colson, Ministre du Christ. A fortiori, la désignation convenait-elle à un évangéliste comme l’epistêthios.

Comme l’a relevé Colson (op. cit., p.344), le NT, aussi bien que les premiers écrivains apostoliques, ont refusé d’appliquer aux ministres chrétiens l’appellation de « prêtres » (iereis), - et ceci pour la raison indiquée plus haut : il y avait rupture entre le sacerdoce ancien et le ministère « sacerdotal » des apôtres et de leurs successeurs. Ecrivant à la fin du 2e siècle, Polycrate se sentait-il plus libre ? Mais surtout, pourrait-on inférer de son témoignage qu’après la ruine du Temple, le dernier survivant de la génération apostolique, régnant loin de Jérusalem sur la métropole d’Ephèse, se serait senti assez autonome – poussé peut-être par le milieu judéo-chrétien - pour faire graver sur sa coiffe un insigne sacerdotal de sa « consécration au Seigneur », qui aurait été, pour un juif pieux comme lui, à la fois un moyen par le port du tétragramme divin de se distinguer des iereis païens (n’est-ce pas à eux plutôt qu’au sacerdoce mosaïque que penserait ici Polycrate ?) et un rappel de son devoir d’intercession pour les églises de son ressort (on serait ici dans la logique de ses Lettres aux Sept Eglises) ? Liberté qu’aucun ne se serait permis de prendre après lui (41) ou timide précédent de ce qui deviendra la « mitre (LXX : mitra) » épiscopale ?

On en est réduit aux conjectures. Mais, de toutes manières, étant donné qu’il n’est pas de bonne règle d’opposer au plus clair le plus obscur, l’expression de Polycrate doit être maniée avec la plus grande prudence. Dans l’état actuel de nos connaissances, on ne voit pas comment, isolée comme elle est, elle pourrait fournir un quelconque argument solide en faveur de l’existence de deux Jean, - surtout si celle-ci n’est nulle part ailleurs attestée avec certitude.

Si on replace la brève phrase de Polycrate dans son contexte – la lettre au pape -, on ne peut retenir qu’une conclusion. L’auteur avait besoin de faire valoir les titres de ces témoins illustres d’Asie qu’il appelait à la barre. Camper face à Rome un personnage apostolique qui aurait incarné une figure « sacerdotale » entourée de l’aura attachée en Israël à la fonction de Grand Prêtre (42) (une sorte de préfiguration des futurs patriarches d’Orient), telle pourrait avoir été la préoccupation essentielle de l’évêque du prestigieux siège d’Ephèse, - lequel, depuis la disparition d’Ignace, semble avoir pris en partie le relais d’Antioche. Mais de tout ce que nous avons dit il ressort que, si ce personnage est l’epistêthios, il ne peut alors s’agir que du vieux Jean, l’apôtre.

6. @ Les deux fêtes de saint Jean en Orient.
Chaque année, les orientaux fêtent deux fois l’apôtre : une fois son glorieux trépas, une seconde fois sous ce titre de « théologien ». Cf. le vocabulaire d’Evagre. Mais, pour l’Orient, il s’agit bien d’un seul et même personnage.

8. @ L’exilé de Patmos.
Sous Domitien, « d’après la tradition, l’apôtre et évangéliste Jean, qui était encore en vie sous ce règne, fut condamné à cause de son témoignage en faveur du Verbe divin à résider sur l’île de Patmos. » (HE III, 18, 1). La nouvelle édition française des Sources chrétiennes précise le sens à donner ici à l’expression « d’après la tradition » : « Cette formulation montre qu’Eusèbe ne veut pas s’engager sur l’attribution de l’Apocalypse à Jean l’Evangéliste » (p.156, n. 1).

9. @ Saint Jean et la Transfiguration.
« Contrairement aux Synoptiques qui, en général […], se contentent de relater les faits comme ‘une photographie instantanée’ et en tirent ‘la leçon par mode d’addition d’une conclusion’, Jean en fait la lecture dans sa perspective du Christ glorifié. Aussi n’a-t-il pas besoin de décrire la Transfiguration. La seule trace de cet épisode est le portrait du Fils de l’homme dans l’Apocalypse. » Clémence HELOU, Symbole et langage, Mame, 1980, 197.
Une étude récente a montré comment, d’après le père de Lubac, la Transfiguration occupait une place centrale dans la Révélation du mystère du Christ. Néanmoins, tout n’est pas dit au mont Thabor. Au contraire, le dialogue interrompu entre Jésus et Pierre (Mt 17, 4) appelle une suite. C’est au jardin des oliviers et à la croix, qu’il va trouver son achèvement. « Ce que Pierre disait dans un élan naïf, sur la Montagne de la Transfiguration, ce voeu qui ne pouvait alors être exaucé, qui maintenant encore ne le pourrait davantage, en venant au Calvaire ou au Jardin je puis le formuler. ‘Seigneur, il m’est bon d’être ici !’ Et je suis sûr de n’en être jamais repoussé » (H. de Lubac, Paradoxes, p. 147). Or, c’est l’apôtre Jean qui, en reposant sur le Cœur du Seigneur, en étant présent au pied de la croix, en restant jusqu’à ce qu’il vienne (cf. Jn 21, 23), a pénétré en profondeur ce mystère du Christ entrevu à la Transfiguration et accompli dans la passion et la glorification. Voir E. Guibert, Le Mystère du Christ d’après Henri de Lubac, Paris, Cerf, 2006, p. 401-402. Il y aurait donc dans l’Evangile de Jean comme un déplacement du centre de gravité du mystère du Christ vers le mystère pascal, le Transpercé d’une part (Jn 19, 4), le Christ de l’Apocalypse d’autre part. On pourrait donc dire que Jean ne mentionne pas la Transfiguration dans son Evangile parce qu’il en décrit l’accomplissement.

11. @ Jean l’apôtre, auteur de tout le « corpus johannique ».
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12. @ Entrer dans l’Apocalypse par le « raccourci symbolique ».
La concision à laquelle nous sommes astreints ne nous permettra que d’esquisser sommairement comment, en fait, ce raccourci valide les résultats des meilleures études actuelles sur la structure* littéraire de l’œuvre.
Etant donné la complexité des problèmes ici en jeu, l’interprétation constitue plus que jamais une option, dont le lecteur exigeant trouvera les justificatifs dans les notes qui suivent.

13. @ Ap 11, 19 – 12, 6 et l’Assomption.
Ap 11, 19 - 12, 6 ouvre notre lectionnaire actuel de la messe de l’Assomption. Vu l’âge avancé du disciple, ce mystère s’était déjà accompli à l’époque où il reçoit ses révélations : en ce jour du Seigneur, la vision de Marie glorifiée aurait en ce cas ajouté sa consolation à celle que lui avait procurée la vue inaugurale du Fils de l’Homme. Simple indice tendant à prouver que l’interprétation mariale ne constitue pas un « sens plénier* » surajouté par les médiévaux, mais fait partie de la « lettre* » de Jean au même titre que l’interprétation ecclésiale*.

14. @ Ap 12, centre du livre.
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17. @ Dieu transcendant dans l’Apocalypse et les autres « visions » contemporaines.
Le visage de Dieu demeure caché en Ap 4. Quelques décades plus tôt, un autre voyant du même Dieu d’Israël (reçu dans le canon éthiopien) donne explicitement cette raison : « Nul ange […] ne pouvait voir la Face à cause de sa splendeur et de sa gloire. Nul chair ne pouvait la voir. » Henoch I, 14, 21. Pris dans son ensemble, ce texte prolixe rend cependant un son bien différent de celui des apocalypses inspirées.
Selon Ap 5, 11, les anges sont une multitude autour de Dieu. A l’époque, d’autres visions (certes non garanties par une canonicité commune à l’ensemble des Eglises) avaient bien ancré chez Israël cette perception des « innombrables ». Cf. Henoch I, 14, 22. La Bible. Ecrits intertestamentaires, Gallimard, La Pléiade, 1987, 488.

18. @ Kerubim et Anciens en Ap 4.
Ils semblent d’abord là pour signifier respectivement la seigneurie du Tout-Puissant sur le Cosmos et sur l’Histoire - avec des nuances que l’on peut abandonner aux incertitudes des spécialistes.

20. @ Ap 5, 6-9 à la lumière de l’analyse narrative.
Digne des meilleurs romans initiatiques, une courte dramatique de la curiosité aboutit à l’entrée en scène du « Héros », seul capable d’accomplir cet exploit : l’ouverture des sceaux. Je traduis ainsi le terme linguistique de « performance », qui renvoie aux catégories du performatif*. - Sur cette lecture dans les catégories narratives de Greimas (cf. ci-dessous, notre chapitre 10, section 2) : J. CALLOUD, Jean DELORME, J.P. DUPLANTIER, « L’Apocalypse de Jean : propositions pour une analyse structurale », dans [collectif], Apocalypses et théologie de l’espérance, coll. Lectio divina 95, Paris, Cerf, 1977, 351-380.
« le Livre » : Vulg. Le mot est généralement absent des manuscrits grecs. Dans un premier temps, la caméra se braque sur la Dextre du. Tout-Puissant et non sur le Livre, car l’exploit de l’Agneau, c’est d’oser approcher le redoutable Pantocrator.
On trouvera un bon exemple de la façon dont une théologie narrative se développe à partir des notions dramatiques de mise en scène et d’intrigue dans A. WENIN, Isaac ou l’épreuve d’Abraham, Bruxelles, Lessius, 1999. Comme l’Agneau d’ailleurs, Abraham y est soumis au test qui fait de lui le héros du récit.

21. @ L’Agneau et sa localisation centrale.
Saint Jean utilise fréquemment pour désigner l’Agneau, le terme arnion - à l’assonance un brin diminutive. Selon certains exégètes, à l’époque la nuance aurait été à peine perceptible. Kittel (43) pense qu’elle s’était perdue. A noter cependant que la traduction française de la LXX (44) distingue en Lv 1, 10 d’une part, en Lv 9, 3 (45) d’autre part, arnos (agneau de moins d’un an) et amnos, cinq fois qualifié d’ « un an » par LXX. En ce cas, le diminutif arnion désignerait un « tout petit » agneau. Faut-il, avec certains aujourd’hui, opposer « jeune bélier » (arên) à « agneau d’un an » (amnos). Arnion ayant un féminin, faut-il y voir une insistance sur le sexe mâle ? A remarquer que, dans l’évangile amnos est suivi du génitif tou theou, tandis qu’en Jn 21, 15 et dans l’Apocalypse (46), arnion est usité à l’état absolu.
Dommage donc que les artistes (et particulièrement Van Eick) nous le représentent souvent davantage comme un mâle adulte.
Quoi qu’il en soit, à l’instant où ce petit Agneau a fait son entrée sur la scène céleste, une redondance de style nous l’a offert à contempler comme occupant le point le plus central de toute la composition visionnaire (Ap 5, 6). Cf. trad. TOB : “Au milieu du trône et des quatre animaux et au milieu des anciens » (même si on traduit avec le grec classique : « entre le trône et les animaux », cela n’y change rien, puisque les animaux se confondent avec le Trône). – « Après que le ciel nous a été dépeint sous une forme concentrique, tous les adorateurs entourant un centre constitué par le trône et Celui qui y siège, comment se représenter la place de cet agneau « au milieu » de tout ce qui a été situé auparavant ? » D. Barthélémy, préface à A. COCAGNAC, Les symboles bibliques, Paris, Cerf, 1999, p. 5.

23. @ L’agneau égorgé.
« On l’égorgera » (Ex 13, 16) : LXX : sphaxousin. Le substantif sphagê figure bien aussi en Is 53, 7 LXX, mais là ce sont les brebis adultes (probaton) qui sont conduites à l’abattage, tandis que les agneaux (amnos) sont seulement tondus.
Il est possible qu’au temps de Jean déjà l’égorgement de l’agneau pascal se soit terminé par l’ouverture du cœur. « Quoique que les apôtres et leurs communautés judéo-chrétiennes puissent fort bien l’avoir eu dans l’esprit, [une prescription rabbinique] a jusqu’ici échappé aux commentateurs. Afin d’empêcher autant que possible la consommation d’un reliquat du sang interdit, il était prescrit de fendre le cœur de l’agneau et d’en laisser jaillir le sang, - ce qui renvoie involontairement au Crucifié, qui – d’après la chronologie johannique – mourut à la même heure que les agneaux pascals et dont ensuite le côté allait également être ouvert, de sorte que coulèrent du sang et de l’eau (n. 96 : sur quoi le verset 36 de Jn 19, en renvoyant à Ex 12, 46, confirme l’allusion à l’agneau pascal). » N. FÜGLISTER, Die Heilsbedeutung des Paschas, Münich, 1963, 63.

24. @ Les témoins authentiques, prêts à suivre l’agneau. Ap 14, 4.
En 177, la Lettre des chrétiens de Gaule à leurs frères d’Asie applique l’image à la disponibilité au martyre, comme s’il s’agissait d’un code symbolique familier aux destinataires asiatiques, à propos d’Epagathus. « Il avait entrepris d’être le paraclet, l’avocat des chrétiens et il possédait en lui-même le Paraclet, l’Esprit de Zacharie, comme il l’avait montré par la plénitude de charité qui lui avait fait risquer sa propre vie pour la défense de ses frères. Il était et il est encore un véritable disciple du Christ, et il suit l’Agneau partout où il va ». (HE V, 1, 10).
Cf. Jean 21, 19 : après la phrase codée qui prédit à Pierre sa crucifixion, Jésus ajoute : « Toi, suis-moi. »
En notre temps, les martyrs de Tibhirine témoignent de l’actualité de ce mystère des « égorgés ».

25. @ L’Agneau unique Révélateur du livre scellé.
La médiation de l’esprit angélique ne servant ici qu’à manifester à quel point cette « révélation de Jésus-Christ » (Ap 1,1. Cf. 22, 6.16) dépasse la capacité naturelle de l’intelligence humaine à déchiffrer les symboles dans lesquels, pour s’adapter à nous, se coule une telle communication divine.

28. @ Les divers systèmes interprétatifs.
On comparera ici Vanni et Corsini. Plus que le « système » interprétatif de Corsini (un de plus !), c’est sa division en quatre septénaires qui nous paraît intéressante : alors que Vanni parle encore de deux parties de l’Apocalypse – les Lettres et le reste -, Corsini plaide pour une rigoureuse unité. E. CORSINI, Apocalisse di Gesù Cristo secondo Giovanni, Torino, SEI, 2002. U. VANNI, L’Apocalisse. Una assemblea interpreta la storia (« Leggere oggi la Bibbia » n° 2.15). Queriniana, Brescia, 1980.

29. @ Le cavalier ensanglanté. Ap 19, 13.
« Puis j’ai vu le ciel ouvert, et voici un cheval blanc : celui qui le monte s’appelle Fidèle et Véritable, il juge et fait la guerre avec justice. Ses yeux sont comme une flamme ardente, il a plusieurs diadèmes sur la tête et un nom écrit que personne ne connaît sauf lui-même. Il est habillé d’un vêtement trempé de sang, et le nom qu’il port est ‘le Verbe de Dieu’. Les armées célestes le suivaient sur des chevaux blancs, vêtues de lin fin blanc et pur. De sa bouche sort un glaive acéré à deux tranchants, pour en frapper les nations ; il les mènera avec un sceptre de fer et lui-même il foule le pressoir du vin de la furieuse colère du Dieu tout puissant ; sur son vêtement et sur sa cuisse il a un nom écrit : ‘Roi des rois et Seigneur des seigneurs’ » (Ap 19, 11-16).
Bien que la plupart pensent au sang des ennemis sur son vêtement, il y a, même parmi les anciens interprètes, ceux qui l’entendent du sang du Christ.
A ce passage de l’Apocalypse, on a rattaché Isaïe 63, 2-3 : « Pourquoi ce rouge à tes habits ? Pourquoi ces vêtements comme fouleurs au pressoir ? – Au pressoir j’étais seul pour fouler ; pas un des miens avec moi, dans ma fureur je les ai piétinés, et leur sang a giclé jusque sur mes habits ». Mais aussi le chant du Serviteur souffrant : « Blessé à cause de nos iniquités, broyé à cause de nos crimes (Is 53, 5).
Ces passages de l’Ecriture ont donné naissance au thème iconographique du pressoir mystique au moyen âge et à l’époque moderne. Sur les multiples aspects de ce thème, cf. D. ALEXANDRE-BIDON, Le pressoir mystique, Actes du Colloque de Recloses, Paris, Cerf, 1990, en particulier la conclusion, p. 355 et sv.
L’iconographie du pressoir mystique représente en général le Christ actif foulant le vin dans le pressoir de la vendange eschatologique. Mais parfois, le Christ est en même temps passif, soumis lui aussi au pressoir et mêlant le sang jailli des cinq plaies de sa passion au jus des raisins. Le précieux produit du pressoir, recueilli dans des récipients par les anges ou les pères de l’Eglise, telle une fontaine de vie, est à la source de l’eucharistie et des autres sacrements donnés par l’Eglise. Ainsi, l’iconographie du pressoir mystique aboutit à une synthèse riche de la conjugaison de plusieurs thèmes fondamentaux du mystère du salut.

30. @ Une métaphysique de l’être ?
Ap 1, 8 : Litt. : « L’Etant et l’Etait et le Venant » (E. DELEBECQUE, L’Apocalypse de Jean, Paris, Mame, 1992, 102).
« Ecris ce que tu vis et ce qui est et ce qui va arriver ensuite » (Ap 1, 19). La formule ternaire de la « révélation de Jésus-Christ » serait-elle calquée sur la définition ternaire de l’Eternel (celui qui était et qui est et qui vient » d’Ap 4, 8)? En ce cas, « ce qui est » réfèrerait à la subsistance des choses d’en haut qui sont (einai) en opposition au « devenir » (genesthai) de l’histoire. Cf. J.C. SAGNE, Lecture spirituelle de l’Apocalypse, Paris, Editions de l’Emmanuel, 2003, 36 : « Ce que tu as vu : le contenu manifeste porte en sa profondeur le mystère de Dieu : ce qui est ». Cf. O Ôn : l’Apocalypse ne recèlerait-elle pas une métaphysique de l’Etre venant compléter la théologie du Dieu Amour que Jean développe dans sa première Lettre ? Apparemment moulée sur le schéma linéaire du temps, l’expression de Jésus serait en fait plus complexe : « Ecris : 1. Le « corpus » empirique de tes visions ; 2. Leur signification métaphysique (eisin = domaine du O Ôn) 3. Leur déploiement symbolique à travers l’histoire. » Cf. E. DELEBECQUE, L’Apocalypse de Jean, 86 : « Les choses que tu vis » sont les visions ; « celles qui sont » sont les choses éternelles, depuis le Principe ; « celles qui vont arriver après cela » annoncent ce qui va se passer jusqu’à la fin des temps.

31. @ Liturgie cosmique ?
Cf. le plan structural de J. P. CHARLIER, Comprendre l’Apocalypse, Paris, Cerf,1991, qui aboutit à clore quatre sections littéraires sur une « liturgie ». Là où le système pèche : plus d’hymne pour conclure les superbes chap. 21 et 22. Il est vrai que le Maranatha final emprunté à la liturgie des premières communautés (cf. Didachê) pourrait en tenir lieu.

32. @ L’Apocalypse, fruit d’une expérience mystique.
« Ce texte (= l’Ap.) doit d’abord être lu comme le compte rendu d’une expérience personnelle réelle […], une expérience intérieure que nous appellerions aujourd’hui mystique […], une illumination de type ‘prophétique’, càd. qui consisterait dans un approfondissement charismatique de mystères divins qu’il devait communiquer à autrui. » Cf. E. CORSINI, L’Apocalypse maintenant, Paris, Seuil, 1984 , 81. Cf. original italien : Apocalisse di Gesù Cristo secondo Giovanni, Torino, SEI, 2002, 81.
En faveur de la réalité de l’expérience mystique de Patmos, on peut faire valoir ce qu’admettent généralement aujourd’hui les biblistes : contrairement aux apocalypses intertestamentaires, l’identité de l’auteur n’est pas ici pseudonymique. Quel que soit le personnage d’époque qui se cache derrière, celui qui signe « Jean » s’appelle bien ainsi.
Plus loin, nous aurons l’occasion de traiter de l’expérience de S. Faustine Kowalska, la sainte de Jean-Paul II : comme à Jean, le Seigneur lui commande parfois : « Ecris ! », quand il s’agit de la dictée d’une formule précise. Voir aussi le texte de Conchita relevé par Philipon :
« Le mode dont Je me communique porte en lui-même la marque de l’Unité, parce que, en Dieu qui est Un, vont ainsi les choses, simplifiées de toutes parts. Par exemple : voici que, soudain, Je me reflète dans ton Ame comme dans un cristal. Là s’impriment ces rayons divins et toi, sous cette impression, tu vois, tu contemples et tu comprends. Aussitôt, avec le concours de ton intelligence, tu leur donnes forme en des paroles, tandis que Moi-même, sans t’en avertir, Je te laisse t’adapter avec plus ou moins d’exactitude ; mais dès la première illumination, J’ai laissé en toi la substance, l’essence, la photographie de la chose communiquée. Tu la transcris alors de ton âme dans tes facultés intellectuelles et de là sur le papier. Selon ce mode de communication de Dieu avec sa créature, il n’y a, pour ainsi dire pas d’erreur ; les passions humaines ne viennent pas s’y mêler, elles qui obnubilent et déforment jusqu’à les effacer, les traces de Dieu dans l’âme. C’est là un mode de communication de Dieu qui dérive de son Unité, s’imprimant d’un seul coup dans une pauvre créature et, ensuite, prenant forme en langage de la terre, encore que, pour cela, Je te le répète, demeure nécessaire la coopération divine ». M.-M. PHILIPON, Conchita. Journal spirituel d’une mère de famille, Paris, DDB, 1974, 129.

33. @ Une « vision intellectuelle » ?
Ce n’est pas parce que l’Apocalypse s’exprime en symboles qu’il ne s’agit pas d’une vision « intellectuelle ». On sait que les images de l’Ap sont souvent irreprésentables, vg. les Vivants au centre et autour du Trône, avec des yeux de tous les côtés ; l’Agneau avec sept cornes et sept yeux ; une voix qui peut être à la fois comme une trompette et comme le mugissement des grandes eaux…, etc. Cela n’invite-t-il pas à rapporter ici les « accidents » à un « sujet » qui n’est pas une « res physica », mais une « res intellectualis » - et une « res » qui n’est pleinement accessible qu’à une connaissance infuse ? Seul le mystique ayant fait l’expérience de la vision intellectuelle pourrait apporter quelque clarté sur ce type de phénomène. – Sur la façon aussi dont la prophétie, qui n’est pas une description anecdotique du fait, anticipe l’épisode tragique selon un système symbolique qui ne coïncide pas avec ce que sera le reportage de l’événement tel que finalement il se déroulera 70 ans après la prédiction, cf. la description cryptée de l’attentat contre le pape dans le 3e secret de Fatima (cf. ch. 9, sect. 3). De telles références, désormais authentifiées par l’Eglise, peuvent éclairer (de très loin bien sûr) l’espèce de résumé symbolique de la vie du Christ, avec ses phases d’Incarnation, de Passion et d’Assomption, telle qu’elle s’exprime dans la vision de la Femme et du Dragon.

35. @ Saint Augustin, un Afro-Européen.
[*** Prochainement en ligne ***]

36. @ Les problèmes métaphysiques sous-jacents à l’évangélisation de l’Asie.
[*** Prochainement en ligne ***]

42. @ Rapport d’un Supérieur Général sur l’état de son Ordre.
« La Compagnie ne semble plus susciter de la haine. A l’exception de quelques rares pays, elle est chez elle un peu partout dans le monde. Au service de la foi avons-nous perdu l’enthousiasme de la proclamation et l’amour des convictions à tel point que les ennemis n’ont plus rien à craindre de nous ? La peur d’être considéré comme un intégriste ou un fondamentaliste a-t-elle entamé un engagement apostolique clair, « une lumière qui rayonne du Christ » (Nadal). Rapport du P. Peter-Hans Kolvenbach à la congrégation des Procureurs, 1999. – Ce n’est pas la première fois que l’Ordre se trouvait ainsi interpellé.

53. @ L’enrichissement de la foi par Vatican II selon K. Wojtyla.
« L’enrichissement de la foi, que nous considérons comme un postulat fondamental pour la mise en œuvre de « Vatican II », doit s’entendre de deux façons : comme enrichissement du contenu de la foi, inclus dans la doctrine conciliaire, et comme enrichissement – découlant de ce contenu même – de l’existence tout entière du croyant qui fait partie de l’Eglise. Cet enrichissement de la foi, au sens objectif*, constitue une nouvelle étape dans la marche de l’Eglise vers « la plénitude de la vérité divine », est en même temps un enrichissement, au sens subjectif*, humain, existentiel*. ». K. WOJTYLA, Aux sources du Renouveau, 14.




NOTES :

(1) Cf. BROWN, p.882-884, à propos des contradictions du Jesus seminar américain et sa conclusion : « Les exégètes seraient bien avisés d’éviter une rhétorique par laquelle leurs trouvailles sont présentées comme certaines, faisant des découvreurs les arbitres de la foi chrétienne. » (884).

(2) Comme je l’ai répété tout au long de ce livre, il s’agit d’une méthode de totalité (= où il y a priorité du tout sur les parties), qui résout les difficultés textuelles à partir d’un centre d’intelligibilité clairement identifié grâce à la Tradition et garanti par le Magistère, - en l’occurrence le symbole du Cœur de Jésus. Faute de quoi, on se trouve, comme l’historico-criticisme (et avant lui l’allégorisme patristique), devant le problème d’une résolution anarchique des difficultés au « coup par coup ».

(3) En accueillant aussi les recherches philosophiques sur le concept de « tradition » (type Gadamer).

(4) Celle que nous proposerons n’est qu’une suggestion à critiquer et perfectionner. Elle a été imaginée après consultation d’hellénistes.

(5) Eusèbe cite lui-même un texte d’Irénée montrant le soin avec lequel on copiait : « Je te conjure, toi qui copieras ce livre, au nom de notre Seigneur JC et de son retour en gloire où il viendra juger les vivants et les morts, collationne soigneusement ce que tu auras copié et corrige-le d’après l’exemplaire d’où tu l’auras pris. Tu copieras aussi cette adjuration et tu la mettras dans ta copie. » HE V, 20, 2. Voir aussi le document de Bea dans les années du Concile sur la communauté chrétienne régulée par les apôtres, épiscopes, etc., différant ainsi du tout au tout d’un milieu créateur de légendes.

(6) BROWN, 873, rappelle que dès cette époque, « l’application à Jésus de la recherche historique systématique fut malheureusement teintée d’un rationalisme (prétendu scientifique mais manquant en fait beaucoup d’objectivité) qui niait a priori la possibilité du surnaturel. » Et – référence implicite à Gadamer ? - l’auteur ajoute en note : « Aucune recherche sur Jésus n’est purement objective, mais les investigations les plus équilibrées admettent leurs présupposés et leurs limites. » La discussion sur Jean relevant du même type de recherches, je me reconnais volontiers dans la position de Brown. J’ajouterais seulement ceci : comme souvent, l’étude de première main m’a depuis longtemps enseigné que les auteurs se recopient les uns les autres sans prendre suffisamment le temps de vérifier les sources alléguées.

(7) On est étonné du crédit que Cazelles et d’autres persistent à accorder à l’ouvrage de J. COLSON, L’énigme du disciple que Jésus aimait, Beauchesne, 1969. Est-ce l’air de mai 1968 ? L’auteur de cette brochure venait de clore trois ans plus tôt par une étude sur la condition sacerdotale des ministres chrétiens durant les deux premiers siècles (Ministre de Jésus-Christ, Beauchesne, 1966) une série d’ouvrages qui démontrait une réelle compétence sur la période post-apostolique. Or voici qu’il se départait tout à coup de la sérénité scientifique qu’aurait réclamé sa totale remise en cause de la position traditionnelle pour se lancer dans un plaidoyer passionné où le traitement des sources, rarement remises dans leur véritable contexte, y est si peu objectif qu’en 2007 il y a mieux à faire que de réfuter point par point les interprétations tendancieuses de l’auteur, toujours prêt à solliciter n’importe quel silence des documents pour étayer sa thèse. Le terme d’apôtre, par exemple, fait l’objet de traitements divers, selon qu’il sert ou non les besoins de la cause. Colson, au fond, est-il fort d’autre chose que de l’étonnement, toujours renouvelé, qui s’attache au choix que le Seigneur fit de pêcheurs de Galilée apparemment sans instruction ni culture (Ac 4,13), mais qui, en réalité, étaient remplis du Saint-Esprit (Ac 4, 9) ? Cf. Colson, 66.

(8) Impressionnante la richesse d’information de cette nouvelle initiation au Nouveau Testament. Les positions mesurées de l’auteur montrent que l’exégèse catholique se sent plus libre aujourd’hui de réaffirmer son accord croissant avec les positions traditionnelles. L’ouvrage témoigne cependant qu’un chemin reste à faire pour se dégager d’un passé récent. – C’est ainsi que son insinuation à propos des quatre Jean (p. 434) ne perdrait rien à être passée au fil du « rasoir d’Ockam ». A quoi bon, par exemple, faire mentir la parole inspirée, où, en Jn 21, 24, le cachet d’authenticité de la communauté affirme, sans conteste possible, que le témoin oculaire et le rédacteur de l’évangile entier (y compris le ch. 21, bien évidemment à inclure dans le tauta, si on veut éviter le recours désespéré à l’ « interpolation ») sont un seul et même personnage : l’epistêthios, qui vient de signer discrètement à la troisième personne ?

(9) Delebecque, 92-93 : « Tous ses sens sont au travail, Il contemple…, il entend…, il sent…, il voit »

(10) Delebecque, 74-75.

(11) L’emploi intensif de ôs et omoios traduit l’honnêteté de l’effort de saint Jean quand il veut communiquer ce qu’il a vu (voir ce qui a été dit plus haut du caractère intellectuel de la vision de Patmos (Delebecque, 92). Le style est sur ce point très différent de celui d’Henoch 1 qui martèle « j’ai vu de mes yeux » sans l’assortir du même aveu d’impuissance à traduire : on se sent dans le pur imaginaire, et non dans l’épaisseur du vrai symbolique.

(12) Si l’étude philologique de Delebecque est exacte, cette part pourrait être plus réduite qu’on ne le croit. Le professeur imagine d’ailleurs Jean mettant par écrit sa vision au cours de 2 ans de relégation à Patmos. Une tradition locale aurait même conservé le nom du secrétaire de l’apôtre. Ce Prochoros serait-il l’un des Sept dont il est question en Ac 6,5 : il s’agissait d’un « Hélléniste » et le choix de la communauté peut laisser entendre qu’il s’agissait d’un homme cultivé.

(13) Selon la tradition locale, où il est représenté dictant à Prochoros, Jean aurait plutôt tout écrit à Patmos. Dans les longues méditations de sa retraite forcée, lui était-il si difficile, sous la motion de l’esprit et avec la plume de Prochoros, de traduire sa vision en de multiples « citations implicites » de l’Ecriture ? Mais, en fait, cette tradition semble trop tardive pour être crédible. Il semble qu’elle ne serait guère antérieure au 6e siècle et que Jean dicterait en fait son Evangile : mais, les Eglises syriaques refusant la canonicité de l’Apocalypse, on s’explique la substitution. Un universitaire se déclare cependant convaincu que les Actes de Jean auraient été écrits par Prochoros autour de l’an 150 (Junod-Kaestli, t. 2, CC, Turnhoult, Brepols, 1983, 695).

(14) On ne peut que s’étonner de la conclusion de Brown, 860-861, après l’impressionnante liste des parallèles avec la littérature johannique qu’il vient de dresser. – A noter qu’en présentant son essai de reconstruction de l’histoire de la communauté johannique, l’auteur prend la précaution de l’annoncer comme une hypothèse : « Aussi faudrait-il acccoler à chaque phrase un peut-être. » Brown, 416.

(15) « Aujourd’hui, toutefois, on rencontre fréquemment, et toujours comme un fait acquis, l’opinion contraire, selon laquelle il n’y eut pas de persécution sous Domitien. » BROWN, 862-864, a établi un impressionnant dossier à l’appui de la réalité de cette brève persécution (la seconde de quelque envergure après Néron).

(16) Pour l’objectivité et sans prendre ici nullement parti, je renvoie le discernement du lecteur à Eusèbe HE III, 23. Le « bibliothécaire » de Césarée, le scrupuleux recopieur de documents (sans lequel nous ignorerions bien des témoignages allant de Polycarpe et Papias à Denis d’Alexandrie et Origène) ne fait que transcrire la péroraison d’une homélie (la seule conservée entière ?) de Clément d’Alexandrie. Le texte débute ainsi : « Après que le tyran [Domitien] fut mort, Jean passa de l’île de Patmos à Ephèse ; et, il allait sur invitation, dans les pays voisins des goïms, tantôt pour y établir des évêques, tantôt pour mettre d’accord des Eglises entières, tantôt pour ordonner comme clerc un de ceux qui étaient désignés par l’Esprit. » (23, 6). Et plus loin à propos de l’épiscope: « L’apôtre déchira son vêtement et, après un profond gémissement, se frappa la tête : « C’est un beau gardien (phulaka) de l’âme de mon frère que j’ai laissé. Mais que tout de suite on m’amène un cheval […] ! » Quittant l’église, il monta à cheval aussitôt comme il était » (23, 14). Pour l’honnêteté - et encore une fois sans prendre parti -, voici les mots par lesquels Eusèbe introduit la fin de cette homélie (laquelle constitue un des premiers témoignages sur la possibilité d’une seconde pénitence qui s’effectue dans les larmes du penthos) : « Ecoute une fable (muthon) qui n’est pas une fable, mais un logon sur Jean l’apôtre, qui provient d’une tradition (paradedomenon) et a été gardée en mémoire (mnêmê). » Remarquons au passage la dialectique mythe-paradosis qui insinue un certain recul du compilateur par rapport à sa vénérable source, Clément. Le passage de l’homélie clémentine est aisément accessible : CLEMENT D’ALEXANDRIE, Quel riche sera sauvé ? 42 (Riches et pauvres dans l’Eglise ancienne, Lettres chrétiennes 6, Paris 1962, p. 52-54).

(17) De l’archimandrite Sophrony, le disciple de saint Silouane (1896-1993), décédé à la veille de ses 97 ans, Maxime Egger écrit : « Toute sa vie, il aura été travaillé par le mystère de l’homme, « esprit » pur et libre dans un corps soumis aux forces cosmiques. Ce mystère, on peut dire qu’il l’aura vécu de tout son être jusqu’à la fin. Tous ceux qui l’ont rencontré avant sa mort ont été frappés par le contraste entre l’extrême faiblesse de son corps, qui n’arrivait même plus à le porter, et la vivacité flamboyante de son esprit. Comme le disait, l’un de des proches, « la flamme de l’Esprit aura consumé et transfiguré en lui jusqu’à la dernière parcelle de matière » SOPHRONY, La prière, expérience de l’éternité, Cerf, 2e éd., 2004, p. 22. Je me figurerais volontiers ainsi le vieux saint Jean…

(18) Comme celui de Papias cité plus loin, il s’agit d’un texte dont on ignore beaucoup du contexte (sinon qu’il est extrait d’une lettre au pape dans une affaire où il s’agissait de citer des chrétiens illustres, megala stoicheia. HE V 24, 2) : « Jean, celui qui se renversa (anapesôn) sur la poitrine du Seigneur, qui fut prêtre (iereus) portant la lame d’or (petalon) et martyr et didascale ». Martyr, le terme pouvait convenir à l’exilé de Patmos (Ap 1, 9), relégué à cause du témoignage (marturian) de Jésus). Sur l’hypothèse d’une origine judéo-chrétienne de la mention du petalon, cf. Eusèbe, Cerf, 2003, 175, n.3 : « L’Apôtre Jean est ainsi assimilé à un grand-prêtre d’Israël ». Ce point reste mystérieux (voir notre annexe II) : faudrait-il y voir le témoignage d’une symbolique sacerdotale qui commençait à s’attacher à la fonction d’épiscope ? – A noter que Polycrate ne semble pas parler d’un prêtre juif devenu le disciple bien-aimé, mais au contraire du Disciple bien-aimé qui fut (au sens du futur historique) à la fois prêtre-martyr-didascale (càd. en l’occurrence évangéliste).

(19) Traiter le problème du Disciple Bien-Aimé en faisant abstraction de la théologie des synoptiques devrait être considéré aujourd’hui comme une aberration. La théologie des synoptiques serait-elle à prendre moins en considération que celle de Jean ?

(20) Au moment où Jésus fondait la Nouvelle Alliance dans son sang, convenait-il qu’il ait admis à ce repas sacré d’autres convives que les douze assises de la Jérusalem nouvelle (Ap 21, 11), ceux qu’il avait choisis pour siéger sur les 12 trônes. (Mt 19, 28 ; et surtout Lc 22, 30, qui situe précisément ce logion du Seigneur à la Cène) ? Une fois de plus, l’attention au « symbolique » est ici essentielle – et nous savons que, dans tout ce qui touche aux origines chrétiennes, le « symbolique » est d’autant plus chargé de sens qu’il est enraciné dans un « réel historique » (ici ; Luc l’historien l’avait donc vu, sans attendre le maître symboliste chrétien qui s’appelle Jean…). Le concile de Trente a d’ailleurs enseigné que le sacrement de l’Ordre s’enracine dans cet instant. Il n’y a place en cette Cène et en ce lieu que pour le Sacerdoce fondateur (qui, seulement après la Pentecôte, transmettra, par l’imposition des mains, sa charge au sacerdoce institutionnel des premiers épiscopes. Cf. DV 7. Cf. 1 Tm). Evidemment de telles considérations libèrent la catéchèse catholique d’un enfermement unilatéral (structural ou rédactionnel) dans le pur philologique, en se rappelant que l’ « actus fidei non terminatur ad enuntiabile, sed ad rem ». – Piètre subterfuge, en tout cas, que d’introduire dans la peau du disciple bien-aimé le propriétaire de la maison ! Le véritable maître (symbolique) des lieux est d’ailleurs en l’occurrence Jésus, comme Marc l’a bien compris : « Où est « ma » salle où je mangerai la Pâque avec mes disciples ? Et il vous montrera (« ma » salle ne désigne donc pas un lieu où Jésus avait l’habitude de venir avec les Douze) une salle-haute (càd. à l’étage, où on accède par un escalier extérieur qui la distingue du logement du propriétaire. Cf. 2 R 4, 11), là préparez tout pour nous. » (Mc 14, 15). Tout se fait indépendamment du propriétaire légal, même si celui-ci appartenait, semble-t-il, au cercle des disciples judéens (Lc 22, 11 : Le Maître (didaskalos) te dit + Mt, Mc). – D’autres optent pour le fils aîné de ce propriétaire : Cazelles se réclame ici de STRACK-BILLERBECK, sur Jn 13, 23 ; 4, 2. Exkurs pp. 619 note a, qui pourtant, vérification faite, ne stipule rien de ce genre. Pas plus que 4, 1. Exkurs 4, p. 56-57, qui consigne simplement qu’au repas pascal le fils doit être étendu près de son père et l’apprenti du charpentier aux genoux de son maître. En somme, comme si, à la place réservée pour celui qui tenait le 3e rang (Strack, loc. cit. 618), Jésus avait introduit parmi les Douze son « mignon » (dans la langue de la Septante, le verbe anapipto, se renverser, être couché suivi de la préposition meta, « avec » pouvait avoir la même connotation qu’en français) ! Par les temps qui courent, il pourrait n’être pas sans risque de lancer inconsidérément certaines hypothèses… - Quant à Cazelles, en voulant bloquer en un seul personnage Jean l’apôtre et le fils du propriétaire de la maison, il oublie tout simplement Lc 22, 8 : Comment se fait-il qu’il faille indiquer au fils du propriétaire où se trouve le fameux pied-à-terre de son père Zébédée dans Jérusalem ? De plus, il faut supposer qu’il vole son droit d’aînesse à Jacques, car la préséance habituelle de Jacques dans les textes suppose que Jean n’est que le cadet, - en particulier au début des synoptiques, où ils sont présentés dans le cadre familial (Mt 4, 21 ; Mc 1, 19 ; Lc 5, 10). Seul Luc, en deux occasions importantes (Lc 8, 51 ; 9, 28 ; mais à l’inverse 9, 54), donne la seconde place à Jean dans le groupe des « Trois »…ce qui permet de voir déjà se dessiner le tandem Pierre-Jean des Actes.

(21) Si on se rappelle notre chapitre 5, étant donné le genre littéraire des évangiles, il ne le fait que dans ce que nous avons appelé le post-scriptum autographe.

(22) Comme le reste, de la « main » (non autographe, bien sûr) de Jean, pourvu qu’on prenne le certificat d’authenticité de la communauté comme il est écrit (Jn 21, 24). Pourra-t-on continuer longtemps à parler d’ « appendice », comme le faisait encore la BJ ou Braun ?

(23) On pourrait imaginer le scénario suivant (au sens où la science progresse à partir d’hypothèses) : avant Patmos l’essentiel des 20 premiers chapitres (fruits d’une longue méditation avec Marie, d’une prédication orale de l’apôtre et, presque certainement, de mises partielles par écrit) ; à Patmos, envoi des Lettres aux Eglises et, peut-être, première mise par écrit de ses visions ; après Patmos, rédaction de l’Apocalypse, ultime révision de l’évangile et adjonction du chap. 21, les 2 courts billets de l’Ancien si proches à la fois de la symbolique de l’Apocalypse dans la délicieuse salutation de 2 Jn et des thèmes johanniques (vg. couple amour-vérité) dans le corps des lettres. Simple proposition-cible… Etant donné les hésitations textuelles des manuscrits, seul l’épisode de la femme adultère serait d’une autre main. Certains suggèrent Aristion (cf. Eusèbe, III, 39, 17). – Le « mot de la fin » serait en ce cas à laisser à la « première Lettre de saint Jean ». Le « nous » qui la commence (sur ce « nous », cf. Delebecque) est le plus fabuleux résumé du « témoignage collectif » des témoins oculaires que le tout vieux saint Jean, plus que jamais incapable de tenir lui-même la plume, dicte dans un souffle à ses disciples : Dieu est Lumière et Dieu est Amour ! Sur ces deux mots, il met le sceau à la Révélation divine (même s’il n’est pas exclu qu’à celle-ci Aristion ou quelque autre des « viri apostolici » aient, sous l’inspiration de l’Esprit, ajouté plus tard quelques broutilles. Aristion est d’ailleurs sans doute mort avant Jean, (cf. ci-dessous Papias). C’est en tout cas ce texte qui correspond le mieux à la tradition orale recueillie par Jérôme. Porté sur sa civière, le presbuteros Jean ne savait plus que répéter : Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres (C’est l’image que, personnellement, j’ai gardée de Pierre Goursat, le jour où j’ai visité ce grand ami pour la dernière fois. Je m’en souviens comme d’hier : c’était à l’hôtel du Prieuré du Cœur de Jésus. Il était étendu sur sa « civière » (en l’occurrence : un des lits des chambres réservées aux handicapés), les yeux mis clos et son cœur était si faible que sa vie ne semblait plus tenir qu’à un fil. Je suis incapable de vous dire, comme l’epistêthios, si c’était la dixième heure du jour (Jn 1), mais ce que je sais, c’est que, ce jour-là, tous les deux entre les mains de Marie, nous savions où « demeurait » Jésus-le-Vivant). – Dernière remarque : Il est difficile de comprendre comment Brown (443) peut confondre le « nous » des témoins oculaires invoqués en 1 Jn 1, 1 et le « nous » de l’église d’Ephèse en Jn 21, 24 (Comment cette église à la fin du 1er siècle aurait-elle été composée de témoins oculaires ? S’ils savent que « son témoignage est fiable », c’est parce qu’une longue fréquentation de l’apôtre leur a permis d’apprécier sa véracité).

(24) Pas besoin (au contraire) de présupposer la mort déjà advenue pour mettre dans la bouche d’un presque centenaire les versets Jn 21, 22-23. Cf. de Gaulle dans sa conférence de presse, rétorquant à un journaliste quelque chose comme : Rassurez-vous, un jour je finirai…

(25) La thèse de Cazelles comporte une suggestion valable : la possibilité que Zébédée ait été de famille sacerdotale ; par contre, l’hypothèse (non nécessaire à la thèse principale de l’auteur) que la Cène se soit déroulée chez lui, est impossible en raison de Lc 22, 8 comme nous l’avons dit.

(26) C’est le nom que l’on donnait aux évangiles.

(27) Brown, 443, distingue jusqu’à cinq usages anciens du terme (références savantes, n. 5).

(28) Voir L’Apocalypse syriaque de Baruch (=II Baruch). XXIX, 5, dont la rédaction définitive pourrait dater de Trajan. Ecrits intertestamentaires, Pléiade, Gallimard, 1987, p. 1505 avec la note. Voir aussi L’Apocalypse de Paul, texte maintes fois réédité au Moyen Age. Ecrits apocryphes chrétiens, Pléiade, Gallimard, 1997, 802. Voir aussi Eloge de Jean-Baptiste, ibid., 1575-76.

(29) Eusèbe avait lu l’œuvre de Papias, qui était donc encore conservée de son temps.

(30) L’ensemble des manuscrits grecs. Seule la version syriaque omet, mais celle-ci représenterait une traduction peu fidèle, qu’on ne peut opposer à une unanimité, qui eut d’ailleurs le soutien de Jérôme et Rufin (J. CHAPMAN, John the Presbyter, Oxford, 1911, 21).

(31) Dans ce texte comme chez Irénée et d’autres, l’expression ne peut désigner que des personnages ayant ouï Jésus de leurs propres oreilles. D’après un manuscrit arménien, cet Aristion pourrait (?) être le rédacteur de la finale de Marc. Cf. notice de G. Bardy sur Aristion dans DBS, t. 1, col. 621.

(32) Cf. Michaelis, op. cit. plus bas.

(33) Il y a plus de cinquante ans, une hypothèse de ce type avait déjà été proposée par W. MICHAELIS, Einleitung in das neue Testament, Bern, 1946, 91 s (+3e éd., 1961, p.), que Braun, p. 361, résume par l’approximation suivante : « Placé d’abord parmi les apôtres et qualifié ensuite de presbytre [=Ancien], Jean se trouve mentionné deux fois. Du moment où une distinction était faite entre ce que les anciens avaient rapporté dans le passé et ce qu’ils continuaient à dire par la voix de leurs derniers représentants, n’assigner à Jean qu’une seule place eût mal répondu à la complexité du cas. » Et Braun de conclure : « L’effort déployé par Eusèbe pour donner à Jean le Presbytre une existence indépendante n’aurait abouti qu’à la production d’un être de raison, par dédoublement arbitraire. » Contrairement à ce que pensait J. CHAPMAN, John the Presbyter and the fourth Gospel, Oxford, 1911, p. 18, le texte de Papias applique d’ailleurs bien le terme de presbuteroi aux sept disciples du Seigneur qu’il cite (et pas seulement aux « compagnons » qui les avaient connus). Cf. la traduction de Bardy-Neyrand, HE, 2003, p. 186. Dans sa brochure centenaire, Chapman projetait les catégories d’Irénée sur le texte de Papias, qui, lui, remonte presque à l’ère apostolique, càd. à une période où le vocabulaire restait plus flottant - La consultation du texte de Michaelis montre que, comme l’indique la majuscule de « der Alte », il traduisait le « o presbuteros Iôannês » par « l’Ancien Jean », en ce sens qu’il appartenait à la génération des premiers disciples (= l’Ancien de 2 Jn et 3 Jn) : je propose seulement de supprimer la majuscule pour désubstantiver l’adjectif et aller jusqu’au bout de l’intuition de l’auteur en traduisant : « le vieux Jean » (l’ordre des mots o/presbuteros/jôannês permet en effet de conserver à l’adjectif la fonction d’épithète).

(34) En fait, Eusèbe le confirme : la lecture des écrits complets de Papias montrerait que celui-ci a été « l’auditeur direct d’Aristion et du presbuteros Jean ; en tout cas, c’est en les mentionnant souvent par leur nom que dans ses écrits il rapporte leurs traditions » (III, 39, 7). Et plus loin : « Dans son texte, il transmet d’autres expositions des paroles du Seigneur dues à Aristion et des traditions du presbuteros Jean » (39, 14). Selon Irénée (AH V, 33, 4), Papias avait été « compagnon » (etairos = terme matthéen [Mt 11, 16 ; 20, 13, 22, 12] employé par Jésus au moment du baiser de Judas Mt 26, 50) de Polycarpe. Il était donc pour Irénée un témoin qu’il qualifie d’ « archaïque ».

(35) Bien que les hellénistes constatent le vague de la formule, contentons-nous à titre d’hypothèse du profil le plus bas possible. Irénée déclare qu’il a connu Polycarpe « dans sa prime jeunesse (en tê prôtê êmôn êlikia) », ce qui signifierait : dans notre adolescence (AH III, 3, 4). Mais dans sa lettre à Florinus, Irénée rappelle à son correspondant qu’ils étaient aux pieds de Polycarpe quand lui, Irénée, était « encore enfant, païs eti ôn » (càd. dans le grec de l’évangile ayant atteint notre âge du catéchisme, soit au moins l’âge de raison et souvent le seuil de la bar mitsva, càd. dire 12 ans. Cf. Lc 2, 43). Mais il est formel sur la qualité de ses souvenirs : « Je peux dire […] comment [Polycarpe] rapportait ses relations avec Jean et les autres qui avaient vu le Seigneur. » (cf. encadré : Lettre à Florinus) Etant donné qu’il rappelle à son correspondant, incertain dans sa foi, les « doctrines » qu’ils ont entendues ensemble de Polycarpe, comment le croire moins intuitif que les meilleurs de nos gosses du caté et décréter a priori qu’il ne comprenait pas de quel Jean Polycarpe parlait – surtout si, en fait, il n’y a jamais eu qu’un Jean… ? Il ne se trompe pas, en tout cas, en référant au « disciple du Seigneur », auteur de l’évangile et de la 1ère Lettre, l’anecdote de Cérinthe aux bains d’Ephèse qu’aux dires de certains, Polycarpe racontait. Cf. AH III, 3, 4 (selon nombre de biblistes modernes, Cérinthe serait le gnostique-type visé par la 1ère Lettre et la christologie sous-jacente à l’évangile) ?

     En fait, la Lettre à Florinus semble impliquer que celui-ci occupait déjà une certaine position sociale. Irénée aurait-il été tellement plus jeune que lui ? En ce cas, il faudrait donner aux termes pais et « prime jeunesse » le sens assez large qui est courant en grec.

     Une des incertitudes actuelles concerne la date du martyre de Polycarpe. Les deux sources historiques ne sont pas d’accord : le texte du Martyre permettait de conclure qu’il avait eu lieu en 155 au temps d’Antonin le Pieux, - ce qui était la date retenue depuis le dernier tiers du XIXe ; en revanche, Eusèbe repoussait la date à la 7e année du règne de Marc-Aurèle, ce qui pourrait signifier en 167. P.-Th. Camelot, l’éditeur du Martyre, notait en 1988 qu’après avoir eu la faveur des érudits, la date basse reperdait du terrain en faveur de la datation traditionnelle (Catholicisme, t. (1988), art. Polycrate). Si la tendance se confirmait, elle rendrait plus plausible l’affirmation d’Irénée que Polycarpe reçut l’épiscopat des mains des apôtres (en l’occurrence de Jean, traduit Tertullien). Bibliographie du dossier dans DSAM, t. , art. POLYCARPE, col 1907.

(36) Voir quelques-unes des références dans Braun, 360.

(37) Impressionné à tort par l’erreur de traduction que commettait le vieux Chapman à propos de Papias, Braun (362) n’ose pas aller jusque là.

(38) Extraits de Théodote, section A, 27, 1-3.

(39) Un certain nombre de commentateurs pensent donc que Jacques n’entrait pas dans le sanctuaire proprement dit, mais demeurait dans le parvis comme les autres juifs. A supposer même qu’il appartînt à la classe sacerdotale, comment aurait-il eu le privilège d’entrer quotidiennement dans le sanctuaire, puisque les prêtres n’y officiaient qu’à tour de rôle ? « Tout le passage est obscur et soulève de nombreuses difficultés » (SC 31, p. 86, n. 8).

(40) Mais « on constate que l’auteur n’avait pas une connaissance directe du pays de la Bible et de sa culture » Apocryphes, Pléiade, 109.

(41) Par contre, il n’est nullement dit que Jean se soit permis de porter le pectoral du Grand Prêtre, dont une longue description ésotérique avait été donnée par Philon, qui voyait dans les 12 pierres dont il était constitué un rappel du cercle du zodiaque (op. cit., 124-130). Toutefois, on a souvent fait remarquer que, conformément à la symbolique juive de ces douze pierres qui évoquait plutôt le nombre des tribus d’Israël (Si 45, 11), les douze assises de la Jérusalem céleste « portent chacune le nom de l’un des douze apôtres de l’Agneau » gravé sur l’une de ces mêmes douze pierres (Ap 21, 14-20). Familier donc, comme tout bon juif, de la symbolique du Sacerdoce lévitique, le dernier survivant des Douze se serait-il contenté d’en emprunter le petalon, parce qu’il marquait sa consécration au Nom divin et son pouvoir d’intercession pour le péché du peuple ? Se développant de plus en plus en milieu grec, la référence au tétragramme hébraïque aurait peu à peu perdu son sens. - Quant au pectoral, il apparaît curieusement dans une vision médiévale de Jean : « Il portait aussi sur la poitrine une sorte de merveilleux pectoral (rationale. Cf. Ex 28 vulg.) pour rappeler qu’il eut le privilège de reposer à la Cène sur la très douce poitrine du Seigneur. On y lisait en lettres d’or, qui paraissaient vivantes : Au commencement était le Verbe. » (Gertrude, Héraut, IV, 4, 2). La prérogative du petalon de porter le Nom divin est ici comme transférée au pectoral en raison du privilège qu’avait eu Jean de reposer sur le « très doux » cœur du Verbe éternel.

(42) On peut ici faire deux remarques. Dès le 1er siècle, la Lettre aux Hébreux témoigne qu’une théologie du Grand Prêtre s’était développée dans des milieux judéo-chrétiens de langue grecque (il y aurait d’ailleurs à étudier dans quelle mesure la symbolique du Grand Prêtre a été appliquée, fût-ce à tort, à l’épiscopat et à partir de quelle époque). Il n’y aurait rien de surprenant à ce qu’on en trouve des traces à Ephèse à la fin du 2e siècle. Mais le témoignage de Polycrate ne se borne pas à situer l’epistethios dans ce registre « cultuel ». Prêtre, martyr et didascale, celui-ci incarne pour lui trois dimensions fondatrices de l’Eglise : diakonia, marturia, koinônia (la didachê des apôtres étant le fondement de cette communion des chrétiens). Cf. notre chap. 10, section 2.

(43) G. KITTEL, Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament, Stuttgart, 1933, p. 342-344.

(44) La Bible d’Alexandrie, LXX, T. 3 : Le Lévitique, Paris, Cerf, 1988, p. 44.

(45) La Bible d’Alexandrie, LXX, T. 3, p. 119, note.

(46) Arnion est un hapax scripturaire chez Jn 21, 15 et ne se retrouve ensuite que dans l’Apocalypse.




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