La Bible du Coeur de Jésus

Edouard Glotin

Presses de la Renaissance


Notes et Annexes

Introduction

Annexes
Haurietis Aquas
• Le Coeur de Jésus et le Shabbat juif
Benoît XVI : Lettre au R.P. Kolvenbach (50° anniv. d'HA)
Benoît XVI : Message de Carême 2007

Commentaires
des illustrations

Fig. 1 à 11
Fig. 12 à 19
Fig. 20 à 29
Fig. 30 à 39
Fig. 40 à 49
Fig. 50 à 59
Fig. 60 à 69
Fig. 70 à 83

Notes
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12

Liste des sigles
Le Coeur de Jésus et le Shabbat juif
(en lien avec le Jubilé 2000)
par le Père Jean-Rodolphe Kars
Chapelain à Paray-le-Monial


  • INTRODUCTION


  • I. LE JUBILE ET LE SHABBAT
    • Quelques dates « providentielles »
    • Les relations de l’Eglise avec le Peuple d’Israël

  • II. LE JUBILE ET LE CŒUR DE JESUS
    • ... Transition

  • III. LE CŒUR DE JESUS ET LE SHABBAT JUIF
    • Jean 19,31-42
    • Jardin de la nouvelle Genèse
    • L’accomplissement du Shabbat originel
    • Hébreux 3,7 à 4,11
    • Petite pause liturgique
    • Point d’orgue patristique
    • Jardin de la nouvelle Genèse (suite)
    • La « musique » du Jardin shabbatique
    • Israël et l’Eglise
    • Pause sur Israël et Paray-le-Monial
    • La « musique » du Jardin shabbatique (suite)
    • « Or il y avait un jardin... »
    • Petite pause liturgique

  • IV. LA SYMPHONIE JOHANNIQUE
    • Evangile de Jean et Genèse
    • Reprise rétrogradée
    • L’Apocalypse
    • L’Evangéliste shabbatique
    • Pause liturgique
    • Point d’orgue artistique

  • V. LE SHABBAT ET LA REDEMPTION
    • Théologie du travail et de la bénédiction
    • Israël, dépositaire du Shabbat
    • Le Fils de l’homme, maître et disciple accompli du Shabbat
    • Shabbat et Pâque
    • Le Shabbat, berceau de l’Eglise
    • « Promenade » shabbatique

  • VI. LE GRAND SHABBAT DE LA NOUVELLE EVE
    • Fiancée et Reine
    • Le Grand et Saint Samedi
    • Tombeau neuf et Jardin nouveau
    • « Rêverie » shabbatique et mariale
    • La Reine Shabbat
    • Point d’orgue marial

  • VII. « IL Y EUT UN SOIR, IL Y EUT UN MATIN »
    • Jour Un et Jour Huit
    • Apparition du Ressuscité à Marie de Magdala
    • Correspondance entre Jardin d’Eden et Jardin de Pâque
    • Du Jardin vers le Ciel
    • Petite pause musicale

  • VIII. TOTA TRINITAS APPARUIT
    • Le « Cœur » trinitaire
    • Le Père
    • Le Fils
    • L’Etreinte
    • Le Cœur du Grand Prêtre
    • L’Esprit Saint
    • L’Esprit Saint, Maître du Shabbat
    • Le Fleuve d’eau vive limpide comme du cristal

  • NOTES ANNEXES


***Début de la rédaction de ce texte: mars 2003

INTRODUCTION

Ceci est une méditation un peu « improvisée » plutôt qu’un article de fond. Le père Edouard Glotin, en lien avec l’immense (et magnifique) travail sur le Cœur de Jésus auquel il consacre maintenant le plus important de son temps, m’a demandé de mettre ces quelques réflexions par écrit. Ces lignes n’ont donc aucunement un caractère définitif, mais ne sont que l’ébauche de quelques idées qui ont commencé à germer durant le grand Jubilé (l’Année Sainte) de l’An 2000 : une méditation sur la relation mystérieuse entre le Cœur ouvert de Jésus et le Shabbat juif. Cette méditation s’enracine dans la lecture du chapitre 19 (versets 31 à 42) de l’Evangile de Jean. Cette section, qui relate l’événement du transpercement du Cœur de Jésus par la lance du soldat, commence en effet par la mention de ce Shabbat qui était un grand jour (grand jour car également le jour de la Pâque). Le lien entre la mort de Jésus sur la Croix et la Pâque juive est évident, il a été amplement commenté par la Tradition de l’Eglise et il est comme naturellement imprimé dans l’esprit des croyants. La réflexion sur le lien entre le Cœur de Jésus et le Shabbat, par contre, est inhabituelle et n’a pas souvent été faite, à ma connaissance. Etant plus habitué aux enseignements donnés de vive voix, la mise par écrit d’idées un peu « foisonnantes » est laborieuse pour moi. Mais si à partir de ce texte quelques jalons peuvent être posés en vue d’une réflexion faite par des personnes plus compétentes sur ce sujet, le but sera alors atteint.


I. LE JUBILE ET LE SHABBAT

Quelques dates « providentielles »

Les premières idées concernant ce travail ont donc commencé à germer durant l’année du Jubilé, et cela d’abord à cause de quelques « coïncidences » de dates qui m’ont semblé significatives (1). Je me suis souvenu que l’année jubilaire chrétienne, telle que l’Eglise la célèbre, est profondément enracinée dans l’année jubilaire biblique décrite en particulier dans les préceptes du Lévitique (25, 1-55) cité par Jean-Paul II dans le paragraphe 12 de sa Lettre Apostolique de 1994, Tertio Millennio Adveniente, en préparation de l’An 2000. Il parle des années shabbatiques qui reviennent tous les 7 ans, et aussi des années jubilaires (sujet qui nous intéresse ici) célébrées tous les 50 ans. « Vous déclarerai sainte cette cinquantième année et proclamerez l’affranchissement de tous les habitants du pays. Ce sera pour vous un jubilé : chacun de vous retournera dans son clan » (Lv 25, 10). Il y a donc aussi une dimension « shabbatique » de l’année sainte 2000 que nous venons de vivre. Or, ce qui m’a frappé, c’est que les grandes dates du Jubilé de l’An 2000 coïncidaient à chaque fois avec le Shabbat juif (2). Tout d’abord, l’ouverture de la Porte Sainte, Noël 1999, le 25 décembre : c’était un samedi. Du coup, nécessairement, le début de l’année civile 2000, 1er janvier (Solennité de Marie, Mère de Dieu), tombait un samedi. Et surtout, ce qui constitue la substance même du Jubilé, à savoir le Mystère de l’Incarnation dont on fait intensément mémoire le jour de l’Annonciation, le 25 mars : là encore c’était un samedi, en l’An 2000. En ce jour qui était considéré comme le « cœur » du Jubilé, Jean-Paul II a célébré à la Basilique de l’Annonciation à Nazareth. Et enfin, le 6 janvier 2001, Fête de l’Epiphanie, jour solennel de la clôture du Jubilé : encore un samedi. Certes, la cohérence de ces dates peut sembler facile à première vue et un peu naïve... et cependant, à partir de là, une méditation est possible. Avant tout, notons que la dimension shabbatique du Jubilé est immédiatement perceptible par l’Evangile qui a été proclamé par l’Eglise (à Rome et en beaucoup d’autres endroits) lors de l’ouverture de l’année sainte : les paroles de Jésus à la synagogue de Nazareth dans laquelle il « entra le jour du shabbat » (Lc 4, 16-22). Et c’est précisément à cette occasion qu’il s’approprie les paroles d’Isaïe relatives à la libération des captifs, à la bonne nouvelle annoncée aux pauvres, et qui concernent l’année jubilaire biblique (3) (Isaïe 61, 1-2). Donc, il m’a semblé significatif que ces paroles bibliques, à la fois shabbatiques et jubilaires, résonnent dans l’Eglise un jour de Shabbat juif, pour l’ouverture de l’année sainte (4).

Les relations de l’Eglise avec le Peuple d’Israël

En outre, ce Jubilé de l’An 2000 a été fortement marqué par des événements très importants concernant les relations de l’Eglise et du Peuple d’Israël ; non pas uniquement au niveau des relations extérieures mais bien plus encore au niveau des relations qu’on pourrait dire d’ordre « mystique » et qu’on ne peut véritablement déchiffrer que dans le Cœur de Jésus... ce Mystère d’Israël « intrinsèque » au Mystère de l’Eglise dont parle le décret Nostra Aetate (Vatican II). Une des grandes manifestations concernant cet aspect-là a été justement le pèlerinage jubilaire de Jean-Paul II en Terre Sainte, en mars 2000. C’est durant ce pèlerinage qu’il a célébré l’Annonciation à Nazareth. Et c’est à l’occasion de ce séjour du Saint-Père que des paroles ont été prononcées, des gestes ont été posés qui ont inauguré une nouvelle étape de compréhension et parfois même de « communion » entre les juifs et l’Eglise. Des relations vraiment nouvelles suscitées par l’Esprit-Saint qui font de ce Jubilé chrétien, un Jubilé en même temps presque « judéo-chrétien » sous certains aspects (5). Donc, par le biais de quelques dates et par l’évocation des relations judéo-chrétiennes renouvelées dans la grâce de l’année sainte, nous percevons un peu, en un premier temps, le lien entre le Jubilé et le Shabbat. Et la démarche de repentance de l’Eglise vis-à-vis des juifs (voir la note de bas de page) a bien sûr été un élément essentiel de cette avancée dans les relations Eglise-Israël. Cet acte de vérité et d’humilité inspiré par l’Esprit-Saint a même peut-être été pour le Peuple de la première Alliance, de manière voilée et obscure, comme l’ébauche d’une étape nouvelle, un pas de plus vers la rencontre avec le Christ. Pour le dire autrement, et à l’intérieur d’un regard contemplatif qui désire ne pas « ignorer ce Mystère » (cf. Rm 11, 25), l’année jubilaire a d’une certaine manière permis à Israël d’entrer dans le Cœur de Jésus... certes de façon plus « indirecte » et voilée, et cependant en mystérieuse communion avec l’Eglise. Le regard de l’Eglise sur le Peuple élu en cette année sainte a peut-être reflété mieux que jamais auparavant le « regard » du Cœur de Jésus sur son Peuple premier aimé. Tout cela s’est manifesté parfois par des choses très ténues et toutes simples qu’on a pu déceler ici ou là (à la télévision par exemple) mais qui contiennent une signification symbolique profonde (6). Surtout si on les lit à la lumière du chapitre 11 de l’épître aux Romains. Dans le Cœur de Jésus, l’année 2000 du Peuple Chrétien a été aussi pour Israël un Shabbat. « Des deux Il n’en a fait qu’un » (Eph 2).


II. LE JUBILE ET LE CŒUR DE JESUS

Quel est le lien qu’on pourrait établir d’emblée entre l’année jubilaire de l’Incarnation et le Cœur de Jésus ? « Le Cœur ouvert de Jésus est la manifestation la plus bouleversante de l’Incarnation » (7). Cette belle parole exprime en termes différents ce que nous dit le Concile sur le Mystère de l’Amour du Verbe incarné: « Le Verbe de Dieu a voulu nous aimer avec un cœur d’homme » (cf. Gaudium et Spes, 22 ; repris par Jean-Paul II dans son Encyclique « Redemptor Hominis »). La célébration de l’Incarnation durant l’année sainte ne peut se lire dans toute sa véritable densité qu’à l’intérieur du Cœur ouvert de Jésus, par lequel Il nous livre totalement la profondeur de son Mystère divin et humain.
Un autre élément caractéristique de ce lien, ouvert sur l’avenir, est la phrase de Jean-Paul II prononcée lors de son homélie de la messe de l’Epiphanie, le 6 janvier 2001 (un samedi, rappelons-le), jour de la clôture du grand Jubilé, alors qu’on venait de fermer la Porte Sainte de la Basilique vaticane : « avec la fermeture de la Porte Sainte, c’est un symbole du Christ qui se clôt; mais le Cœur de Jésus demeure plus que jamais ouvert ». Pour le Saint-Père, il est clair que la vraie Porte Sainte est le Cœur de Jésus... Porte par laquelle doivent « s’engouffrer » l’Eglise et le monde du troisième millénaire qui, selon l’ardente prière de Paul VI puis de Jean-Paul II, devrait voir advenir la « civilisation de l’amour ». Cette phrase du Pape, que nous venons de citer, est à la fois clôture du Jubilé et ouverture sur le grand large, « duc in altum », sujet principal de sa lettre apostolique « Novo millennio ineunte ». Cette dimension de l’année jubilaire, faite à la fois de mémoire et de regard vers l’avenir (orienté vers l’Eschatologie), se déchiffre dans le Cœur de Jésus. C’est le regard du Père qui nous désire et nous voit de toute éternité et pour toute l’éternité en son Fils Bien-Aimé, « saints et immaculés » (cf. Eph 1). Et comment comprendre ultimement cette parole « duc in altum », « avance en eau profonde », sinon comme une invitation à entrer dans ce que Marguerite-Marie appelait l’abîme du Cœur de Jésus ? La porte qui donne sur le grand large est le Cœur ouvert du Verbe incarné, abîme de sainteté, de miséricorde, de sagesse, de lumière... Voilà (à peine) esquissé, bien incomplètement, le lien entre le Jubilé et le Cœur de Jésus.

La symbolique de la « Porte » par rapport au Cœur de Jésus :

L’entrée est accessible grâce au Christ qui en est la porte. Celle-ci s’est ouverte pour toi aussi, quand son Cœur fut ouvert par la lance. Souviens-toi de ce qui en jaillit, et choisis donc par où tu peux entrer. Du côté du Seigneur qui mourait sur la croix, le sang et l’eau jaillirent, au moment où son Cœur fut ouvert par la lance.
(Saint Augustin)

Transition

En guise de conclusion de ces deux premiers chapitres, et comme ouverture pour la suite, un extrait du livre d’Ezéchiel peut nous aider à approfondir (en interprétant librement) la pertinence de ce lien Jubilé-Shabbat-Cœur de Jésus.
« Ainsi parle le Seigneur. Le porche du parvis intérieur, qui fait face à l’orient, sera fermé les six jours ouvrables, mais le jour du Shabbat on l’ouvrira, ainsi que le jour de la néoménie, et le prince entrera par le vestibule du porche extérieur et se tiendra debout contre les montants du porche. Alors les prêtres offriront son holocauste et son sacrifice de communion. Il se prosternera sur le seuil du porche et il sortira, et on ne refermera pas le porche jusqu’au soir. Le peuple du pays se prosternera à l’entrée de ce porche, les Shabbats et les jours de néoménie, en face du Seigneur. L’holocauste que le prince offrira au Seigneur au jour du Shabbat, sera de six agneaux sans défaut... » (Ez 46, 1-4). Tout ce passage exprime quelque chose du contenu spirituel de la cérémonie d’ouverture de la Porte Sainte, de la permanence de cette ouverture durant toute l’année shabbatique jubilaire ; et la présence du prince comme celle des prêtres qui officient, annoncent l’oblation de l’Agneau, grand Prêtre et Prince de la Paix (qui se lève à l’orient), au début du grand Shabbat mentionné par Jn 19. Son Cœur ouvert est la porte du Shabbat et de l’Année Sainte. Le peuple est invité à se prosterner à l’entrée de ce porche, en face du Seigneur... « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19, 37). Et même les versets 9 et 10 de ce chapitre 46 d’Ezéchiel peuvent être lus comme symbole du passage de la Porte Sainte par laquelle on entre dans une nouvelle vie sans revenir en arrière : « Lorsque le peuple du pays viendra devant le Seigneur aux assemblées, ceux qui sont entrés par le porche septentrional, pour se prosterner, sortiront par le porche méridional... Nul ne s’en retournera par le porche par lequel il est entré : il sortira en face. Le prince se tiendra au milieu d’eux ; il entrera comme eux et sortira comme eux » (Ez 46, 9-10 ; et cf. les versets sur le Bon Pasteur, Jn 10, 1-21). Et il ne nous échappe pas que ces paroles du livre d’Ezéchiel qui nous parlent de l’ouverture du Shabbat (et de l’Année Sainte) débouchent sur le magnifique chapitre 47, « l’eau (qui) sortait de dessous le seuil du Temple, vers l’orient... ». Ces versets 1 à 12, en symbolisant l’Eglise, symbolisent aussi la plénitude du Shabbat éternel, inaugurée par l’eau qui coule du Côté du nouveau Temple qu’est Jésus en Croix. Nous savons que ce thème sera repris en une nouvelle vision de Gloire par le chapitre 22 de l’Apocalypse (vv 1 et 2). Nous aurons l’occasion de revenir sur plusieurs de ces points.


III. LE CŒUR DE JESUS ET LE SHABBAT JUIF

C’est donc maintenant que nous entrons en « eau profonde » – c’est le cas de le dire, après ce qui précède ! – et que, laissant de côté le sujet du Jubilé, nous méditons plus précisément sur le lien entre le Cœur de Jésus et le Shabbat juif. Bien entendu, le cœur de cette réflexion est le récit de St Jean relatant l’épisode du Côté ouvert, dans son Evangile.

Jean 19,31-42

« Comme c’était la Préparation, les Juifs, pour éviter que les corps restent sur la croix durant le Shabbat – car ce Shabbat était un grand jour –, demandèrent à Pilate qu’on leur brisât les jambes et qu’on les enlevât » (verset 31). Et c’est alors qu’advient le transpercement du Côté (v 33-34), au tout début du Shabbat, alors que Jésus était déjà mort. Jean parle du transpercement après avoir parlé d’abord du Shabbat.
« Et il sortit aussitôt du sang et de l’eau ». L’Eglise est née à l’intérieur même du Shabbat. Celui-ci est, en quelque sorte, le lieu de naissance de l’Eglise ; il est comme la « Mère » qui donne naissance au vrai grand Shabbat éternel... lequel s’enracine dans ce Shabbat particulier mentionné par Jean, qui commence comme tous les Shabbats le vendredi soir, au coucher du soleil. Le Cœur de Jésus est ouvert au moment où le Shabbat lui-même s’ouvre – ce Shabbat que Jean qualifie de grand jour, ce jour-là, car c’était aussi la Pâque (8). Le Cœur de Jésus ouvre la porte, non pas tant à un nouveau Shabbat, qu’à un véritable accomplissement de ce Shabbat que les juifs célèbrent tous les vendredis soir et, bien sûr, toute la journée du samedi. L’ouverture du Cœur de Jésus, le soir du Vendredi Saint, inaugure le Grand Shabbat éternel. En ce sens, on peut dire que l’Eglise (née du Côté ouvert) est le Grand Shabbat éternel inauguré, et donc qu’elle est shabbatique en son « essence ».
Et ainsi la parole dite par Jésus lors de sa vie publique, « le Fils de l’homme est maître du Shabbat » (Mc 2, 28) (9), s’accomplit dans le grand silence du Golgotha.
Précision importante avant de poursuivre. Dans mon texte, à plusieurs reprises, je dis que le Cœur de Jésus a été ouvert au moment où le Shabbat commençait. Cette affirmation, qui à première vue pourrait paraître arbitraire, ne repose absolument pas sur une analyse exégétique stricte. De toute évidence, à la lecture de l’Evangile, le début du Shabbat se situe après la mise au tombeau (verset 42). Et il y a des thèses sérieuses qui affirment que le transpercement a eu lieu à l’heure traditionnelle du sacrifice de l’agneau pascal. Donc, dans ma méditation, il ne s’agit pas d’affirmer que le Shabbat a commencé chronologiquement exactement au moment du transpercement. Il s’agit d’attirer l’attention sur le fait que l’événement du Côté ouvert se situe dans un contexte intensément shabbatique par le fait même que l’Evangéliste mentionne ce Shabbat qui était un grand jour. Et il le mentionne après la dernière Parole de Jésus « c’est achevé » (verset 30), Parole shabbatique par excellence... et avant l’événement du Côté ouvert. Or on sait que chez St Jean, chaque détail mentionné est chargé de sens et qu’il nous faut savoir le déchiffrer. Affirmer que le Cœur du Christ a été ouvert au début du Shabbat, indépendamment de la coïncidence de temps plus ou moins exacte, c’est interpréter cet événement du Cœur ouvert comme le « sacrement », en quelque sorte, de ce Shabbat qui était un grand jour. Dans un certain sens, il y a une analogie – avec toute la part nécessaire d’asymétrie que cela comporte – entre l’Institution de l’Eucharistie, le Jeudi Saint, comme sacrement du Sacrifice de la Croix du Vendredi Saint, et l’événement du Cœur ouvert de Jésus (précédé de la Parole « c’est achevé »), comme « sacrement » du Shabbat qui s’ouvre ce jour-là. De même que l’Institution de l’Eucharistie (Geste accompagné d’une Parole) dévoile le sens plénier du Corps livré et du sang versé sur le Golgotha et en communique toute l’« efficacité », de même le Cœur transpercé (« Geste » précédé de la Parole « c’est achevé ») dévoile le sens plénier de ce Shabbat qui est sur le point de s’ouvrir et en communique tout le fruit, c’est à dire l’Eglise (symbolisée par le sang et l’eau).

Nous poursuivons maintenant notre méditation.
Le Shabbat dans la Bible est lié à l’achèvement de l’Acte créateur de Dieu (cf. Gn 2, 1-3). Et – nous venons de le rappeler – Jésus en croix vient de prononcer sa dernière parole au moment de sa mort : « c’est achevé » (Jn 19, 30). De quoi s’agit-il ? Nous allons essayer de le déchiffrer. En ce soir du Vendredi Saint (comme chaque vendredi soir), voilà que le Shabbat advient. Jésus a été crucifié dans un jardin (ou tout près d’un jardin ; v 41). Cela nous ramène au jardin des origines.

Jardin de la nouvelle Genèse

Ce vendredi soir du Cœur transpercé, c’est le sixième jour de la semaine, qui débouche sur le septième jour, le jour du Shabbat. Le sixième jour dans le premier récit de la Création : jour de la création de l’homme (Gn 1, 31). « Homme et Femme, Il les créa ». Un connaisseur en matière de tradition juive m’a parlé un jour d’un écrit selon lequel Adam et Eve auraient péché le soir même de leur création. Donc le sixième jour. Ce n’est évidemment pas une parole « dogmatique » (10), mais elle peut aider notre méditation (toujours à la lumière de Jn 19, 31-42). Voilà que le sixième jour, à Jérusalem, le jour antique de la création de l’homme devient le jour de la Rédemption, de la nouvelle création de l’homme qui devient une nouvelle créature en Jésus. C’est là que la parole de Pilate revêt une dimension prophétique : « Voici l’homme ! » (Jn 19, 5). Comme si cette exclamation voulait dire : « Voici l’homme, regarde ce que tu en as fait... vois comme tu as défiguré l’homme créé à l’image de Dieu en défigurant Celui qui est l’Image... vois le reflet de l’humanité pécheresse sur ses traits... ». Mais aussi : « Voici l’homme, le Vrai... l’homme selon le Cœur de Dieu... Celui qui va faire toutes choses nouvelles selon la Volonté de Dieu... Création nouvelle plus admirable que la première Création... et cependant, à l’intérieur même de cette Création plus admirable, intégrant et restaurant nécessairement la pureté originelle ». En d’autres termes : « Voici Celui qui vient recréer l’homme, le jour-même où l’homme avait été créé ». L’homme selon le « rêve » de Dieu, « rêve » qui n’a pas pu se réaliser à cause du péché. Et voilà donc que Jésus, l’Homme Nouveau, recrée toutes choses par son acte pascal rédempteur. Et ainsi Il achève – ce sont ses propres paroles, « c’est achevé » (Jn 19, 30), – l’œuvre de la recréation, comme il est dit que Dieu avait achevé l’œuvre de la première Création (Gn 2, 1-3). Le Verbe Créateur par qui tout a été fait – et donc en particulier la création du premier homme (Gn 1, 26) – est le même Verbe par qui tout a été sauvé et donc recréé en ce nouveau sixième jour à Jérusalem. Et c’est alors que le Shabbat advient. C’est maintenant qu’il peut, d’une certaine façon, advenir en vérité. C’est maintenant que Dieu, en Jésus, ayant achevé l’œuvre de la Nouvelle Création peut vraiment entrer dans son repos. Jésus est mis au tombeau, Il repose au cœur de la terre, Il entre dans son repos. Le symbolisme ici est très riche : Jésus, considéré comme Dieu qui se repose de l’œuvre (Gn 2, 2-3) de la Nouvelle Création, est en même temps le Nouvel Adam (Rm 5) établi par Dieu dans le jardin (cf. Jn 19, 41) de la nouvelle Genèse afin de le cultiver (Gn 2, 15) (11). Jardin de la crucifixion, arrosé par le sang et l’eau du Côté ouvert du Nouvel Adam, qui va devenir jardin du tombeau neuf et de la Résurrection (12).

L’accomplissement du Shabbat originel

Nous reviendrons encore sur le thème du jardin que nous quittons provisoirement.
Réfléchissons un moment sur le Shabbat dont il est question dans le premier récit de la Création (Gn 2, 1-3) et qui suscite plusieurs remarques. Ce premier récit de la Création est englobant ; ce n’est pas seulement le récit des origines ; car dans les origines, toute la fin est déjà contenue. Lorsqu’on parle de Dieu qui se reposa le septième jour, ayant vu l’œuvre qu’Il avait faite – et « cela était très bon » (Gn 1, 31) –, on ne désigne pas seulement l’origine ; le « regard » divin embrasse l’ensemble. Le « Jour Un » (Gn 1, 5), Jour Unique, est aussi le Jour dernier, le Grand Jour du Seigneur (pour nous, la Parousie). Dans ce Jour Un, tout est déjà contenu... et donc aussi le « Jour Septième ». Et ce septième jour lui-même, celui du Shabbat, n’est pas seulement la fin d’une première étape, c’est déjà aussi l’Eschatologie, la Fin dernière. Le premier récit de la Création est à la fois protologique et eschatologique. Ici se rejoignent Protologie et Eschatologie qui fondent l’Histoire ; mais ce premier récit de la Création, dans lequel il n’y a aucune allusion au drame du Péché et à la nécessité de la Rédemption, ne raconte pas l’Histoire, laquelle « commence » à proprement parler avec le récit de la Chute et de ses conséquences (Gn 3 et sv). Le premier récit, lui, exprime le dessein originel de Dieu dans lequel la fin ultime est aussi contenue ; fin ultime qui se réalisera pleinement selon le dessein originel de Dieu, même à travers les détours d’une Histoire marquée par le drame du Péché.

Dans le deuxième récit de la Création (Gn 2), il n’est plus question d’achèvement (de la Création) et de Shabbat. Est-ce à dire que, à cause du péché, le Shabbat n’a pas pu advenir ? Ce n’est en tout cas pas ainsi qu’il faut l’affirmer. Il y a certainement ce que l’on pourrait appeler un « premier » accomplissement du Shabbat, selon la Volonté originelle de Dieu. Car en vérité, Il se réjouit de l’œuvre qu’Il a faite ; « Il vit tout ce qu’Il avait fait, cela était très bon ». Il y a une joie en Dieu, d’une certaine manière « antérieure » à la réponse de l’homme. En effet, il y a un premier achèvement de la Création qui est, si l’on peut dire, entièrement de l’initiative de Dieu, c’est à dire antérieure à l’initiative de l’homme qui accueille ou refuse. Un état de la Création marquée par la perfection divine et qui fait la joie de Dieu... un état de la Création en attente de ce que l’homme va en faire. Joie de Dieu antérieure et en même temps subsistante. Cette joie est première et éternelle. Tel est peut-être ce « premier » accomplissement du Shabbat. Cela est exprimé en termes incomparables dans la lettre apostolique de Jean-Paul II, Dies Domini (le Jour du Seigneur) dont il faudrait lire – c’est presque une obligation ! – les paragraphes 8 à 18 où il parle du Shabbat divin au terme de l’acte créateur de Dieu. Indispensable pour pénétrer le sens biblique et théologique du Shabbat.
Et cependant !... Il faut aussi pouvoir affirmer que le Shabbat évoqué en Gn 2,1-3 n’est pas advenu dans toute la plénitude qui était celle voulue par Dieu dès les origines, car la réponse de l’homme n’a pas été selon le « rêve » du Créateur... il manque quelque chose à la joie, au « repos » de Dieu tant que l’homme, en vue de qui tout le visible a été créé, n’est pas entré dans le projet divin. Le Shabbat a certes été accompli du côté de Dieu (voir ci-dessus), mais pas du côté de l’homme. Le « rôle » de l’homme, voulu par Dieu pour l’accomplissement du Shabbat, n’a pas été tenu à cause du péché qui est entré dans le monde. De ce fait, on peut dire que la plénitude du Shabbat n’est pas encore advenue. Dieu ne peut entrer pleinement dans son repos tant que l’homme n’est pas en mesure d’entrer pleinement à son tour dans le dessein divin. Un nouveau septième jour (faisant suite à un nouveau sixième jour) doit encore advenir. Est-ce dans ce sens qu’on peut aussi interpréter les paroles que Jésus prononcent précisément un jour de Shabbat, alors qu’il est pris à partie par les autorités juives « parce qu’il faisait ces choses-là (des guérisons) le jour du Shabbat » : « Il leur répondit : « Mon Père est à l’œuvre jusqu’à présent et j’œuvre moi aussi » » (Jn 5,16-17) ? Cela ne veut-il pas dire que, même si le précepte oblige au repos pour rappeler l’achèvement originel de la Création, Dieu n’est pas encore pleinement entré dans le repos shabbatique tant que cette humanité souffrante qu’Il est venu sauver n’est pas délivrée de ses chaînes et tant qu’Il ne l’a pas introduite dans le véritable Grand Shabbat Eternel ? D’où les nombreuses guérisons que le Christ opère justement le jour du Shabbat, en tant que Maître du Shabbat (Lc 6,5) présent et à venir. C’est l’amour ardent de son Cœur qui est à l’œuvre lorsqu’il guérit et délivre au sein même du Shabbat institué, en vue de l’accomplissement plénier de ce même Shabbat... accomplissement qui, l’heure venue, sera mystérieusement manifesté par l’ouverture de son Cœur, la véritable Porte Sainte (13) par laquelle Il fera entrer ses brebis dans son repos (14).
Les paroles de Jean-Paul II méditant sur le mystère pascal de la Mort et de la Résurrection du Christ éclairent singulièrement ce que nous venons d’écrire : « Dans cette nouvelle création (la Résurrection) se réalise pleinement la parole de la Genèse : « Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance » » (Gn 1, 26). A Pâques, le Christ, nouvel Adam devenu « l’être spirituel qui donne la vie » (I Co 15, 45), arrache le vieil Adam à la défaite de la mort » (15).
Et encore : « En ce dramatique Vendredi de la Passion qui vit le Fils de l’homme se faire « obéissant jusqu’à mourir et à mourir sur une croix » (Ph 2, 8), s’achevait l’itinéraire terrestre du Rédempteur. Après sa mort, il fut déposé en hâte dans le tombeau, au couchant du soleil. Etonnant crépuscule ! Cette heure obscurcie par les ténèbres menaçantes marquait la fin du « premier acte » de l’œuvre de la création, bouleversée par le péché (16). Il semblait alors que la mort l’emportait, que le mal avait triomphé. A l’inverse, à l’heure du silence glacé de la tombe, s’engageait le plein accomplissement du dessein salvifique, et prenait naissance la « nouvelle création ». Devenu obéissant par amour jusqu’au sacrifice extrême, Jésus Christ est maintenant « exalté » par Dieu, qui « lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms » (Ph 2, 9). En son nom, l’être humain est soustrait au pouvoir du péché et de la mort, et rendu à la Vie et à l’Amour » (17).

Hébreux 3,7 à 4,11

Il nous faut faire encore un petit « détour » par ce texte dense, que, bien entendu, nous n’allons pas analyser mais simplement évoquer. Il est en tout cas indispensable de le lire en rapport avec notre sujet. La réflexion de l’auteur de l’épître part de quelques versets du Psaume 95 (94). L’endurcissement des « pères » dans le désert après la sortie d’Egypte pourrait d’une certaine manière être transposé au péché de nos premiers parents (cf. e a 3, 18). C’est surtout en 4, 1-11 que nous trouvons matière à approfondir le thème du « premier » Shabbat et de son accomplissement advenu en Jésus, et de la pleine manifestation de cet accomplissement encore à venir... tout ce que nous avons évoqué ci-dessus. Lire en particulier les versets 3 à 11 (chapitre 4) pour mieux saisir ce mystère d’un repos shabbatique encore en réserve pour le peuple de Dieu qui entrera dans son repos à la suite de Celui qui « est entré dans son repos (et qui) lui aussi se repose de ses œuvres, comme Dieu des siennes » (18).
Il n’est pas inutile de rappeler que l’Eglise nous propose tout ce passage pour l’office des lectures du Samedi Saint qui est en vérité le Grand Shabbat par excellence, ce grand jour (Jn 19) : le Shabbat de Dieu et du Christ ; et le Shabbat de Marie, la nouvelle Eve, qui, à ce moment-là, est la seule sur cette terre à le vivre en plénitude (bien que dans la douleur) en tant qu’elle est en elle-même l’Eglise déjà accomplie... la Jérusalem nouvelle en qui Dieu entre dans son repos (19).

Petite pause liturgique
Le Fils de Dieu, les bras ouverts, a tout saisi dans son offrande, l’effort de l’homme et son travail,
le poids perdu de la souffrance.
L’élan puissant de son amour attire à lui la terre entière, Il fait entrer dans son repos le monde en marche vers le Père.
Renouvelée par Jésus Christ, principe et fin de toute chose, la création devient en lui première étape du Royaume.

(Hymne pour Sexte, Temps pascal).
Point d’orgue patristique

Cet extrait du livre treizième (chapitres 35, 36 et 37) des confessions de saint Augustin rassemblent sous forme de prière puissamment évocatrice des éléments essentiels de nos méditations précédentes et à venir.

Seigneur Dieu, vous qui nous avez tout donné, donnez-nous la paix du repos, la paix du Shabbat, la paix qui n’a pas de soir. Car cet ordre magnifique de choses « excellentes » passera, lorsqu’il aura atteint le terme de sa destinée. Il aura son soir comme il a eu son matin.
Or le septième jour est sans soir, il n’a pas de coucher parce que vous l’avez sanctifié pour qu’il se prolonge éternellement. Et en nous parlant du repos que vous avez pris le septième jour, après avoir créé vos œuvres « excellentes », bien que vous les ayez créées sans sortir de votre repos, la voix de votre Livre nous annonce que nous aussi, après avoir accompli nos œuvres qui ne sont « excellentes » que parce que vous nous avez donné la grâce de les accomplir, nous trouverons le repos en vous, dans le Shabbat de la vie éternelle.
Alors aussi vous vous reposerez en nous, comme aujourd’hui vous agissez en nous ; et le repos que nous goûterons sera le vôtre, comme les œuvres que nous faisons sont les vôtres. Mais vous, Seigneur, vous êtes toujours agissant et toujours en repos. Vous ne voyez pas dans le temps, vous n’agissez pas dans le temps, vous ne vous reposez pas dans le temps. Et cependant c’est vous qui faites que nous voyons dans le temps, c’est vous qui faites le temps lui-même, et le repos après le temps.
Saint Augustin.


Pour référer ce texte plus précisément au Cœur de Jésus, il nous faut nous souvenir aussi de l’autre célèbre parole du grand docteur, qui va dans le même sens : « Tu nous a faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi ! ». Or, dans le passage bien connu de Matthieu 11, 28-30, Jésus associe le repos à la connaissance de son Cœur : « mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour vos âmes ». Le Cœur de Jésus est le lieu de ce repos shabbatique médité par saint Augustin.

Jardin de la nouvelle Genèse (suite)

Après ce détour, il est temps de regagner le jardin du « nouveau » Shabbat, le lieu du Cœur ouvert et du repos de Dieu, et de nous replonger en Jean 19.

Donc, nous l’avons dit, c’est en ce soir du Vendredi Saint que Dieu entre dans son repos, dans son Shabbat. Celui-ci est mentionné à deux moments essentiels du récit johannique : au tout début de l’épisode du transpercement (Jn 19,31), et, de manière plus allusive, au moment de l’ensevelissement : « A cause de la préparation des Juifs, comme le tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus » (v 42).

Ayant pleinement achevé (Jn 19,30) l’œuvre de la nouvelle Création, rendue nécessaire par la faute du premier Adam, Dieu inaugure ce Shabbat (qui) était un grand jour (verset 31) ; et Il fait entrer dans son repos (cf. He 3 et 4, ci-dessus) l’Humanité nouvelle, à ce moment-là « résumée » dans le Nouvel Adam (cf. Rm 5 et I Co 15) (20). C’est la nouvelle et éternelle Alliance de Dieu avec l’Humanité, scellée dans le Cœur de l’Homme Nouveau en lequel Il trouve enfin son repos comme en un nouveau Saint des Saints (21). Et c’est par l’ouverture du Cœur divin et humain du Nouvel Adam, d’où jaillissent le sang et l’eau, que ce repos de Dieu pourra être communiqué et répandu sur la Terre entière. Le Shabbat de ce Vendredi soir ouvre l’Ere messianique (22) (qui est identiquement le Temps de l’Eglise). Le Nouvel Adam est établi par Dieu dans le jardin (cf. Jn 19, 41) afin de le cultiver (cf. Gn 2, 15) (23). Il va le cultiver par l’Eglise née de son Côté et signifiée par le sang et l’eau. L’eau, prémices de l’effusion de l’Esprit Saint de la Pentecôte, laquelle se situe dans la dynamique du Dimanche de Pâques (Résurrection) encore à venir. Le sang, rappel du Sacrifice qui a en quelque sorte commencé le Jeudi Saint au soir (le sang de Jésus a commencé à tomber à terre lors de son agonie, Lc 22, 44) ; il a été versé le Vendredi, à l’heure du Sacrifice de l’Agneau pascal ; et il a achevé de couler lors du transpercement au début du Shabbat. Le sang du Sacrifice (sang de l’Alliance nouvelle et éternelle) devient le vin du nouveau Shabbat, versé dans la Coupe qui déborde (Ps 23 (22)) par le « Célébrant » qui est le Messie d’Israël et le Fils de Dieu (en même temps que le Nouvel Adam). Et quelle est cette Coupe qui déborde ? C’est le Cœur immaculé de la Nouvelle Eve (24), et l’Eglise naissante (représentée au Golgotha par Jean, Marie-Madeleine...). L’Eglise (avec Marie) peut être considérée ici comme la Coupe très sainte du Grand Shabbat éternel.

On peut faire une réflexion analogue relative au pain du Shabbat qui devient symbole ici du Pain de Vie. Voici une brève description de la table du Shabbat : « Sur la table, une coupe est posée, remplie de vin doux, à côté de deux pains recouverts d’un linge brodé. Ces deux pains rappellent symboliquement la double portion de manne recueillie par les fils d’Israël dans le désert : « Le sixième jour, ils ramassèrent le double de nourriture... Demain est un Shabbat, jour de repos consacré au Seigneur » (cf. Ex 16) » (Revue Terre Sainte, mars-avril 2003). Cette surabondance du pain du Shabbat (double ration) rappelle la multiplication des pains, prélude au discours sur le Pain de Vie (Jn 6). Comme l’Eglise, l’Eucharistie est shabbatique en son « essence » biblique. Et c’est par l’Eglise-Eucharistie que Dieu fait enfin entrer le monde dans Son repos (toujours cf. He 3 et 4), à la suite du Nouvel Adam.

Autre symbole shabbatique important : la mise au tombeau dans ce jardin de la nouvelle Genèse – tombeau « vierge » dans lequel personne n’avait encore été mis – qui signifie qu’en Jésus, Dieu se repose de tout l’ouvrage de la nouvelle Création qu’Il a accompli (cf. Gn 2, 2-3 en lien avec Jn 19,30). Il se repose en ses œuvres. C’est le Shabbat (25). Et en Jésus, l’homme aussi entre enfin dans le Shabbat de Dieu et se repose à son tour de ses œuvres (He 4, 10).
Ajoutons encore que l’homme entre dans le repos shabbatique de Dieu lorsqu’il accomplit les commandements de Dieu. Ces commandements, à l’origine, sont comme rassemblés et contenus dans le commandement fondateur qui ouvre la perspective de la participation au Shabbat divin : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1, 28). Puis dans la nécessité de la « guérison » rédemptrice, le commandement central pour Israël – commandement pleinement ordonné au commandement originel – est devenu : « Ecoute, Israël... Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur... » (Dt 6, 4-5). De même que, nous le disions, le commandement des origines devait aboutir, dans le dessein de Dieu, à l’entrée de l’homme dans le Shabbat divin, de même l’accomplissement de ce commandement central de la Loi – commandement qui résume tous les autres commandements donnés à Israël – était assorti d’une promesse shabbatique (cf. toujours He 3 et 4, ci-dessus) exprimée par ces paroles qui reviennent comme un leitmotiv dans le Deutéronome : « Si tu mets ces commandements en pratique, alors tu vivras de longs jours sur la terre que le Seigneur ton Dieu a juré à tes pères de te donner ». La promesse de prospérité sur la terre est une promesse shabbatique (cf. la note 26 de bas de page, ci-dessous), une promesse d’entrer dans le repos de Dieu (Ps 95 (94) et He 3 et 4). 0r c’est seulement en Jésus, Fils de David et Fils éternel du Père, que l’homme blessé par le péché peut accomplir ce commandement du Sh’ma Israël (écoute Israël...). Lui seul était capable d’aimer son Père et son Dieu en vérité de tout son Cœur... jusqu’au transpercement. Par l’ouverture de son Cœur, sur le Calvaire, à la jointure du sixième et du septième jour, le Messie d’Israël accomplit pour nous tous ce commandement, et permet à l’homme d’entrer dans ce Shabbat qui était un grand jour, parce que Jour de l’accomplissement du « plus grand commandement de la loi... « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur... » » (Mt 22, 36-37). En Jésus, l’homme nouveau (que nous sommes devenus) accomplit ce commandement dans la puissance de l’Esprit Saint. Et de ce fait, le commandement originel est aussi accompli. L’eau de l’Esprit Créateur et Sauveur, Amour du Père et du Fils, qui coule du Côté du Nouvel Adam, féconde et emplit la terre, et la soumet. Et par la mise au tombeau, le Nouvel Adam devient « grain de blé tombé en terre et qui porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). En Jésus mis au tombeau, Dieu et l’homme se rencontrent comme en une étreinte, après la longue séparation due au péché, après l’incapacité – à cause de l’endurcissement – d’entrer dans le repos (He 3 et 4), pour inaugurer l’achèvement (Gn 2, 1 ; Jn 19, 30) de la nouvelle Création. Le Shabbat peut commencer.

La « musique » du Jardin shabbatique

Pour percevoir le mystère de cet avènement du Shabbat au moment où le Côté de Jésus est ouvert par la lance du soldat, l’exégèse pure et simple ne suffit pas. Il nous faut écouter la « musique » qui est contenue dans tous ces versets de l’Evangile de Jean, cette mélodie de l’Ecriture inspirée, communiquée par celui qui, à l’école de Marie et penché sur la poitrine du Verbe éternel qui est tourné vers le sein du Père (Jn 1 et 13), entend le sens plénier de la Révélation puisé dans le Cœur du Divin Maître.
Découvrons cette « musique ». Si on lit attentivement Jn 19, 31 à 42, on remarque un changement de « climat » dès après le verset 34 : « l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté, et il sortit aussitôt du sang et de l’eau ». C’est le verset au cours duquel un secret retournement s’opère. Mieux encore, ce changement de climat est déjà repérable, presque imperceptible, à l’intérieur même de ce verset 34. C’est le passage de la violence à la Paix, de la brutalité et du « vacarme » des faits extérieurs au silence de la contemplation intérieure. Le geste du transpercement par la lance du soldat est, en effet, le dernier geste de violence... violence encore symbolisée par la mention du sang. Tout de suite après advient la Paix, déjà évoquée par l’eau dans le même verset. Tout ce qui précède ce verset 34 est encore comme parsemé d’éléments de violence : le brisement des jambes des deux autres condamnés (ainsi que l’intention de briser les jambes de Jésus). Et à fortiori tout ce qui précède le verset 31 est marqué par la détresse et la violence : le cri de Jésus « j’ai soif », le vinaigre, la mort de Jésus. Et puis encore tout ce qui est décrit dans quelques versets précédents, entre autres, la présence des soldats, le partage des vêtements et le tirage au sort de la tunique... tout un climat de drame, de grande tension, de cruauté, de mépris, de violence. Mais dès à partir du côté transpercé (v 34), la « musique » change : dès qu’on a parlé de l’eau, on entre dans la paix et le silence du Shabbat. C’en est fini de l’« Egypte » ; c’en est fini de l’Exode ; C’en est fini des peines et de la grande souffrance du travail et des douleurs de l’enfantement (cf. Gn 3, 16-19) (26). On sent le changement de climat. Il y a comme une libération qui se fait, l’ouverture du Cœur ouvre sur un nouveau « paysage » de douceur, de paix et d’intériorité. Le Cœur ouvert de Jésus, doux et humble (Mt 11, 29) réalise mystérieusement la Béatitude messianique (et donc shabbatique) : « Heureux les doux, ils posséderont la terre » (Mt 5, 4).
Immédiatement après la mention de l’eau, nous avons le témoignage de celui qui a vu (v 35) (27). Après la violence dramatique (mais brève) du brisement des os (v 32) puis du transpercement (v 34), après le « vacarme » (éphémère) du mal, voici l’insondable perspective du témoignage, son intériorisation croissante au long des siècles de l’Eglise, son poids d’éternité, qui appelle au silence de la contemplation et qui fait entrer dans le grand Shabbat éternel. Silence et Paix qui « engloutissent » (sans qu’on s’en aperçoive nécessairement dans l’instant) les cris et les douleurs qui précèdent. L’ouverture du Côté du Messie d’Israël d’où jaillit l’eau vive du baptême dans l’Esprit (cf. Jn 1, 32-33) inaugure – avec l’Eglise – le Royaume shabbatique où « de mort, il n’y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé » (Ap 21, 4) (28). Déjà, dès ce verset 34, dans le silence du Shabbat naissant, pour le cœur johannique qui sait s’ouvrir au sens plénier de ce qu’il contemple, « la mort a été engloutie par la Vie » (cf. I Co 15, 54) ; « mais c’est (encore) de nuit » dirait St Jean de la Croix.
Selon le témoignage de Jean, l’ouverture du Cœur signe l’accomplissement des Ecritures. Accomplissement signifié par la citation de deux passages de l’Ecriture qui désignent en fait la totalité (29). L’achèvement shabbatique dévoile, dans le mystère, le sens plénier de la Parole. Citons les paroles de St Thomas d’Aquin reprises dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique : « Le Cœur du Christ désigne la Sainte Ecriture qui fait connaître le Cœur du Christ. Ce Cœur était fermé avant la passion car l’Ecriture était obscure. Mais l’Ecriture a été ouverte après la passion, car ceux qui désormais en ont l’intelligence considèrent et discernent de quelle manière les prophéties doivent être interprétées » (CEC 112). Sur ce sujet, le Père Glotin écrit des pages admirables.

Un mot encore sur ce silence qui imprègne le récit évangélique à partir du verset 34. Au paragraphe ci-dessus, intitulé Jean 19, 31-42 (chapitre III), nous faisions le lien entre la dernière Parole de Jésus « c’est achevé » (v 30) et le transpercement du Cœur (v 34). En fait, on pourrait parler d’une unique Parole shabbatique par excellence, proférée par le Christ (v 30), puis accomplie dans le silence (v 34) et source de ce silence qui habite les versets 35 à 42. Par l’ouverture de son Cœur, Jésus « proclame » silencieusement sa dernière Parole qui est l’accomplissement de sa Parole précédente – « c’est achevé » –. Le Cœur ouvert manifeste que « c’est achevé », que tout est accompli. Le Cœur ouvert est le « Geste » silencieux ultime et la « Parole » silencieuse ultime du Rédempteur (30). Après cela il n’y a plus aucune parole proférée sur le lieu très saint qu’est devenu le Golgotha (31). Il y a le témoignage silencieux et contemplatif de Jean ; il y a la « musique » silencieuse du témoignage de l’Ecriture (vv 36-37) ; il y a la pieuse activité, qu’on devine empreinte de gravité silencieuse, de Joseph d’Arimathie et de Nicodème qui sont à ce moment-là comme les célébrants de ce Grand Shabbat (32) ; il y a le silence du tombeau neuf, « berceau » (à l’image de Marie) de la Vie qui jaillira au matin de Pâques. Le nouvel Adam entre dans le repos de Dieu. Le silence de l’Eternité rejoint le Temps qui est comme suspendu durant ce Shabbat... qui se prolongera dans le grand silence du Samedi Saint.

Restons encore dans le jardin pour continuer à en écouter la mélodie secrète. Notons qu’après le verset 34, dans ce nouveau « climat » déjà décrit, il n’y a plus que des présences amies sur le Golgotha qui sont mentionnées (33). Toute inimitié, violence et menaces ont disparu; plus aucune mention de soldats, plus de vinaigre (qui a fait place à la myrrhe et l’aloès, v 39). Il y a là Joseph d’Arimathie et Nicodème, disciples de Jésus dans le secret ; il y a Jean, le disciple que Jésus aimait. Il y a, mentionnées précédemment, la Mère de Jésus et Marie de Magdala.

Israël et l’Eglise

Joseph d’Arimathie et Nicodème représentent le Peuple élu, Israël, dans sa dimension de fondement, de racine ; « c’est la racine qui te porte » (Rm 11, 18). Marie, Jean et Marie de Magdala représentent Israël dans sa dimension de nouveauté, c’est à dire l’Eglise qui vient au jour par le Cœur ouvert et le jaillissement du sang et de l’eau ; ils étaient présents lors du transpercement, alors que Joseph et Nicodème ne l’étaient pas encore (cf. v 38 : « Après ces événements... »). Dans sa lettre aux Romains, chapitre 11, St Paul nous fait entrevoir le mystère eschatologique de l’illumination d’Israël par rapport au Christ (vv 15 et suivants, en particulier 23-29). Il est nécessaire de connaître ce chapitre essentiel si on veut comprendre l’extraordinaire « condensé » du mystère (cf. Rm 11, 25) d’Israël et de l’Eglise qui se déroule autour du Messie d’Israël au Calvaire. Alors que l’Eglise vient de naître, arrive l’Israël « ancien », portant tout le poids de l’héritage, des prophéties... l’Israël ancien représenté par ces deux notables des juifs que sont Joseph et Nicodème. Le Shabbat a été donné en héritage d’abord à Israël. Il appartient au Peuple premier choisi de faire advenir le Grand Shabbat et de permettre à Dieu et à tout le Peuple d’entrer dans le grand repos ; et l’avènement de ce repos eschatologique est précisément lié à la fin de l’endurcissement d’Israël. La fin de cet endurcissement (cf. Rm 11, 25) fait advenir le Grand Shabbat Eternel qui coïncide avec l’avènement des Cieux nouveaux et de la Terre nouvelle (34). C’est l’Eglise dans la plénitude de sa Gloire, dans la plénitude de sa Catholicité (composée d’Israël et des Nations), ce que St Paul appelle le Tout Israël (Rm 11, 26). C’est par l’adhésion d’Israël au Christ que, selon l’Epître aux Romains et le Catéchisme de l’Eglise Catholique, la Consommation de toute chose pourra advenir (cf. e a Rm 11, 15). « Je ne veux pas, frères, vous laisser ignorer ce mystère... : une partie d’Israël s’est endurcie jusqu’à ce que soit entrée la totalité des païens, et ainsi tout Israël sera sauvé... » (Rm 11, 25-26). Et, s’appuyant sur ce chapitre de l’Epître, le Catéchisme nous dit : « La venue du Messie glorieux est suspendue à tout moment de l’Histoire à sa reconnaissance par « tout Israël » dont « une partie s’est endurcie » » (CEC 674). Ce mystère eschatologique est comme inauguré en son germe, au Golgotha, en ce vendredi soir du Shabbat naissant. Là Israël et l’Eglise entourent de leur amour le Messie d’Israël. Et c’est un païen, le soldat romain, qui a ouvert le Côté du Christ, prophétie de l’entrée en masse des Nations dans l’héritage d’Israël (cf. Rm 11, 25)... dans le Cœur ouvert de Celui qui des deux – Israël et les Nations – n’en a fait qu’un (Eph 2, 14) (35). Ainsi, en ce Shabbat né du Cœur de Celui qui est venu pleinement accomplir la Loi d’Israël (Mt 5, 17-18), se trouvent prophétiquement réunies les trois composantes de l’achèvement eschatologique : en Joseph et Nicodème, l'Israël « ancien », toujours objet de la prédilection de Dieu (Rm 11, 28-29) et touché en temps voulu par la grâce de l’« illumination » par rapport au Christ (cf. Rm 11, 23-24). En Marie, Jean et Marie de Magdala, l’Israël « nouveau », qui entre pleinement dans la grâce de l’accomplissement en Jésus ; Eglise (encore exclusivement juive) qui est Epouse et Corps du Christ. Le soldat romain représentant les païens, et qui a été l’« instrument » qui a ouvert la Porte Sainte du Shabbat ; prophétie de la « greffe » dont bénéficieront les Nations pour entrer dans l’élection d’Israël (cf. Rm 11, 16-24). Pour l’heure, le soldat n’est plus mentionné dans l’Evangile après le jaillissement de l’eau. Il n’a pas encore accès au Shabbat dont la célébration appartient à Israël (ancien et nouveau) (36).
En fait, ce qui se passe en ce vendredi soir autour de l’événement du Cœur ouvert est, sous certains aspects, un saisissant raccourci de la « chronologie » de l’accueil réservé par Israël et les païens à ce premier avènement du Messie d’Israël. Même l’ordre d’« entrée en scène » des personnages est significatif.
En tout premier lieu, le Sauveur a été reconnu et accueilli par cette petite partie d’Israël qui a cru en l’accomplissement des promesses (cf. Lc 1, 45). Avant tout et de façon suréminente, la Fille de Sion, la Très Sainte Vierge Marie. Puis les Apôtres, les disciples, les saintes femmes... Ils l’ont fidèlement suivi et, représentés par Jean et Marie de Magdala, étaient présents au pied de la Croix (Jn 19, 25-27), à l’heure suprême de l’achèvement (Jn 19, 30), avec Marie, la Nouvelle Eve, la Mère. C’est déjà l’Eglise, l’Epouse du Christ, née du Côté du Nouvel Adam et à jamais unie à Lui.
Puis c’est l’entrée de la multitude des païens mystérieusement représentés par le soldat qui ouvre le Saint des Saints (37) et en laisse jaillir la Grâce qui renouvellera et sauvera le monde. La blessure, cruellement causée par la lance du soldat, est devenue Source de Vie éternelle (Jn 4, 14) qui a pu – l’Evangile ne le dit pas, mais la vieille tradition légendaire l’affirme – submerger ce romain de la Grâce et en faire comme le symbole de la conversion des païens.
Puis arrivent les derniers, après ces événements (Jn 19, 38). Joseph d’Arimathie, membre du conseil (Lc 23, 50), et Nicodème, un notable des Juifs (Jn 3, 1), sont disciples de Jésus en secret par peur des Juifs (Jn 19, 38). Disciples de nuit (Jn 3, 2). De par leur appartenance au conseil, ils représentent l’Israël qui n’a pas reconnu le Christ et qui s’est endurci (cf. Rm 11, 7). Et de par leur présence au Calvaire pour l’ensevelissement, ils représentent ce même Israël qui, reconnaissant à son tour le Christ, sera à nouveau greffé sur son propre olivier (Rm 11, 24) (38). Cette « illumination » d’Israël est un mystère eschatologique (cf. Rm 11, 26) qui, comme nous l’avons déjà exprimé ci-dessus, se situe dans l’avenir et sera signe du deuxième Avènement de Notre Seigneur dans la Gloire (cf. Rm 11, 15 et CEC 674) (39).
Et donc ce sont ces deux notables des Juifs, personnifiant l’ancien et Premier Israël, qui « président » à la célébration de ce Shabbat. « C’est la racine qui te porte » (Rm 11, 18). C’est Joseph et Nicodème qui portent Jésus et le déposent dans le tombeau neuf. « Ils prirent le corps de Jésus » (Jn 19, 40). Et donc ils portent aussi l’Eglise, qui est son Corps. Ils déposèrent Jésus (Jn 19, 42). C’est Israël qui fait entrer Dieu – et l’homme uni à Lui en la Personne du nouvel Adam – dans la plénitude de son repos, et qui se met ainsi au service de l’Eglise naissante (40). Par le Cœur ouvert du Messie d’Israël qui est le Maître du Shabbat (Mc 2, 28), le Peuple de la Première Alliance ouvre la porte du Shabbat à l’universalité des nations et s’ouvre lui-même à l’Alliance Nouvelle et Eternelle. Par le Cœur de Jésus, nouveau Saint des Saints non plus voilé mais ouvert à tous (cf. Mt 27, 51), le Shabbat du Peuple juif devient le Shabbat de l’Eglise. Elle-même est l’inauguration du Shabbat éternel, le lieu où Dieu trouve son repos... repos dans lequel toutes les nations sont invitées à entrer (Ap 21, 24-25).

Pause sur Israël et Paray-le-Monial

Ici, il nous faut évoquer l’événement – en lien avec le sujet de l’illumination du Peuple de la première Alliance – qui a suscité un élan de ferveur et d’intercession pour Israël, à Paray-le-Monial, la cité du Cœur de Jésus. Cela s’est passé au 19ème siècle. Deux prêtres de Lyon, Augustin et Joseph Lémann, frères jumeaux d’origine juive, fréquentent assidûment le sanctuaire de Paray. Ils sont, bien entendu, de fervents intercesseurs pour leur peuple. Le 17 octobre 1875, en la fête de Ste Marguerite-Marie (célébrée ce jour-là à l’époque), Joseph Lémann baptise un jeune juif, à la chapelle des Apparitions. Par la suite, les frères Lémann célèbrent souvent la messe pour l’illumination d’Israël et font aussi des pèlerinages pour prier pour leur peuple. Ils considèrent le Cœur de Jésus, foyer d’amour et d’humilité, comme le « lieu » par excellence capable de toucher le Peuple d’Israël pour qu’il accède à la plénitude de la foi. Le 17 octobre 1882, sept ans après le baptême du jeune juif, les deux frères font placer dans le sanctuaire une lampe splendide, la « lampe d’Israël », qui pendant longtemps devait brûler nuit et jour comme signe d’intercession, devant le Sacré-Cœur, pour l’illumination du Peuple de la première Alliance.
Une autre « lampe », vivante celle-là, devait se « consumer » à la chapelle des Apparitions pour Israël : il s’agit d’une sœur visitandine, Sœur Marie-Espérance, qui, après avoir entendu et rencontré les frères Lémann, décide d’offrir sa vie pour Israël. Durant ses 75 ans de vie religieuse, elle fut fidèle à cet appel.
Quant au juif baptisé par Joseph Lémann (Marie-André Dervich), il devait entrer chez les prêtres missionnaires de Notre Dame de Sion, congrégation fondée par Théodore Ratisbonne, placée sous sa responsabilité et celle de son frère Alphonse-Marie ; ces deux frères célèbres étaient eux aussi d’origine juive. Marie-André fut envoyé à Jérusalem où il mourut en 1935.


La « musique » du Jardin shabbatique (suite)

Nous avons encore fait un détour ! C’est que la mélodie du jardin de la nouvelle Genèse contient des résonances insoupçonnées.
Nous revenons au verset 34 et plus particulièrement sur le thème de l’eau qui jaillit du Côté. Rappelons que c’est à partir de la mention de l’eau que tout le climat est « transfiguré », que le bruit et la violence font place au silence et à la paix... que le sang (aussi mentionné au v 34), dernier rappel de la Passion, fait place à l’eau, prémices de la Résurrection et de la Vie éternelle (41). Cette eau qui arrose la terre est comme un « Baptême » sur le monde, comme un « exorcisme » qui chasse les ténèbres pour faire une Création Nouvelle (42). Cette eau tout naturellement nous ramène au jardin originel. Deux passages du chapitre 2 de la Genèse retiendront notre attention. Nous en avons déjà évoqué un très brièvement (cf. note 22 de bas de page) et il est bon d’y revenir.
« Un fleuve sortait d’Eden pour arroser le jardin et de là il se divisait pour former quatre bras » (Gn 2, 10). Voilà comment Saint Bonaventure (13ème siècle) invite ses auditeurs à contempler l’eau qui jaillit du Côté ouvert en faisant référence à ce verset : « De cette plaie (le Cœur transpercé) approche tes lèvres pour puiser de l’eau à la source du Sauveur. C’est là qu’on trouve la source qui jaillissait au milieu du Paradis et qui, se partageant en quatre bras puis répandue dans les cœurs aimants, arrose et féconde la terre tout entière ». Notons maintenant que le verset qui précède (Gn 2, 9) évoque l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Et tout de suite après (v 10), on parle du fleuve. Or, la Tradition présente la Croix comme le Nouvel Arbre de Vie. Et Il est là, au milieu de ce jardin de la nouvelle Genèse. Mais la Croix symbolise aussi le véritable arbre de la connaissance du bien et du mal. La puissance du mal et la laideur du péché sont démasqués et résumés par la présence sur la Croix du « plus beau des enfants des hommes » (Ps 45 (44)) défiguré par notre iniquité ; « comme quelqu’un devant qui on se voile la face » (Is 53, 3). En même temps, le bien suprême qui triomphe à jamais du mal se révèle sur la Croix, arbre qui donne la guérison (cf. Ps 1, 3 et Ap 22, 2). Parce qu’elle dévoile pleinement le mal et en même temps nous procure le bien suprême, la Croix devient arbre de vie. Et c’est de cet arbre de vie que sort le nouveau fleuve, l’eau qui coule du Côté et qui, à l’intérieur de ce même verset 34, transfigure le mal et la violence (encore évoqués par la lance qui perce le Côté et par l’effusion de sang) en source de fécondité (cf. la citation de St Bonaventure) et de vie ; « source d’eau jaillissant en vie éternelle » (Jn 4, 14).
Nous abordons maintenant l’autre passage de Gn 2, qui précède celui que nous venons de méditer. Il s’agit du début du deuxième récit de la Création. « Au temps où le Seigneur Dieu fit la terre et le ciel, il n’y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs n’avait encore poussé, car le Seigneur Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol. Toutefois, un flot montait de terre et arrosait toute la surface du sol. Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn 2, 4b-7). Or, dans la lecture de Jn 19, redisons-le encore, on perçoit qu’avant le jaillissement de l’eau à partir du Côté de Jésus, il y a mort et violence. Les soldats voient que Jésus « était déjà mort » (v 33). Ils brisent les jambes des deux autres qui avaient été crucifiés avec lui afin qu’ils meurent. Le nom même du rocher du crucifiement, le Golgotha (le « Crâne », cf. v 17) évoque la mort. Et nous savons que l’iconographie présente souvent la Croix du Christ dressée sur les ruines de l’homme ancien, c’est à dire sur un crâne humain, symboliquement le crâne du premier Adam, exilé et qui est retourné à la poussière de la mort. Nous sommes donc dans le désert de l’exil, de la désolation, et du silence de la mort. Par rapport au premier récit de la Création (Gn 1) qui est Vie surabondante, c’est comme si on était dans un état de « décréation ». Et ce dernier correspond à l’état de « non-création » exprimé par le début du deuxième récit (Gn 2, 4b-5) : « Au temps où le Seigneur Dieu fit la terre et le ciel, il n’y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs n’avait encore poussé, car le Seigneur Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol ». Donc désert, aridité et vide. Puis le verset suivant parle de ce flot qui montait de terre et arrosait toute la surface du sol. Et c’est alors que Dieu crée l’homme avec la glaise humide du sol. L’eau qui coule du Cœur de Jésus et arrose la terre entière recrée l’homme nouveau. En Gn 2, création de l’homme à partir d’un état de non-création ; en Jn 19, recréation de l’homme à partir d’un état de décréation. Et Dieu insuffle dans ses narines une haleine de vie et l’homme devient un être vivant. Et de même, l’eau du Côté du Christ qui symbolise aussi l’Esprit-Saint est cette nouvelle haleine de vie qui fait de nous des vivants dans le Vivant... Cette haleine « shabbatique » qui correspond à son dernier souffle : « Jésus dit : « c’est achevé » et, inclinant la tête, il remit l’esprit » (v 30) (43).
On voit donc encore la place essentielle de Jn 19, 34, avec la mention de l’eau du Cœur ouvert. C’est le lieu d’une nouvelle Genèse, le lieu d’une Parole silencieuse et recréatrice, la révélation mystérieuse du « geste » qui remodèle l’homme avec l’eau de l’Esprit. C’est là que se réalise – parmi bien d’autres paroles de l’Ecriture – les paroles du Psaume : « Il changea le désert en nappe d’eau, une terre sèche en source d’eau » (Ps 107 (106), 35). Et aussi : « La terre brûlée deviendra un marécage, et le pays de la soif, des eaux jaillissantes » (Is 35, 7) (44).

Cette thématique de l’eau, symbole de Création nouvelle, s’applique aussi à l’autre dimension (plus pascale) du Shabbat évoquée dans la note 26 de bas de page, ci-dessus : la sortie d’Egypte (l’exode) et la longue marche dans le désert, vers la Terre Promise. L’eau qui jaillit du rocher (Ex 17 et Nb 20) – qui prophétise l’eau du Côté ouvert, (cf. I Co 10, 4) – est annonciatrice du Shabbat symbolisé par l’entrée en Terre Promise. Le Cœur ouvert du Christ en Croix est la Porte Sainte qui ouvre sur la Jérusalem Nouvelle, la vraie Terre Promise, le Shabbat éternel dont l’Eglise née du Côté du Nouvel Adam est l’inauguration. Et l’eau qui coule de son Côté – en ce lieu de désert et de mort qu’est le Golgotha – est déjà ce « fleuve de Vie, limpide comme du cristal, qui jaillit du trône de Dieu et de l’Agneau » (Ap 22, 1). L’eau qui jaillit dans le désert (Ex 17 et Nb 20) est la préfiguration de Jn 19, 34 et d’Ap 22, 1 ; c’est en même temps le « souvenir » des deux passages de Gn 2 que nous venons d’étudier... souvenir qui, dans le désert de l’Exode, est signe de Rédemption et qui sera comme magnifié par Ez 47, 1-12. Et l’accomplissement eschatologique (et donc shabbatique) de ce « souvenir rédempteur » se lit précisément en Ap 22, 1-2 qui reprend aussi bien Ez 47, 1-12 que Gn 2, 9-10 (noter en particulier la mention des arbres de Vie, Ap 22, 2).
Ainsi on voit que Jn 19, 34 est le point névralgique où se rejoignent souvenir rédempteur et accomplissement eschatologique. L’événement du Cœur ouvert d’où jaillit l’eau pointe à la fois vers Gn 2 et Ap 22. Dans l’Apocalypse, Jean contemple dans une vision de Gloire ce qu’il avait naguère contemplé sur le Calvaire. Ce qui est relaté en Jn 19, 34 est donc à la fois accomplissement des Ecritures (cf. versets 35-37) et - à cause de cela - Eschatologie inaugurée. C’est le signe du Shabbat eschatologique.

Il est temps de revenir maintenant aux versets de Jn 19 qui sont l’objet de notre réflexion et de continuer à en écouter la « musique ».

« Or il y avait un jardin... »

Nous en arrivons au point le plus ineffable de cette « mélodie » johannique, au moment le plus secret qui parle à l’intime de la mémoire biblique... de la mémoire du cœur et de l’esprit. « Or il y avait un jardin, au lieu où il avait été crucifié... » (v 41). Avec cette mention du jardin, nous entrons dans le moment le plus sublime de cette dynamique de « transfiguration » qui s’opère à partir du jaillissement de l’eau (v 34) et que nous avons tenté d’analyser précédemment. C’est comme si cette eau – qui nous ramène aux deux passages de Gn 2 évoqués ci-dessus – réveillait notre « mémoire protologique » et ouvrait les yeux de notre esprit sur l’antique jardin, lieu de la félicité originelle et de la relation amoureuse avec Dieu... lieu de la Vie que le péché n’avait pas encore troublée ; l’antique jardin devenu en Jn 19, 41 le jardin de la nouvelle Genèse.
« Le Seigneur Dieu planta un jardin en Eden, à l’orient, et il y mit l’homme qu’il avait modelé » (Gn 2, 8). C’est la première apparition du mot jardin dans le récit de la Création, et cela advient tout de suite après les paroles concernant le flot qui montait de terre et arrosait toute la surface du sol, et concernant le modelage de l’homme accompagné de l’insufflation de l’haleine de vie. Et, nous l’avons vu, en Jn 19, l’eau qui jaillit du Côté rappelle ce flot et cette haleine de vie. Et c’est alors que, là aussi, la mention du jardin peut advenir (v 41).
« Un fleuve sortait d’Eden pour arroser le jardin... » (Gn 2, 10). Grâce à St Bonaventure, nous avons compris que le véritable fleuve dont il s’agit est celui qui coule du Cœur ouvert du Christ (cf. aussi Jn 7, 38), et qu’il arrose ce qui, au verset 41, se révèle être un jardin.
En Gn 2, 10, cette mention du fleuve est immédiatement précédée par les paroles sur les arbres : « Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toute espèce d’arbres séduisants à voir et bons à manger, et l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (v 9). Or, nous l’avons déjà noté ci-dessus, la Croix du Christ symbolise tout à la fois l’arbre de la connaissance du bien et du mal, et l’arbre de vie. « L’arbre de vie, c’est ta Croix, Seigneur ! » (antienne du Psaume 1, office des lectures du dimanche I). C’est parce que la Croix est le lieu de la victoire du Bien sur le Mal, qu’elle devient arbre de vie.
« Ils prirent donc le corps de Jésus... » (Jn 19, 40). Il me semble que nous pouvons encore plus approfondir ici le sens de l’apparition du mot jardin au verset 41 « or il y avait un jardin... ». C’est ici qu’il apparaît, au verset 41, et pas avant ! Il apparaît alors qu’on vient d’entendre ces paroles : « ils prirent le corps de Jésus ». J’y vois pour ma part un sens spirituel et biblique. Revenons au premier jardin de la Genèse, au chapitre 3. C’est le drame du péché originel. La femme prit du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal et mangea. Elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il mangea (v 6). Ils prirent du fruit qui donne la mort. Et alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus (v 7). Après avoir pris le fruit, les yeux de nos premiers parents s’ouvrent sur la nudité, la désolation. Leurs yeux s’ouvrent sur leur déchéance, sur la rupture de leur relation avec Dieu. La mort fait déjà son œuvre en eux, ils sont comme recroquevillés sur eux-mêmes et ils se cachent derrière les arbres du jardin (Gn 3, 8) ; ils perdent le jardin de vue, ils sont déjà comme dans le tombeau. Leurs yeux s’ouvrent sur le « désert »... désert du bannissement et de l’exil (45).
Or, en Jn 19, « ils prirent le corps de Jésus », et, ce faisant, ils cueillent le Fruit par excellence du nouvel Arbre de Vie (46). Le Fruit de ce qui n’est plus l’arbre de la Tentation mais de la Guérison. La mémoire est purifiée et redécouvre, émerveillée, les origines. Et alors les yeux de l’évangéliste (et nos yeux) s’ouvrent non plus sur le désert de la mort et de la nudité, mais sur l’antique – et nouveau – jardin (47), notre première « patrie » d’où nous avons été bannis. Le jardin de Vie d’où toute mort a disparu (48) et auquel le Fruit de Vie nous donne accès. Entendons-nous cette « musique » du verset 41 : « or il y avait un jardin » ?
Le Fruit mûr, bon à manger (cf. Gn 2, 9), est tombé de l’arbre (c’est la descente de Croix), et le jardin se révèle ; le souvenir nostalgique de l’Eden est enfoui au profond de la mémoire de l’humanité blessée, et, en ce soir d’ouverture du Shabbat, elle est réconciliée et rejoint sa source (49). Au verset 41, la mémoire biblique est comme en pèlerinage sur le lieu des origines retrouvées... origines retrouvées qui ouvrent sur l’Eschatologie.

« Or il y avait un jardin, au lieu où il avait été crucifié, et, dans ce jardin, un tombeau neuf, dans lequel personne n’avait encore été mis » (Jn 19, 41). Dans le premier jardin, en Gn 3, le péché avait ouvert la porte à la mort et au tombeau : « Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise » (v 19) (50). Dans le nouveau jardin, en Jn 19, de mort, il n’y en aura plus (cf. Ap 21). La mention de ce tombeau neuf (avec celle du jardin) marque également l’aboutissement de cette dynamique de transfiguration de mort en Vie, inaugurée par le jaillissement de l’eau (v 34). Ce tombeau dans lequel personne n’avait encore été mis (51) accueille le Nouvel Adam, l’auteur de la Vie... et ainsi ce tombeau signifie « la mort de la Mort ». Ce tombeau est comme transfiguré en « berceau » de la nouvelle naissance du Christ (52).
« Ils prirent donc le corps de Jésus et le lièrent de linges, avec les aromates, selon le mode de sépulture en usage chez les Juifs » (Jn 19, 40). Là encore, l’apparition du mot jardin au verset 41 est éclairée d’une « harmonique » nouvelle. En effet, ils revêtent le Nouvel Adam qui est descendu nu de la Croix, alors que le premier Adam découvrit sa nudité après avoir pris le fruit (Gn 3, 6-7). Et, en Jn 19, c’est après la mention du revêtement que le jardin advient. C’est presque comme si on assistait au déroulement d’un film à l’envers, par rapport à Gn 2 et 3 (53) !
« A cause de la Préparation des Juifs, comme le tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus » (Jn 19, 42). Le Shabbat, qui, dans le deuxième récit de la Création, n’avait pas pu advenir dans l’antique jardin à cause du péché, advient maintenant dans le nouveau jardin, dans lequel le Nouvel Adam est établi pour le cultiver et le garder (cf. Gn 2, 15). « C’est là qu’ils déposèrent Jésus » (54). En Jésus, Dieu – enfin avec l’homme – entre dans son repos shabbatique, rejoignant ainsi le Shabbat évoqué à la fin du premier récit de la Création (Gn 2, 1-3) ; Shabbat à la fois premier et eschatologique, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire. Après l’immense détour dû au péché, « la boucle est bouclée » pour ainsi dire. Telle est la musique biblique qui se laisse découvrir grâce à l’oreille de celui qui a d’abord reposé sur le Cœur du divin Rédempteur et qui en a perçu les battements (Jn 13), puis qui a vu et qui rend témoignage afin que nous aussi, nous croyions (Jn 19). C’est dans le récit de l’apparition de Jésus à Marie-Madeleine (Jn 20) que cette musique va pleinement s’ouvrir en ruissellement de lumière. Cela fera l’objet d’un chapitre ultérieur. Pour l’heure, nous concluons ce paragraphe avec les paroles d’Is 51, 3 : « Oui, le Seigneur a pitié de Sion, Il a pitié de toutes ses ruines ; Il va faire de son désert un Eden et de sa steppe un jardin du Seigneur ».

Dans l’immédiat, il nous faut encore explorer quelques aspects plus « panoramiques » de l’Evangile de Jean, en rapport avec notre sujet (55). Auparavant, très brève respiration poétique, liturgique et synthétique.

Petite pause liturgique
Tu as ouvert pour tous les tiens en grand la porte du très vieux jardin, où Dieu convie les hommes pour la joie sous l’arbre immense de ta Croix.
(Hymne pour les laudes de l’Ascension)

Dieu d’infinie bonté, fais qu’en honorant sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, nous soyons fortifiés par le fruit ainsi cueilli sur l’arbre de la Croix. Fidèlement attachés au Christ en ce monde, nous pourrons goûter, en ton paradis, au fruit de l’arbre de la vie. Par Jésus le Christ, notre Seigneur.
(Prière après la communion de la messe en l’honneur de Ste Thérèse Bénédicte de la Croix (Edith Stein))

IV. LA SYMPHONIE JOHANNIQUE

Evangile de Jean et Genèse

Ce n’est certes pas une nouveauté que de mettre en vis-à-vis le Prologue de l’Evangile de Jean et le premier chapitre de la Genèse ! Si nous y revenons, c’est pour explorer aussi, à partir de là, d’autres parallèles qui mettront davantage encore en lumière la « centralité » scripturaire – et les immenses perspectives qui en découlent – de l’événement du Cœur ouvert, du jaillissement de l’eau et de l’avènement du Jardin, en Jn 19.

Dans le premier récit de la Création (Gn 1, 1 à 2, 4a), on a comme une vaste vue d’ensemble du dessein créateur de Dieu. Le récit déploie la globalité de l’action de Dieu et en révèle l’Intelligence et la « logique ». L’accent est mis sur la Toute-Puissance de la Parole créatrice, le LogosDieu dit ») ; et sur l’Intelligence de l’Oeuvre divine (« Dieu vit que cela était bon »). Il y a, dans le premier récit, un ordre logique de la Création, avec la mention du « commencement » (l’évocation du chaos initial) et, à la fin, la création et la vocation de l’homme comme sommet du plan divin.
Dans le deuxième récit de la Création (Gn 2, 4b-25), l’accent est mis sur l’amour, le geste, l’intimité, plutôt que sur la puissance de la Parole et de l’Intelligence. C’est plus l’ordre « amoureux » que l’ordre « logique » qui apparaît ici. Ce qui, dans le premier récit, venait à la fin – la création de l’homme – comme couronnement du plan divin, devient premier dans l’intention amoureuse de Dieu : l’homme est créé, non plus par la Parole mais par le Geste. Dieu modèle l’homme et insuffle une haleine de vie dans ses narines. Et ce n’est qu’après qu’on mentionne le reste de la Création, comme ordonnée à l’homme : jardin (dans lequel Dieu « mit l’homme qu’Il avait modelé »), arbres, fleuve, et plus tard, animaux. Et à la fin, comme achèvement d’amour, la création de la femme – toujours par le Geste – à partir du côté de l’homme endormi (56). Dans ce deuxième récit, la Parole se fait très rare et intime; c’est la tendresse du Geste qui est prépondérante. Dans le premier récit, on contemple plus la Transcendance et la Toute-Puissance de Dieu. Dans le deuxième récit, on découvre son « Cœur ».
Le Prologue de l’Evangile de Jean (Jn 1, 1-18) est en correspondance profonde avec le premier récit de la Création, comme cela a été maintes fois analysé ailleurs. Il y a d’abord dans les deux textes ce caractère de « globalité » qui couvre l’ensemble du Temps et le transcende dans l’Eternité. Et puis, dans le Prologue comme en Gn 1, l’accent est mis sur la Parole éternelle, le Verbe, le « Logos ». La vaste perspective de Gn 1 s’ouvre ici à la dimension de l’Eternel et de l’Infini. Ce n’est plus seulement le « commencement » de toutes choses qui est considéré ici mais « l’éternel commencement » du Verbe engendré du Père, par qui « tout a été fait et sans qui rien ne fut ». Gn 1 nous fait contempler les origines de l’existence des choses, Jn 1 nous fait plonger dans les origines éternelles. Gn 1 nous fait voir l’action de Dieu et sa Puissance dans les œuvres, Jn 1 nous fait entrer dans le mystère de la Personne même de l’Auteur de toutes choses. C’est, pourrait-on dire, la Genèse éternelle qui manifeste en même temps le mystère de la première Création (« par Lui tout a été fait et rien ne fut sans Lui »), et le mystère de la nouvelle Création qui a sa source dans l’Incarnation : « Et le Verbe s’est fait chair ». Et de même que la création et la vocation de l’homme sont au sommet du premier récit en Gn 1, l’Incarnation du Verbe éternel constitue le sommet de la Révélation du Prologue de Jean. Par ailleurs, en Gn 1, nous avons au tout début la création de la lumière qui sera séparée des ténèbres, et en Jn 1, la révélation de la Lumière incréée et éternelle sur laquelle les ténèbres (spirituelles) n’auront pas prise (cf. verset 5). En Gn 1, 26, la création de l’homme s’exprime presque comme un « enfantement » qui viendrait des plus intimes profondeurs de l’Amour Trinitaire (« faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance ») ; en Jn 1, c’est le Créateur lui-même – la deuxième Personne de la Trinité – qui « se fait chair », l’Image parfaite qui vient rejoindre sa ressemblance, tout en restant « tourné vers le sein du Père ».
Les versets 31 à 42 de Jn 19, objet central de notre réflexion, sont, quant à eux, le pendant johannique du deuxième récit de la Création. C’est là en vérité que Dieu nous montre son « Cœur ». Le mystère et la puissance du Verbe éternel qui se fait chair (Jn 1, 1-18) font place à la contemplation du mystère de l’Amour qui se révèle du plus intime de Celui qui est à la fois le Créateur et le Nouvel Adam, infiniment puissant et infiniment vulnérable. Là aussi, comme en Gn 2, la parole fait place au geste, la puissance du Logos à la blessure intime de l’Amour qui se livre. La dernière parole de Celui qui est la Parole se fait entendre au verset 30 : « c’est achevé ». Après quoi il n’y a plus que gestes : surtout l’ouverture du Cœur, geste à la fois passif et actif comme nous l’avons déjà écrit, geste par lequel l’homme est à nouveau modelé et par lequel il reçoit une nouvelle insufflation de vie ; bref, geste recréateur. Geste silencieux de l’Amour suprême, qui donne naissance à l’Eglise-Epouse (comme pour la première Eve, en Gn 2) à partir du Côté du Nouvel Adam endormi sur la Croix. Puis suivent les gestes, empreints de tendresse, de la descente de la Croix et de l’ensevelissement.

Cependant, par delà ces parallèles ou ces amplifications, il y a aussi des différences qui émergent au sein des deux « couples » de textes de Genèse-Jean. Voyons d’abord le premier : dans le premier récit de la Création, il n’y a aucune allusion au péché originel, et on termine sur l’évocation du Shabbat. Dans le Prologue de Jean, par contre, la réalité du péché est évoquée comme résistance à la grâce : « Il était dans le monde... et le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas accueilli » (versets 10-11). Et le Prologue proclame l’Incarnation et la nécessité de la Rédemption par l’accueil de la grâce (cf. versets 12-18) (57). Et il débouche non pas sur le Shabbat mais sur la « semaine inaugurale », point de départ, en Jn 1, 19, de l’action rédemptrice du Seigneur qui est venu en ce monde pour vaincre les ténèbres du péché. L’idée principale qui en ressort dans l’Evangile de Jean est que « la Lumière (incréée, par opposition à Gn 1, 1) est venue dans le monde » comme pour une Création nouvelle inaugurée par l’Incarnation (« le Verbe s’est fait chair »), et couronnée par le Cœur transpercé (Jn 19) d’où jaillit l’eau... après quoi seulement le Shabbat peut commencer à advenir en sa plénitude (58). En d’autres termes, il faut attendre Jn 19, 42, pour entrer en quelque sorte dans le Shabbat de Gn 2, 1-3 (lire cependant la note de bas de page 58 ci-dessous).
Cela nous amène à considérer maintenant les différences repérables dans le deuxième « couple » des textes de Genèse-Jean : le deuxième récit de la Création débouche non pas sur le Shabbat mais sur le péché et la mort, réalités exprimées en Gn 3, 1 à 4, 16. Alors que, nous venons de le voir, Jn 19, 31-42 (qui « correspond » au deuxième récit de la Création) débouche sur le Shabbat et, au chapitre 20, sur la Résurrection ; manifestation de cette Lumière du premier Jour de la semaine qui ne connaît pas de couchant, et qui de ce fait devient aussi Jour huit, symbole du Shabbat éternel (59).
Il y a donc un « croisement » significatif (60) (dont nous essaierons de déchiffrer le sens de façon plus élargie au paragraphe suivant) entre les deux textes de Gn 1 et 2 et les deux textes de Jn 1 et 19:
Le premier récit de la Création s’achève sur le Shabbat, le deuxième sur le péché et la mort. Le Prologue de Jean s’achève sur la « semaine » rédemptrice « inaugurale » en vue de vaincre le péché et la mort, et le texte de Jn 19, 31-42, débouche sur le Shabbat « qui était un grand jour » et nous ramène ainsi à l’achèvement shabbatique du premier récit.
On peut aussi considérer ce croisement sous l’angle du « duo » Temps-Eternité : en Gn 1, 1 à 2, 3, on assiste au temps de la Création, les six jours d’une « semaine » qui débouche sur le septième jour (Shabbat) qui symbolise aussi, dès ici, l’Eternité. Dans le Prologue de Jean, c’est le mouvement inverse : on commence par sonder l’Eternité du Verbe qui était au commencement avec Dieu pour aborder l’Incarnation qui est en quelque sorte le Jour Un de la Lumière qui est venue dans le monde, et ainsi on débouche sur le Temps de la Rédemption, la « semaine inaugurale » (Jn 1, 19 et sv) de la Création nouvelle. Alors que en Gn 2, le deuxième récit de la Création ne s’inscrit pas dans le Temps mais revêt une dimension protologique ; et on débouche sur l’épreuve du temps (Gn 3), temps du péché et de ses conséquences, et donc temps de la Grâce rédemptrice déjà promise (Gn 3, 15). Tandis qu’en Jn 19, 31-42, c’est encore le mouvement inverse : on sort de la terrible épreuve du temps de la Passion pour déboucher sur l’Eternité shabbatique inaugurée par le Cœur ouvert et l’eau qui en jaillit... Eternité qui nous ramène au premier Shabbat de Gn 2, 1-3, qui déjà contient en lui-même le Shabbat eschatologique d’Ap 21 et 22. Tous ces mouvements contraires expriment la dimension d’accomplissement inhérente aux écrits du disciple du Cœur de Jésus. C’est le phénomène de la « boucle bouclée ». Il nous faut encore explorer les résonances de cette symphonie dont la « note tonique » de départ (et de conclusion) est l’événement du Cœur transpercé. Analyser certains aspects de cette symphonie, c’est entrer plus avant dans ce long regard sur Celui qu’ils ont transpercé (Jn 19, 38).

Reprise rétrogradée

« Reprise rétrogradée » est un terme qui désigne un procédé musical utilisé par des compositeurs (surtout au 20ème siècle). Il consiste à composer une musique (ou un fragment musical) et à la reprendre ensuite à l’envers, c’est à dire en commençant par la fin – par la dernière note – et en terminant par le début. Le grand compositeur catholique Olivier Messiaen (1908-1992) a plusieurs fois utilisé ce processus qui, pour lui, exprime symboliquement une plénitude de perfection et en particulier la perfection divine. On y retrouve ce phénomène de la « boucle bouclée » mentionnée ci-dessus, ou encore des deux moitiés d’un cercle qui se rejoignent pour former le cercle complet, signe de perfection. Par exemple, dans l’œuvre pour orgue intitulée « Méditations sur le Mystère de la Sainte Trinité », Messiaen a fait un thème musical qu’il appelle « thème de Dieu », et ce thème est présenté avec sa reprise rétrogradée, ce qui est une manière d’exprimer l’Infini de Dieu. En effet, la reprise rétrogradée est comme le miroir, le reflet exact du premier énoncé du thème. A son tour, le premier énoncé devient reflet de la reprise rétrogradée ; et de même que dans un jeu de miroir un objet peut être reflété à l’infini, de même ce « thème de Dieu » pourrait (théoriquement) être énoncé à l’infini, de « reflets en reflets ». Dans une autre œuvre, pour piano, intitulée « Par Lui tout a été fait », Messiaen a écrit cinq pages d’une musique très complexe qu’il reprend ensuite entièrement en reprise rétrogradée, exprimant ainsi la perfection de l’Oeuvre créatrice de Dieu. Donc, en musique, la plénitude de la perfection peut être symbolisée par ce procédé de la reprise rétrogradée qui nous donne ainsi l’idée d’accomplissement. Et c’est là que nous rejoignons notre sujet.
Si on met en vis-à-vis le Prologue (et ce qui suit immédiatement) ainsi que le chapitre 19 de Jean avec les quatre premiers chapitres de la Genèse, il est frappant d’y découvrir quelque peu le principe de la reprise rétrogradée, non certes dans une symétrie exacte et encore moins dans la littéralité des textes, mais à l’intérieur du grand mouvement de l’Histoire du Salut. Ces mouvements contraires qu’on peut vérifier – et que nous avons déjà évoqués en partie ci-dessus – sont parfois étonnants de précision et ne peuvent qu’être le fruit de l’inspiration surnaturelle des Ecritures. Chez Jean, ces retours aux sources (en particulier le nouvel avènement du jardin et la Vie qui en jaillira, surtout au chapitre 20) expriment la consolation et la guérison de la mémoire spirituelle de l’homme blessée par le désordre du péché originel. Ce sont les retrouvailles avec Dieu qui accomplit « finalement » son plan d’amour originel, par delà l’immense détour dû au péché. Cette consolation, cette guérison, ces retrouvailles, ont leur source dans l’événement du Cœur ouvert d’où jaillit l’eau. C’est la grande guérison shabbatique eschatologique annoncée par les nombreuses guérisons opérées par Jésus durant les Shabbats.
Elargissons notre analyse de la reprise rétrogradée en Jean, à partir de ce que nous avons déjà abordé dans le paragraphe précédent (« Evangile de Jean et Genèse »).
Nous y écrivions que le Prologue johannique correspondait au premier récit de la Création. Le Prologue proclame l’Incarnation du Verbe Créateur comme avènement de la Lumière incréée en ce monde, rappelant ainsi à la fois le Jour Un et la création de l’homme (Gn 1, 5 et 26). Cependant, rappelons-le encore, le Prologue n’aboutit pas au Shabbat, mais – après avoir rappelé la réalité des ténèbres – il débouche sur la nécessité de la Rédemption exprimée par la Semaine inaugurale (Jn 1, 19 et sv). Toute la suite de l’Evangile évoquera le parcours rédempteur de l’Agneau de Dieu qui porte le péché du monde jusqu’en ses conséquences les plus ultimes. Nous en arrivons à la Passion. Le drame du péché et le combat contre Dieu se concentrent dans les chapitres 18-19. Tout s’accumule (surtout en Jn 19) comme pour nous faire déchiffrer l’origine antique de ce drame qui est relaté par Gn 3 et 4 (jusqu’au v 16). Le drame culminant en Jn 19 nous ouvre sur Gn 2, 3 et 4. Analysons cela. Le chapitre 19 de Jean et les chapitres 2, 3 et 4 de la Genèse sont, globalement, en mouvements contraires l’un par rapport à l’autre ; ce qui nous amène à faire une lecture « à l’envers » des chapitres de la Genèse. La mort de Jésus nous oriente d’abord directement sur Gn 4 : premier meurtre dans la Bible, à mettre en lien avec le meurtre – et tout le contexte de la Passion qui l’accompagne – du « nouvel Abel », Jésus (cf. la Passion et la mort de Jésus, en Jean 19). Caïn banni du sol fertile, errant loin de la Face de Dieu (Gn 4, 14), accentue le symbole du désert de l’exil, qui advient pour la première fois en Gn 3, 23-24, juste avant le récit du meurtre d’Abel. Ce symbole du désert de l’exil, rappelons-le, est exprimé par l’aridité du rocher – le « Crâne » – de la crucifixion (Jn 19, 17); et il faut aussi ajouter le fait que Jésus, prenant sur lui la condition du premier Adam, est mis à mort, comme le dit l’Ecriture, rejeté en dehors de la ville. Puis, en continuant « à reculons », en Gn 3, nous avons les « pénalités » du péché : épines, sueur... qui nous ramène à Jn 19, la couronne d’épines (v 2) ; et surtout les douleurs de l’enfantement (Gn 3, 16) qui sont à mettre en lien avec les douleurs de l’enfantement (cf. Ap 12, 2) de la nouvelle Eve au pied de la Croix (Jn 19, 25-27). Et c’est précisément cette présence de Marie, aux côtés de son Fils mourant sur la Croix, qui accomplit l’antique promesse qu’on trouve en Gn 3, 15, le « protévangile ». Au début de Gn 3, nous avons le récit du péché proprement dit : la séduction opérée par le Serpent et le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal cueilli par la femme et partagé par l’homme. Or, nous l’avons déjà dit précédemment, le véritable arbre de la connaissance du bien et du mal – avant de devenir le symbole de l’arbre de Vie –, c’est le Christ mort sur la Croix. Point culminant de l’opposition et du combat, le scandale de la Croix « démasque » la source de ce combat et notre mémoire est ramenée à l’arbre funeste et au Serpent des origines.
C’est là que la « centralité » du Cœur ouvert se manifeste singulièrement : en effet, dans le livre de la Genèse, c’est juste avant la narration de la chute qu’on parle de la création de la femme à partir du côté d’Adam (Gn 2, 18-25). Et inversement, c’est après le récit de la mort de Jésus en Croix – qui est la conséquence la plus ultime de la chute et le lieu de l’écrasement du Serpent (Gn 3, 15) – qu’advient la « création », symbolisée par le sang et l’eau, de l’Epouse mystique, l’Eglise, à partir du Côté du Nouvel Adam (Jn 19, 34). C’est alors que la Croix devient arbre de Vie, grâce à l’eau qui jaillit du Cœur. Cela nous ramène, en Gn 2, au fleuve qui sortait d’Eden (v 10) puis à l’arbre de vie (v 9). Et alors, juste avant, c’est la première mention du jardin en Gn 2, 8, qui correspond à celle de Jn 19, 41 (qui vient après l’eau). L’eau de Jn 19, 34, nous ramène aussi, rappelons-le, au flot qui monte de terre, Gn 2, 6. Et ainsi nous débordons en amont le deuxième récit de la Création et nous rejoignons le Shabbat des origines (Gn 2, 1-3) « retardé » dans sa réalisation plénière à cause de la chute et donc absent du deuxième récit. Ce Shabbat s’accomplit implicitement avec la mise au tombeau de Jésus, en Jn 19, 42. Et maintenant, en débordant de part et d’autre, c’est à dire en mentionnant Gn 1 et Jn 20, nous essayons d’achever la « boucle » : Jn 20, 1, nous plonge dans le premier jour de la semaine (la lumière de la Résurrection) qui nous ramène au Jour Un de Gn 1,5 (la création de la lumière). En même temps, ce jour de la Résurrection est aussi le huitième jour ; Jour de l’Eternité, symbolisant le Shabbat de la veille (Samedi Saint et Vendredi Saint au soir) désormais éternellement prolongé par la Vie du Ressuscité à laquelle nous avons part. De même, nous le rappelons, le Jour Un de Gn 1, Jour unique, contient en lui-même le Jour dernier, le « Jour du Seigneur » (cf. Mal 3) ; lequel marque l’avènement du Shabbat évoqué d’abord par Gn 2, 1-3. Ici, Jour Sept et Jour Un se rejoignent.

Petit avertissement préliminaire: ce qui suit devient encore plus dense, et l’on ne peut l’étudier que si l’on prend le temps avec une Bible sous les yeux. C’est, en effet, une « lectio » très fouillée et minutieuse qui n’intéressera que ceux qui ont à cœur de découvrir plus en détail les correspondances de ces textes johanniques avec les 1ers chapitres de la Genèse. Correspondances qui éclairent singulièrement la « trajectoire » du Salut. La lecture « superficielle » en serait parfaitement indigeste ! On peut donc aussi passer directement au paragraphe de ce même chapitre, intitulé L’Evangéliste shabbatique.

Nous voyons bien l’étendue du « cercle » johannique : nous disions au paragraphe précédent (« Evangile de Jean et Genèse ») que Jn 19, 34-42 correspondait au deuxième récit de la Création. Cependant, contrairement au deuxième récit, le texte johannique, laissant « derrière lui » le péché et la mort, aboutit au Shabbat (Jn 19) et à la lumière éternelle de la Résurrection (Jn 20), retrouvant le premier récit de la Création (après l’immense détour dû au péché désormais aboli par la Croix et l’eau du Côté), et ce faisant, rejoignant le Jour Un et le Shabbat du premier récit. Quant au Prologue de Jn 1, « Genèse johannique », il débouche sur la semaine de la Rédemption (61). L’Evangile va parcourir cet immense détour dû au péché (qui commence en Gn 3) ; et cela jusqu’à la mort en Croix du chapitre 19. Alors le chemin du retour aux sources est ouvert par le transpercement du Cœur et nous débouchons sur la nouvelle Création (62) (correspondant au récit de Gn 2, 5 et sv) laquelle coïncide avec l’inauguration du grand Shabbat (cf. Gn 2, 1-3) enfin advenu.
En résumé: nous voyons donc que le Cœur ouvert (et l’eau qui en jaillit) est à la fois le point d’aboutissement d’une histoire marquée par le péché (signifiée par le sang de la Passion qui « finit » de couler du Côté), et le point de départ d’une Création nouvelle (signifiée par l’eau). Et ce point de départ, laissant derrière lui le détour du péché qui a commencé en Gn 3, rejoint en même temps l’origine d’avant le péché (63). Le « cercle » est achevé. Et l’événement shabbatique du transpercement est véritablement au centre de ce cercle..., au centre de l’Histoire du Salut.

L’Apocalypse

Le cercle est considérablement élargi si l’on prend en compte l’autre grand écrit johannique, l’Apocalypse. Dans la plénitude de l’achèvement eschatologique, le Jour Un de Gn 1 et le Jour Dernier (« Jour du Seigneur ») annoncé par les Prophètes se rejoignent ; le Jour Dernier est, en effet, le jour de la séparation (cf. Gn 1, 4) définitive de la lumière et des ténèbres spirituelles ainsi que Ap 20, 21 et 22 l’exprime de différentes manières (64). Le rapport « circulaire » et intime entre les livres de l’Apocalypse et de la Genèse est admirablement suggéré par l’écrivain philosophe Ernest Hello : « la Genèse est l’apocalypse (révélation) de l’ouverture ; l’Apocalypse est la genèse de la consommation ».
Mais ce qu’il nous importe de souligner, c’est que dans ce cercle élargi à la dimension de l’Apocalypse, c’est encore l’événement du Cœur transpercé qui est au centre et au sommet. En guise d’« ouverture » à la grande Vision, nous avons les paroles « chacun le verra, même ceux qui l’ont transpercé, et sur lui se lamenteront toutes les races de la terre » (Ap 1, 7). Cette parole, enracinée en Jn 19, 37 (et se référant plus explicitement à Za 12), atteint son sommet dans la grande Vision de Gloire d’Ap 22, 1, (également en lien avec Jn 19, 37) : « L’Ange me montra le fleuve de Vie, limpide comme du cristal, qui jaillissait du trône de Dieu et de l’Agneau » (65). Ces deux passages, placés l’un au début, l’autre à la fin, « embrassent » l’ensemble du livre et nous donne la clef de lecture mystique de l’Histoire du Salut. Nous l’avons déjà dit précédemment : le Cœur transpercé et l’eau de Jn 19, 34, se trouve au centre de l’immense trajectoire – toute la Bible – qui va de Gn 2 (l’arbre de vie et le fleuve) à Ap 22 (le fleuve de Vie et les arbres de Vie, cf. v 2).
Ici, nous avons encore une reprise rétrogradée ! Le fleuve de Vie d’Ap 22 nous ouvre les yeux sur les arbres de Vie et nous ré-enracine en Gn 2, 9-10 (qui parle des arbres et du fleuve en sens inverse). L’analyse très précise de cette inversion est intéressante : le « pivot » en est encore l’événement de Jn 19, 34. En Gn 2, il est question des arbres du jardin « bons à manger », puis de l’arbre de Vie « au milieu du jardin », et enfin de l’arbre de la connaissance du bien et du mal... après quoi advient le fleuve. En Jn 19, nous avons vu que la Croix peut être considérée comme le véritable arbre de la connaissance du bien et du mal, en tant que s’y révèle le mal absolu du péché et de la mort, et le bien absolu de l’Amour divin ; et le fruit de cet arbre, c’est le Christ, non plus un fruit de mort mais de Vie éternelle. L’eau de la Vie nouvelle (le fleuve, cf. Jn 7, 38) qui jaillit de son Cœur transfigure l’arbre de la mort en « l’arbre de Vie au milieu du jardin ». Ainsi les deux arbres, distincts en Gn 2, ne font plus qu’un en Jn 19 ; et, à partir du v 34, ne subsiste que l’arbre de Vie... L’eau venant après le sang est l’élément « transfigurateur » et intervient donc au centre, « séparant » les deux arbres. Dans l’Apocalypse, il n’y a plus d’arbre donnant la mort (cf. Ap 21, 4). Il n’y a plus que « l’arbre de vie placé dans le Paradis de Dieu » (Ap 2, 7), ou les « arbres de Vie qui fructifient douze fois » (Ap 22, 2). Et le fleuve de Vie intervient ici avant la mention des arbres. Ce fleuve, c’est l’Esprit Saint (cf. Jn 7, 39) (66). De même qu’en Jn 19, l’eau (qui symbolisait aussi l’Esprit) nous avait progressivement ouvert les yeux sur le jardin, en Ap 22, ce même Esprit nous ouvre les yeux de la foi sur les arbres (cf. Gn 2, 9) du nouveau jardin eschatologique. L’immortalité attachée à l’arbre de Vie de Gn 2 est comme multipliée à l’infini par les « arbres de Vie qui fructifient douze fois » d’Ap 22. Et, soulignons-le toujours, la centralité se situe en Jn 19 avec l’arbre (Jésus en Croix) et l’eau qui en jaillit. Le Shabbat du soir du Vendredi Saint se révèle être l’inauguration du Grand Shabbat sans fin de la Jérusalem du Ciel... Shabbat exprimé symboliquement immédiatement après l’évocation du fleuve et des arbres : « De malédiction, il n’y en aura plus ; le trône de Dieu et de l’Agneau sera dressé dans la ville, et les serviteurs de Dieu l’adoreront, ils verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts ; de nuit, il n’y en aura plus ; ils se passeront de lampe ou de soleil pour s’éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière, et ils régneront pour les siècles des siècles » (Ap 22, 3-5).
Cette lumière de Gloire qui irradie la Création nouvelle est, en effet, comme la célébration éternelle du Shabbat accompli ; le repos de Dieu en ses serviteurs et le repos de ceux-ci en Dieu. Et surtout le règne absolu de la lumière à jamais séparée des ténèbres. La lumière tient une place essentielle dans la célébration du Shabbat juif. On y fait, entre autres, un geste d’une grande portée symbolique. En effet, c’est la mère de famille qui doit allumer les bougies au tout début du Shabbat, et la tradition juive commente ce geste ainsi : c’est par la faute de la femme (Eve) que la lumière a quitté ce monde, et donc c’est par la femme que la lumière doit revenir en ce monde (67). Cette « fête » éternelle de la lumière célébrée par l’Apocalypse est fête shabbatique par excellence. Elle rejoint le mystère de la Création et de la chute que nous avons médité. Ce faisant, elle rejoint aussi la dimension pascale du Shabbat. Le « début » de la séparation de la lumière et des ténèbres dans l’Histoire du Salut est la libération d’Israël des ténèbres d’Egypte et la marche vers la Terre Promise, terre de lumière. La Terre Promise définitive est la Jérusalem d’en haut, « la ville (qui) peut se passer de l’éclat du soleil et de celui de la lune, car la gloire de Dieu l’illumine, et l’Agneau lui tient lieu de flambeau... Ses portes resteront ouvertes le jour - car il n’y aura pas de nuit » (Ap 21, 23...25). Le long exode est achevé, la lumière du Shabbat éternel inonde le Ciel nouveau et la Terre nouvelle (cf. Ap 21, 1) (68), et ce Shabbat éternel, c’est Dieu Lui-même qui « aura sa demeure avec eux » (Ap 21, 3), et nous notre demeure en Lui.

Le Disciple-Confident du Cœur, et Voyant « eschatologique », est le héraut de l’accomplissement shabbatique, le témoin du parfait accomplissement des Ecritures (Jn 19, 35-37).

L’Evangéliste shabbatique

Evangéliste du Cœur, Jean l’est donc aussi du Shabbat. Pouvait-il en être autrement pour celui qui a vu (cf. Jn 19, 35) le Nouvel Adam mis en terre dans le jardin pour le cultiver (cf. Gn 2, 15), et qui a accueilli chez lui – « en son bien propre » – la Nouvelle Eve, la « Reine » du Shabbat, « la Femme promise au début des âges » (69) ?
Il est celui qui demeure. Ce terme de demeurer est un leitmotiv dans son évangile. Il repose (Jn 13) et demeure sur le Cœur de Celui qui repose et demeure dans le Sein du Père (Jn 1). En tant que Verbe Eternel par qui tout a été fait, le Christ repose et demeure dans le Père. Et il invite ses disciples à demeurer en lui comme lui, il demeure dans le Père ; « Demeurez en mon amour...comme...je demeure en son amour » (Jn 15, 9 et 10). Le Shabbat est don de Dieu à l’homme – et à la Création – de la Paix éternelle qui règne au « cœur » de la Sainte Trinité ; et donc le Shabbat est aussi participation de l’homme – et de la Création – à cette Paix trinitaire. Ce don et cette participation se font par le Fils incarné ; et par son Incarnation, il nous fait entrer dans son repos en nous faisant entrer comme Jean dans son Cœur shabbatique. Dans le Cœur de Jésus ouvert dans le jardin, se réalise déjà, en germe, ce Shabbat pour l’homme et pour la Création ardemment désiré par Paul au chapitre 8 de sa lettre aux Romains (vv 19 à 23). Il est significatif qu’il soit donné au confident intime du Cœur de Jésus de pouvoir contempler en vision l’accomplissement de cette nouvelle Création shabbatique (Apocalypse), inaugurée dans le jardin de Jn 19, et prophétiquement entrevue par Paul.
Jean, parce qu’il demeure dans le Cœur de Jésus et à l’école du Cœur immaculé de Marie, entre dans la profondeur du dessein divin. Il est celui qui nous donne de scruter l’origine éternelle (Prologue) et l’éternel accomplissement (Apocalypse). Dans son regard shabbatique qui demeure et contemple, Protologie et Eschatologie se rejoignent et il nous donne la clé et l’éclairage définitif de l’Histoire du Salut... Eclairage qu’il puise dans le Cœur du Christ : Dieu est Amour et il nous faut demeurer en son Amour. Cette vocation spécifique de l’Evangéliste-Théologien par laquelle il projette la lumière sur le commencement et sur la fin, et par laquelle il entre déjà dans le grand Shabbat, est centrée sur la Parole de Jésus à son propos : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à je vienne » (Jn 21, 22). Jean est présence shabbatique au cœur de l’Eglise en attente de la Parousie (cf. Ap 22, 17) ; il est celui qui pour nous et avec nous reçoit sans cesse l’eau de la vie gratuitement (ibid.), cette eau dont il rend témoignage (Jn 19, 35) et dont la contemplation fait de lui le témoin du déjà là de l’accomplissement – grâce qu’il reçoit aussi par Marie qu’il a accueillie chez lui.
Cette dimension de l’éternel accomplissement ressort souvent dans ses écrits où il nous fait entrer dans son émerveillement : « Je vous ai écrit ces choses, à vous qui croyez au nom du Fils de Dieu, pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle » (I Jn 5, 13). « ... la vérité... demeure en nous et restera avec nous éternellement » (II Jn, v 2). Il est le chantre du cantique de l’Agneau (Apocalypse) et sa parole est comme l’interprète de la joie shabbatique du Cœur de Jésus : « Maintenant je viens vers toi et je parle ainsi dans le monde, afin qu’ils aient en eux-mêmes ma joie complète » (Jn 17, 13). Par le Cœur de Jésus et par son interprète, Dieu, considérant l’œuvre achevée par le Fils (cf. Jn 17, 4, et 19, 30), semble dire à nouveau : « Cela était très bon » (Gn 1, 31). Nouvelle Genèse et avènement du Shabbat des origines. Dieu a sa demeure en nous (cf. Ap 21).
Pour le juif, l’étude de l’Ecriture n’est pas un travail mais une joie... et donc elle est recommandée le jour du Shabbat. Dieu ouvre son « Cœur » à celui qui étudie amoureusement sa Parole. La connaissance de la Parole de Dieu ouvre au don de l’Alliance et au don du Shabbat. Jean est l’Evangéliste shabbatique aussi en ce sens. Nous le savons bien, ses écrits sont pétris de l’Ecriture Sainte et il en révèle constamment l’accomplissement. Il est bien ce disciple du Shabbat qui lit amoureusement les Ecritures et les étudie (à l’école de Marie qui gardait tous ces événements et les méditait en son cœur, cf. Lc 2). Il voit dans l’ouverture du Cœur du Verbe incarné, le dévoilement du sens inépuisable des Ecritures (cf. Jn 19, 36). Ce dévoilement est joie shabbatique.
Et c’est là que la vocation shabbatique du disciple que Jésus aimait est particulièrement signifiée : par le fait qu’il est non seulement le témoin de l’Achèvement (Jn 19, 30), mais aussi l’artisan scripturaire de cet achèvement. En tant que dernier Evangéliste et Auteur du dernier Livre de la Bible (l’Apocalypse), « il est celui qui clôt l’Ecriture, qui lui donne son Achèvement... il écrit en dernier » (Père Martin Pradère).

Pause liturgique
Jésus, lumière née de la Lumière, par ta splendeur nos yeux sont éblouis; dans ta Lumière ô Christ, nous voyons la Lumière, et notre cœur déborde de ta joie.
Venu d’auprès de Dieu, Sauveur des hommes, Tu as pris chair sans cesser d’être Dieu; O Christ Toi qui reposes dans le sein du Père, Tu as fait ta demeure parmi nous.
L’Apôtre bien-aimé a vu ta Gloire, et de ses mains, il a touché son Dieu; reposant sur ton Cœur pour le festin des Noces, puisant la joie aux sources de la Vie.
De ton Côté ouvert par une lance, il vit jaillir de l’eau avec le Sang; quand l’Heure fut venue, Tu lui confias ta Mère; nous le savons: son témoignage est vrai.
Il courut le premier au tombeau vide, puis il entra, il vit et crut en Toi. Par ta Résurrection, Tu es vainqueur du monde, Tu donnes à tes disciples l’Esprit Saint.
Gloire à Toi Christ Seigneur, né de la Vierge, Gloire à l’Esprit qui façonna ton Corps, Louange au Père Saint qui a aimé le monde, et lui donna le Fils de son Amour. Amen.
(Hymne pour la fête de Saint Jean)
Point d’orgue artistique

Jésus, Marie et Jean. Les sculptures de la chapelle du Prieuré du Cœur de Jésus.

A Paray-le-Monial, dans la chapelle du Prieuré du Cœur de Jésus, il y a un magnifique Calvaire en bois du 12ème ou 13ème siècle. L’expression artistique en est très originale. Il y a, à mon sens, un climat shabbatique qui se dégage de l’œuvre, en rapport avec plusieurs éléments de notre méditation. Le Christ en Croix (70), la tête baissée, exprime un sentiment de repos et de paix profonde ; un sourire à peine perceptible est esquissé sur ses lèvres. Plus de traces de souffrance violente, il semble dormir paisiblement. C’est le Nouvel Adam entré dans son repos. Il est légèrement orienté vers la droite, on voit les traces de sang de la blessure du Côté. A sa droite se tient la Vierge Marie, les mains jointes posées sur son cœur, une expression très concentrée et douloureuse sur le visage légèrement incliné vers la terre et surtout tout orienté vers le Côté du Christ. C’est elle qui semble recueillir toute la souffrance du Golgotha, alors que son Fils repose. Plus que jamais, elle garde et médite en son cœur (cf. Lc 2) tous les mystères de son Fils, surtout en l’occurrence les mystères douloureux. C’est en son cœur douloureux et immaculé que repose toute la foi de l’Eglise, en ces Vendredi et Samedi Saints. Elle recueille en sa mémoire et en son cœur l’héritage du Cœur de son Fils, elle est l’Eglise-Epouse. Le Cœur de Jésus est tourné vers elle ainsi que son visage incliné. Il semble se reposer entièrement en elle. Elle est cette Sion où Dieu habite : « Car le Seigneur a fait choix de Sion ; elle est le séjour qu’il désire : voilà mon repos à tout jamais, c’est le séjour que j’avais désiré » (Psaume 132 (131), 13-14, traduction liturgique). La Nouvelle Eve, qui est l’aide parfaitement assortie au Nouvel Adam (cf. Gn 2, 18) et qui par sa présence à la Croix a en quelque sorte « permis » l’achèvement de l’œuvre du Fils, est - en son mystère d’accueil de la plénitude de la Grâce - le Shabbat de Dieu, « la demeure de Dieu avec les hommes » (Ap 21, 3). Alors que son Fils est entré dans son repos shabbatique, elle-même vit le Shabbat encore dans les douleurs et le travail de l’enfantement (cf. Ap 12, 2), elle qui, au pied de la Croix, est devenue la Mère de tous les vivants (cf. Gn 3, 20). Tout cela me semble être exprimé par ces sculptures.
Et puis il y a la présence de Jean ! Il est à la gauche du Seigneur, les yeux presque clos, plongé dans une profonde écoute intérieure, la main sur l’oreille, et le livre (l’Ecriture) dans l’autre main. Il a la tête légèrement inclinée et orientée vers Jésus et il est comme absorbé par le silence de la contemplation du mystère. Il ne regarde pas, il écoute. Le Côté du Christ est plus tourné vers Marie, comme nous l’avons dit. Jean, plus éloigné du Cœur, semble vouloir percevoir l’insondable murmure de cette source cachée. Sa tête orientée vers le Côté ouvert qu’il ne voit pas est en même temps orientée vers Marie. Les têtes inclinées de Jean et de Marie, de part et d’autre du Côté de Jésus, convergent l’une vers l’autre. De ce fait, Jean semble recueillir le mystère plus directement de la Sainte Vierge. Il reçoit les trésors du Cœur de Jésus par Marie qu’il va accueillir chez lui (Jn 19, 27). Le Cœur du Seigneur tourné vers Marie qui est elle-même toute inclinée vers son Fils, exprime l’union des deux Cœurs. Et Jean, le confident, entre dans une profonde écoute shabbatique... à l’écoute des deux Cœurs unis. A l’école de la Mère, il garde et médite tous ces événements en son cœur. Il en approfondit le sens et en perçoit l’accomplissement. Le disciple que Jésus aimait, se tenant près de la Mère (cf. Jn 19, 26), est comme le premier « enfant » de cette union des deux Cœurs... « Voici ton fils » (ibid.). Il est le premier « fruit » - parce que le premier témoin (Jn 19, 35) - de l’achèvement shabbatique de ce soir du Vendredi Saint.
Toute cette œuvre respire la Paix du Shabbat, à la fois douloureuse et consolatrice. C’est sur cette brève présentation de ce Calvaire que se conclue ce chapitre sur la « symphonie johannique ».



V. LE SHABBAT ET LA REDEMPTION

Théologie du travail et de la bénédiction

Le Shabbat juif est, entre autres, l’expression d’une théologie du travail. L’homme fait son travail – souvent avec zèle et souci de perfection – mais c’est Dieu qui achève. Durant six jours, l’homme exerce sa vocation de participer à l’immense œuvre de la Création, mais il revient à Dieu de couronner cette participation en lui donnant sa plénitude de perfection et son sens ultime. Le Shabbat nous éduque à l’humble acceptation de l’inachèvement inhérent à toute entreprise d’ici-bas. Il nous apprend à attendre et à désirer la bénédiction de Dieu sur tous nos efforts. Il nous garde, non pas de l’aspiration à la perfection qui est le propre de l’être humain, mais du perfectionnisme. Il est l’« antidote » de l’orgueil humain de l’auto-réalisation symbolisée par la tour de Babel (Gn 11).
Nous venons de mentionner la bénédiction de Dieu. Par la célébration du Shabbat juif, la bénédiction originelle (cf. Gn 1, 28) « revient » sur cette terre, après avoir été écartée, en quelque sorte, par le péché originel. En fait, le Shabbat nous ramène à l’absolue gratuité de la Création. Tout vient de Dieu et tout retourne à Dieu. « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » (I Co 4, 7). « Car nous n’avons rien apporté dans le monde et de même nous n’en pouvons rien emporter » (I Tm 6, 7) (71). La vocation de l’homme s’inscrit dans ce Don de Dieu, à l’origine et à l’achèvement, et c’est le Shabbat juif qui nous le fait découvrir.

Israël, dépositaire du Shabbat

C’est Israël, Peuple Elu, qui en reçoit en premier la révélation et la vocation. C’est par Israël, et en particulier par le Shabbat, que la bénédiction divine vient « à nouveau » visiter notre terre. Par son histoire, Israël expérimente cette totale dépendance de Dieu, Origine et Fin de sa destinée. La gratuité de l’Election d’Israël est à l’image de la gratuité de la Création. Israël est un peuple « créé » ex nihilo pour ainsi dire, par Dieu et pour Dieu. Le sens même de l’existence d’Israël est d’être un Peuple consacré à Dieu (Deutéronome) et de manifester la souveraineté du Seigneur sur toute chose. Et par la célébration du Shabbat, Israël, Peuple Sacerdotal, manifeste aussi que la Fin appartient à Dieu, seul Sauveur de son Peuple et de toutes les nations. Israël révèle à l’Humanité sa vocation shabbatique qui est de recevoir de Dieu sa « récompense », d’accueillir de Lui la bénédiction à la fois originelle et eschatologique (cf. Gn 1, 28 et 2, 3), d’entrer dans la joie et dans le repos du Créateur et Sauveur.

Le Fils de l’homme, maître et disciple accompli du Shabbat

Jésus accomplit divinement le Shabbat, mais aussi dans l’humilité de sa condition humaine. Au moment où il dit « c’est achevé », il remet l’esprit (cf. Jn 19, 30) ; et un autre évangile relatera plus précisément cette parole : « Père, en tes mains je remets mon esprit » (Lc 23, 46). Il est le grain de blé semé en terre qui repose pour donner du fruit en temps voulu (Jn 12). Le Nouvel Adam achève l’œuvre de la recréation le sixième jour – jour de la création de l’homme, en Gn 1, – c’est-à-dire le Vendredi Saint. Et il remet son esprit au Père à qui il appartient de donner la plénitude de l’achèvement, au sens shabbatique (72). Le Père fait entrer dans son repos son Fils qui, le sixième jour, a mené à bonne fin l’œuvre qu’il lui a été donné d’accomplir sur terre (cf. Jn 17, 4). Et ainsi le septième jour a pu advenir. Cette plénitude shabbatique se manifestera par la Résurrection, le premier et le huitième jour (73), et par l’avènement eschatologique du Règne définitif et éternel du Père, le dernier jour (74), lorsque le Fils à qui tout a été soumis se soumettra à son tour - et soumettra toutes choses - au Père (cf. I Co 15, 28).
Par l’eau qui jaillit de son Cœur ouvert, le Messie d’Israël fait advenir cette bénédiction originelle et eschatologique dont nous parlions à la fin du précédent paragraphe, accomplissant ainsi la vocation essentielle du Peuple choisi par Dieu, et ouvrant cette bénédiction à la multitude. Par son Cœur et par l’eau qui en sort, le Fils de David vient rejoindre son Peuple Israël au cœur de son mystère et de sa vocation en ce Shabbat qui était un grand jour. Il accomplit la guérison shabbatique qui est libération du péché et de la mort, inaugurée durant son ministère à l’occasion de divers Shabbats. C’est Lui qui en vérité et en plénitude sanctifie le Shabbat selon le commandement de l’Ecriture.

Shabbat et Pâque

Ainsi le Shabbat originel de la Création (Gn 2, 1-3) devient le Shabbat de la Rédemption (de la recréation), et donc coïncide avec Pâque, comme nous l’avons déjà plusieurs fois mentionné (75). Cette dimension pascale est première et fondatrice. En effet, l’événement historique de la Pâque juive – libération d’Egypte et marche dans le désert vers la Terre Promise – est le fondement et aussi le contexte du commandement de célébrer le Shabbat « transhistorique » (76) de Gn 2, 1-3 (77). Accomplissement shabbatique et accomplissement pascal coïncident. Cela se produit dès le soir du Vendredi Saint, avec le signe de l’eau qui coule du Cœur ouvert. Comme nous l’avons déjà amplement commenté, en Jn 19, 34, nous avons à la fois le point extrême d’aboutissement de la mort (le sang), et tout de suite, dans le même verset, la victoire de la Vie sur la mort (l’eau). Dans un sens, la Pâque est accomplie dès cet instant et le Grand Shabbat peut advenir. Mais il faudra attendre le troisième jour, pour que cette victoire se manifeste sur la terre, par l’événement de la Résurrection. Nous savons que pour la tradition orthodoxe, la Résurrection du Christ est contemplée essentiellement à partir de sa descente au séjour des morts, le mystère du Samedi Saint. Il n’est pas ressuscité du tombeau mais « d’entre les morts » (78). Or, il semble théologiquement juste de dire que c’est dès après sa mort que le Christ, en son âme, est allé visiter « ceux qui habitent à l’ombre de la mort » (Lc 1, 79). Ce qui permet à la liturgie orthodoxe de chanter magnifiquement : « alors que sur la terre, c’est encore le deuil et les larmes (les Vendredi et Samedi Saints), aux enfers c’est déjà Pâque ! (79) ». Pour le séjour des morts, le « c’est achevé » (Jn 19, 30) de l’acte rédempteur signé par la mort du Christ en Croix, ouvre immédiatement à la joie et à la lumière du Shabbat (80), signe par excellence de l’achèvement.

Le Shabbat, berceau de l’Eglise

Revenons sur terre, si je puis dire !
C’est par le Cœur de Jésus que le Shabbat d’Israël devient le Shabbat de l’Eglise, ou mieux, qu’il se réalise en plénitude par et dans l’Eglise. Quittons un moment l’Evangile de Jean pour les Synoptiques. On y comprend que l’Eglise qui vient de naître à la Croix, entre elle-même dans ce Shabbat qui était un grand jour ; et cela à travers les saintes femmes (dont Marie-Madeleine) qui, après l’ensevelissement, nous dit l’Evangile, se tinrent au repos selon le précepte (Lc 23, 56). Ainsi l’Eglise elle-même (représentée par les saintes femmes), sanctifie le Shabbat à la suite de Jésus, et l’oriente vers la Résurrection. L’Eglise entre au cœur même du Shabbat ; et, ce faisant, ce Shabbat devient, de par la Résurrection (dont les saintes femmes seront les premiers témoins), Shabbat éternel. L’Eglise est le lieu de l’inauguration du Shabbat éternel. L’attitude des saintes femmes durant le Samedi Saint assurent le lien shabbatique entre l’ensevelissement et la Résurrection... elles qui étaient présentes à ces deux moments-clé du Mystère Pascal. On peut dire que, par les saintes femmes, l’Eglise est le lieu de la « transfiguration » du Shabbat juif en Shabbat éternel, universel et eschatologique.

Un moment de « respiration » avant de méditer la dimension mariale de « ce Shabbat (qui) était un grand jour » (Jn 19).

« Promenade » shabbatique

Deux récits hassidiques.

I. Le Messie caché dans le Shabbat, et mendiant.

Une fois un pauvre mendiant vint dans la ville de Dinov pour y passer le Shabbat, et ce pauvre était le Messie. Il dut loger dans une misérable masure, hors de la ville, parce que personne ne voulait l’accueillir dans sa maison ; il confia donc sa besace à un boulanger et alla à la synagogue.
Cependant les jeunes gens de la ville se moquaient de lui, et, arrivée l’heure de la prière, ils le chassèrent en lui lançant des pierres, de sorte qu’il ne pût même par prier avec toute la communauté.
A la fin du Shabbat, le Rabbi invita ses disciples au troisième repas, et le pauvre se joignit à eux. Mais là aussi les jeunes se moquaient de lui et le tourmentaient. Alors le Rabbi, qui ne pouvait supporter ce spectacle, se leva et dit au pauvre : « Va-t’en chez Rabbi David, lui aussi a préparé un riche repas shabbatique pour accompagner la reine Shabbat, là tu pourras manger et boire autant que tu le désires ».
Mais le pauvre répondit : « Je ne suis pas venu ici pour manger et boire, mais pour écouter les paroles de la Torah ». Alors le Rabbi, cramoisi de rage, le chassa, afin que ce pauvre ne trouble point la quiétude du repas de la reine.
Le repas achevé, le Rabbi frappa à la porte de son père, le Rabbi de Dinov, mais trouva la porte fermée à clé ; il continua à frapper, mais personne ne lui ouvrit. Il entendait son père converser sur les mystères de la Torah avec une personne à l’intérieur de la maison, mais il ne pouvait rien comprendre car la porte et les fenêtres étaient fermées.
Au matin, le Rabbi demanda à son père : « Qui parlait avec toi la nuit dernière ? ».
« Ce pauvre mendiant », lui répondit son père. « Et sais-tu qui il était ? C’était le Messie, le fils de David ».
A ces paroles le Rabbi s’évanouit et tomba à terre. A peine remis il parcourut tout le pays à la recherche du mendiant, mais ne le trouva point et ne le revit plus jamais !


Dans ce récit, nous percevons des connotations évangéliques: on y trouve le thème du Christ qui se révèle dans le pauvre (cf. la parabole du jugement en Mt 25... cf. la rencontre de St Martin, catéchumène, et du pauvre... cf. aussi la spiritualité missionnaire de la Bse Mère Teresa) ; on y lit aussi le thème de la porte fermée à ceux qui n’ont pas su attendre et accueillir l’Epoux-Messie au moment de son avènement (cf. les vierges sottes en Mt 25). Dans le récit suivant, dans une lecture éclairée par notre foi, nous pouvons percevoir que la plénitude de la joie du Shabbat eschatologique « coïncide » avec la réalité de la résurrection de la chair proclamée par le Credo. La plénitude de l’espérance chrétienne, c’est la Vie éternelle donnée non seulement à l’âme immortelle mais à notre corps libéré de la corruption et participant de la joie divine (cf. Rm 8, 23 et Ph 3, 20-21). Alors, ce sera vraiment la fin de tout esclavage, la joie du Shabbat accompli et définitif.

II. Ame et corps.

Rabbi Sholem racontait : « Un musicien fameux arriva dans une ville et fit afficher dans toutes les rues l’annonce de son concert. Tous les gens de bien se précipitèrent pour acheter un billet.
Dans cette ville vivait un homme ayant un grand amour de la musique. Il était estropié des deux jambes et tellement pauvre qu’il ne pouvait se payer un billet. Il avait à peine assez d’argent pour une place debout, ce qui pour lui était inutile. Cependant, ne voulant pas renoncer au concert, il fit un emprunt et obtint un billet au premier rang. Il se fit porter à la salle du concert sur les épaules d’un ami.
Assis sur les épaules de son ami, il écoutait avec une joie toujours plus grande ; il fut de plus en plus saisi du génie du soliste et de la beauté de la musique, au point d’oublier où il était assis. Il commença donc à s’agiter, à danser, à battre des mains, jusqu’à ce que l’ami se mette à crier : « Tu me brises le cou, arrête de m’écraser ainsi, tu me fais mal aux épaules ! ». Mais l’estropié n’en tint pas compte jusqu’à ce que l’ami s’exclame : « Je n’en peux plus, maintenant je te fais descendre ».
Le pauvre lui demanda de le prendre en pitié et pendant l’entracte il supplia son ami de le porter au buffet où l’on servait des boissons alcoolisées. Il ordonna une bouteille de vodka pour son ami, et ensemble ils retournèrent au concert.
L’ami rendu maintenant gai par la vodka fut lui-même tellement pris par la musique qu’il commença à se balancer, à danser, à sautiller, oubliant le poids qu’il portait sur ses épaules. Une profonde communion s’établit ainsi entre les deux hommes qui se réjouirent ensemble du concert jusqu’à la fin ».
« La morale de l’histoire, dit le Rabbi, c’est que pendant le Shabbat il importe de bénir Dieu avec une âme joyeuse et pure ; mais malheureusement l’âme sans le corps est estropiée. Sans le corps elle ne peut ni louer, ni remercier Dieu. Donc, si le corps est insatisfait, l’âme ne pourra pas se réjouir du Shabbat.
Voilà donc la raison pour laquelle nous devons bien traiter notre corps, le réjouir avec du vin et des mets délicieux, afin qu’il soit libre de s’unir avec l’esprit dans la louange du Tout-Puissant et de soutenir l’âme dans sa joie contemplative. C’est seulement ainsi que le Shabbat sera parfait ».



VI. LE GRAND SHABBAT DE LA NOUVELLE EVE

Fiancée et Reine

Nous l’avons déjà dit précédemment, c’est la mère de famille qui doit allumer les bougies au tout début du Shabbat, le vendredi soir ; et la tradition juive commente ce geste ainsi : c’est par la faute de la femme (Eve) que la lumière a quitté ce monde, et donc c’est par la femme que la lumière doit revenir en ce monde. Or la Nouvelle Eve est la Très Sainte Vierge Marie. Elle est la Mère de la nouvelle famille de Dieu dont les enfants ont été rachetés par le sang de son Fils ; elle est la vraie Reine du Shabbat, la Femme par qui « la Lumière s’est levée sur le monde » (antienne mariale des complies) (81). C’est elle qui, embrasée par l’Esprit Saint, « allume les bougies du Shabbat » par sa foi et sa charité et fait lever la vraie Lumière (incréée) du Grand Shabbat, le Verbe Divin. Elle est de façon suréminente la Vierge Sage qui a gardé sa lampe allumée (cf. Mt 25) (82). Elle a « allumé les bougies du Shabbat » dès l’Annonciation en permettant, par son Fiat, à la Lumière de venir en ce monde ; c’est l’Incarnation. Et, au pied de la Croix, elle garde la lampe allumée, et dans le silence de la douleur elle confirme son Fiat par sa simple présence, permettant ainsi au Fils d’achever son œuvre (83) et de faire advenir le Grand Shabbat. Par sa présence, Marie « permet » en quelque sorte à son divin Fils d’entrer dans son repos ; elle ouvre les portes du Shabbat au soir du Vendredi Saint. « Viens mon bien-aimé à la rencontre de ta fiancée (84). Le Shabbat paraît, allons le recevoir » (liturgie juive du début de Shabbat). En tant que Nouvelle Eve au côté du Nouvel Adam endormi sur la Croix, et en tant que Mère désormais universelle (Jn 19, 26-27), elle est la Reine et la Fiancée du Shabbat. Dans sa lettre apostolique Dies Domini, Jean-Paul II rappelle cette dimension nuptiale essentielle du Shabbat juif : « Le Shabbat est vécu par nos frères juifs selon une spiritualité « sponsale ».... Le chant Leka dôdi (viens mon bien-aimé) est aussi de tonalité nuptiale : « Pour toi, ton Dieu sera heureux comme l’époux est heureux de son épouse.... Au milieu des fidèles de ton peuple bien-aimé, viens, ô épouse, reine Shabbat » » (Dies Domini, paragr. 12, note 12). Ainsi, la Nouvelle Eve est-elle présente avec le Nouvel Adam en ce soir du sixième jour – jour de la création de l’homme et de la femme (Gn 1, 27 et 31) – et au seuil du septième jour – jour du Shabbat. Et en tant que « aide qui lui soit assortie » (Gn 2, 18 et 20), elle franchit avec le Nouvel Adam le passage du nouveau sixième jour au nouveau septième jour, faisant advenir avec Lui le Grand Shabbat. Elle est là pour accueillir les signes de ce nouveau Shabbat : « Tu es restée fidèle, Mère au pied de la Croix... du Côté de ton Fils, tu as puisé pour nous l’eau et le sang versés qui sauvent du péché » (chant à Marie). Invisiblement transpercée, selon la prophétie de Syméon (Lc 2), par le glaive de douleur qui a ouvert le Côté du Nouvel Adam, elle est mystiquement unie à Lui (85) qui est le Maître du Shabbat (Mc 2, 28), et devient en toute vérité la Reine du Shabbat. Et elle s’enfonce dans le grand silence du Samedi Saint.

Le Grand et Saint Samedi

Le Samedi Saint, tous – disciples, saintes femmes – sont dispersés (cf. Jn 16, 32). La foi de l’Eglise née du Cœur ouvert repose uniquement dans le Cœur shabbatique de Marie. Shabbat douloureux, vécu dans la plus grande obscurité, dans l’espérance contre toute espérance (cf. Rm 4, 18). En ce jour, le Cœur immaculé de Marie est le seul lieu du repos du Grand Shabbat. L’Eglise toute entière (de tous les temps), Corps mystique du Christ, repose à ce moment-là comme recueillie en son Cœur de Mère universelle – Mère du Christ et de l’Eglise. Le trésor de la Rédemption lui est confié. Et la mémoire du Cœur de Marie est comme le lieu du repos de Jésus Lui-même. Chaque parole, chaque geste, chaque mystère de son divin Fils sont gravés et conservés dans sa mémoire aimante (qui deviendra la mémoire de l’Eglise). En ce Samedi Saint, plus que jamais, « elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur » (Lc 2, 19). La mémoire du Cœur de Marie est le « Shabbat » de Jésus. « Jésus repose plus réellement dans la mémoire vivante de Sa Mère que dans la matière froide du tombeau » (H. U. von Balthasar, Chemin de Croix). Le Psaume 132 (131) l’annonçait déjà : « Car le Seigneur a fait choix de Sion ; elle est le séjour qu’il désire : voilà mon repos à tout jamais, c’est le séjour que j’avais désiré » (traduction liturgique). En ce Samedi, elle est la Fille la plus accomplie d’Israël... elle est l’Israël selon le « Cœur » de Dieu, car en son Cœur immaculé elle célèbre le plus saint des Shabbat. Elle veille en effet sur le « repos » de Dieu qui en Jésus a achevé son œuvre, et sur le repos de l’Humanité rachetée qu’elle a accueillie (et recueillie) en la personne de Jean. Elle est elle-même le Shabbat de Dieu (86) et des hommes qui, grâce à elle, entrent dans le repos divin (cf. He 3 et 4), et ainsi elle est identiquement l’Eglise déjà accomplie en son germe, car elle est la Demeure de Dieu parmi les hommes (Ap 21). En ce jour, elle est comme le « Sacrement » de la Présence du grand Absent enseveli dans le tombeau. Le Verbe Incarné ne se rend « visible » en quelque sorte que par Marie en ce jour-là (87).

Tombeau neuf et Jardin nouveau

« Or il y avait un jardin... et, dans ce jardin, un tombeau neuf, dans lequel personne n’avait encore été mis » (Jn 19, 41). Nous retrouvons ce passage déjà amplement commenté précédemment. La Vierge était présente à l’ensevelissement, elle a vu son Fils être déposé (v 42) dans le tombeau « vierge ». C’est comme s’il y avait un « transfert » symbolique du tombeau « vierge » au Cœur de Marie. Ce tombeau devient symbole de la mémoire de Marie en laquelle le Fils repose (comme nous venons de le dire avec H.U. von Balthasar) « plus que dans la matière froide du tombeau ». Et à partir de ce tombeau neuf, par extension, c’est le nouveau jardin shabbatique de la nouvelle Genèse, arrosé par les fleuves d’eau vive jaillissant du Côté ouvert, qui devient symbole du Cœur immaculé de la nouvelle Eve. « Marie Eve nouvelle et joie de ton Seigneur... par toi nous sont ouvertes les portes du jardin » (chant à Marie) (88). « Viens du Liban, ô fiancée, viens du Liban, fais ton entrée.... Elle est un jardin bien clos, ma sœur, ô fiancée ; un jardin bien clos, une source scellée. Tes jets font un verger de grenadiers, avec les fruits les plus exquis.... Source des jardins, puits d’eaux vives, ruissellement du Liban ! » (Ct 4, 8...15). Toute la symbolique du jardin et du ruissellement est très riche dans ce passage du Cantique (89). En fait, c’est Marie qui se révèle être ce nouveau jardin fécondé par l’eau du Côté... jardin dans lequel entre le Bien-Aimé : « J’entre dans mon jardin, ma sœur, ô fiancée, je récolte ma myrrhe et mon baume, je mange mon miel et mon rayon, je bois mon vin et mon lait » (Ct 5, 1) (90). Et en poussant plus loin la symbolique du jardin par rapport à Marie, on pourrait dire que la nouvelle Eve est aussi symboliquement l’arbre de vie dont Jésus est le fruit béni (cf. Lc 1, 42) qui guérit du mauvais fruit originel de Gn 3. C’est par Elle que la plénitude du Shabbat peut advenir – la plénitude du Shabbat originel avait été comme empêchée par le péché de nos premiers parents (voir chapitre III) – parce qu’Elle est précisément Celle que Bernanos appelle la femme « plus jeune que le péché ».

« Rêverie » shabbatique et mariale

Est-il permis de rêver en faisant de la théologie ou de l’exégèse, et de laisser libre cours à l’imagination ? Ce petit paragraphe exprime des suppositions toutes gratuites et non des affirmations !
Nous disions dans ce chapitre marial que la Vierge avait « allumé les bougies » du Shabbat dès l’Annonciation. Le Grand Shabbat de la nouvelle Eve a-t-il commencé ce jour-là ; autrement dit l’Annonciation a-t-elle eu lieu un jour de Shabbat ? Personne ne pourra répondre à cette question. Il y a en tout cas une dimension shabbatique importante dans l’événement de l’Annonciation. C’est en ce jour que Dieu trouve son repos en sa Créature, grâce au Fiat. C’est en ce jour que l’Esprit Saint peut descendre sur cette Terre et y demeurer, grâce à l’assentiment de Marie. Et si l’on considère la dimension pascale du Shabbat – la sortie du pays de l’esclavage pour la Terre promise – l’événement de l’Annonciation inaugure cette plénitude du temps (Gal 4, 4) qui marque la fin du douloureux esclavage de l’Humanité, libérée par l’Incarnation et désormais en route vers la Jérusalem d’en haut. En permettant, par son Fiat, au nouvel Adam de « commencer » à entrer dans son repos, la nouvelle Eve permet à l’Humanité de « commencer » elle aussi à entrer dans son Shabbat.
On pourrait appliquer la même réflexion imaginative par rapport au mystère de l’Assomption. Etait-ce un jour de Shabbat ? En tout cas c’est le jour où Marie entre à son tour dans le repos de Dieu... Lui qui avait d’abord trouvé son repos en elle. Dans le mystère glorieux de l’Assomption, Elle est figure de l’Humanité pleinement accomplie selon le « Cœur » de Dieu. Elle est, en ce jour-là, comme l’icône du grand achèvement shabbatique exprimé (encore dans la douleur du Vendredi Saint) par le Nouvel Adam en Croix – « c’est achevé » (Jn 19, 30). Et donc, dans ce mystère, c’est l’Humanité entière qui entre (en figure) avec Elle dans le repos de Dieu (on retrouve ici le thème de He 3 et 4). L’Assomption, c’est l’Eglise triomphante, inaugurée en sa dimension d’achèvement... cette Eglise qui est née à l’avènement du Shabbat au soir du Vendredi Saint, où Marie, par sa présence à la Croix, est Elle-même devenue le « Shabbat de Dieu ». Si ce mystère, point culminant de la vie de Marie, a eu lieu un jour de Shabbat, alors ce serait comme un nouveau Samedi Saint pour Elle, un Samedi Saint cette fois-ci empli de Gloire. Ne convenait-il pas qu’après un Samedi Saint de douleur, il y ait un Samedi Saint de suprême consolation et de Gloire pour Marie.... De même qu’il y eut un Jeudi Saint de douleur (Gethsémani), puis un Jeudi de Gloire (l’Ascension) pour Jésus ? Après les ténèbres et la séparation (dans les deux cas), l’union dans la Gloire et l’éternel Shabbat.

La Reine Shabbat

Quoiqu’il en soit de la supposition (toute gratuite) du jour, l’Assomption et le Couronnement de Marie ont une signification essentiellement shabbatique. Elle entre dans son Shabbat de Gloire en entrant pour l’éternité dans le repos de Dieu. Et Elle fait advenir le Grand Shabbat (le repos) de Dieu qui couronne son œuvre en Elle, qui fait pour l’éternité sa demeure en Elle et, par extension, dans l’Eglise « Jérusalem céleste ». Dans la liturgie juive du Shabbat « le thème de la fiancée est (...) emprunté au Cantique des cantiques (91)... tout en n’étant pas étranger à l’Apocalypse chrétienne qui parle de la Nouvelle Jérusalem qui descend du ciel « prête comme une épouse parée pour son époux » (Ap 21, 2) » (Ben Chorin, le judaïsme en prière). Cette Demeure de Dieu parmi les hommes (Ap 21) est déjà signifiée dans la vision glorieuse de la Femme revêtue du soleil, la lune sous ses pieds, couronnée de douze étoiles (Ap 12) ; Femme qui symbolise Jérusalem, Marie et l’Eglise. Revêtue du soleil de la Sainte Trinité qui repose sur Elle, signe du parfait achèvement de la Création représentée ici par la lune sous ses pieds, et signe du parfait achèvement de la Rédemption signifiée par les douze étoiles qui la couronnent et qui symbolisent les douze tribus d’Israël pleinement accomplies dans l’Eglise des douze Apôtres (92), la Femme (Marie Eglise) est désignée aussi comme nouvelle Arche d’Alliance (Ap 11, 19), Celle en qui la Parole réside (93).

Point d’orgue marial

Dans ce magnifique texte de Saint Jean Eudes, on trouvera des éléments qui ont fait l’objet de notre méditation au cours des paragraphes et chapitres précédents. Nous soulignons certains de ces éléments.

Le Cœur de Marie, merveilleuse fontaine

Une image du bienheureux Cœur de la très bénite Vierge, c’est cette merveilleuse Fontaine que Dieu fit sortir de la terre au commencement du monde, dont il est parlé en ces termes au chapitre second de la Genèse : Une fontaine montait de la terre, qui arrosait toute la surface de la terre (Gn 2, 6).
Je trouve dans votre saint Evangile, ô mon Jésus, qu’un jour, pendant que vous demeuriez visiblement en ce monde, comme vous alliez à pied de ville en ville et de bourgade en bourgade pour porter aux peuples la divine parole de votre Père, étant lassé et fatigué par le travail du chemin, vous vous assîtes sur une fontaine qu’on appelait la fontaine de Jacob, là où une pauvre femme s’étant rencontrée pour puiser de l’eau, vous prîtes cette occasion de la catéchiser ; et qu’entre plusieurs saintes instructions que vous lui donnâtes, vous lui dîtes que vous aviez de l’eau vive à donner, qui était telle que ceux qui en boiraient n’auraient plus jamais soif, c’est-à-dire plus de soif des eaux empoisonnées que le monde donne à ceux qui le suivent.
Je trouve aussi, dans un autre lieu du même Evangile, que votre bonté infinie vers les hommes, allumant dans votre Cœur un désir infini de leur donner à tous de cette eau vive, vous étiez un jour dans le temple de Jérusalem au milieu d’une grande multitude, criant à haute voix et disant : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive (Jn 7, 37).
Ce que vous avez fait alors, mon Seigneur, vous le faites encore tous les jours. Car je vous vois, non pas sur la fontaine de Jacob, mais au milieu de cette divine fontaine dont il est ici question, et je vous entends crier incessamment : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive. Venez à moi, vous tous qui êtes chargés, fatigués et altérés dans la voie de ce monde, pleine de travaux et de misères : et venez à moi ici, c’est-à-dire à la fontaine, non pas de Jacob, mais du Cœur de ma très digne Mère, là où vous me trouverez ; car j’y ai établi ma demeure pour jamais. C’est moi qui ai fait cette belle fontaine, et avec beaucoup plus d’amour pour mes enfants, que celle que j’avais faite au commencement du monde pour les enfants d’Adam.
Je l’ai faite pour vous ; je l’ai remplie d’une infinité de biens pour vous ; j’y suis pour vous ; j’y suis pour vous découvrir et pour vous distribuer les trésors immenses que j’y ai cachés. J’y suis pour vous rafraîchir, vous fortifier et vous donner une nouvelle vie par les eaux vives dont elle regorge. J’y suis pour vous repaître du lait et du miel et pour vous enivrer du vin qui en découlent. Venez donc à moi !
Il y a longtemps, mon Sauveur, que vous criez ainsi ; mais il y a peu de personnes qui ouvrent les oreilles à votre voix. Si le monde n’écoute pas le Maître, il n’entendra pas le serviteur. N’importe, permettez-moi de crier avec vous, afin que le serviteur imite son Maître.
Oh ! qui me donnera une voix assez forte pour être entendue des quatre coins de l’univers, et pour crier aux oreilles de tous les hommes qui sont au monde : Vous tous qui avez soif, venez boire des belles et bonnes eaux de notre miraculeuse fontaine ; et encore que vous n’ayez point d’argent, hâtez-vous pourtant, venez, et achetez sans argent du vin et du lait de cette fontaine (Is 55, 1) (94).

Saint Jean Eudes


Maintenant nous lisons une méditation d’Edith Stein (Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix) sur la Vierge du Samedi Saint. Rappelons qu’Edith, fille d’Israël, provenant d’une famille juive allemande, a vécu intensément la célébration du Shabbat durant toute son enfance. Dans ce texte, elle s’adresse à la Sainte Vierge. Là encore nous soulignons ce qui est plus en lien avec notre méditation.

« Attendre en silence le salut de Dieu » (cf. Lm 3, 26)

Ton Samedi Saint : comment le penser autrement que dans un silence parfait ? Une fois le tombeau fermé, saint Jean t’a conduite dans la maison où lui-même trouvait l’hospitalité à Jérusalem. Cela s’est passé probablement dans le silence. Le respect devant Ta souffrance a dû les garder tous muets. Tu leur as seulement fait comprendre que tu voulais être seule. Il était bien sûr impossible d’aller comme d’habitude au Shabbat et à la fête dans le Temple, parmi les gens qui L’avaient crucifié et qui Te montreraient maintenant du doigt. Etre seule était l’unique soulagement. Il fallait qu’une fois les larmes trouvent leur compte. Si le Seigneur avait pleuré sur la mort de Lazare, ne devais-Tu pas Toi aussi pleurer après tout ce qui était arrivé ? Sa vie toute entière qui était Ta vie est apparue encore une fois devant ton âme ; toutes les allusions sur la souffrance, tous les passages des prophètes. Et avec cela aussi l’annonce de la Résurrection. Ce que le Sauveur expliquait aux disciples sur le chemin d’Emmaüs, Tu Te l’es dit Toi-même : ne fallait-il pas que le Christ souffrît tout cela pour entrer dans Sa Gloire (Lc 24, 26) ? Ainsi Ta souffrance se change en action de grâce pour le « Consummatum est » (Jn 19, 30) et en attente silencieuse, croyante, du matin de Pâques : le troisième jour Il ressuscitera. Je ne peux pas le penser autrement qu’en Ta présence. Est-ce qu’avant le lever du jour, l’ange de l’Annonciation ne T’a pas guidée sans bruit depuis la maison de Tes hôtes et conduite jusqu’au tombeau ? Est-ce qu’au tombeau l’Alléluia ne résonnait pas de la bouche des anges comme le Gloria dans la campagne de Bethléem (Lc 1, 13-14) ? Dans l’aurore rougeoyante, ne s’est-Il pas avancé hors du tombeau enveloppé de lumière resplendissante dans le jardin en pleine floraison comme au paradis ? Personne ne nous a rapporté cette rencontre. Aucun œil humain n’a vu, aucune oreille n’a perçu, il n’est monté au cœur d’aucun homme (cf. I Co 2, 9) ce que le Seigneur préparait à sa Mère qui L’aimait plus que tout ce que l’on ne pourra jamais concevoir. Si le temps entre la Résurrection et l’Ascension était surtout consacré à la préparation de l’Eglise à venir, nous pouvons admettre que le Seigneur a initié Sa Mère plus que tout autre à tous les mystères du Corps mystique. Elle aurait dû mourir de douleur au pied de la Croix et de joie à la Résurrection si une grâce particulière de force ne l’avait gardée pour l’Eglise. Elle n’avait pas besoin comme les apôtres de la descente de l’Esprit Saint pour comprendre les mystères du royaume. Elle aura reçu des explications sur le mystère de l’Eglise, des sacrements, du sacerdoce, pour aider ensuite l’Eglise à se former dans les années qui suivirent l’Ascension.

Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix


Cette méditation sur le Samedi Saint qui débouche sur le Temps Pascal nous sert de transition pour aborder maintenant le chapitre suivant.


VII. « IL Y EUT UN SOIR, IL Y EUT UN MATIN »

« Il y eut un soir » (cf. Gn 1), soir de la mort et du transpercement... « et il y eut un matin », matin de Pâque, premier jour de la semaine.

Jour Un et Jour Huit

« Le premier jour de la semaine, Marie de Magdala vient de bonne heure au tombeau, comme il faisait encore sombre » (Jn 20, 1). Il y a donc encore les ténèbres qui ont accompagné et suivi la mort du Christ ; Jésus n’est pas encore apparu à Marie de Magdala. Plus tard, par contraste, ce premier jour de la semaine se révélera être le Jour Un de la nouvelle Genèse, de la Lumière qui ne connaîtra pas de couchant, Lumière définitivement séparée des ténèbres de la mort. « Que la lumière soit » (Gn 1, 3) (95). Ce nouveau Jour Un est en même temps le Jour Huit, Jour de l’Eternité qui prolonge le Jour Sept, le Shabbat, et qui symbolise ainsi le Shabbat éternel (96). Donc la Nouvelle Création inaugurée par la Résurrection du Christ, parce qu’elle est « désormais » éternelle, coïncide avec l’Achèvement, Shabbat éternel. C’est le Jour du Seigneur. Cette identité entre le Jour Un inaugurant la nouvelle Semaine – la Lumière de la Résurrection qui est séparée des ténèbres de la mort – et le Jour Huit – symbole de l’Eternité – est liturgiquement signifiée par l’Octave de Pâque: les huit jours qui vont du premier au deuxième dimanche sont considérés comme un jour unique. Ici, mémoire protologique et anticipation eschatologique coïncident.
« A l’aube d’un nouveau millénaire, les chrétiens peuvent et doivent regarder l’avenir avec une ferme confiance en la puissance glorieuse du Ressuscité qui fait toutes choses nouvelles (cf. Ap 21, 5). Il est celui qui libère toute la création de tout son asservissement à la vanité (cf. Rm 8, 20). Par sa résurrection, il ouvre la voie au grand repos du Shabbat, le Huitième Jour, lorsque le pèlerinage de l’humanité se terminera et que Dieu sera tout en tous (cf. I Co 15, 28) » (Jean-Paul II, homélie au Saint-Sépulcre, mars 2000).

Apparition du Ressuscité à Marie de Magdala

Pour scruter davantage encore l’ampleur de l’accomplissement shabbatique signifiée au soir du Vendredi Saint par le Côté ouvert du Christ, il nous faut méditer sur l’apparition de Jésus à Marie de Magdala. En effet, le jardin de la crucifixion et de la mort, arrosé par le sang et l’eau du Côté ouvert du Nouvel Adam, devient le jardin du tombeau neuf et de la Résurrection. De ce jardin, le Nouvel Adam est le « divin jardinier » (97). Et la rencontre, dans ce jardin, du Ressuscité avec Marie de Magdala nous permet là encore d’évoquer la parole du Cantique : « J’entre dans mon jardin, ma sœur, ô fiancée, je récolte ma myrrhe et mon baume, je mange mon miel et mon rayon, je bois mon vin et mon lait » (Ct 5, 1).
Le récit de Jn 20, 11-18, revêt une importance biblique considérable. C’est comme une récapitulation de l’essence même de l’Histoire du Salut. On y retrouve le phénomène de la « boucle bouclée » dont nous parlions au chapitre IV, en particulier dans le paragraphe intitulé « reprise rétrogradée ».
En effet, le jardin de la Résurrection nous ramène au jardin des chapitres 2 et 3 de la Genèse... jardin de la tendresse créatrice de Dieu et du drame du péché originel, d’où Adam et Eve ont du être chassés – pour ne pas avoir accès à l’arbre de vie – après avoir tenté, par convoitise, de se rendre « comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal » (Gn 3, 5).

Dans le jardin de la Résurrection, Jardin de la nouvelle Genèse, Marie de Magdala représente non pas la Nouvelle Eve – ce titre est réservé à Marie, la Mère de Jésus qui par son « Oui » nous a guéris du « Non » originel –, mais la première Eve victime du Serpent (Gn 3), désormais repentie, renouvelée, réconciliée, délivrée, consolée, guérie.... « Ressuscité le matin, le premier jour de la semaine, il apparut d’abord à Marie de Magdala dont il avait chassé sept démons » (98) (Mc 16, 9). Marie de Magdala représente également toute l’humanité qui, à cause de la première Eve, était tombée sous l’esclavage du démon, et qui est maintenant libérée du péché et de la mort par la Pâque du Christ.
Et elle se tient là, dans le jardin, d’abord près du tombeau. Or, dans le jardin d’Eden, après la faute, Adam et Eve ont fui devant Dieu qui les cherchait – « où es-tu ? » – et se sont cachés derrière les arbres par peur de Lui (Gn 3). Inversement, en Jn 20, dans le jardin de la nouvelle Genèse, c’est Dieu Lui-même en Jésus qui se laisse chercher ! Il se laisse chercher par celle qui représente à ce moment-là, à la fois la première Eve et l’Humanité. Elle le recherche avec larmes, comme la Bien-Aimée du Cantique : « Avez-vous vu celui que mon cœur aime ? » (Ct 3, 3). Elle y met toute l’ardeur de son cœur, de sa vie. Elle ne peut absolument pas connaître le bonheur si elle ne l’a pas retrouvé... symbole d’une Humanité qui sort de son aveuglement et qui reconnaît que sans son Dieu, elle est morte. Les larmes de Marie de Magdala sont comme la « consolation » du Cœur de Jésus, du « Cœur » de Dieu, transpercé par l’ingratitude de nos premiers parents qui a causé la rupture et la séparation originelles. En ce matin de Pâque, dans l’intimité du jardin, l’Histoire du Salut est comme « bouclée », c’est la grande et indicible réconciliation. Dieu qui, dans l’antique jardin, recherchait ses enfants qui le fuyaient, se laisse rechercher maintenant dans le jardin de Pâque, et se laisse trouver. Lorsque Jésus dit : « Femme, pourquoi pleures-tu, qui cherches-tu ? », Marie de Magdala, par ses larmes, récapitule à ce moment-là ce que la Liturgie appelle le repentir d’Adam et les larmes d’Eve et aussi la vallée des larmes des enfants d’Eve exilés (Salve Regina). Celle qui représente ici la première Eve nous ramène symboliquement au jardin d’Eden, lieu de la tendresse de Dieu et du drame du péché. Dieu en Jésus se fait reconnaître d’elle, et alors c’est l’étreinte (99). Les larmes de Marie de Magdala puis son cri de joie expriment la guérison de la relation entre Dieu et l’homme. Marie de Magdala est la grande consolatrice du « Cœur » de Dieu (100). En elle, c’est toute l’Humanité que Jésus étreint sur son Cœur miséricordieux (101). Par la présence de Marie de Magdala, en ce matin de la nouvelle Genèse et de la Nouvelle Création, Dieu fait enfin entrer l’homme dans la joie et le repos du Shabbat des origines qui est devenu, au soir du Vendredi Saint, le Shabbat qui n’aura pas de fin, inauguré par l’ouverture du Cœur. Et précisément, Marie de Magdala était présente lors de l’ouverture du Cœur. Représentant symboliquement la première Eve « renouvelée », elle était là, au pied du Nouvel Arbre de Vie, aux côtés de la Nouvelle Eve et du disciple « shabbatique » (Jn 19, 25) ; elle a assisté à l’entrée dans le repos du Nouvel Adam, sa mise au tombeau ; et ainsi elle a participé dans les larmes à cette inauguration de ce Shabbat qui était un grand jour (Jn 19). Et, avec les autres saintes femmes, elle a ensuite observé le repos du Shabbat selon le précepte (Lc 23, 56), elle a vécu le grand Samedi Saint. Et c’est à elle qu’il est donné, selon l’évangile de Jean (et de Marc), de recueillir en premier les fruits, les prémices de ce Shabbat qui est conjointement, comme nous l’avons déjà dit, le début d’une Création nouvelle qui n’aura par de fin. Ce sont les épousailles mystiques du Nouvel Adam avec l’Humanité renouvelée et rachetée qui sont inaugurées dans le jardin de la Résurrection.

Correspondance entre Jardin d’Eden et Jardin de Pâque

Cette dynamique d’accomplissement est encore soulignée par la correspondance suivante : Marie de Magdala se penche tout en pleurs vers l’intérieur du tombeau « et elle voit deux anges, en vêtements blancs, assis là où avait reposé le corps de Jésus, l’un à la tête et l’autre aux pieds. Ceux-ci lui disent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » » (Jn 20, 11-13). Or ces anges nous rappellent les anges – les keroubim – de Gn 3, 24 : « (Dieu) bannit l’homme et il posta devant le jardin d’Eden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l’arbre de vie ». Adam et Eve ont été chassés du jardin vers la désolation du désert – l’exil – et vers la mort. Et la mort est l’aboutissement extrême de cet exil en lequel nos premiers parents se sont mis eux-mêmes à cause du péché. « A la sueur de ton visage tu mangeras ton pain, jusqu’à ce que tu retournes au sol... Car tu es poussière et tu retourneras à la poussière » (Gn 3, 19).
Dans le jardin de Pâque (Jn 20), il y a de nouveau un renversement : les anges au tombeau sont là, ainsi que celle qui représente la première Eve, Marie de Magdala. Et cette fois-ci, ils semblent, par leur question, vouloir la détourner du tombeau – c’est à dire de la poussière de la mort en laquelle elle veut chercher Celui qui est Vivant (cf. Lc 24, 5) – pour l’orienter précisément vers le nouvel Arbre de Vie, Jésus. Désormais la destinée de l’Humanité n’est plus la poussière mais la vie éternelle dont le nouvel Arbre de Vie est la source. Dans le jardin d’Eden, avec le concours des anges, c’est le passage dramatique du jardin de la Création vers l’exil et la mort ; dans le jardin de Pâque, toujours avec le concours des anges, l’Humanité est ramenée de l’exil et de la mort vers le jardin de la Nouvelle Création. En Gn 3, les anges empêchent l’accès à l’arbre de vie ; en Jn 20, ils semblent vouloir empêcher l’accès au tombeau. Dans le premier jardin, la joie originelle fait place aux larmes d’Eve ; dans le nouveau jardin, les larmes de Marie de Magdala font place au cri de joie « Rabbouni ! », adressé à Celui qui est à la fois le Nouvel Adam, le nouvel Arbre de Vie, et Dieu Lui-même... qui nous fait passer de la corruption – salaire du péché – à l’incorruptibilité.

Du Jardin vers le Ciel

Les paroles de Jésus « ne me retiens pas, car je ne suis par encore monté vers le Père » (Jn 20, 17) indiquent cependant que cet épisode du jardin de la Résurrection signifie beaucoup plus qu’un simple retour au jardin des origines. « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ». C’est la Création Nouvelle inaugurée, qui tend vers son accomplissement plénier ; Création Nouvelle infiniment supérieure à la première. Pour Marie de Magdala, ce n’est plus seulement – grâce aux anges – le passage du tombeau vers le jardin et le jardinier, mais c’est maintenant le passage du jardin vers le Ciel ; c’est la réouverture du Ciel, l’annonce johannique de l’Ascension. Le nouvel Adam, en se faisant reconnaître de Marie de Magdala et en se laissant étreindre par elle, se réconcilie l’Humanité pécheresse et désormais rachetée. Et maintenant, ayant tout achevé (102) et ayant assumé en lui tout le « poids » de cette réconciliation, il quitte le jardin et monte vers son Dieu et Père. En son humanité glorifiée, il rejoint le Père, il entre définitivement dans le Repos-Shabbat du Père, pour nous précéder et pour nous préparer la demeure « shabbatique » (cf. Jn 14, 2-3 et Jn 17, 24). Le premier Adam avait quitté le jardin pour une destinée de désolation ; le Nouvel Adam quitte le jardin pour une destinée de Gloire éternelle. Uni à nous comme il est uni au Père, il nous guérit, en son humanité glorifiée, de la séparation des origines. Par son Ascension, il est déjà Lui-même notre Shabbat, mais encore dans la « tension » missionnaire... « Va trouver mes frères, et dis-leur... ».

Petite pause musicale

L’apparition de Jésus à Marie-Madeleine (appelons-la ainsi désormais) a inspiré un grand nombre d’œuvres artistiques, surtout picturales (Fra Angelico). Dans le domaine musical, il faut mentionner un chef-d’œuvre : L’apparition du Christ ressuscité à Marie-Madeleine, pièce n° 11 du grand cycle pour orgue intitulé Livre du Saint Sacrement d’Olivier Messiaen (composé en 1984). Il s’agit d’une impressionnante fresque sonore qui « colle » de très près au récit évangélique : la nuit et les larmes de Marie-Madeleine, l’indicible douceur du nom de Marie prononcé par Jésus, la stupeur et la jubilation de Marie, son prosternement, l’annonce de l’Ascension.... Messiaen est le musicien de l’Amour divin et humain ; et dans cette pièce, il fait admirablement percevoir la douceur et la tendresse « transperçante » du Cœur de Jésus, ainsi que la « brûlure » de l’étreinte des retrouvailles et l’ivresse de la joie qui en découle.

C’est paradoxalement une œuvre profane et même d’inspiration « païenne » que je voudrais aussi mentionner parce qu’il me semble que c’est une « traduction » sonore presque idéale (et cela à l’insu de son auteur) de la scène du jardin de la Résurrection de Jn 20. Il s’agit du début de la 3ème scène du ballet Daphnis et Chloé de Maurice Ravel, intitulé (de façon très appropriée) Lever du soleil. Après le climat sonore très sombre de la fin de la 2ème scène qui pourrait évoquer les ténèbres du tombeau, il y a soudainement ce prodigieux ruissellement de lumière et de douceur, de parfum nouveau, de chant d’oiseaux, de bruissement de feuilles... bientôt habités par la somptueuse mélodie qui monte, poignante de beauté, et qui pourrait exprimer à merveille la rencontre du Ressuscité avec Marie-Madeleine.



VIII. TOTA TRINITAS APPARUIT

Ce sont les paroles de Saint Thomas d’Aquin commentant le mystère de la Transfiguration : « A la Transfiguration, toute la Trinité apparut : le Père dans la voix, le Fils dans l’homme, et l’Esprit Saint dans la nuée lumineuse ». Nous voulons appliquer ces mêmes paroles au mystère du Cœur ouvert sur la Montagne, qui n’est plus celle de la Transfiguration mais du Calvaire. La centralité de ce mystère du Cœur ouvert nous fait tout naturellement remonter à sa source et à son accomplissement trinitaires. Voici ce que le Père Glotin écrit dans son livre encore en préparation, au chapitre 8, dans sa réflexion sur le culte de la divine Miséricorde (Sainte Faustine) institué par Jean-Paul II au cours (et au cœur) de l’année jubilaire de l’An 2000 : « En ce début de millénaire, le culte de la Miséricorde appelle l’Eglise à entrer toujours davantage dans la profondeur trinitaire du Cœur de Jésus ». Et à propos de la Fête de la divine Miséricorde, 2ème dimanche de Pâques : « Plutôt qu’une fête du Cœur de Jésus comme tel, on pourrait dire que la fête de la Miséricorde est la fête du « Cœur » de la Trinité toute entière... » (Ibid.). Ici, nous retrouvons le thème du Jubilé « shabbatique » (chapitre I et II de notre article) qui était en même temps « année de la Sainte Trinité ». « L’année sainte devra être un chant unique, ininterrompu, de louange à la Trinité, Dieu Suprême » (Jean-Paul II, Bulle d’indiction du grand Jubilé de l’An 2000, n°3).

Le « Cœur » trinitaire

Lorsqu’on lit le premier chapitre de la Genèse, à la lumière de notre foi en la Sainte Trinité, on découvre déjà en filigrane la présence mystérieuse des trois Personnes divines à l’œuvre dans la Création. L’Esprit Créateur (le « Vent de Dieu ») tournoie au-dessus des eaux primordiales, prêt à fondre sur le chaos initial pour donner organisation et vie. La présence du Père et du Fils se déchiffre dans les paroles : « Dieu dit ». Dieu (le Père) crée par sa Parole, le Verbe « par qui tout a été fait » (103). Et si l’on applique le principe des « appropriations trinitaires » selon Saint Thomas d’Aquin, on peut attribuer à l’Esprit Saint la « confirmation » de la bonté de l’œuvre créatrice, qui revient comme un refrain : « Dieu vit que cela était bon » (104).
Tout au long des premiers versets de la Genèse, l’acte créateur de Dieu se présente comme un décret divin : « que la lumière soit... qu’il y ait un firmament... qu’il y ait des luminaires... ; et il en fut ainsi ». Dieu dit et cela est. Dans toute cette étape du récit, la Parole de Dieu fait exister les choses, semble-t-il, « à l’extérieur » de Lui – ad extra. Mais à partir du verset 26, pour la création de l’homme, l’expression change : « Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance... ». Non plus un décret qui produit quelque chose « d’extérieur », mais l’impression d’une insondable « intériorité ». Il y a pour la première fois le Nous. Comme une délibération divine des Trois Personnes. L’homme, la créature de prédilection, reflet de Dieu dans le monde visible, semble être le fruit d’un décret particulièrement aimant de Dieu, qui monterait des profondeurs de ce qu’il y a de plus intérieur à Lui : la communion trinitaire. Plus un « enfantement » qu’une création. Et de fait, l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu reflète comme aucune autre créature (105) ce qu’il y a de plus intime à Dieu, la communion des Trois qui sont Un et la fécondité de l’Amour divin qui donne la vie gratuitement : « homme et femme Il les créa... Ils deviennent une seule chair... « soyez féconds, multipliez » » (Gn 1 et 2).
L’homme est donc l’objet d’un amour de prédilection, l’enfant bien-aimé en qui la Sainte Trinité met toute sa joie. « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon » (Gn 1, 31). Cette exclamation retentit au sixième jour. Puis, tout de suite après dans le récit, vient la « célébration » du Shabbat qui devait être comme le couronnement de la joie du Créateur se reposant et se complaisant en son chef d’œuvre, l’homme (106).
Chaque homme est comme la créature préférée de Dieu, présent de toute éternité (cf. Eph 1, 4-5) dans le « Cœur » de Dieu, fruit de l’Amour des Trois, appelé à demeurer pour l’éternité au sein de la communion trinitaire. Et nous percevons maintenant ce grand mystère : la Sainte Trinité, en son acte de création de l’homme, accepte en quelque sorte le « risque » de livrer son « intimité » en faisant l’homme à son image et en le rendant libre responsable de cette image et ressemblance. Elle ouvre son « Cœur » et déjà se rend pour ainsi dire « vulnérable ». En effet, Elle est en Elle-même Plénitude d’être, d’amour, de vie. Elle n’est donc pas soumise à la nécessité de se donner « ad extra ». C’est par pure surabondance d’amour, par surcroît, qu’Elle désire faire participer sa créature humaine à sa Vie intime... comme par un « trop-plein du Cœur » dont l’écho humain s’exprimera par le Cœur de Jésus : « Mon divin Cœur est si débordant d’amour pour les hommes... qu’il faut qu’il le répande... » (1ère grande apparition à Marguerite-Marie). Lorsqu’on considère la création de l’homme par la Sainte Trinité, on peut presque parler déjà du début de ce mouvement de « kénose » dont parlera Ph 2, 7. Bien entendu, cette « vulnérabilité » originelle n’atteint en aucune façon – pas plus que la Passion d’ailleurs – la Plénitude de la Sainte Trinité. La célèbre icône de la Trinité de Rublev semble suggérer à la fois cette Plénitude et cette « ouverture du Cœur ». En effet, les trois personnages d’égale jeunesse ne sont pas fermés sur eux-mêmes – fermeture qui semblent s’exprimer dans certaines représentations de Bouddha –, ils se font accueillants. Sur le devant du tableau, une place encore inoccupée : l’invitation au banquet éternel offert à l’humanité, la participation à l’éternelle communion trinitaire. La Sainte Trinité qui s’ouvre, c’est déjà le « Cœur ouvert » de Dieu qui, en Jésus, sera transpercé. Le Cœur de Jésus ouvert sur la Croix est la manifestation dans l’Histoire (au sein du combat spirituel qui traverse cette Histoire marquée par le péché et par la mort) de l’ouverture éternelle du « Cœur » de Dieu, c’est-à-dire de la communion trinitaire qui se livre à sa créature de prédilection. Ainsi, par le Cœur ouvert du Fils de l’homme, la Sainte Trinité se livre à nous. Le Père nous donne son Fils ; le Fils, dans un même mouvement s’offre au Père et se livre à nous ; et par son Côté transpercé, Il nous livre l’Esprit. Le Cœur de Jésus est et sera notre demeure pour l’éternité. Rappelons les paroles de Romano Guardini, déjà citées précédemment en notes : « Le Cœur de Jésus sera l’espace qui renfermera toutes choses... Tout sera transparence, lumière... L’amour comme état permanent de la Création, l’identité de l’intérieur et de l’extérieur : voilà ce que sera le Ciel ! ». Le Cœur de Jésus sera notre demeure parce qu’identiquement « la Sainte Trinité est notre demeure » (Bienheureuse Elisabeth de la Trinité). La Sainte Trinité ne cesse de se donner éternellement à nous par le Cœur de Jésus, comme cela est symboliquement exprimé par Ap 22, 1 qui décrit en fait une vision trinitaire : « Puis l’Ange me montra le fleuve de Vie (Esprit Saint), qui jaillissait du trône de Dieu (Père) et de l’Agneau (Fils) ». Comme nous l’avons déjà dit, cette vision trinitaire est comme une transfiguration en Gloire de l’événement du Golgotha, dont Jean a été témoin (cf. Jn 19, 35-37). Cet événement du Cœur transpercé d’où jaillissent le sang et l’eau peut être considéré comme une Théophanie trinitaire « silencieuse » (107). « Tota Trinitas apparuit ».
Comment la présence et l’action de chacune des trois Personnes se laissent-elles déchiffrer dans l’événement central du Cœur ouvert ? (108) C’est ce que nous allons méditer maintenant, en essayant d’appliquer ici aussi le principe des « appropriations trinitaires » (voir note de bas de page, au début de ce paragraphe) ; c’est à dire en contemplant l’événement du Cœur ouvert, du « point de vue » du Père, puis du Fils, puis de l’Esprit Saint.

Le Père

La Parole silencieuse qu’est le transpercement du Cœur de Jésus au Golgotha exprime la Parole silencieuse du Père qui vient rejoindre tous ses enfants. Le Père parle à travers le Cœur ouvert de son Fils qui est Sa propre Parole, par Laquelle Il a tout créé. Après la chute de l’homme, Dieu n’a pas voulu abandonner celui-ci au pouvoir de la mort. Le « Cœur » du Père ne se résigne pas à la perte de sa créature de prédilection. L’appel qui se fait entendre dans le jardin, « où es-tu ? » (Gn 3, 9), peut être perçu comme le cri du « Cœur » du Père qui recherche son enfant perdu, en qui Il avait mis toute sa joie et pour qui Il avait créé le monde visible. Cet appel, « où es-tu ? », le Père le lance vers chaque enfant des homme venant en ce monde ; car chaque homme, solidaire du péché de nos premiers parents, naît dans la condition d’exilé, éloigné de Dieu depuis le bannissement hors de l’Eden (cf. Gn 3). C’est déjà pour chacun de ses enfants que le « Cœur » du Père tressaille en ce soir du jardin d’Eden. Cet appel du Père traverse toute l’Histoire humaine. Pour le regard contemplatif auquel l’Evangéliste nous invite, le Cœur transpercé du Verbe fait chair est la manifestation mystérieusement visible et silencieuse de ce long appel du Père. Le Cœur ouvert de Jésus, c’est le cri du Père, « où es-tu », qui veut rejoindre chacune de ses brebis égarées.
On peut dire aussi que le coup de lance est la manifestation visible de la blessure infligée au « Cœur » du Père par le péché des origines (et les péchés actuels). Cet aspect est commenté par un jésuite, le père Renaud, à l’occasion d’une heure sainte à la Visitation de Paray-le-Monial (je ne connais pas la date). Il analyse le verset de Za 12, 10, cité par Jn 19, 37, selon une exégèse un peu dépassée mais spirituellement profonde. Il fait remarquer à juste titre que la citation de Jn 19 diffère sur un point essentiel de Za 12 qui dit en effet : « Ils regarderont vers moi ». C’est ensuite que Zacharie écrit : « Celui qu’ils ont transpercé, ils feront sur lui un deuil... ». En écrivant directement « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé », Jean veut signifier, selon l’auteur, que Jésus en Croix rend particulièrement visible le Père blessé par le péché. Là aussi se réalise la parole dite à Philippe : « Qui me voit, voit le Père » (Jn 14). Le Père désigné par le moi de Za 12, ne fait plus qu’un, en Jn 19, avec celui qu’ils ont transpercé.

Le Cœur ouvert, c’est aussi la parfaite réponse du bon Pasteur (cf. Jn 10) qui va à la recherche de ses brebis pour les ramener vers le Père.

Le Fils

A l’appel du Père, « où es-tu ? », répond la Parole du Fils : « En entrant dans le monde, le Christ dit : « ... tu m’as façonné un corps... alors j’ai dit : Voici, je viens... pour faire, ô Dieu, ta Volonté » » (He 10, 5...7). Le Cœur de Jésus est le lieu de la réponse à l’appel du Père, réponse silencieuse qu’Il donne au nom de l’Humanité. Et sa réponse, c’est l’Eglise, son Corps mystique, née de son Côté par le jaillissement du sang et de l’eau et qui fait de nous des enfants de Dieu, par les sacrements.
Le Cœur ouvert de Jésus, sur le Golgotha, révèle en la rendant symboliquement visible l’attitude intérieure et permanente de son Cœur filial depuis le tout premier moment de l’Incarnation, attitude exprimée par la lettre aux Hébreux déjà citée : « Voici, je viens... pour faire, ô Dieu, ta Volonté ». Cette attitude se définit par le terme théologique de la Pro-Existence. La Pro-Existence du Christ signifie que toute sa vie ici-bas a été une existence pour... une vie entièrement donnée pour les autres. Pour l’accomplissement de la Volonté du Père et pour le salut de chacun de nous. Existence uniquement ouverte à l’autre : « Car le Christ n’a pas recherché ce qui lui plaisait » (Rm 15, 3). Son Cœur est le seul cœur humain (avec celui de Marie, par grâce unique de participation) totalement et sans restriction ouvert aux autres (109). Cette ouverture du cœur lui donne la capacité d’accueillir pleinement toute la réalité de l’existence humaine blessée par le péché et par ses conséquences. « Lui-même connaissait ce qu’il y avait dans l’homme » (Jn 2, 25). Il connaissait... et Il a voulu se laisser atteindre jusqu’en son Cœur de chair par tout ce qui fait la vie de l’homme blessé. Son Cœur, totalement et sans cesse accueillant à la réalité humaine, a été atteint – à une profondeur que nous sommes incapables de concevoir – tout au long de sa vie terrestre, par tout ce qui, en nous et dans le monde, s’oppose à la Volonté et à l’Amour du Père. La Croix et la couronne d’épines sont présentes dès le premier instant de l’Incarnation (110). Cette ouverture du Cœur du Fils, qui en fait dans un sens le cœur humain le plus vulnérable (111), se dévoile aux yeux de l’Evangéliste et du croyant par le transpercement du Vendredi Saint. Le Cœur ouvert de Jésus est la manifestation et la confirmation définitive de sa réponse filiale initiale (He 10, 5...7, citée plus haut). C’est la réponse de son Cœur Pro-Existant.

L’Etreinte

En fait, le Cœur de Jésus est le véritable lieu spirituel de la parabole du fils perdu revenant vers le Père (Lc 15). Jésus, le Fils Unique qui est sans péché, doux et humble de cœur (Mt 11), a voulu prendre la place du fils cadet égaré (Adam et sa malheureuse descendance), et l’a rejoint dans sa condition d’exilé, au plus profond de sa détresse ; et Il a endossé son vêtement de misère. Nous étions incapables de revenir au Père. Le Christ qui a été identifié à notre péché (cf. Rm 8, 3 et 2 Co 5, 21) pouvait seul présenter au Père l’acte de parfaite repentance et ramener, par sa montée à Jérusalem et par sa Croix, l’Humanité défigurée à la maison paternelle. Le père de la parabole qui scrute l’horizon et attend chaque jour le retour du prodigue est une image du Père dont l’appel, « où es-tu ? », traverse les siècles. C’est par Jésus que s’effectuent le retour et la réponse. Le Cœur de Jésus est par excellence le lieu de l’étreinte du père et du fils de la parabole... parce qu’Il est le lieu de l’appel et de la réponse. C’est par le Cœur ouvert de Jésus que le Père étreint la multitude de ses fils perdus et retrouvés. « Un des soldats, de sa lance, lui perça le côté, et il sortit aussitôt du sang et de l’eau » (Jn 19, 34). Le sang, qui rappelle l’Incarnation et la Passion de la deuxième Personne de la Trinité, symbolise – toujours en référence à la parabole de Lc 15 – la blessure de l’Humanité que Jésus vient sauver en acceptant de souffrir jusqu’aux plus extrêmes conséquences du péché. Et l’eau mentionnée dans ce même verset – signe anticipé de la Résurrection – symbolise la consolation divine qui se répand et qui vient rejoindre cette Humanité blessée. Le jaillissement immédiat du sang et de l’eau (« aussitôt ») exprime la « hâte » du Père qui « court se jeter à notre cou et nous embrasse tendrement » (Lc 15, 20). Et la mention, dans un même verset, du sang (blessure de l’Humanité) et de l’eau (consolation divine), jaillissant de façon quasi simultanée, exprime « sacramentellement » cette étreinte des retrouvailles.
Ainsi, le Cœur du Christ qui est le « tabernacle » de l’union, en Lui-même, des deux natures (humaine et divine) (112) et de l’union du Fils au Père, devient – par son ouverture au seuil du Shabbat, le Vendredi soir – le sanctuaire de l’union de tous les hommes au Père, dans l’Esprit. Son Cœur est la Porte Sainte du grand Banquet shabbatique, de la salle des noces éternelles (cf. Mt 25 et Ap 19) où Dieu reçoit l’Humanité comme une fiancée pour le Shabbat qui n’aura pas de fin... Banquet shabbatique dont le festin de la parabole de Lc 15 est l’annonce.

Le Cœur du Grand Prêtre

La salle des noces éternelles et du Banquet shabbatique, c’est le Cœur du Rédempteur, comme le signifient les paroles de Romano Guardini citées ci-dessus ; c’est identiquement la Jérusalem du Ciel décrite par Ap 21, 12-21. En fait, la description de la ville en ces versets est directement inspirée de la description du pectoral du grand prêtre Aaron, en Ex 28, 15-30 (cf. aussi 39, 8-21). On y retrouve le nom des pierres précieuses, la mention des douze tribus d’Israël. Mais il y a surtout le très riche contenu prophétique d’Ex 28, 29-30 : « Ainsi Aaron portera les noms des Israélites sur le pectoral du jugement, sur son cœur, quand il entrera dans le sanctuaire, comme mémorial devant le Seigneur, toujours... Aaron portera sur son cœur le jugement des Israélites devant le Seigneur, toujours ». Le cœur du grand prêtre Aaron annonce le Cœur du Grand Prêtre de la Nouvelle Alliance qui porte les douze tribus d’Israël (Ap 21,12), accomplies dans la plénitude de l’Eglise fondée sur les douze Apôtres de l’Agneau (Ap 21, 14). Le Cœur de Jésus, dans la perspective eschatologique (exprimée ci-dessus par Guardini), est identiquement le Royaume, l’Eglise en son achèvement plénier, la Jérusalem d’en haut – dont l’Agneau est le flambeau (cf. Ap 21, 23). Et la permanence, depuis le coup de lance, de l’ouverture désormais éternelle du Cœur, est signifiée par la grandiose vision de Gloire de la Ville dont les « portes resteront ouvertes le jour - car il n’y aura pas de nuit » (Ap 21, 25). Et c’est précisément de cette Ville ouverte que jaillit le fleuve de Vie, limpide comme du cristal (Ap 22, 1) (113), transposition glorieuse de l’eau qui jaillit du Cœur ouvert (Jn 19), et symbole de l’Esprit Saint dont nous parlons maintenant.

L’Esprit Saint

Le jaillissement immédiat du sang et de l’eau exprime la « hâte » du Père qui accourt pour nous étreindre, disions-nous. Or, cette étreinte, c’est l’Esprit Saint Lui-même, symbolisé par l’eau du Côté... Lui qui, dans la Vie intra-trinitaire, en tant qu’Amour commun du Père et du Fils, est leur éternelle « étreinte ». Le jaillissement du sang et de l’eau exprime donc aussi la « hâte » de l’Esprit Consolateur qui vient « essuyer toute larme des yeux » de notre humanité blessée (cf. Ap 21, 4). Cette « hâte » que nous pourrions décrire comme la « sainte impatience » de l’Esprit Saint, l’impatience de l’Amour, s’exprime dès le tout début du récit de la Création, où l’on voit l’Esprit virevolter au-dessus des eaux originelles, prêt à fondre sur le chaos initial pour donner organisation et vie aux éléments. Et « Dieu vit que cela était bon ». C’est dans l’Esprit Saint que Dieu se réjouit en ses œuvres (toujours selon le principe des appropriations trinitaires). C’est comme s’il revenait à l’Esprit qui, au sein de la Vie Trinitaire, en tant que troisième Personne, n’est pas Principe mais plutôt « Achèvement », de confirmer la bonté de l’œuvre du Père par le Fils, et d’être comme l’expression privilégiée de la joie des Trois (114). C’est par ce même Esprit, insufflé dans les narines du premier homme (l’haleine de vie), que celui-ci devint un être vivant (cf. Gn 2, 7), c’est à dire la créature de prédilection parce qu’image de Dieu. Image et ressemblance imprimées par l’Esprit... On peut donc attribuer à l’Esprit – qui est Don, Fécondité et Achèvement – en tant qu’Il imprime le sceau divin sur sa créature, une proximité particulière avec la Création et tout spécialement avec l’homme ; « Dieu vit tout ce qu’Il avait fait : cela était très bon » (Gn 1, 31) (115). Et c’est précisément parce que l’Esprit se « réjouit en premier » de la beauté de sa créature humaine qui fait la joie de Dieu, qu’Il est, en quelque sorte, le « premier contristé » (cf. Eph 4, 30) par le péché des origines. Il y a, après la chute, comme un gémissement de l’Esprit (cf. Rm 8, 26), à qui on pourrait aussi attribuer l’appel « où es-tu ? ». Le Cœur ouvert, c’est le gémissement silencieux de l’Esprit – signifié par l’eau qui sort du Côté – qui désire ardemment réintroduire tous ses enfants dans la communion trinitaire. Vu sous cet angle, le « où es-tu ? » devient gémissement presque maternel. L’Esprit qui avait fait sa demeure de façon « inchoative » en l’homme, par l’haleine de vie, est comme chassé de son lieu de prédilection. Si l’on prend ce point de vue, on peut alors considérer l’Esprit Saint comme le premier « moteur » du Salut, en ce sens qu’Il prendrait « l’initiative » de la Rédemption. Dans ce scénario de l’Histoire de la Rédemption, c’est comme si l’Esprit, dans sa sainte impatience, poussait le Fils à s’offrir au Père (116), et poussait le Père à accepter l’offrande du Fils. L’Esprit qui est contristé pousse le Fils à « consoler » le Père. Il y a comme une urgence de l’action de l’Esprit. On Le voit puissamment à l’œuvre dans l’Histoire d’Israël, à travers les théophanies ou à travers les symboles comme la nuée et la colonne de feu qui guident le Peuple dans le désert, comme aussi à travers l’onction que reçoivent certains personnages bibliques (exemple : David, dont on nous dit que l’Esprit du Seigneur fondit sur lui, I Sm 16, 13), et le Credo nous enseigne que c’est Lui qui a parlé par les Prophètes. On déchiffre surtout l’ardeur de son « désir » rédempteur dans le Nouveau Testament, et plus particulièrement chez Luc, l’Evangéliste de l’Esprit Saint, qui est aussi l’auteur du livre des Actes des Apôtres (dont le centre de gravité est l’événement de la Pentecôte). C’est par sa Puissance que s’opère l’Incarnation ; « L’Esprit Saint viendra sur toi... » (Lc 1). L’Incarnation est l’œuvre de l’Esprit Saint. Puis Il s’exprime par le tressaillement du petit Jean le Baptiste, encore dans le sein de sa mère, et par l’exclamation de celle-ci remplie d’Esprit Saint (Lc 1), ainsi que par l’exultation de Marie (Magnificat). Il remplit de sa Puissance Zacharie qui retrouve la parole (Benedictus, Lc 1). C’est poussé par l’Esprit que le vieillard Syméon vient au Temple pour y accueillir l’Enfant Messie (Lc 2). Plus tard, Jean le Baptiste annoncera les temps messianiques caractérisés par le baptême dans l’Esprit Saint et le feu (Lc 3, 16). L’Esprit Saint descend sur Jésus, sous la forme de la colombe, lors du Baptême au Jourdain, faisant en quelque sorte le lien entre la voix du Père qui se fait entendre et le Fils incarné (Lc 3) (117). Et c’est surtout à partir de ce moment qu’on perçoit cette « sainte impatience » de la troisième Personne de la Trinité qui semble dorénavant conduire toutes choses. Aussitôt après le Baptême, « Jésus, rempli d’Esprit Saint, revint du Jourdain et Il était mené par l’Esprit à travers le désert... tenté par le diable » (Lc 4, 1-2). Après sa victoire sur Satan, « Jésus retourna en Galilée, avec la puissance de l’Esprit... » (Lc 4, 14). Et c’est là qu’Il arrive à la synagogue de Nazareth où Il proclame la prophétie d’Isaïe qui, précisément, annonce l’onction de l’Esprit qui doit recouvrir le Messie d’Israël : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’Il m’a consacré par l’onction... » (Lc 4, 18) (118). C’est dans la Puissance de l’Esprit que Jésus enseigne, opère tous ses signes et prodiges, et qu’Il accomplit jour après jour sa mission dont les premiers fruits le font tressaillir de joie sous l’action de l’Esprit Saint (Lc 10, 21). Cet élan irrésistible qui est celui de la troisième Personne de la Trinité traverse tout l’Evangile... comme si l’Esprit n’avait de cesse que « l’heure » n’arrive, que tout ne soit enfin « achevé ». L’Esprit, dont le propre est d’être l’Amour du Père pour le Fils et du Fils pour le Père, se manifeste dans cette « hâte » qu’Il a de vouloir rassembler et réintégrer toute l’Humanité au plus intime de la relation des Trois. Et Il est, encore une fois, comme le premier « moteur » du dynamisme de la Rédemption, qui entraîne le Fils vers cette heure du « sang du Christ, qui par un Esprit éternel s’est offert Lui-même sans tache à Dieu... » (He 9, 14). Et c’est lorsque le Christ, par l’effusion de son sang sur la Croix, fait advenir l’achèvement de l’œuvre que le Père lui a donné d’accomplir, que l’Esprit peut enfin être remis (cf. Jn 19, 30), et se manifester dans le mystère silencieux de l’eau qui jaillit du Côté. Par le Cœur ouvert – lieu de l’appel du Père et de la réponse du Fils, comme nous l’avons dit – l’Esprit qui procède du Père et du Fils fait silencieusement irruption dans le monde et opère toute chose nouvelle, selon le « Cœur » de Dieu. L’Esprit Créateur de Gn 1 devient l’Esprit Recréateur de la Nouvelle Création (119). L’ouverture du Cœur du Christ signe l’avènement de l’effusion de l’Esprit Saint, signifiée par l’eau qui arrose le Jardin et qui permet à Dieu de modeler l’homme nouveau (cf. Gn 2, 10 et 7). Cette irruption de l’Esprit se manifestera puissamment dans l’« épiphanie » de la Pentecôte, déjà signifiée par l’eau du Côté : « De son sein couleront des fleuves d’eau vive. Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en Lui... » (Jn 7, 38-39) (120)... cet Esprit qui nous rend fils de Dieu dans le Fils (cf. Gal 4, 6). Ainsi, vue sous cet angle, l’Histoire du Salut pourrait être évoquée comme l’immense mouvement par lequel l’Esprit Missionnaire s’élance « hors » du « Cœur » de la Vie intra-trinitaire, et, passant par le Cœur ouvert de Jésus, vient rejoindre les hommes dispersés par le péché pour les entraîner (dans le Fils) à nouveau vers leur vraie demeure... immense mouvement analogue au « flux et reflux » de la marée (121).

Si le sang jailli du Côté est en quelque sorte le signe distinctif du Fils, l’eau est le signe distinctif de l’Esprit (122). Et cette eau marque le début de « ce Shabbat (qui) était un grand jour » (Jn 19). Il y a donc une relation particulière entre l’Esprit Saint et le Shabbat.

L’Esprit Saint, Maître du Shabbat

L’Esprit Saint, symbolisé par cette eau de Jn 19, peut être considérée comme la Personne « shabbatique » par excellence. C’est Lui qui, après la création de l’homme, avait « dit » : « Cela était très bon », et Il devait être pour ainsi dire le repos de Dieu en ses œuvres, au septième Jour (123) ; et c’est Lui qui avait été contristé – comme nous l’avons dit, toujours selon le principe des appropriations – par la chute de nos premiers parents. Au soir du Vendredi Saint, l’Esprit peut à nouveau dire : « Cela (est) très bon », car en accomplissant la Rédemption (réalisée par le Fils), Il fait entrer l’homme dans le repos de Dieu, et permet à Dieu de demeurer en l’homme... Dieu-avec-eux (cf. Ap 21, 3). L’Esprit Saint est donc le « Shabbat » de Dieu et de l’homme. Il achève dans le temps l’œuvre du Fils pour lui conférer toute sa plénitude ; c’est Lui qui mène à son accomplissement la dernière Parole « c’est achevé » (Jn 19, 30) prononcée par le Fils. Celui-ci ayant dit cette Parole inclina la tête et remit l’Esprit qui prend pour ainsi dire le relai : « L’Esprit Saint... vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26) ; « Quand Il viendra, Lui, l’Esprit de vérité, Il vous introduira dans la vérité tout entière ; car Il ne parlera pas de Lui-même, mais ce qu’Il entendra, Il le dira... Lui me glorifiera, car c’est de mon bien qu’Il recevra et Il vous le dévoilera » (Jn 16, 13-14). L’Esprit Saint est comme « l’achèvement de l’achèvement » (réalisé par le Fils), selon la doctrine de la constitution Lumen Gentium (Vatican II) reprise par la Prière Eucharistique IV : « Afin que notre vie ne soit plus à nous-mêmes, mais à Lui (le Christ) qui est mort et ressuscité pour nous, Il a envoyé d’auprès de Toi, comme premier don fait aux croyants, l’Esprit qui poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification ». Cet achèvement par l’Esprit Saint qui, au terme de l’Histoire, doit déboucher sur le Shabbat eschatologique (cf. Ap 22, 17).
Et dans cette même Prière Eucharistique, tout de suite après, nous avons les paroles de la consécration : « Que ce même Esprit Saint, nous t’en prions, Seigneur, sanctifie ces offrandes... ». L’Esprit Saint opère dans la consécration eucharistique comme Il avait naguère opéré dans le mystère de l’Incarnation, et plus tard, dans la naissance de l’Eglise, née du Côté ouvert et puissamment manifestée à la Pentecôte. Là encore, toujours selon le point de vue étudié dans ce paragraphe, Il est le principal Artisan de la dynamique de la Rédemption. Il fait croître l’Eglise, dont Il est l’âme (Vatican II), jusqu’à sa Plénitude. En même temps, Il fait de chacun de nous son temple, Il forme le Christ en nous, Il nous configure de plus en plus à Lui. Il nous divinise... « Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta Gloire... » (Prière Eucharistique III).
Cette mission d’achèvement de l’Esprit Saint, dans l’Histoire du Salut, est déjà inscrite dans le mystère de la Vie trinitaire en laquelle, comme nous l’avons évoqué précédemment, la troisième Personne n’est pas Principe mais Achèvement (124). L’Esprit se reçoit totalement du Père et du Fils. Il est l’Unité des Deux. C’est par l’Esprit Saint que le Père repose dans le Fils et le Fils dans le Père. De ce fait l’Esprit Saint peut être considéré comme la « personnification » divine du Shabbat. Car dans le mystère éternel de la Sainte Trinité, ad intra, Il « achève » l’Amour du Père et du Fils. Et dans le mystère de la Rédemption, ad extra (125), cela se traduit par le fait que l’Esprit Saint est l’Artisan de l’union de l’homme à Dieu, du repos de Dieu en l’homme et du repos de l’homme en Dieu – cela, au plus haut point, dans l’Incarnation, et maintenant dans l’Eucharistie.

Le Fleuve d’eau vive limpide comme du cristal

L’immense « trajectoire » de l’Esprit Saint ! Du premier chapitre de la Genèse au dernier chapitre de l’Apocalypse. Elle part de la première mention de l’Esprit, présent au dessus des eaux primordiales, et déjà située, comme nous l’avons étudié, dans le contexte trinitaire de l’acte créateur de Dieu. Cette trajectoire nous fait contempler ensuite le mouvement de l’Esprit, « missionnaire » du Père et du Fils, qui semble s’élancer dans toute l’épaisseur de l’Histoire, pour entraîner l’Humanité, et à travers elle toute la Création (cf. Rm 8) dans la circulation de l’Amour des Trois... trajectoire qui débouche et culmine sur cette vision de Gloire de Ap 22, 1, qui nous fait pénétrer à nouveau dans un contexte (eschatologique) trinitaire (cf. premier paragraphe de ce chapitre).

Nous avons beaucoup privilégié le symbole de l’eau et nous y reviendrons une dernière fois, mais il nous faut avoir brièvement recours à deux des autres principaux symboles bibliques de l’Esprit Saint pour en décrire l’impétuosité dans l’œuvre de la Création et celle de la Rédemption. Le Souffle : un seul et unique souffle qui se manifeste sous différents degrés symboliques... le Vent de Dieu qui tournoie au-dessus des eaux primordiales (Gn 1) – eaux à nouveau symbolisées, comme nous l’avons indiqué en note, par les eaux du déluge et, plus tard, de la mer rouge ; l’haleine de Vie insufflée dans les narines de l’homme qui devient un être vivant (Gn 2) ; le vent sur la terre que Dieu fit passer pour que les eaux du déluge désenflent (Gn 8) ; le fort vent d’est qui chasse les eaux de la mer rouge (Ex 14) ; l’Esprit qui souffle sur les ossements desséchés (Ez 37) ; il y a, sous-entendu, le dernier souffle de Jésus qui remet l’Esprit (Jn 19) ; puis Jésus ressuscité qui souffle sur ses disciples en leur disant « recevez l’Esprit Saint » (Jn 20) comme signe d’une nouvelle création grâce à l’« enlèvement » des péchés qui ont fait de la première création une sorte de « nouveau » chaos initial ; et enfin, le coup de vent impétueux qui remplit la maison à la Pentecôte (Ac 2). Le Feu : « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu » disait Jean le Baptiste (Lc 3). Ce feu est symbolisé, entre autres, par les grandes théophanies décrites dans le livre de l’Exode (le feu sur la montagne du Sinaï et la Colonne de feu dans le désert, sans oublier le Buisson ardent vu par Moïse) ; Jésus nous parle de ce feu qu’Il est venu jeter sur la terre et qu’Il voudrait déjà voir allumé (Lc 12) ; ce feu qui consume le Cœur de Jésus n’est autre que l’Esprit Saint qu’Il enverra d’auprès du Père, sous forme de langues de feu à la Pentecôte (Ac 2) ; c’est ce même feu que percevra Marguerite-Marie à Paray-le-Monial, décrivant le Cœur de Jésus comme une « fournaise ardente » d’amour. Jean-Paul II, méditant sur l’invocation des litanies du Sacré-Cœur « Cœur de Jésus, fournaise ardente de charité » y voit comme un accomplissement du Buisson ardent (Ex 3) qui ne se consumait pas et identifie cette flamme à l’Esprit Saint : « L’amour qui brûle dans le Cœur de Jésus est surtout l’Esprit Saint, dans lequel le Dieu-Fils s’unit éternellement au Père. Le Cœur de Jésus, le Cœur humain de Dieu-Homme, est étreint par la « vive flamme » de l’Amour trinitaire, qui ne s’éteint jamais » (Angélus). Et, dans une perspective eschatologique cette fois, il faut mentionner les paroles de la deuxième lettre de Pierre qui rappellent d’abord les eaux primordiales et celles du déluge (2 P 3, 5-6) et ensuite nous dit que « les cieux et la terre d’à présent, la même parole les a mis de côté et en réserve pour le feu, en vue du jour du Jugement ... » (2 P 3, 7 ; cf. aussi verset 10) (126).
L’Eau : nous y revenons ! Car, à cause de Jn 19, 34, c’est le symbole le plus essentiel. Comme pour la conclusion d’une symphonie accumulant une dernière fois tous les thèmes précédents pour les faire déboucher sur une grande finale, il nous faut encore une fois survoler et embrasser – avec le regard d’aigle qui est celui du quatrième Evangéliste – le parcours immense de ce fleuve toujours grandissant, qui symbolise l’Esprit Saint et aussi l’Eglise sans cesse irriguée par Lui (cf. Ez 47), et qui débouche dans l’océan de la Gloire. Ce fleuve a son centre et sa véritable source dans l’eau qui jaillit du Côté et qui, à travers ses multiples ramifications, donne tout son sens à l’« avant » et à l’« après ». Nous faisons donc mémoire de l’eau qui couvre la surface du sol et qui l’humidifie pour permettre la création de l’homme avec la glaise ; nous faisons aussi mémoire du fleuve qui coule en Eden, se partageant en quatre bras (Gn 2). Puis il y a l’épisode du rocher dans le désert, frappé par le bâton de Moïse et qui donne l’eau jaillissante pour désaltérer le Peuple en marche vers la Terre promise (Ex 17). Quant au célèbre passage d’Ez 47, 1-12 (la source qui coule du côté droit du Temple et qui devient un fleuve infranchissable), c’est la synthèse prophétique la plus importante, qui donne (par avance) un éclairage définitif sur Jn 19, 34 (l’eau qui sort du Côté ouvert du « nouveau Sanctuaire », cf. Jn 2, 19-22) conjugué avec Jn 7, 37-39 (« De son sein couleront des fleuves d’eau vive... Il parlait de l’Esprit Saint... ») (127).
Et nous en arrivons au centre le plus secret et le plus dense de cette « symphonie », à l’instar de ces passages musicaux qui accentuent le mystère en commençant dans un pianissimo presque imperceptible et qui peu à peu, à travers un immense crescendo, conduisent l’auditeur à une sorte de glorification du thème qui déploie à ce moment-là toutes ses potentialités. Cette musique secrète, nous l’avons longuement écoutée au chapitre III. Ici, nous ne faisons que la ressaisir : « un des soldats, de sa lance, lui perça (ou lui ouvrit) le côté, et il sortit aussitôt du sang et de l’eau » (Jn 19, 34). L’eau, ici comme une source cachée, qui est prémices de la Résurrection, se révèle être identiquement ces fleuves d’eau vive de l’effusion de l’Esprit Saint à la Pentecôte (cf. Jn 7, 37-39). L’eau qui arrose le jardin de la nouvelle Genèse, c’est déjà la Pentecôte inaugurée dans le secret de la naissance mystique de l’Eglise. Moment central dans la trajectoire de l’Esprit Saint, sujet de ce paragraphe.
La Pentecôte est le premier point culminant de cette trajectoire, la plénitude du Don du Père et du Fils, fruit de l’acte pascal de ce dernier (128). Premier point culminant et nouvelle étape où s’exprime là encore cette « sainte impatience », cette hâte de l’Esprit : édification et prodigieuse croissance de l’Eglise, annonce de la Bonne Nouvelle qui commence à sillonner le monde... La vision d’Ez 47 se réalise ; la source cachée qui s’origine dans le nouveau Temple (Jn 19, 34), symbolisant la vie baptismale dans l’Esprit, devient par la grâce pentecostale ce fleuve immense qui assainit et donne vie partout où il passe.
L’Esprit – toujours vu ici sous l’angle des « appropriations » trinitaires – pousse désormais l’Eglise comme Il avait poussé Jésus vers le plein achèvement (Shabbat) de la Rédemption. Il est ce fleuve d’Ez 47, qui relie la source rédemptrice du Cœur ouvert (premier achèvement de la Rédemption, Jn 19) au fleuve éternel d’Ap 22 (achèvement total). Il agit par les sacrements, au plus haut point dans l’Eucharistie. Il est l’âme de l’Eglise et demeure dans les baptisés comme en un sanctuaire (cf. 1 Co 3, 16). Il intercède pour nous en des gémissements ineffables (Rm 8, 26) et fait participer – dans ces mêmes gémissements – la Création elle-même à l’aspiration des enfants de Dieu qui attendent la délivrance et la glorification (Rm 8, 19-23). Il est comme le désir personnifié de l’Eglise et du croyant qui tendent vers la Consommation shabbatique et eschatologique : « L’Esprit et l’Epouse disent : « Viens! » » (Ap 22, 17) (129). Il est ainsi comme le « dialogue » personnifié de la Bien-Aimée et du Bien-Aimé du Cantique. Artisan de notre divinisation, Il est Fleuve et Océan (130) de l’Eternité shabbatique, dont la source est – l’Ecriture inspirée ne cesse de nous le confirmer de multiples manières, pour nourrir notre contemplation – l’eau du Côté qui irrigue le Jardin de la nouvelle Genèse : « J’ai dit : « Je vais arroser mon jardin, je vais irriguer mes parterres. » Et voici que mon canal est devenu fleuve et le fleuve est devenu mer » (Sir 24, 31) (131).

En effet, les eaux du chaos initial – devenus eaux de la purification au déluge et à la mer rouge – sont maintenant devenus les eaux éternelles du repos shabbatique. « Sur des prés d’herbe fraîche il me fait reposer. Vers les eaux du repos il me mène » (Ps 23 (22)). Ces eaux du repos shabbatique qui sortent du Cœur de Jésus sont celles que Ap 7, 17 nous révèlent : « L’Agneau qui se tient au milieu du trône sera leur pasteur et les conduira aux sources des eaux de la vie ». L’Esprit Saint qui était la joie de Dieu lors de la Création – « Dieu vit... cela était très bon » – est maintenant la joie de Dieu et de l’Eglise ; c’est Lui qui fait l’unité indissoluble de la Tête et du Corps, de l’Epoux et de l’Epouse, de l’homme (qui, s’étant séparé de son Créateur, n’était pas entré dans son Shabbat originel, cf. chapitre III) et de Dieu ; c’est Lui qui maintenant fait entrer Dieu et l’Humanité (et avec elle toute la Création) ensemble dans le repos shabbatique. Il est ce « fleuve dont les bras réjouissent la ville de Dieu, la plus sainte des demeures du Très-Haut » (Ps 46 (45), 5). Lui qui est l’« étreinte », comme nous l’avons dit, du Père et du Fils, Il nous réintroduit dans cette étreinte divine (symbolisée par les bras du fleuve, Ps 46 cité ci-dessus), en étant le « baiser » du Père et du Fils pour nous. Ce « baiser » (cf. Ct 1, 2) est celui de la Consommation shabbatique, par laquelle Dieu est enfin tout en tous (1 Co 15, 28). « Le trône de Dieu et de l’Agneau sera dressé dans la ville, et les serviteurs de Dieu l’adoreront, ils verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts » (Ap 22, 3-4). Le Shabbat éternel est accompli. L’homme est entraîné par la « marée » de l’Esprit Saint, fleuve de vie limpide comme du cristal (Ap 22), dans l’immense mouvement de « reflux » qui nous ramène au « Cœur » de la Sainte Trinité – à cette quatrième place de l’icône dont nous avons parlé –, entraînant à son tour avec lui toute la Création renouvelée. L’homme entre dans la joie et le repos de Dieu pour la célébration éternelle de ce Shabbat qui était un grand jour (Jn 19) et qui est désormais un Grand Jour sans couchant : « De nuit, il n’y en aura plus ; ils se passeront de lampe ou de soleil pour s’éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux la lumière, et ils régneront pour les siècles des siècles » (Ap 22, 5). Ils régneront dans le Temple éternel qui n’est autre que le Cœur ouvert de l’Agneau (132) : « Le Seigneur, le Dieu Maître-de-tout, est son temple, ainsi que l’Agneau » (Ap 21, 22). Dieu tout en tous... Shabbat éternel. « Ivres de joie, vous puiserez les eaux aux sources du salut » (Is 12, 3).
Car ce Shabbat était un grand jour (Jn 19, 31).

Père Jean-Rodolphe Kars
Chapelain à Paray-le-Monial
Paray-le-Monial
Janvier 2004

Note : cet article est appelé à évoluer et à connaître des développements ultérieurs au fil des mois et des années à venir, avec l’apport de nouveaux éléments. Pour la publication en entier ou en partie, il sera sans doute nécessaire de procéder à des modifications. Cependant, malgré toutes ses maladresses et ses lourdeurs, c’est cette première version que je privilégie car elle correspond à l’inspiration initiale reçue au cours du Jubilé de l’An 2000.


NOTES ANNEXES

Notes diverses, suite à des réflexions exprimées par des personnes ayant lu le texte.


*** Le Père Martin Pradère, entretien du 24 mai 2004 :

- Remise en question de la note 10 de bas de page (dans paragraphe « Jardin de la nouvelle Genèse »), sur le péché « quasi immédiat » de nos premiers parents. Même réserve sur mon affirmation sur l’Histoire « laquelle ‘commence’ à proprement parler avec le récit de la Chute et de ses conséquences » (paragraphe « L’accomplissement du Shabbat originel »). Il semble qu’il faille corriger cette affirmation qui n’irait pas dans le sens de la Tradition (St Irénée, e.a.). En ce qui concerne le choix des anges, leur premier acte (qui est en même temps leur « dernier » acte) est définitif. En ce qui concerne l’homme : de même que son choix originel ne peut avoir le caractère définitif du choix angélique (il y a possibilité de repentir et de Rédemption) - tout cela, je l’avais bien compris - de même il semblerait qu’on puisse concevoir une évolution à l’intérieur d’un premier choix qui aurait été positif. On ne pourrait reléguer l’innocence originelle du 1er couple purement et simplement dans la protologie et dans le seul domaine du plan originel de Dieu. Le fait que l’homme donne un nom aux animaux puis « choisit » dans la joie celle qui vient d’être créée à partir de son côté, reconnaissant en elle « l’aide parfaitement assortie » (Gn 2), ce fait doit déjà être considéré comme un acte de liberté en réponse à la proposition de Dieu, et donc faisant déjà partie de l’Histoire. Certes, l’union de nos premiers parents ne sera consommée qu’après la chute (cf. Gn 4, 1), mais la réalité du mariage est déjà présente en Gn 2 (« Ils n’avaient point honte… »). Selon Martin, et probablement selon la Tradition, il y a pu avoir un premier temps d’harmonie et de soumission à Dieu de la part du 1er couple (même si on peut concevoir que ce temps a pu être relativement bref (133)), et que, contrairement aux anges, ce temps n’établissait pas nécessairement nos premiers parents dans un état définitif, mais que la loi de la croissance propre à l’homme joue aussi dans ce cas. Ils ont pu vivre ce premier temps comme des enfants qui ne songeraient même pas à ne pas faire confiance à leurs parents. Et à un moment de leur croissance, dans un espace de liberté (épreuve permise par Dieu), la Tentation du Serpent (Satan), s’est insinuée et ils ont pu douter de l’amour de Dieu (comme analogiquement des adolescents pourraient remettre en cause leur confiance en leurs parents). J’avoue que je n’avais pas envisagé cette opinion qui se défend théologiquement (134).

- Deuxième réserve, - qui découle en partie de la première - : la méditation sur le Shabbat qui, dans un premier temps, ne se serait pas accompli selon le plan originel de Dieu à cause du péché de l’homme (paragraphe « L’accomplissement du Shabbat originel »). Martin est d’accord avec l’affirmation du caractère englobant du 1er récit de la Création, et donc le sens englobant de ce 1er Shabbat, mais trouverait plus simple et plus « pacifiant » de se contenter de dire que ce Shabbat originel s’accomplit en vérité dans le Christ, en Jn 19. De même que la vocation de l’homme et de la femme dans le mariage, telle qu’elle est exprimée en Gn 2 (« C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère… ») trouve son véritable accomplissement dans le Christ et dans l’Eglise (Eph 5). Je peux cependant nourrir la méditation sur l’ « inachèvement » du 1er Shabbat comme je le fais, à condition de préciser qu’il s’agit davantage d’un sens midrashique que d’un sens théologique. Cependant, voir ci-dessous l’expression utilisée par Mgr Cattenoz sur ce sujet.

- Réserve aussi sur la Croix présentée comme le véritable arbre de la connaissance du Bien et du Mal (paragraphes « La ‘musique’ du Jardin shabbatique (suite) » et « Or il y avait un jardin... »). Je rappelle que la Croix est aussi présentée avec la Tradition comme l’Arbre de Vie, dans mon texte. Martin pense qu’il y a là thèse et antithèse : l’arbre de la connaissance symbolisera toujours l’orgueilleuse tentative humaine de s’emparer de la « connaissance » (gnose), en faisant précisément l’économie de la Croix (Franc-maçonnerie, e.a.), alors que la Croix doit être présentée uniquement comme Arbre de Vie, ce avec quoi je suis en principe d’accord. Je voulais simplement exprimer que la Croix, précisément, nous révélait pleinement la vraie nature du Mal en manifestant l’offense faite à Dieu ainsi que la défiguration de l’homme… et elle nous révèle en même temps le Bien suprême de la Miséricorde de Dieu victorieuse de tout mal. Tout en acceptant la réserve de Martin sur ce point, je voudrais faire remarquer que Grignion de Montfort n’hésite pas à appliquer le symbole de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal à la Vierge Marie elle-même ! Voir l’extrait ci-dessous.

- D’autre part, Martin pense qu’il y aurait une méditation très riche à faire sur Cana (Jn 3), avec un sens shabbatique très fort. Aussi sur le mystère d’Israël à partir de Cana et de la présence de Marie. J’aimerais bien qu’il rédige cela en une demie page.


*** 14 juin 2004. Un extrait du « Traité de la vraie Dévotion » de Grignion de Monfort (paragraphes 261 à 263) qui pourrait aussi figurer dans Point d’orgue marial à la fin du chapitre VI de mon texte, et qui rejoint plusieurs des thèmes abordés.

Faire toutes ses actions en Marie.

Il faut faire ses actions en Marie.
Pour bien comprendre cette pratique, il faut savoir :
[a] Que la Très Sainte Vierge est le vrai paradis terrestre du nouvel Adam, et que l'ancien paradis terrestre n'en était que la figure. Il y a donc, dans ce paradis terrestre, des richesses, des beautés, des raretés et des douceurs inexplicables, que le nouvel Adam, Jésus-Christ, y a laissées. C'est en ce paradis qu'il a pris ses complaisances pendant neuf mois, qu'il a opéré ses merveilles et qu'il a étalé ses richesses avec la magnificence d'un Dieu. Ce très saint lieu n'est composé que d'une terre vierge et immaculée, dont a été formé et nourri le nouvel Adam, sans aucune tache ni souillure, par l'opération du Saint-Esprit, qui y habite. C'est en ce paradis terrestre où est véritablement l'arbre de vie qui a porté Jésus-Christ, le fruit de vie ; l'arbre de science du bien et du mal qui a donné la lumière au monde. Il y a, en ce lieu divin, des arbres plantés de la main de Dieu et arrosés de son onction divine, qui ont porté et portent tous les jours des fruits d'un goût divin ; il y a des parterres émaillés de belles et différentes fleurs des vertus, qui jettent une odeur qui embaume même les anges. Il y a dans ce lieu des prairies vertes d'espérance, des tours imprenables de force, des maisons charmantes de confiance, etc. Il n'y a que le Saint-Esprit qui puisse faire connaître la vérité cachée sous ces figures de choses matérielles. Il y a en ce lieu un air pur, sans infection, de pureté ; un beau jour, sans nuit, de l'humanité sainte ; un beau soleil, sans ombres, de la Divinité ; une fournaise ardente et continuelle de charité, où tout le fer qui [y] est mis est embrasé et changé en or ; il y a un fleuve d'humilité qui sourd de la terre et qui, se divisant en quatre branches, arrose tout ce lieu enchanté ; ce sont les quatre vertus cardinales.
[b] Le Saint-Esprit, par la bouche des saints Pères, appelle aussi la Sainte Vierge : 1. la porte orientale, par où le grand prêtre Jésus-Christ entre et sort dans le monde (Cf. Ez 44, 1-3 ; Ps 86, 1-4 ; Is 6, 1-4) ; il y est entré la première fois par elle, et il y viendra la seconde ; 2. le sanctuaire de la Divinité, le repos de la Très Sainte Trinité, le trône de Dieu, la cité de Dieu, l'autel de Dieu, le temple de Dieu, le monde de Dieu. Toutes ces différentes épithètes et louanges sont très véritables, par rapport aux différentes merveilles et grâces que le Très-Haut a faites en Marie. Oh ! quelles richesses ! Oh ! quelle gloire ! Oh ! quel plaisir ! Oh ! quel bonheur de pouvoir entrer et demeurer en Marie, où le Très-Haut a mis le trône de sa gloire suprême !
Mais qu'il est difficile à des pécheurs comme nous sommes d'avoir la permission et la capacité et la lumière pour entrer dans un lieu si haut et si saint, qui est gardé non par un chérubin, comme l'ancien paradis terrestre (Cf. Gn 3, 24), mais par le Saint-Esprit même qui s'en est rendu le maître absolu, de laquelle il dit : Hortus conclusus soror mea sponsa, hortus conclusus, fons signatus (Ct 4, 12 : ‘Vous êtes un jardin fermé, ô ma sœur et mon épouse. Vous êtes un jardin fermé et une fontaine scellée’). Marie est fermée ; Marie est scellée ; les misérables enfants d’Adam et d'Ève, chassés du paradis terrestre, ne peuvent entrer à celui-ci que par une grâce particulière du Saint-Esprit, qu'ils doivent mériter.
(St Louis-Marie Grignion de Monfort)



*** Février 2006. Quelques réflexions suscitées par les enseignements de Monseigneur Cattenoz, Archevêque d’Avignon, sur l’Evangile de Marc.

Une méditation intéressante peut être suscitée par une lecture originale du second Evangile. Monseigneur Cattenoz n’hésite pas à affirmer que le péché de nos premiers parents « a cassé le projet de Dieu ». Donc, il y a bien l’idée d’un Shabbat qui n’a pas pu être pleinement accompli selon le désir de Dieu. Et Jésus vient en quelque sorte restaurer le projet divin en opérant la première guérison (en Marc) le jour du Shabbat, dans la Synagogue (Mc 1, 21-28). En opérant cet exorcisme, nous dit Monseigneur Cattenoz, il purifie précisément la liturgie du Shabbat qui était comme souillée par la présence démoniaque. A cette lumière, on pourrait développer et dire que tout l’Evangile de Marc est comme une grande guérison shabbatique. Jésus s’y révèle comme « le Maître du Shabbat ». Et cela semble se confirmer par une « inclusion » remarquable : le grand signe de la guérison, la Résurrection du Christ, se révèle au dernier chapitre de l’Evangile, précisément « Quand le Shabbat fut passé... » (Mc 16, 1). Le ministère de guérison de Jésus commence donc un jour de Shabbat (Mc 1, 21) et s’accomplit après « ce Shabbat qui était un grand jour » (Jn 19) (135).


*** Mai 2007. Découvre dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique un résumé saisissant de ce que j’essaie d’exprimer dans certaines parties du chapitre III, sur l’accomplissement du Shabbat...

Il s’agit de la fin du n° 624, à propos du Christ enseveli : « Cet état du Christ mort est le Mystère du sépulcre et de la descente aux enfers. C'est le Mystère du Samedi Saint où le Christ déposé au tombeau (cf. Jn 19,42) manifeste le grand repos sabbatique de Dieu (cf. He 4,7-9) après l'accomplissement (cf. Jn 19,30) du salut des hommes qui met en paix l'univers entier (cf. Col 1,18-20) » (CEC 624).


*** Juillet 2007. Je découvre que j'ai omis une référence vétérotestamentaire importante dans la liste « foisonnante » des références bibliques en lien avec l'eau qui jaillit du Côté transpercé.

Revenons au Livre de Zacharie : nous avons à plusieurs reprises mentionné la prophétie du chapitre 12, verset 10 (regard sur celui qui a été transpercé), inséparable du chapitre 13, verset 1 (la fontaine ouverte qui purifie Jérusalem). Mais je n’ai pas mentionné le passage du chapitre 14, versets 8-9, qui est comme le déploiement eschatologique et universel de cette vision de la fontaine qui purifie d’abord Jérusalem : Il arrivera, en ce jour-là, que des eaux vives sortiront de Jérusalem, moitié vers la mer orientale, moitié vers la mer occidentale : il y en aura été comme hiver. Alors Le Seigneur sera roi sur toute la terre ; en ce jour-là, Le Seigneur sera unique, et son nom unique. L’ampleur de cette vision rappelle celle du fleuve d’Ezéchiel (47,1-12), et annonce la grande vision eschatologique du fleuve limpide comme du cristal qui jaillit dans la Jérusalem céleste dont parle l’Apocalypse (22,1).
Il me semble important, à l’occasion de cette précision, de proposer au lecteur une liste de références bibliques en lien avec l’événement du Cœur ouvert de Jésus... j’ai établi cette liste (nécessairement non exhaustive) pour un autre article, traitant du Cœur de Jésus et du message de Paray-le-Monial. Ce tableau peut être utile pour synthétiser certaines des correspondances scripturaires que j’ai voulu mentionner dans mon travail sur le Cœur de Jésus et le Shabbat juif. Mais il sera aussi utile car il comporte des références qui ne sont pas mentionnées dans ce travail. En définitive, ce tableau peut être utilisé pour une sorte de Lectio sur le thème du Cœur de Jésus.
On le trouvera ci-dessous.


Le Côté transpercé

Jean 19, 31-37 [Lire aussi l’autre passage fondamental : Jean 13, 21-25]

1. Le jaillissement de l'eau, symbole de l'Esprit-Saint
Ancien Testament
Genèse 2, 8-10 (voir le commentaire qu'en fait Saint Bonaventure)
Exode 17,1-6 (cf. aussi 1 Co 10,4)
Isaïe 12, 3
Ézéchiel 36, 25-27
Ézéchiel 47, 1-12 (cf. aussi Apocalypse 22,1-2)
Zacharie 13, 1 et 14, 8
Isaïe 55,1 (cf. Jean 7, 37-39)
Nouveau Testament
Jean 4, 10 et 14
Jean 7, 37-39 (cf. Isaïe 55,1)
I Jean 5, 6-8
1ère Épître aux Corinthiens 10, 4
Apocalypse 7,17
Apocalypse 21, 6
Apocalypse 22,17
Apocalypse 22,1-2

2. Le feu, autre symbole de l'Esprit-Saint
Ancien Testament
Exode 3,1 et suivants (cf. le texte de Jean-Paul II)
I Rois 18 (l’épisode du feu sur le sacrifice du Carmel)
Isaïe 6, 6-7
Daniel 3 (l’épisode de la fournaise ardente)
Daniel 7, 9c-10a
Malachie 3, 19-20
Nouveau Testament
Luc 3, 16
Luc 12, 49 et Actes 2, 1-4

3. Le transpercement
Ancien Testament
Zacharie 12,10 (cf. aussi Jean 19, 37 et Apocalypse 1, 7)
Osée 11, 8-9 (cf. aussi Matthieu 11, 28-30 et Jean 13, 21-25)
Nouveau Testament
Apocalypse 1, 7

4. Le Cœur du Grand Prêtre
Ancien Testament
Exode 28, 15-30 et 39, 8-21
Nouveau Testament
Apocalypse 21,12 et suivants

Adoration
Ephésiens 3, 14-21





NOTES :

(1) Si on accepte le présupposé qu’aucun détail n’est « au hasard » dans le plan divin.

(2) Donc le samedi.

(3) « Il m’a envoyé... proclamer une année de grâce du Seigneur » (Lc 4, 19).

(4) Rappelons que le Shabbat juif commence dès le vendredi soir, à l’apparition de la première étoile.

(5) En ce domaine, l’image qui restera dans les mémoires est celle du Pape priant au Mur occidental de l’ancien Temple de Jérusalem. Il y eut aussi le pèlerinage au Yad Vashem au cours duquel le Pape a réexprimé la demande de pardon de l’Eglise pour les attitudes et actes d’antisémitisme de plusieurs de ses enfants à l’égard du peuple juif... demande de pardon exprimé une première fois à Rome, le premier dimanche de Carême, 2000.

(6) Fait sans précédent en Israël : la télévision a retransmis en direct toutes les messes, cérémonies, rencontres, avec commentaires, explications etc... une vraie « évangélisation ». La manière dont le Pape a été accueilli peut être « interprétée », à travers un regard qui scrute les signes des temps, comme une ébauche de l’accueil évoqué par Jésus : « désormais vous ne me verrez plus jusqu’à ce que vous disiez Béni soit Celui qui vient au Nom du Seigneur ! » (Mt 23, 39). Telle était d’ailleurs, au Yad Vashem, la belle salutation du premier ministre israélien Ehud Barak : « Votre Sainteté... nous vous disons: soyez béni en Israël » (23 mars 2000).

(7) Conférence du Père Francis Kohn, supérieur des chapelains de Paray-le-Monial, en 2000.

(8) Notons à ce propos que le Shabbat ne fait pas seulement mémoire de l’achèvement de la Création mais aussi de la libération d’Israël du pays d’Egypte, la Pâque. A ce sujet, voir la note 26 ci-dessous.

(9) A noter que la célébration du Shabbat juif est aussi considérée comme annonce du Shabbat qui n’aura pas de fin... annonce du Bonheur messianique où Dieu fera définitivement entrer son Peuple dans son repos.

(10) Il est en effet raisonnable de penser que le péché originel soit intervenu dès le premier « espace » de liberté offert à l’homme, où Dieu, après avoir donné son commandement d’amour et de vigilance, semble se retirer (Il n’intervient plus à partir de Gn 2, 23 jusqu’à Gn 3, 8). C’est dans ce premier espace que la séduction s’insinue. Ce qui voudrait dire que, pour l’homme, il y eut un soir, où la créature se découvre en sa beauté ; mais le matin, où la créature réfère cette beauté à Dieu (St Augustin, in « La Cité de Dieu »), n’est pas advenu en plénitude, car l’homme s’est laissé envahir par la nuit du péché et du renfermement sur soi.

(11) On retrouve ici le thème du Divin Jardinier (Jn 20, 15 ; cf. Ct 5, 1).

(12) Nous méditerons dans un chapitre ultérieur sur l’ineffable rencontre du Nouvel Adam avec Marie-Madeleine (qui représente la première Eve repentie et délivrée) dans le jardin de la Résurrection.

(13) « Avec la fermeture de la Porte Sainte, c’est un symbole du Christ qui se ferme. Mais le Cœur de Jésus reste plus que jamais ouvert » (Jean-Paul II lors de la clôture du Jubilé à Rome, le 6 janvier 2001).

(14) Si la mystérieuse manifestation du Shabbat accompli se situe au soir du Vendredi Saint à l’heure de l’ouverture du Côté de Jésus, il est clair que sa manifestation plénière « au grand jour » ne se réalisera que dans la Jérusalem Céleste, lorsque Dieu sera Tout en tous (cf. Ap 22, 3-5). Ce Shabbat définitif et éternel est aussi attendu par les juifs.

(15) Message de Pâques 2001, Rome.

(16) C’est nous qui soulignons les passages qui nous semblent être en lien avec notre méditation.

(17) Message de Pâques 2001, Rome.

(18) Dans le cadre de notre méditation, ces dernières paroles (verset 10) pourraient s’appliquer au Christ, alors que celles qui suivent (verset 11) concernent l’Eglise encore en pèlerinage.

(19) Cf. Psaume 132 (131): « Car le Seigneur a fait choix de Sion ; elle est le séjour qu’il désire : « Voilà mon repos à tout jamais, c’est le séjour que j’avais désiré » » (traduction liturgique).

(20) Et la Nouvelle Eve... qui vivra son Shabbat, encore dans les douleurs de l’enfantement (cf. Ap 12, 2) de sa nouvelle maternité universelle (Jn 19, 27). C’est le mystère du Samedi Saint.

(21) « Voici le Saint des Saints qui attire à soi tout le bien du ciel et de la terre » (Saint Jean montrant le Cœur du Christ à Sainte Gertrude, 13ème siècle).

(22) L’inauguration de cette Ere messianique par le jaillissement de l’eau à partir du Saint des Saints qu’est le Cœur de Jésus est prophétisée en Ezéchiel 47, 1-12. Et aussi en Genèse 2, 10. Ce dernier passage est cité et appliqué par St Bonaventure (13ème siècle) au mystère du Cœur de Jésus d’où jaillit l’eau (cf. office des lectures de la Solennité du Cœur du Christ).

(23) Et nous rappellerons plus tard comment Marie-Madeleine le prit pour le jardinier (Jn 20, 15).

(24) « Du côté de ton Fils, tu as puisé pour nous l’eau et le sang versés qui sauvent du péché » (Chant à Marie, carnet Il est Vivant).

(25) La dimension shabbatique de la mise au tombeau est aussi perceptible en Lc 23, 53-54: « (Joseph) descendit (le corps de Jésus)... et le mit dans une tombe... où personne encore n’avait été placé. C’était le jour de la Préparation, et le Shabbat commençait à poindre ».

(26) C’est maintenant qu’il faut préciser ce que nous avons déjà mentionné ci-dessus dans la note 8 : d’une part le Shabbat est ce « Jour septième » où Dieu s’est reposé de ses œuvres (Gn 2, 1-3). D’autre part le Shabbat est aussi mémoire de la sortie d’Egypte, du passage de l’esclavage à la liberté, du travail forcé (les corvées) au repos de la Terre promise : « Observe le jour du Shabbat pour le sanctifier, comme te l’a commandé le Seigneur, ton Dieu. Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage, mais le septième jour est un Shabbat pour le Seigneur ton Dieu. Tu n’y feras aucun ouvrage... Tu te souviendras que tu as été en servitude au pays d’Egypte et que le Seigneur ton Dieu t’en a fait sortir d’une main forte et d’un bras étendu ; c’est pourquoi le Seigneur ton Dieu t’a commandé de garder le jour du Shabbat » (Dt 5, 12-15). Noter que, pour la tradition juive, les six jours de travail de la semaine peuvent aussi symboliser le caractère pénible du séjour en Egypte – en lien avec ce qui est dit du travail en Gn 3, 16-19 –, alors que le Shabbat symbolise l’entrée (et le repos) dans la Terre promise, dans le repos de Dieu. Et donc de ce fait, le Shabbat a une signification eschatologique : il annonce le grand repos éternel de la Jérusalem nouvelle où Dieu sera tout en tous (cf. I Co 15, 28). En tout cas, le lien essentiel entre le Shabbat et la Pâque juive (libération de l’Egypte) d’une part, et entre le Shabbat et l’achèvement de la Création d’autre part, nous fait comprendre ceci : si l’événement du Cœur ouvert peut être considéré (c’est l’objet de notre méditation) comme avènement et accomplissement du Shabbat des origines (Gn 2, 2-3) et avènement d’une nouvelle Genèse, c’est précisément parce qu’il est d’abord accomplissement de la Pâque juive, libération de l’esclavage du péché et de la mort. On ne doit pas séparer Shabbat et Pâque, surtout en Jn 19 où ils ne font qu’un. D’ailleurs la traduction liturgique du verset 31 est : « Comme c’était le vendredi, il ne fallait pas laisser des corps en croix durant le Shabbat (d’autant plus que ce Shabbat était le grand jour de la Pâque) ».

(27) Noter la symétrie et le contraste des deux situations extrêmement rapprochées : une personne « de part et d’autre » de l’événement « transfigurateur » ; le soldat et son geste mortifère qui fait surgir le sang puis l’eau ; et celui qui a vu et qui accueille le mystère de la vie nouvelle que cette eau signifie.

(28) Par rapport à la dimension eschatologique de l’ouverture du Cœur de Jésus qui annonce le grand Shabbat éternel, les paroles du théologien Romano Guardini éclairent singulièrement notre méditation : « Le Cœur de Jésus sera l’espace qui renfermera toutes choses... Tout sera transparence, lumière... L’amour comme état permanent de la Création, l’identité de l’intérieur et de l’extérieur : voilà ce que sera le Ciel ! » (Le Seigneur, dernier chapitre). En écho, citons aussi ces paroles de Jean-Paul II : « Le Cœur du Christ est l’espace vital des bienheureux : le lieu où ils demeurent dans l’amour (cf. Jn 15, 9), dont ils tirent une joie éternelle et sans limite » (Angélus).

(29) La deuxième citation « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19, 37), qui est tirée de Za 12, 10, ouvre en fait des perspectives infinies qui nous invitent à sonder sans cesse cet accomplissement des Ecritures, guidés par celui qui a vu et qui rend témoignage (v 35). En citant ce verset de Zacharie, il est clair que l’Evangéliste veut aussi inclure implicitement le verset essentiel qui vient un peu plus loin : « En ce jour-là, il y aura une fontaine ouverte pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem, pour laver péché et souillure » (Za 13, 1). Ce verset, inséparable du premier, annonce aussi l’événement du Côté transpercé d’où jaillit l’eau. En Za 12, 10 à 13, 2, on trouve une structure analogue de « transfiguration » du climat à celle de Jn 19 : le verset charnière est celui qui parle de la fontaine (Za 13, 1) ; avant, il y a lamentations, larmes... ; après, il y a purification et guérison de la mémoire (vv 1 et 2).

(30) Le jaillissement du sang et de l’eau est aussi Geste et Parole ultimes... qui ne font qu’un avec le Geste et la Parole du Cœur ouvert ; c’est aussitôt qu’il sortit du sang et de l’eau (v 34).
     Quant à parler de « geste », cela ressort de la réponse de Jésus à Catherine de Sienne qui demandait à Notre-Seigneur pourquoi Il avait voulu que, après sa mort, son Cœur fut blessé et ouvert : « Je voulus donc, en vous montrant mon Côté ouvert, que vous voyiez le secret de mon Cœur... » (livre des dialogues). « L’ouverture du Côté n’est pas seulement exécutée d’un coup de lance, par un soldat romain, mais elle est permise par Jésus » (P. Daniel Dideberg s.j.).

(31) Le seul « son de voix » qu’on perçoit encore est le dialogue probablement bref entre Joseph d’Arimathie et Pilate (v 38), mais précisément cela ne se passe pas sur le lieu saint et shabbatique du Golgotha.

(32) Par leur présence, c’est Israël qui, mystérieusement, célèbre solennellement ce Shabbat qui était un grand jour. Nous y revenons dans le paragraphe qui suit.

(33) Là encore la mention de Pilate fait exception (v 38). Voir la note ci-dessus.

(34) Noter que là encore on retrouve la thématique de He 3 et 4, qui a fait l’objet de notre réflexion ci-dessus.

(35) « Les juifs ont ouvert le Cœur de Jésus (comprenons bien : ils ont « permis » qu’Il soit ouvert) afin d’y laisser entrer les païens ; et lorsque la totalité des païens y seront entrés, à leur tour ils entreront ». Je ne connais pas l’auteur de cette lecture mystique du mystère d’Israël et de l’Eglise que j’ai plusieurs fois entendue citer.

(36) L’adjectif « ancien » est à comprendre non comme « vétuste » mais comme « premier » et donc comme fondement.

(37) Voir la note 21 ci-dessus.

(38) Nous précisons bien que, dans ce passage de l’évangile, Joseph et Nicodème sont représentatifs à la fois de l’Israël endurci et (dans l’avenir) du même Israël adhérant au Christ.... Adhésion qui s’exprime par leur attitude aimante lors de l’ensevelissement et surtout du fait qu’ils sont (en secret) disciples de Jésus. Mais cette distinction symbolique n’apparaît pas dans les paroles de l’Apôtre Paul lorsqu’il s’adresse aux juifs d’Antioche de Pisidie, ne mettant l’accent que sur l’endurcissement : « Fils de la race d’Abraham... c’est à nous tous que ce message de salut a été envoyé. En effet, les habitants de Jérusalem et leurs chefs n’avaient pas su reconnaître Jésus, ni comprendre les paroles des prophètes qu’on lit chaque shabbat.... Sans avoir trouvé en lui aucun motif de condamnation à mort, ils ont réclamé à Pilate son exécution. Et, après avoir réalisé tout ce qui était écrit de lui, ils l’ont descendu de la croix et mis au tombeau » (Ac 13, 26-29 ; traduction liturgique).

(39) Avènement au cours duquel chacun le verra, même ceux qui l’ont transpercé (Ap 1, 7, cf. Za 12).

(40) On voit bien à la suite de ce paragraphe comment l’événement du Cœur transpercé est indissolublement lié à la vocation et à la destinée d’Israël. C’est Israël qui a donné (par Marie) son cœur de chair au Verbe Eternel qui a voulu nous aimer avec un cœur d’homme (Gaudium et Spes, 22). Le Cœur de Jésus est – par nature, si on peut dire – le lieu de la « nuptialité » de l’Alliance de Dieu avec Israël (cf. Osée ou Cantique...) ; comme il sera le lieu – par grâce, à travers les sacrements – de la nuptialité de son union avec l’Eglise.

(41) Il y a bien la mention du transpercement (v 37) ; mais ici, l’évocation du transpercement n’est plus objet d’agression mais de contemplation. Il se situe au passé et, de plaie douloureuse, devient à son tour source de vie éternelle.

(42) On peut parler d’un baptême « d’Eau et d’Esprit » car l’eau du verset 34 symbolise aussi l’Esprit déjà livré par Jésus mourant (v 30).

(43) Cette nouvelle insufflation en vue d’une nouvelle Création s’exprime aussi avec intensité en Jn 20, 22 : « Il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint... ». Toute cette thématique du souffle nous ramène, bien entendu, au Vent de Dieu qui tourbillonnait au-dessus des eaux primordiales (Gn 1, 2).

(44) L’accomplissement de cette prophétie d’Isaïe peut se déchiffrer en Jn 19 : « Jésus dit : « J’ai soif. » » (v 28). A ce cri de la soif répondra le jaillissement de l’eau (v 34).

(45) « Le Seigneur Dieu dit : « Voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous, pour connaître le bien et le mal ! Qu’il n’étende pas maintenant la main, ne cueille aussi de l’arbre de vie, n’en mange et ne vive pour toujours ! » Et le Seigneur Dieu le renvoya du jardin d’Eden pour cultiver le sol d’où il avait été tiré. Il bannit l’homme... » (Gn 3, 22-24). C’est dans ce désert symbolique de la désolation, des peines du péché (cf. Gn 3, 16-19), du combat (cf. Gn 3, 15), de la mort, que Jésus est venu nous chercher (les quarante jours au désert des tentations) pour remporter une première victoire sur l’antique Ennemi et, par sa victoire définitive au Calvaire, nous donner accès à l’arbre de vie qui est la Croix et qui devient l’arbre de Vie éternelle : « au vainqueur, je ferai manger de l’arbre de vie placé dans le Paradis de Dieu » (Ap 2, 7).

(46) Fruit nouveau qui est « le fruit de tes entrailles » (Ave Maria) ; c’est aussi le fruit eucharistique signifié par les fruits nouveaux donnés chaque mois par les arbres de Vie évoqués en Ez 47, 12 et Ap 22, 2 (cf. aussi Ps 1, 3). Tout cela est symbole de guérison par rapport au fruit mortel des origines cueilli par nos premiers parents.

(47) Il est clair que nous ne faisons ici aucunement un travail exégétique. Il s’agit de laisser « chanter » librement la mémoire biblique et de laisser s’épanouir la résonance de cette « musique » de Jn 19, sans chercher à savoir si tel mot correspond à telle ou telle traduction.

(48) Jardin qui inaugure le Shabbat éternel de la Jérusalem céleste : « de mort, il n’y en aura plus » (Ap 21, 4).

(49) Une expérience spirituelle analogue est vécue par les deux disciples d’Emmaüs lorsqu’il est dit d’eux que, à la fraction du pain – qui est fruit eucharistique –, « leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent » (Lc 24, 31 et 35).

(50) Les « peines » du péché (Gn 3, 17-19) qui ont pesé sur le premier Adam ont aussi pesé, par volonté d’amour rédempteur, sur le Nouvel Adam. Ces peines évoquées en Gn 3 annoncent la Passion : en particulier le sol qui produit des épines (v 18) est comme signifié par la couronne d’épines ; la sueur du visage (v 19) annonce la sueur de sang lors de l’agonie de Jésus à Gethsémani ; la glaise (v 19) annonce la scène traditionnelle des trois chutes du Seigneur pendant le chemin de Croix (son visage entre en contact avec la poussière du sol), ainsi que sa mort et sa mise au tombeau.

(51) Symbole de « virginité », ce tombeau peut aussi lointainement signifier la Vierge Marie : de même que c’est de son sein virginal que Jésus est venu au monde, de même c’est de ce tombeau qu’il va « naître » à sa Vie définitive et éternelle au matin de Pâques.

(52) Je signale que, dans son travail actuellement en cours, le Père Glotin écrit des pages magnifiques sur l’interprétation spirituelle du tombeau, ainsi que sur l’apparition de Jésus à Marie-Madeleine (Jn 20).

(53) Nous aurons l’occasion, dans un paragraphe ultérieur, de revenir sur cet élément essentiel dans l’Evangile de Jean, que j’appelle reprise rétrogradée.

(54) L’Evangile de Luc dit : « (Joseph) descendit (le Corps de Jésus)... et le mit dans une tombe taillée dans le roc, où personne encore n’avait été placé. C’était le jour de la Préparation, et le Shabbat commençait à poindre » (Lc 23, 53-54).

(55) Arrivé à ce stade de la rédaction (j’étais parti sans trop savoir comment cela allait se dérouler), j’éprouve le besoin de rappeler ce que j’ai déjà écrit dans l’introduction, à savoir qu’il ne s’agit pas d’un texte structuré mais d’une sorte d’improvisation. En fait, je m’aperçois que mon texte prend la forme d’une partition musicale, un peu comme une mélodie qui suit son cours et se développe librement au gré de la contemplation. Ce qui explique les apparentes (et fréquentes) redites, ainsi que les nombreux détours. Des choses qui me paraissent importantes sont constamment réexprimées à la lumière de nouveaux développements, à la manière d’éléments musicaux qui reviennent souvent au cours d’une mélodie qui module ; ces éléments reçoivent ainsi des éclairages sous différents angles et permettent de mieux goûter à l’inépuisable richesse du sens spirituel de ce que nous étudions.

(56) La création de la femme comme « achèvement » en fait une figure du Shabbat... ce Shabbat qui serait advenu pour l’homme comme pour Dieu s’il n’y avait pas eu le péché des origines. Nous verrons que c’est Marie, la nouvelle Eve, qui rendra possible l’avènement du Grand Shabbat de Dieu, car c’est en Elle que la nouvelle Création achevée par son Fils a été pleinement accueillie. Elle est vraiment, pour le Nouvel Adam, l’« aide qui lui est assortie » (Gn 2, 18 et 20), « l’os de ses os et la chair de sa chair » (Gn 2, 23), la « mère de tous les vivants » (Gn 3, 20).

(57) A ce sujet, il faut aussi noter l’évocation, au cœur du Prologue, de Jean le Précurseur, venu pour un baptême de purification.

(58) Il est cependant intéressant de noter que ce Shabbat de la Création nouvelle qui ne s’accomplit qu’en Jn 19 est inauguré comme en son germe par l’Incarnation : « Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ». Par l’Incarnation, Dieu « commence » à se reposer en son œuvre de prédilection, à savoir l’homme créé à son image.

(59) Il faut bien sûr toujours faire le lien entre cette Lumière du premier Jour de la semaine (Résurrection) et la Lumière de l’Incarnation évoquée dans le Prologue johannique, et la référer au Jour Un de la création de la lumière en Gn 1, 3-5. Ce Jour Un étant par ailleurs aussi le Jour Dernier annoncé par les prophètes et proclamé par l’Apocalypse... ce Jour Dernier qui verra la séparation (cf. Gn 1, 4) définitive de la Lumière et des ténèbres (cf. Ap 21 et 22), et donc Jour Shabbatique et Pascal (dans le sens de la libération d’Egypte).

(60) Un « chiasme ».

(61) Certes la semaine inaugurale de Jn 1 est aussi déjà la semaine de la Nouvelle Création. Mais celle-ci s’ébauche encore dans tout le contexte du péché qui est opposition à la Grâce (Jn 1, 17), et que l’Agneau est venu porter et enlever (cf. Jn 1, 29).

(62) Nouvelle Création inaugurée par l’Incarnation, ébauchée durant le ministère de Jésus (voir note ci-dessus), réalisée par le « baptême d’eau et d’Esprit » du vendredi soir (le Cœur ouvert), manifestée par la Résurrection le premier jour de la semaine.

(63) Lorsque nous parlons du retour à l’origine, il est évident que cela signifie que la Nouvelle Création – la Rédemption – intègre la Première tout en la dépassant infiniment.

(64) La séparation de la lumière créée (matérielle) d’avec les ténèbres en Gn 1 peut déjà être interprétée spirituellement, selon St Augustin qui y voit un symbole de la séparation des bons et des mauvais anges. Dans l’Apocalypse, le sens est surtout spirituel. L’événement du Golgotha est ici aussi central : c’est là que s’opère, en son germe, la séparation définitive de la lumière et des ténèbres ; à la fois spirituellement et « matériellement » si on prend en compte les évangiles synoptiques qui nous parlent des « ténèbres qui couvraient la terre entière » au moment de la mort de Jésus. La Croix nous conduit du visible à l’invisible et nous révèle le vrai sens de la séparation de la lumière et des ténèbres. Les ténèbres du Vendredi Saint laissent la place à la radieuse lumière de la Résurrection au matin de Pâques, le Jour qui ne connaît pas de couchant. A la fin de l’Apocalypse, il n’y a plus que lumière (cf. Ap 22, 3-5).

(65) Noter qu’il y a aussi ici un lien avec Za 13, 1 (la « fontaine ouverte »).

(66) Nous savons que la Vision d’Ap 22, 1, est trinitaire : le fleuve (l’Esprit Saint) jaillit du trône de Dieu (le Père) et de l’Agneau (le Fils).

(67) Nous savons – et nous y reviendrons au chapitre VI – que la Mère de famille par excellence, la vraie Reine du Shabbat, la Femme par qui « la Lumière s’est levée sur le monde » (antienne mariale des complies) est la Très Sainte Vierge Marie, la Nouvelle Eve.

(68) On voit que cette dimension pascale révèle nécessairement la dimension messianique du Shabbat, c’est-à-dire la promesse d’une Terre nouvelle et de Cieux nouveaux, annoncés par les Prophètes et proclamés par l’Apocalypse. L’inauguration de cette Terre nouvelle doit encore être déchiffrée dans cette eau de Jn 19, 34 « qui féconde la terre » (St Bonaventure). La Résurrection est la première manifestation de cette Terre et de ces Cieux nouveaux.

(69) Hymne mariale.

(70) En fait, on ne voit pas la Croix et il manque les bras du Christ.

(71) « Que ta grâce inspire notre action, Seigneur, et la soutienne jusqu’au bout, pour que toutes nos activités prennent source en toi et reçoivent de toi leur achèvement » (Prière des laudes du lundi I). Dans le même esprit, il faudrait lire la belle et dense Préface de la Prière Eucharistique IV.

(72) Dans un sens, le Fils accepte l’inachèvement de la Croix – qui prend l’apparence de l’échec total – et permet au Père de donner le véritable achèvement qui se manifestera dans l’événement de la Résurrection.

(73) Prolongement éternel du septième jour et donc inauguration du Shabbat en sa dimension d’éternité.

(74) Accomplissement du Jour Un, Unique, de la Création et de la Rédemption (jour de la Résurrection, premier jour de la semaine), en même temps dernier jour et donc consommation du Shabbat.

(75) Voir la note 26.

(76) C’est-à-dire protologique et eschatologique.

(77) Lire Exode 20, 8-11. Cf. aussi Dt 5, 12-15.

(78) Comme l’exprime la célèbre icône de la Résurrection.

(79) Je n’ai pas la référence exacte, mais cela est cité par Paul Evdokimov dans son commentaire sur l’icône de la Résurrection.

(80) Il en est ainsi pour le bon larron (cf. Lc 23, 43). Il se voit promettre le Paradis dès « aujourd’hui », le Vendredi Saint. Or, ce n’est pas en ce jour que Jésus monte vers le Père. On comprends avec la Tradition que le Paradis, c’est d’abord être avec Jésus et que son « Royaume » (Lc 23, 42), c’est avant tout sa Personne. Certaines traditions disent même que l’âme du bon larron aurait accompagné le Christ dans sa descente aux enfers, comme premier témoin et bénéficiaire de sa Miséricorde.

(81) Voir aussi dans le Missel la Préface I de la Vierge Marie : « gardant pour toujours la gloire de sa virginité, elle a donné au monde la lumière éternelle, Jésus Christ, notre Seigneur ».

(82) Il est bon de se rappeler que cette fille accomplie d’Israël, toute soumise à la loi, a très certainement allumé les bougies du Shabbat chaque vendredi soir à Nazareth, pour entrer avec ferveur dans la célébration de ce jour, avec Jésus et Joseph.

(83) En effet lorsqu’on lit Jn 19, on voit qu’il est déjà question d’un « premier » achèvement au verset 28, tout juste précisément après l’épisode de la présence de Marie et de l’accueil réciproque de Jean par Marie. C’est au verset 30 que l’achèvement aura un caractère définitif.

(84) Dans la Tradition Juive, la figure de la fiancée est symbole du Shabbat.

(85) « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée « femme », car elle fut tirée de l’homme, celle-ci » (Gn 2, 23).

(86) Il est intéressant de noter qu’en hébreu le mot « Shabbat » est féminin. On dit « la » Shabbat et ce jour de repos symbolise la fiancée d’Israël (cf. Ben Chorin, le judaïsme en prière).

(87) Cette méditation sur l’attitude intérieure de Marie le Samedi Saint peut dans une certaine mesure s’appliquer aussi pour le temps de l’Avent, non pas dans la douleur mais dans la joyeuse espérance. Le Cœur immaculé de la Mère vit dans l’attente aimante et dans l’anticipation de la réalisation de la Promesse. Le Verbe Incarné repose en elle, son Cœur Sacré commence à « battre sous (le) Cœur virginal » de la Mère (Angélus de Jean-Paul II). Il vit en quelque sorte les « prémices » du repos shabbatique en celle qui a déjà pleinement accueilli son désir de faire sa demeure chez les siens (Jn 1). En « allumant les bougies du Shabbat » à l’Annonciation, elle permet au Verbe Créateur et Rédempteur de se reposer déjà en ses œuvres. Il repose en elle en attendant de se manifester, le jour de la Nativité, comme la lumière qui luit dans les ténèbres (ibid.) ; jour qui est aussi Jour Un. Cette même disposition de la mémoire vivante et fidèle de Marie le Samedi Saint, on peut aussi la supposer et la contempler – mais cette fois dans une dimension de Gloire – durant le temps qui sépare l’Ascension de la Pentecôte. Là encore, Marie au Cénacle, au milieu des disciples, est comme le « Sacrement » de la Présence de Celui qui est monté vers le Père est qui n’est plus visible. Là encore, plus que jamais, elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur de Mère (Mère du Christ et de l’Eglise). Et de ce fait, elle vit avec Lui une communion d’une telle intensité (bien plus plénière que la « première » communion pendant le temps de l’Avent) qu’on pourrait parler d’une Présence « Eucharistique » de Jésus glorifié, dans le tabernacle de sa mémoire immaculée. Le Shabbat éternel, inauguré par l’ouverture du Cœur et manifesté au matin de la Résurrection (Jour Un et Huit), se réalise déjà pleinement après l’Ascension dans la mémoire du Cœur de la Vierge, en attendant de se communiquer de son Cœur au cœur de l’Eglise, à la Pentecôte. Toute cette méditation sur Marie après l’Ascension demanderait à être davantage précisé et développé. Cela ferait l’objet d’un autre article.

(88) Cf. aussi les paroles du chant marial « Tu portes Celui qui porte tout », 2ème couplet : « Jardin du Seigneur, Mère des hommes... ». Ou encore : « Comme un époux dans le soleil... tu sortis du jardin fermé d’une Vierge, mère et bénie » (hymne des Vêpres du Temps de l’Avent).

(89) Sur le thème plus spécifique du ruissellement des eaux, il faut se référer à la messe en l’honneur de la Vierge Marie intitulée « Ste Marie, fontaine du salut ». Le choix des lectures proposées est très significatif par rapport à toute notre méditation : en 1ère lecture, Ez 47, 1-12 (la source du Temple) ou Ct 4, avec extraits des versets cités ci-dessus. Pour le Psaume responsorial, il y a le cantique de Is 12 : « Exultant de joie, vous puiserez les eaux aux sources du salut ». Pour l’Evangile, on a le choix entre Jn 19, 25 (Marie à la Croix) à 37 (épisode du Côté ouvert), ou Jn 7, 37-39 (les fleuves d’eau vive).

(90) Ce verset du Cantique – si nous l’appliquons au Cœur de Marie – évoque d’abord l’Incarnation, puis la présence de Marie à la Croix et au tombeau (Jn 19). Et, plus tard, il évoquera aussi l’Apparition du Ressuscité à Marie de Magdala dans le jardin (Jn 20).

(91) Le Cantique des cantiques est chanté lors de la célébration du Shabbat dans les communautés sépharades et hassidiques.

(92) On retrouve avec une ampleur plus grande encore cette dimension de l’Israël accompli dans l’Eglise, en Ap 21, dans la description de la Jérusalem Céleste où les douze portes et les douze fondations signifient respectivement les douze tribus et les douze Apôtres.

(93) Il est vrai que l’accomplissement du repos shabbatique est plus signifié par la Jérusalem d’Ap 21, alors qu’en Ap 12, la vision de Gloire de la Femme débouche sur le combat spirituel qui traverse tout le temps de la mission de l’Eglise.

(94) Nous rappelons aussi les paroles du chant « couronnée d’étoiles », adressées à Marie : « Du côté de ton Fils, tu as puisé pour nous l’eau et le sang versés qui sauvent du péché ».

(95) Réflexion partagée par un rabbin juif qui croit en Jésus : les ténèbres qui couvrent la Terre lorsque le Fils Unique est mis à mort nous ramènent aux ténèbres du chaos initial de Gn 1. Et la Résurrection, le premier jour de la semaine, marque la nouvelle et définitive séparation de la lumière et des ténèbres.

(96) Les Juifs aspirent aussi à ce Shabbat éternel, à ce Jour où Dieu avec son Peuple se reposera de toutes ses œuvres.

(97) « Le Seigneur Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder » (Gn 2, 15). Noter ici que ce verset advient tout de suite après la description du « fleuve qui sortait d’Eden » (Gn 2, 10-14) et qu’on peut donc y voir, dans une lecture christologique, une lointaine annonce du fleuve de vie qui jaillit du Côté du Nouvel Adam au soir du Vendredi Saint, et de la présence dans le jardin, au matin de Pâque, de ce même Nouvel Adam que Marie de Magdala prend pour le jardinier (cf. Jn 20, 15).

(98) Les sept démons peuvent peut-être symboliser, par contraste « ténébreux » avec les sept jours de la Création (Gn 1) ou avec les sept Esprits de Dieu (Ap 4, 5), la « souveraineté » du prince de ce monde sur la Création déchue (cf. Rm 8, 19-23).

(99) Il y a sûrement eu une véritable étreinte avant que le Seigneur ne lui dise les paroles « ne me retiens pas », c’est à dire qu’elle a dû se prosterner et étreindre ses pieds, selon les paroles du Cantique : « j’ai trouvé celui que mon cœur aime, je l’ai saisi et ne le lâcherai point » (Ct 3, 4). C’est seulement alors que Jésus lui fait comprendre par ses paroles « ne me retiens pas » que le temps de l’étreinte eschatologique des noces de l’Agneau n’est pas encore advenu en plénitude, mais que c’est d’abord le temps de la mission de l’Eglise : « va trouver mes frères et dis-leur... ». Mission toute pénétrée déjà par la dimension shabbatique, et qui aboutira à l’accomplissement plénier du Shabbat éternel dans la Jérusalem Céleste, où Dieu sera tout en tous (Ap 21 et 22). Alors ce sera « l’étreinte » éternelle : « ... je l’ai saisi et ne le lâcherai point ».

(100) En ceci, elle est « l’ancêtre » spirituelle privilégiée de Marguerite-Marie à qui Jésus avait demandé : « efforce-toi de consoler mon Cœur ». D’ailleurs, c’est le jour de la Mémoire de Marie de Magdala (22 juillet 1647) que la Sainte de Paray est née.

(101) « Dis à cette Humanité douloureuse que je désire l’étreindre sur mon Cœur miséricordieux » (Jésus à Ste Faustine).

(102) C’est sur la Croix que tout est achevé (Jn 19, 30). Mais en Jn 20, c’est la manifestation de cet achèvement qui est signifiée.

(103) Et Il crée aussi par son Esprit qui donne vie comme le Psaume 33 (32) nous permet de le déchiffrer : « Par la parole du Seigneur les cieux ont été faits, par le souffle de sa bouche, toute leur armée ».

(104) Les appropriations nous aident à éclairer tel ou tel aspect du mystère de Dieu, en Lui-même ou en ses œuvres. Elles consistent à attribuer à l’une des Personnes telle « qualité » ou telle action, qui en fait appartiennent aux Trois. Exemple : on attribue la Toute-Puissance au Père, la Sagesse au Fils, la Bonté à l’Esprit ; alors que les Trois sont Tout-Puissants, Sages et Bons. Les appropriations sont donc des attributions et non des propriétés, lesquelles sont au contraire exclusives : par exemple, il n’appartient qu’au Père d’être Père et Inengendré ; il n’appartient qu’au Fils d’être Fils et éternellement Engendré ; il n’appartient qu’à l’Esprit de procéder du Père et du Fils, d’être « spiré » par eux, c’est à dire d’être comme leur « respiration » d’amour.

(105) Les anges eux-mêmes reflètent plutôt l’unicité de Dieu, sa souveraine liberté, sa Toute-Puissance, sa Gloire... l’homme reflète en propre ce qu’il y a de plus caché, de plus « précieux » en Dieu : la communion des Trois.

(106) Voir notre méditation sur ce sujet, chapitre III.

(107) Théophanie trinitaire analogue à celles du Baptême de Jésus et de la Transfiguration... mais Théophanie silencieuse.

(108) De même qu’on peut percevoir, ainsi que nous l’avons dit, comme une « délibération » intra-trinitaire pour la création de l’homme (cf. Gn 1, 26), de même il y en eut une, selon St Ignace de Loyola dans ses « exercices », pour la Rédemption : « C’est ici comment les trois Personnes divines regardaient toute l’étendue et globe du monde entier rempli d’hommes, et comment voyant que tous descendaient en enfer, détermina en son éternité que la deuxième Personne se fasse homme, pour sauver le genre humain ».

(109) Nous sommes incapables de vivre pleinement cette attitude pour... sinon progressivement par un lent travail de sanctification. Car, à cause de la blessure du péché, notre cœur se recroqueville facilement sur lui-même, et l’ouverture aux autres ne se fait pas sans combat.

(110) Cf. la vision de Marguerite-Marie expliquée au Père Croiset, dont on voit une représentation sur la mosaïque au-dessus de la châsse de la Sainte, à la chapelle des apparitions, Paray-le-Monial.

(111) Lire ce que nous écrivons sur la « vulnérabilité » du « Cœur » de la Sainte Trinité, dans ce même chapitre.

(112) Selon Catherine de Sienne, le « secret du Cœur » de Jésus, c’est l’union des deux natures dans le Christ.

(113) Le fil conducteur qui va de la description du pectoral du grand prêtre à la description de la Jérusalem céleste, passe aussi par le relai de Ez 40 à 48 où le prophète nous décrit, en vision, le nouveau temple « idéal » (post-exilique) de Jérusalem. Ces chapitres (40 à 48) sont aussi source de l’inspiration d’Ap 21 et 22. Et c’est aussi, rappelons-le, de ce temple d’Ezéchiel que jaillit le fleuve (Ez 47) annonciateur de l’eau du Côté (Jn 19 ; cf. Jn 7, 38-39) et du fleuve eschatologique (Ap 22), symbole de l’Esprit Saint.

(114) C’est ad intra que l’Esprit n’est pas Principe mais Achèvement. Il est évident que dans les œuvres ad extra, Il est Créateur (et donc aussi Principe) au même titre que les deux premières Personnes.

(115) En effet, en tant qu’Il procède du Père et du Fils, l’Esprit est en quelque sorte « fécondité » au sein de la Vie trinitaire ; analogiquement comme l’enfant qui, engendré par son père et par sa mère, est, au sein de la famille, signe de la fécondité de ses parents... il « achève » l’amour de ceux-ci. C’est ce qui rend la relation de l’Esprit – en tant que « fruit » du Père et du Fils – particulièrement intime avec le créé qui est lui aussi, bien que dans un ordre différent (ad extra), signe de la fécondité de Dieu. Par ailleurs, notons que, dans une lecture trinitaire de Gn 1, c’est l’Esprit qui est évoqué en tout premier (v 2), avant le Père et le Fils qui sont davantage signifiés par les paroles « Dieu dit » (v 3). Il est au dessus du chaos initial, et de ce fait, en un sens, Il est plus « proche » de la Création qui va surgir du néant. Il est intéressant de noter encore que cette proximité se laisse percevoir sur l’icône de Rublev déjà mentionnée : en effet, c’est le personnage de droite, représentant l’Esprit Saint, dont la tête est particulièrement inclinée vers l’autel (symbolisant le monde) qu’il effleure de son doigt, qui semble avoir une relation presque maternelle avec la Création. La ressemblance avec certaines représentations de la Vierge est frappante.

(116) C’est ce qui ressort avec force dans ces paroles de He 9, 14 : « ... Christ, qui par un Esprit éternel s’est offert lui-même sans tache à Dieu... ».

(117) Ici, grande parenthèse, car il nous faut méditer sur l’épisode du déluge (Gn 6 à 8) et sur les trois vols de la colombe de Noé. Le déluge lui-même peut être considéré comme un « anti-Shabbat » ; rappelons-nous notre méditation au chapitre III, dans lequel nous disions que, à cause du péché, le Shabbat avait été comme « empêché » d’advenir selon le « désir » premier de Dieu... et, de fait, en Gn 6 et 7, Dieu semble regretter d’avoir créé et Il suscite une sorte de « décréation ». Si l’on étudie Gn 6 et 7, on a l’impression d’assister au « film à l’envers » de la Création. On retrouve le symbolisme des sept jours (Gn 7, 4), l’extermination et l’effacement des hommes et de tous les êtres (Gn 6, 7 ; 13 ; 17 etc.), les eaux d’en haut et celles d’en bas qui avaient été séparées (Gn 1, 6-7) et qui semblent être à nouveau réunies (Gn 7, 11) ; et on se retrouve au chaos initial des eaux primordiales. Et à partir de ce « nouveau chaos », Dieu va susciter quelque chose de nouveau (comme en repartant du néant) qui sera symbolisé par les trois vols de la colombe. Au chapitre 8, l’arche de Noé pourrait symboliser la Demeure de Dieu dans les hauteurs inaccessibles. L’envoi de la colombe est une allégorie de l’envoi de l’Esprit Saint par le Père. Les trois envois sont comme un raccourci saisissant de l’Histoire Sainte. 1. Gn 8, 9: la colombe ne trouve pas d’endroit où poser ses pattes et revient dans l’arche ; symbole de l’Esprit qui volait sur les eaux du chaos initial sans s’y poser. 2. Gn 8, 10-11 : après sept jours, deuxième envoi, et la colombe revient le soir avec un rameau tout frais d’olivier ; on peut y voir un magnifique symbole de l’élection d’Israël... comme si Dieu prenait une toute petite parcelle choisie de la Création encore plongée dans les ténèbres pour l’élever jusqu’à sa Demeure, dans son Cœur. Note : autre interprétation ; selon la tradition juive, la colombe est allée cueillir ce rameau d’olivier dans le Jardin d’Eden. 3. Gn 8, 12 : encore après sept jours, troisième envoi, et la colombe ne revint plus ; signe de l’Esprit Saint qui a enfin trouvé un « lieu » pour reposer sur cette Terre et y demeurer désormais à jamais ; c’est la Vierge en qui Il va opérer le mystère de l’Incarnation... c’est le Baptême de Jésus sur qui Il va descendre et reposer... c’est l’eau du Côté qui arrose la Terre et qui se répand en nos cœurs dans le mystère de l’Eglise, Temple de l’Esprit... c’est l’inauguration du vrai Shabbat de Dieu et de l’homme...

(118) Rappelons ici qu’au début de notre article, nous avons évoqué cette Parole proclamée par Jésus le jour du Shabbat (Lc 4, 16), et qui avait été choisie pour l’entrée solennelle de l’Année jubilaire 2000, à Noël 1999... Année shabbatique par certains côtés, comme nous avons essayé de l’exprimer (chapitre I).

(119) L’eau (en Jn 19, symbole de l’Esprit) qui coule du Côté ouvert du Christ et qui, en se répandant sur la terre aride du Golgotha (lieu du « crâne », évocateur de la mort), la transfigure en jardin de vie nouvelle (cf. chapitre III), est comme un rappel de la présence de l’Esprit au dessus du chaos des origines (encore lieu de non-vie)... cet Esprit qui naguère, par son contact, donna vie et ordre aux éléments encore informes (cf. Gn 1).

(120) A rapprocher ici de I Jn, 5, 7 (qui mériterait un commentaire plus développé) : « Il y en a ainsi trois à témoigner : l’Esprit, l’eau, le sang, et ces trois tendent au même but ».

(121) La Procession de l’Esprit Saint ad intra (« Il procède du Père et du Fils » comme d’un seul Principe, cf. Credo de Nicée-Constantinople), trouve sa « traduction » ad extra dans l’événement de l’eau qui s’écoule du Cœur de Jésus... ce Cœur qui est précisément, comme nous l’avons évoqué plus haut, le Sanctuaire de l’unité du Père et du Fils.

(122) La présence de l’Esprit Saint dans l’événement du Cœur ouvert est contemplée sous un tout autre angle, fort intéressant, par le père Renaud s.j., déjà cité ci-dessus (paragraphe sur le Père). Cela vaut la peine d’en lire un extrait : « S’il est relativement facile de voir, dans le Cœur de Jésus, la révélation suprême du Père et du Fils, il n’en va pas de même au premier abord, en ce qui concerne le Saint Esprit. Car le Saint Esprit semble absent au Calvaire. Sans doute, quelques symboles très expressifs peuvent-ils l’évoquer : l’eau, le sang, le dernier souffle du Christ... (mais) sa Personne vivante, où donc est-elle ?... Que dit donc l’Ecriture, au sujet de la troisième Personne ? Ecoutons une fois encore Zacharie (note : il s’agit toujours de Za 12, 10, en lien avec Jn 19, 37) : « En ce temps là, j’enverrai sur la maison de David, et sur l’habitant de Jérusalem un Esprit de grâce et d’imploration et ils lèveront les yeux vers moi. Celui qu’ils ont transpercé, ils feront sur Lui un deuil, comme un deuil sur un fils unique ». Avez-vous compris ? Pour que nous puissions lever les yeux vers Dieu, il faut au préalable que nous ayons reçu l’Esprit de grâce et d’imploration. C’est en Lui seul que nous pouvons mener sur le Transpercé le deuil du Fils unique : Hôte divin de notre âme, désormais trop inséparable d’elle, trop intime à nous-mêmes pour que nous puissions Le contempler de l’extérieur, et, en quelque sorte, Le placer devant notre regard. C’est donc bien en vain que nous chercherions de Lui, au pied de la Croix, une présence sensible : mais cette absence apparente ne Le révèle-t-elle pas à sa manière mieux que toute figure ? Car l’Esprit, c’est par excellence Celui qui refuse de paraître, Celui qui fuit tous les regards pour les porter avec une douce contrainte vers le seul objet de sa propre contemplation : le Fils en qui se donne le Père ». Cette méditation très riche étant faite, nous reprenons le signe de l’eau qui jaillit du côté comme symbole privilégié de la présence et de l’action de l’Esprit Saint (comme Jn 7, 37-39 nous y invite).

(123) Cette double dimension de la joiecela était très bon ») et du repos de Dieu, est proposée comme modèle à imiter par Israël : « ... si tu appelles le Shabbat « délices » (ou jouissance)... alors tu trouveras tes délices dans le Seigneur... » (Is 58, 13-14).

(124) Le Père est Principe du Fils qu’Il engendre. Le Fils, avec le Père, est Principe de l’Esprit Saint qu’Ils « spirent ». Et l’Esprit procède des Deux comme d’un seul Principe.

(125) Où l’Esprit Saint, rappelons-le, est Principe au même titre que les deux autres Personnes.

(126) Ici, faire le lien avec Ma 3, 19-20, où le Jour du Seigneur est décrit comme un four brûlant ; un feu destructeur pour les impies, mais un Soleil de Justice... avec la guérison dans ses rayons pour ceux qui craignent le Nom. Cette image du Soleil de Justice sera reprise dans les paroles de la Sainte Vierge pour désigner le Cœur de son Fils, lors de l’Apparition du 2 juillet 1688, à Marguerite-Marie. Les rayons bienfaisants de ce Cœur symbolisent aussi l’Esprit Saint.

(127) Et, comme déjà mentionné plus d’une fois, Ez 47, synthèse prophétique, débouchera sur la synthèse eschatologique d’Ap 22, 1-2 (le Fleuve d’eau vive limpide comme du cristal).

(128) Premier point culminant, car la Pentecôte de Jérusalem (Ac 2) n’est encore que début de la réalisation de la grande Pentecôte eschatologique et définitive (encore à venir) entrevue prophétiquement par Joël (Jl 3), laquelle signera la fin de l’Histoire et la transfiguration de tout le créé en cieux nouveaux et terre nouvelle.

(129) Ce verset où l’Esprit insuffle à l’Eglise le désir ardent de la deuxième venue en Gloire du Christ, nous renvoie à un passage analogue dans l’Ancien Testament, où le même Esprit semble inspirer au Peuple de la première Alliance, dans l’épreuve, un désir de ce qui se révélera être sa première venue : « Ah ! si tu déchirais les cieux et descendais » (Is 63, 19)... ces cieux qui se « déchirent » effectivement lors du Baptême de Jésus afin que l’Esprit Saint puisse descendre sur Lui (Mc 1, 10).

(130) Cf. Ez 47, 8...10 : « Cette eau... descend dans la Araba et se dirige vers la mer; elle se déverse dans la mer... Les poissons seront de même espèce que les poissons de la Grande mer... ».

(131) Il s’agit ici du « discours de la Sagesse », laquelle est, selon la Tradition, personnification prophétique aussi bien du Verbe que de l’Esprit Saint.

(132) Cf. paragraphe « Le Cœur du Grand Prêtre », ci-dessus.

(133) On peut même à la rigueur garder l’affirmation de cette tradition juive sur le péché du 1er couple dès le soir du jour de leur création… tout cela à interpréter de façon totalement symbolique, bien sûr.

(134) Certes, j’avais toujours pensé, puisque nous ne sommes pas dans le monde angélique, qu’il y aurait eu croissance pour l’homme et la femme, même dans l’état d’innocence originelle (qui n’est pas encore la vision béatifique) ; mais je pensais que cette croissance (sans douleur), une fois le « bon choix » effectué lors du premier acte de liberté, devait se passer à l’abri de la Tentation. C’est ce dernier aspect qu’il me faut peut-être réviser.

(135) Une anticipation de cet accomplissement de la guérison « après le Shabbat », peut se déchiffrer en Mc 1, 32 et sv : Mgr Cattenoz souligne que « Le soir venu, quand fut couché le soleil... », c’est précisément le soir après la fin du Shabbat mentionné en Mc 1, 21. Jésus opère de nombreuses guérisons et délivrances.



© Tous droits de reproduction réservés pour tous pays.